27 décembre 2010

Bonnes nouvelles

Débutants, Raymond CARVER

Premier tome des versions originales du grand nouvelliste américain : 17 réussites.

La nouvelle qui donne son titre à ce recueil met en scène deux couples attablés devant une bouteille de gin. S’interrogeant sur l’amour, ses raisons, son inconstance, ils se racontent des histoires, leurs précédentes relations, leurs divorces, leurs attentes, des images d’autres couples qui figurent une possibilité de bonheur. Car tous les personnages de CARVER tentent d’être heureux, de croire en quelque chose qui pourrait s’apparenter au bonheur. Un gâteau qui annonce l’anniversaire d’un enfant, trois jours de pêche entre amis, une partie de bingo, quelques pas de danse esquissés dans une cuisine après une nuit sans sommeil. Des moments de bonheur, mais surtout des répits dans une existence toujours au bord du gouffre, où la violence est prête à jaillir, où le destin, celui qui renverse en voiture les petits garçons ou celui qui fait plonger dans l’alcool, transforme les humains en personnages de petits drames du quotidien.
Alcoolisme, folie, divorces, accidents, adultères, … Si ce n’est pas la part la plus flatteuse de l’être humain que CARVER dépeint dans ces nouvelles d’une puissance incroyable, il n’en reste pas moins que ses personnages tentent souvent de se projeter vers un ailleurs qui leur ferait envisager l’avenir sous un jour plus heureux. En vain.
Ce premier tome des œuvres complètes du nouvelliste américain est, à côté de toutes ses qualités littéraires, une histoire d’édition particulière. Les textes avaient été, au moment de leur première parution en 1981, fortement modifiés par l’éditeur, Gordon Lish. A lire la lettre bouleversante que l’auteur lui adresse (reprise en annexe du recueil), on comprend bien qu’il ne s’agissait pas là de simples corrections mais bien d’un travail de réécriture, dénaturant une œuvre qui semble alors pourtant capitale, voire vitale, aux yeux de l’écrivain. C’est donc ici pour la première fois une édition basée sur le manuscrit original. Il semblerait que les corrections de Lish ont consisté essentiellement à couper dans le texte et, à la lecture des nouvelles, on se demande bien les raisons de cette « castration ». Rien n’est jamais de trop. Chaque nouvelle est un monde à part entière, une histoire dans laquelle, en quelques lignes, le lecteur est plongé. En passant par un détail, une phrase, un lieu, l’auteur parvient à créer des atmosphères extrêmement réalistes où, à travers la fumée des cigarettes, vont se jouer ces petites tragédies. Le style est brillant, extrêmement construit mais d’apparence simple, juste et, pour moi qui ne suis généralement pas un amateur de nouvelles, qui parvient à ne jamais laisser le lecteur sur sa faim. Le talent de CARVER est de réussir à se tenir sur cette étroite frontière qui sépare le drame du mélo-drame, la tragédie du soap. Une connaissance des recoins de l’âme qui lui permet de saisir ses personnages en un trait, une scène, et de rester toujours au bord de l’émotion, en retenue.
Un premier tome qui, en ce qui me concerne, est un premier pas dans l’œuvre d’un auteur que je vais rapidement continuer à découvrir et que je vous recommande avec insistance.

Un grand merci à Sébastien du Globe-Lecteur qui, par son alléchant billet, a fait remonter ce livre sur le dessus de ma PAL.
Référence :
Raymond CARVER, Œuvres complètes 1, Débutants, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jaqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, Editions de L’Olivier, 2010.

22 décembre 2010

Des cadeaux #2


Au secours ! Plus que deux jours ! Que faire ! En plus on travaille jusqu'à vendredi... Comment croyez-vous qu'on puisse aller faire de courses de Noël ?! Non mais je vous jure ! Heureusement, il reste la solution miracle : se rendre dans une librairie, lieu de tous les possibles (et pourquoi pas sur une heure du midi, il y a même des librairies qui font lunch…). Parce que bon, ce n'est pas à vous qu'il faut le dire, lecteurs et/ou rédacteurs de blogs de lecture, un livre, c'est quand même le cadeau parfait : ce n'est pas (toujours) cher, ça peut être personnalisé, c'est rarement vilain et toujours très utile. Oui, mais bon, ce n'est pas tout... quoi offrir et à qui ? Et c'est là qu'une fois encore Voyelle et Consonne se fendent d'un petit billet plein d'idées (comme nous l’avions fait l’an dernier ici). Non, non, ne nous remerciez pas, c'est bien naturel... (et puis on avait très envie d’un petit best of 2010 sans vraiment vouloir l’avouer…)

- Pour votre papa qui a fait mai 68 (ou votre frère, pas de conflit de génération...), pour votre tonton syndicaliste ou votre petite cousine militante : Indignez-vous, de Stéphane HESSEL (et en plus il ne coûte que 3€ : la cadeau anti-crise par excellence) ou Indignation, le très beau dernier roman de Philip ROTH.

- Pour votre maman, qui n'a pas oublié (complètement) son discours féministe et sa lecture de Simone de Beauvoir : Infrarouge, de Nancy HUSTON, ou le parcours d'une femme libre et Purge de Sofi OKSANEN ou la rencontre inattendue entre deux destins de femme.

- Pour votre tante, amateur (amateuse ? amatrice ? amateure ?) de belles choses, Sanctuaires ardents de Katherine MOSBY, une émouvante histoire de femme insoumise (encore !) et une écriture magnifique.

- Pour votre petite cousine qui adore les chevaux : Le dieu des animaux, d'Aryn KYLE. Une histoire de cheval et d'ado loin des clichés du genre: subtile, touchante et réaliste. Un fantastique premier roman loin de l’univers de Black Beauty et autres nunucheries équestres.

- Pour votre beau-frère qui ne lit que des romans policiers : n'importe quel livre des éditions Sonatine (comme ici) avec une préférence pour les romans de ELLORY (deux d'entre eux sont d'ailleurs désormais en poche, dont notre sombre chouchou Vendetta); sachez aussi que Henning MANKELL dont on vous a dit souvent tant de bien vient de sortir une nouvelle (et dernière !) aventure de son détective Kurt Wallander, L'homme inquiet (nous aussi on est inquiet de ce qui va lui arriver). On ne l'a pas encore lu, mais on vous le conseille les yeux fermés.

- Pour votre cousin, amoureux du Japon, Le poids des secrets, de SHIMAKAZI. Un coffret (ah, le coffret, grand ami des fêtes de fin d’année !), cinq petits romans, une histoire de secrets de famille et une écriture fine et précieuse.

- Pour la petite amie italienne (ou anglaise, ou américaine ou... enfin vous avez compris) de votre frère qui vient passer Noël en Belgique, un livre belge bien sûr ! Et pourquoi pas par une jeune plume originale de nos contrées avec Les assoiffées de Bernard QUIRIGNY.

- Pour votre grand-père, amateur d'art, le très joli Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants de Mathias ENARD ou les aventures de Michel-Ange à Constantinople.

...

Reste à vous souhaiter que vos fêtes soient douces, la bûche légère et les livres nombreux sous le sapin !

Joyeux Noël.

20 décembre 2010

Tout est dans le titre

Indignez-vous !, Stéphane HESSEL

Quelque pages d’humanisme contemporain : salutaire.

Le succès d’édition certainement inattendu de cette fin d’année. Au moins 200.000 exemplaires déjà vendus et, à voir le petit buzz médiatique qui se met en marche, cela risque d’encore grimper. Et pourtant ici, pas de sorcier pré-pubère, pas d’habitué des têtes de gondoles ou de figures médiatico-culturelles. Juste un rappel, un message clair et simple : indignez-vous.
Évidemment, ce cri n’est pas lancé par n’importe qui. Stéphane HESSEL est une figure marquante : résistant durant la guerre, rescapé des camps, l’un des rédacteurs de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, ancien diplomate, infatigable militant, … Un homme de 93 ans qui s’adresse aux plus jeunes en leur rappelant d’abord les principes issus de la Résistance qui, au lendemain de la guerre, devaient mener l’humanité vers des jours meilleurs. Des principes et des valeurs aujourd’hui disparus. Il dresse un état des lieux lucide et clair de ce début de millénaire : rôle de l’état, écologie, économie, terrorisme, guerres, … Pas besoin de chercher très loin pour trouver des raisons de s’indigner.
Sans tomber dans le discours moralisateur, Stéphane HESSEL nous rappelle que le monde nous appartient et qu’il faut espérer, attendre plus de nos politiques et oser manifester son indignation. En passant par Sartre et Hegel, il revient sur la fin des grandes utopies du siècle précédent en se tournant résolument vers l’avenir.
Une vingtaine de pages d’humanisme contemporain qui font réfléchir et qui, espérons-le, pousseront les plus résignés à l’indignation.

PS :
- Petite précision littéraire : l’auteur est le fils de Franz Hessel, grand ami de l’écrivain Pierre-Henri Roché qui en fit le Jules de son Jules et Jim.

- Avis aux collègues: parfait comme essai à donner à lire à des ados.

17 décembre 2010

Mort d'un parfait basketteur

Sans un adieu, Harlan COBEN

Le dernier roman de la star américaine du roman policier est en réalité son premier. Au roman des origines, on préfère les plus aboutis...

Inutile, évidemment, de présenter Harlan COBEN. Il est présent, parfois grandeur nature, dans les rayons polar de toutes librairies. En quelques années, il est devenu le maître du genre, le virtuose du suspense et surtout, le roi de la rapidité. Car COBEN, qui doit rendre notre Amélie Nothomb verte de jalousie, publie un roman par an, sans faute, et les maisons d'édition, ne laissant bien entendu jamais passer l'œuf en or d'une poule talentueuse, ont ressorti des inédits (en langue française) nous inondant de polars cobeniens, parfois sans se soucier de la chronologie. Pas de bol pour le lecteur francophone qui lit les aventures du sympathique Myron Bolitar, ancienne star de basket reconverti en agent sportif et en enquêteur par la force des choses, dans l'ordre dans lequel sortent les traductions et qui se perd, du coup, parfois, dans les amours compliqués dudit Myron. Mais l'auteur écrit aussi des romans "one shot", mettant en scène des personnages qu'on ne reverra jamais... ou presque. Car, et tous ses lecteurs en conviendront, d'un livre à l'autre, ses personnages se ressemblent étrangement. Beaucoup de médecins et de (ex)champions sportifs charmants, drôles et ayant le sens de la répartie ; beaucoup de femmes dotées d'une "silhouette sublime" et d'un "visage au charme irrésistiblement exotique" ce qui ne les empêche jamais d'avoir un sacré caractère et une vraie intelligence. Bref, des individus à qui la vie sourit mais sur qui tombe en général une terrible tuile. Quant au style, il manque parfois un peu de finesse.
Et pourtant... ! Et pourtant, Harlan COBEN nous a prouvé, et plusieurs fois, son indéniable talent. Quelques-uns de ses livres sont des chefs d'œuvre du genre. COBEN maîtrise l'art de l'intrigue et du suspense comme personne (ou presque). Son style, certes un peu plat, est cependant dynamique et certains de ses dialogues particulièrement jouissifs. Et si ses personnages sont un peu fabriqués, ils sont tellement sympathiques qu'on a suffisamment envie de croire en eux pour s'y attacher et pour souhaiter qu'ils se sortent la tête haute des ennuis dans lesquels ils se sont fourrés.
Ainsi, des romans comme Ne le dis à personne (très bien adapté au cinéma par Guillaume CANET), Disparu à jamais ou Une chance de trop ont fait passer de nombreuses nuits blanches même aux plus sceptiques (dont je faisais partie... ). La lecture d'Harlan COBEN peut devenir une terrible addiction, d'autant plus dangereuse que la prolixité de l'auteur lui fait publier des romans parfois bien en dessous de ses capacités.
Mais revenons à cette dernière parution. Au début de Sans un adieu (les traductions des titres sont malheureusement pour le moins répétitives : Sans un adieu, Sans un mot, Sans laisser d'adresse,...) l'auteur nous met en garde : "OK, si vous n'avez rien lu de moi, arrêtez tout de suite. Rendez ce livre. Prenez-en un autre. Ce n'est pas grave. J'attendrai. Si vous êtes toujours là, sachez que je n'ai pas lu Sans un adieu depuis une bonne vingtaine d'années. Je n'ai pas voulu le réécrire. C'est un procédé qui me répugne." Tout est dit : il s'agit du premier roman de l'auteur encore "jeune ingénu travaillant dans le tourisme" et depuis devenu la star que l'on sait. De là à se dire que les éditeurs ont dit à leur poulain : "Harlan, donne nous n'importe quoi, on prend" et que COBEN est allé ressortir ce vieux manuscrit daté, il n'y a qu'un pas.
Laura, ex top model, et David, superstar de l'équipe des Celtics, passent leur lune de miel en Australie. Mais David part nager et... ne revient pas. On conclut à une mort par noyade. Lorsque Laura revient aux Etats-Unis, incapable d'admettre le drame, elle enquête sur la disparition de son homme et fait ressurgir de vieux secrets de famille.
On retrouve dans ce "roman des origines" bien des caractéristiques  cobenniennes : des personnages riches et beaux, une intrigue emberlificotée, plein de rebondissements. Les aficionados s'amuseront même à reconnaître certains personnages qui reviendront dans ses oeuvres postérieures. Hélas, le style est ici vraiment très pauvre, les personnages vraiment très artificiels et surtout, comble de l'horeur, l'intrigue à la fois prévisible et invraisemblable. Il m'est arrivé quelque chose qui ne m'était jamais arrivé auparavant (et je pense avoir lu toute son oeuvre) : j'ai presque tout compris dès le début.
Harlan COBEN a donc raison : si vous n'avez jamais rien lu de lui, prenez autre chose... Pour les autres, ma foi, faites-vous plaisir (mais tâchez qu'on vous prête le roman...).

Merci quand même aux éditions Belfond pour nous avoir fait parvenir ce roman.

15 décembre 2010

(Bad) Trip littéraire

Des garçons épatants, Michael CHABON

Un roman à l’univers décalé et un peu foutraque qui finit pas lasser.

Une longue et difficile journée pour Grady Tripp, prof de lettres dans une université américaine. Point de vue sentimental, on a vu mieux : sa femme le quitte, sa maîtresse, par ailleurs mariée à son recteur, lui annonce qu’elle est enceinte et la jeune et belle Hannah lui tourne plus que jamais autour. Professionnellement, ce n’est pas simple non plus : il peine depuis des années sur son dernier roman,  Des garçons épatants, une œuvre titanesque à laquelle il ne parvient pas à mettre un point final et qui, de par son imposante dimension, risque bien de ne jamais trouver le chemin des librairies. Il n’a d’ailleurs toujours rien montré de son travail à Teddy Crabtree, son plus vieil ami et éditeur, dont la carrière bat de l’aile. C’est aussi sans compter sur la présence étrangement morbide de l’un de ses étudiants, James Leer, apprenti écrivain au talent certain mais au bord du gouffre existentiel. Ajoutez à cela l’assassinat du chien du recteur, le vol d’un petit manteau ayant appartenu à Marilyn Monroe, un repas de Pessa’h qui tourne au cauchemar familial, le tout sous l’effet de l’alcool, du joint, ou des deux !
Le roman démarre avec beaucoup de souffle et de vitalité, CHABON (dont on vient de vous parler ici) s’adonnant avec une joie communicative au jeu du vaudeville moderne et littéraire, centré sur son héros, loser sublime qui, quand il parvient à éviter les coups du sort, fonce tout droit vers de nouveaux problèmes. L’écriture est toujours tendue, bourrée d’ironie. Dialogues et descriptions piquent, amusent et créent peu à peu un univers un peu loufoque. Mais au fil des pages, alors que les personnages semblent lutter contre une gueule de bois de chaque instant, le rythme du récit s’empâte lui aussi, se perd parfois dans des péripéties redondantes, accessoires et l’intrigue de perdre de son intérêt. Même si les digressions, sur l’écriture et le cinéma notamment, sont plaisantes, elles ne parviennent pas à maintenir le lecteur en éveil. Dommage, car tout cela était bien parti. En même temps, le souci de l’auteur est finalement le même que celui de son personnage : trouver une fin, faire progresser une intrigue. La mise en abîme ne sauve cependant pas le lecteur de l’ennui. C’est dommage, car c’était bien parti…

Un livre lu grâce à un partenariat organisé par BOB (qu’on remercie encore une fois pour leur job épatant) et les éditions Robert Laffont.

PS : ce roman a été adapté en 2000 au cinéma par Curtis Hanson. J’ai vu ce film mais je n’en ai plus aucun souvenir.

8 décembre 2010

A yiddishe polar



Le club des policiers yiddish, Michael CHABON

Un polar dense, décalé et exotique. Oy !

La découverte du corps d’un jeune drogué assassiné dans l’hôtel qu’il habite depuis son divorce plonge l’inspecteur Landsman dans un drôle d’état. Serait-ce la faute de l’échiquier trouvé à côté du cadavre qui lui rappelle son propre père, grand joueur d’échecs ? Ou bien serait-ce simplement la cuite de la veille qui l’empêche d’y voir clair. Peu importe car il devra vite oublier l’affaire : la police de Sitka, territoire minuscule d’Alaska abandonné pour un temps à la communauté juive, va devoir passer la main à la police américaine. Signe de la fin du refuge glacé de ces juifs du Nord ? Mais Landsman s’obstine et continue l’enquête, contre l’avis de son nouveau chef qui n’est autre que son ex-femme…

La première surprise du roman tient à l’invention de cette communauté juive d’Europe de l’Est transplantée en Alaska. Un microcosme autarcique, minorité visible aux côtés des Indiens, parqués aussi pas loin de là. Le lecteur est plongé dans une autre culture notamment grâce à tous les termes yiddish qui parsèment le texte (avec un petit lexique à la fin). Polar basique au démarrage (meurtre + flic alcoolo dépressif), le roman surprend ensuite par la dimension géo-politique qui s’impose à mesure que l’enquête avance. On n’en dira pas plus afin de ménager le suspense.

Le club des policiers yiddish est mon premier CHABON et certainement pas le dernier (je suis d’ailleurs plongé dans Des garçons épatants). Beaucoup d’humour et d’ironie, un style original, une imagination singulière, la relecture d’un genre : que demandez-vous de plus ? Le côté polar décalé fait parfois un peu penser à du VARGAS, en plus épique. Bref : enfilez votre doudoune (et à mon avis, pour le moment, elle ne doit pas être bien loin…), ouvrez la porte du congélateur (ambiance Alaska garantie) et bonne lecture !

Merci à Françoise qui m’a remis en tête cet auteur que j’avais envie de découvrir depuis longtemps.

5 décembre 2010

Have you reached your verdict ?

Verdict, Justin PEACOCK

Un roman judiciaire qui tient ses promesses.

Les polars traditionnels s’arrêtent souvent là où le coupable est arrêté. Mais après viennent les avocats et c’est un tout autre boulot qui commence. Victime ou coupable, chacun a le droit d’être défendu et, pour les avocats de la défense, il faut la jouer finement.
Joel Deveraux avait tout du jeune lion en passe de gravir les échelons d’une grande boîte d’avocats d’affaires à New York. Mais un penchant un peu addictif pour une substance prohibée et la mort par overdose de l’une de ses collègues vont mettre un terme brutal à ses espérances ; obligé de démissionner, il se retrouve tout en bas de l’échelle du prestige des hommes en robe : avocat commis d’office.
C’est ainsi qu’il est amené à seconder Myra, autre avocate pour qui ce poste a du sens et de l’importance, dans une affaire de meurtre ayant pour cadre le milieu du petit trafic de drogue d’une cité de laissés pour compte. L’accusé clame son innocence et le travail de ses avocats sera de démontrer aux jurés qu’il n’est pas le coupable que les apparences et les témoignages semblent désigner. Car plus que de se montrer défenseur de la vérité, l’avocat doit avant tout être un champion de la persuasion.
Un très bon suspense dans ce roman judiciaire (pas certain, comme le dit la couverture, que l’on puisse parler de "thriller") qui a comme principale originalité d’être extrêmement bien construit sur le plan juridique (américain). L’auteur, lui-même avocat, aborde presque son roman comme un documentaire sur le métier et, surtout, sur les situations morales et éthiques auxquelles sont confrontés ses pairs.
L’intrigue est efficace, les personnages crédibles et on ne reprend son souffle qu’une fois le bouquin refermé.
Allez, hop : sous le sapin !

Un libre lu dans la cadre d’un partenariat organisé par Blog-o-Book (que nous remercions, comme d’hab !) et Sonatine.

Les avis de Canel, de Manoes et de Pikkendorff.

2 décembre 2010

Des livres du plat pays... une fois #2

Notre pays se déchire, nous n’avons plus de gouvernement depuis… heu… on ne compte même plus les mois, il n’est question que de conflits communautaires dans les journaux télévisés… Que cela ne nous empêche pas de développer, quand bon nous semble, un petit sentiment nationaliste et de défendre des livres bien de chez nous, pour les faire découvrir à nos lecteurs d’un autre pays ou à nos compatriotes pas toujours au courant que nous aussi, les Belges, on écrit, et parfois très bien. Un peu de tout, pas du brol : un melting pot !


-    Des romans intimistes
Qui dit intimiste, dit Corinne HOEX. La romancière parle d’elle, de son enfance, de ses blessures. Dans Ma robe n’est pas froissée, elle abordait l’adolescence à travers le personnage d’une jeune fille coincée entre une mère indifférente, un père manipulateur et un petit ami violent. Dans son dernier roman, Décidemment je t’assassine, l’auteure évoque sa mère. Ou plutôt les derniers moments de la vie de sa mère, la manière dont elle va la suivre jusqu’à son dernier souffle et surtout dont elle va gérer le deuil de cette femme froide, souvent cassante, parfois violente, qui maintenait sa fille à distance mais n’était jamais loin.
Maman Jeanne, le dernier récit de Daniel CHARNEUX, est lui aussi un petit roman intimiste tout en finesse qui raconte la vie douloureuse d’une femme du peuple au début du siècle, toujours obligée de dépendre des hommes, qui deviendra bonne du curée et évoquera la difficulté, pour une femme de sa condition, de s’en sortir seule et de parvenir à devenir une vraie mère pour des enfants qu’elle n’arrive pas à nourrir.
Dans Oubliez Adam Weinberger, Vincent ENGEL raconte les camps de concentration… ou plutôt ne les raconte pas mais parle de la vie d’Adam Weinberger avant et après cette expérience irracontable. Difficile ensuite de l’oublier.
Intimiste toujours, Ceux qui marchent dans les villes, de Jean-François DAUVEN, roman sur une poignée d’individus perdus dans une grande ville, des villes qui seront, elles aussi, des personnages. Paris, Rome, Londres,… et Bruxelles, bien sûr, autant de villes que d’histoires qui finissent par se répondre. Si la balade dans laquelle DAUVEN nous emmène est parfois un peu longue, la description des villes et des individus ne manque pas de charme.

-    Des romans à suspense
On compare souvent Armel JOB à SIMENON. Il est vrai que ses polars sont comme ceux du maître liégeois, des romans psychologiques avant d’être des romans à suspense. Dans Les Fausses innocences, déjà, JOB reconstituait l’ambiance trouble de l’après guerre dans les cantons rédimés (partie de la Belgique du côté de la frontière allemande) et nous faisait nous intéresser à l’étrange personnalité du narrateur, de sa mère tyrannique et de la femme qu’il continue d’aimer malgré qu’il la soupçonne d’avoir bel et bien tué son mari. Dans son dernier roman, Tu ne jugeras point, où il est question de la disparition d’un bébé, le point du vue est celui du juge qui dirige l’affaire, qui soupçonne la mère et cherche à connaître la vérité sans porter de jugement. Roman haletant qui évite subtilement de tomber dans le glauque, le tapageur ou le mélodramatique.
Citons également Jean-Baptiste BARONIAN, auteur « spécialisé » dans le polar et le fantastique (il n’est pas Belge pour rien…) qui a publié une quarantaine de romans (mais aussi une excellente biographie de BAUDELAIRE) dont le très noir Matricide dans lequel un policier de quartier qui s’ennuie assassine sur un coup de tête une pauvre petite vieille.
Et puisque nous sommes pour une Belgique unie, rappelons que nous avions déjà parlé ici d’un grand auteur flamand de roman policier, à savoir Pieter ASPE.

-    Des romans historiques

C’est à l’histoire de Rabelais que s’est intéressée Valérie DE CHANGY dans son roman Fils de Rabelais. La romancière y raconte un épisode de la vie du grand écrivain humaniste par l’intermédiaire d’un hypothétique fils adoptif. Nous sommes à la fin de la Renaissance, en pleine guerre de religion, période pendant laquelle il n’est plus aussi aisé de dire ce que l’on pense, même par le rire, et où Rabelais commence à s’inquiéter de la réaction que pourrait susciter la publication de son dernier ouvrage, Le Tiers Livre.

-    Des romans d’anticipation
Bernard QUIRIGNY est un jeune auteur à suivre et à saluer pour deux raisons évidentes : son roman Les assoiffées (dont nous avons parlé ici) est un excellent mélange de contre-utopie et d’humour mais aussi (surtout ?) il aura permis aux accros de la rentrée littéraire, qui lui ont accordé pas mal d’attention, de découvrir que, non, il n’y a pas qu’Amélie Nothomb qui écrit en Belgique…
Vincent ENGEL, quant à lui, nous suggère dans Mon voisin c’est quelqu’un de faire bien attention aux agissements de nos voisins. Celui d’Otto, narrateur de cette histoire, est déjà effrayant à première vue. Quand ensuite on se rend compte du plan machiavélique qu’il a mis en place pour faire valoir ses idées radicales et nauséabondes et faire revivre un triste passé, on décide de redoubler de vigilance par rapport à notre voisinage. ENGEL n’a rien n’inventé en terme de roman d’anticipation mais on aime son style dynamique et caustique et puis il est des souvenirs qu’il est toujours bon de rappeler…

A lire qu’il drache ou qu’il neige, un paquet de frites brûlant ou une bonne gauf’ entre les mains, attablé devant une bonne pintje,… qui sait si vous n’aurez pas un sacré boentje pour un de ces auteurs !

PS :
- Des livres du plat pays… une fois #1 c’est ici.

- Comme nous sommes nuls en challenge, nous n’avons pas participé à celui organisé par Reka sur la littérature belge. Pourtant nous aurions facilement gagné le titre de « gros Belge » !

- On profite de ce billet pour ajouter un titre à la playlist de Leiloona, bienheureuse créatrice de la radio des blogueurs. Un titre belge, bien entendu ! 





28 novembre 2010

Pleure, transmets et aime

Elégie pour un Américain, Siri HUSTVEDT

Des pères, encore des pères, toujours des pères. Par une des plus belle voix de la littérature américaine.

Un manquement grave. Depuis que notre blog existe, nous n’avons pas encore eu l’occasion de parler de Siri HUSTVEDT. Et pourtant Tout ce que j’aimais est certainement l’un des livres qui nous a le plus marqués. Comme dans ses essais, sur la peinture (Les mystères du rectangle) ou sur des sujets variés (Plaidoyer pour Eros), l’écriture de celle que beaucoup réduisent trop facilement à son statut de « femme de » possède une force magnétique et vous immerge, le temps de la lecture, dans un monde sensible, familier et étrange. Une manière juste et profonde de voir le monde contemporain et les rapports humains, l'art, le langage, ... 

Dans son dernier roman en date, on retrouve comme dans Tout ce que j'aimais le poids de la mort et du deuil. Erik Davidsen, psychiatre divorcé, vient de perdre son père et, en vidant les affaires de celui-ci, découvre une lettre suggérant la possibilité d’un inquiétant secret bien gardé. Erik tente de trouver des indices dans les Mémoires laissées par son père et revisite ainsi la vie de sa famille, marquée notamment par la guerre du Pacifique, dont les guerres en Afghanistan et en Irak se font ici l’écho.
Le père est la figure centrale du récit. Père décédé, père absent, père manquant. Tous les personnages du roman tentent de se construire ou de se reconstruire en repensant et en se confrontant à leurs fondations. Inga, la sœur d’Erik, veuve d’un écrivain célèbre, découvre les parts d’ombre de l’existence de son mari et tente d’en préserver sa fille, adolescente qui garde en elle une souffrance muette depuis les attentats du 11 septembre. Miranda, la nouvelle voisine dont Erik est tombé immédiatement amoureux, élève seule sa fillette dans l’ombre d’un père absent et néanmoins très inquiétant. Ses différentes histoires viennent croiser celles des patients d’Erik pour former une communauté de personnages en souffrance mais, et c’est évidemment ce qui vient sauver le livre, qui luttent. Il est donc aussi beaucoup question de transmission, thème qui semble habiter profondément les auteurs américains d’aujourd’hui.
Inutile de le préciser, vous l’aurez certainement compris, ce roman est porteur d’une grande mélancolie qui m’a particulièrement touché. Sans jouer sur l’identification facile, HUSTVEDT parvient à donner à ses personnages, pourtant tous très bobos brooklyniens, une dimension profonde, humaine et presque universelle. Alors bien sûr, tout cela est très empreint de psychanalyse (à travers le récit des rêves, notamment) mais sans dogmatisme. Le rythme est assez fragmenté, parfois décousu mais très maîtrisé. Et comme dans ces autres romans, l’auteure nous plonge dans une ambiance et une couleur particulières qui m’ont séduit. 

Un beau portrait de notre époque.

19 novembre 2010

Anonymes mais pas inconnus

Les Anonymes, R.J. ELLORY

Dernier roman de notre chouchou du moment : oui, mais…

ELLORY est l’un des auteurs qui nous a le plus enthousiasmés ces derniers temps. Dans ces deux romans traduits en français (dont nous avions parlé notamment ici), il revisitait le roman noir pour en donner une vision plus profonde, on pourrait presque dire plus littéraire, avec un mélange de mélancolie très sombre, de cruauté effrayante et, dans le cas de Vendetta, d’une relecture originale de l’histoire des Etats-Unis. La part sombre, la part de l’ombre de l’humain, horrible, cruelle mais littérairement construite. Autant dire qu’on attendait avec impatience la sortie d’un nouveau roman. Mais nos attentes sont souvent bien difficiles à contenter et il en va de même pour les livres…
Les Anonymes se présente davantage comme un thriller. Une série de meurtres violents et reliés par un mode opératoire effrayant, un flic au bout du rouleau, une course à l’indice, etc. Mais à côté des ingrédients traditionnels du genre, ELLORY parvient rapidement à insérer une dimension politique et à renouer avec l’un de ses thèmes-phares : la création d’un monstre. L’enquête avance par sauts de puce, entrecoupée des bribes de confessions d’un homme, peut-être le tueur. Ce récit parallèle rejoindra finalement celui d’une enquête à rebondissements aux allures de scandale politique de grande échelle.
Autant le dire tout de suite, Les Anonymes est un excellent thriller qui fonctionne pleinement, se dévore avec avidité. Et pourtant, je m’attendais à mieux. Moins de profondeur que dans les romans précédents, une certaine impression de déjà-lu (avancer que les agents de la CIA ne sont pas tous des enfants de chœur, ce n’est pas des plus original…), une première partie parfois un peu laborieuse (avec toutes les vingt pages une sorte de répétition inutile de l’état des lieux de l’enquête). John Robbey, le « méchant » de l’histoire, a beau être un personnage assez bien construit, il ne possède pas la même dimension que les anti-héros « elloriens ».
Donc un brin de déception mais qui ne m’empêchera d’attendre impatiemment le prochain.

Même avis chez Emeraude.

Et pour terminer sur une bonne note : un entretien avec l’auteur réalisé par BOB.

10 novembre 2010

C'est mon tour

(Suite de l'épisode précédent)

Alors, sans trop y réfléchir...
1. John IRVING  : parce que c'est mon premier grand amour littéraire d'adolescence... Le premier auteur qui m'a donné envie de dévorer toute son œuvre.
2. Jean RACINE : d'accord, c'est un peu pompeux venant d'une prof de français. Mais il se trouve que je suis en train de voir Bérénice avec mes élèves et que j'ai de nouveau été émue en relisant ses alexandrins.
3. Siri HUSTVEDT : Xavier aka Consonne a déjà cité Auster. Alors pour ne pas répéter, j'ai choisi son épouse que j'aime aussi beaucoup. Et comme je suis la partie féminine de notre duo, j'ai choisi la partie féminine du leur.
 4. Jonathan COE : que puis-je dire d'autre que je l'adore, que j'attends chacun de ses livres avec ferveur, qu'il ne me déçoit jamais.
5. Jean COCTEAU : parce que j'ai consacré mon mémoire de fin d'études à son Orphée et à celui d'Anouilh. Comment oublier...
6. Henning MANKELL : le premier qui m'a persuadée que la littérature policière était bien souvent d'une grande qualité. Depuis, je lis tout (ou presque) de lui, policiers ou pas. Il paraît qu'il en a fini avec l'inspecteur Wallander... je n'ose même pas y penser.
7. Nancy HUSTON : elle m'a fait pleurer à chaudes larmes dans ses deux derniers romans. Quelle écriture ! Quelle femme !
8. Philip ROTH : une maîtrise incroyable de l'écriture et une analyse extraordinairement fine de son pays les Etats-Unis. Mais Consonne vous avait déjà dit que je l'aimais... non ?
9. Emile ZOLA : j'adore enseigner le cycle des Rougon-Macquart. Quelle entreprise littéraire !
10. Margareth ATWOOD : des histoires de femmes poignantes et toujours justes, qu'elle entreprenne de nous raconter le siècle dernier ou qu'elle se lance dans le roman d'anticipation.
11. Gabriel Garcia MARQUEZ : j'avais déjà adoré L'amour au temps du choléra. Mais Cent ans de solitude m'a donné, ado, la passion des grandes saga familiales.
12. Harry MULISCH : je sais que Xavier/Consonne l'a déjà cité mais La découverte du ciel est sans doute LE roman que je prendrais sur une île déserte.
13. René GOSCINNY : parce que j'adore Le petit Nicolas. Un des livres les plus poétiques et drôles du monde. Surtout illustré par SEMPE.
14. Haruki MURAKAMI : pour son onirisme et sa poésie (encore).
15. Jonathan SAFRAN FOER et son épouse Nicole KRAUSS : tous les deux capables de nous faire rire et pleurer presque en même temps.
Je suis sûre que dans une heure, je vais penser à plein d'auteurs que j'aurais dû absolument mettre sur cette liste. Je tâcherai de m'en souvenir pour la prochaine fois?

Tag ta gueule à la récré

Un tag reçu de Lystig et assez simple : citer quinze auteurs et taguer ensuite quinze blogolectrices/lecteurs (voir ci-dessous).

Fastoche… ou pas !

1.    Marcel PROUST : le premier qui me vient en tête car je caresse depuis longtemps l’envie de me replonger dans la Recherche (mais quand je vois le rythme de mes semaines, je me dis que ce sera pour la pension…).

2.    Marguerite DURAS : un peu passée de mode mais une auteure qui a marqué la fin de mon adolescence et que je relirais bien un de ces jours (ou un de mes vieux jours cf 1).

3.    Jane AUSTEN : parce qu’une de mes élèves a décidé de se pencher sur ses héroïnes pour son travail de fin d’études et que cela m’a rappelé combien j’avais été étonné par la modernité de ses figures féminines, notamment dans Orgueil et Préjugés (et comme quoi, elle ne touche pas que les blogueuses !)

4.    David SEDARIS (dont j’ai déjà parlé ici): un humoriste et écrivain américain de grand talent qui me fait énormément rire. J’avais emporté en vacances, pour les longs trajets, ses textes lus par lui-même et, en plus du très bon exercice pour améliorer sa compréhension en anglais, j’ai beaucoup beaucoup ri.

5.    Michel de MONTAIGNE : c’est un auteur que j’aime beaucoup enseigner et je suis toujours frappé par l’incroyable pertinence de ses Essais.

6.    R. J. ELLORY : je suis en train de lire son dernier roman paru en français, Les Anonymes. Les deux précédents, Seul le silence et Vendetta, sont parmi mes meilleures lectures de ces dernières années (on l’avait dit ici).

7.    Michel HOUELLEBECQ : il paraît qu’il vient de gagner un prix…

8.    Christine de PISAN : grand souvenir de mes études. Une poétesse du 15ème siècle (remarquable en soi) à l’écriture douce, simple et sensible.

9.    Anne-Marie GARAT : sa trilogie Une traversée du siècle (dont on a parlé ici) a fait vibrer mes cordes sensibles. Et son écriture ample et lyrique, bien que presque anachronique, me touche.

10.    Paul AUSTER : à quand le Nobel ?

11.    Arthur RIMBAUD : je dois vraiment à mon métier de m’avoir obligé à m’intéresser à la poésie et les vers de ce jeune prodige continuent de m’intriguer.

12.    J.K. ROWLING : ce blog date d’après HP et nous n’avons jamais eu l’occasion d’évoquer ici ces romans pour lesquels nous avons retrouvé des sensations enfantines.

13.    Henri BAUCHAU : l’auteur belge (mais sa nationalité n’a pas vraiment d’importance) d’Œdipe sur la route, autre grande lecture/révélation de mon adolescence.

14.    Emmanuel CARRERE : même si je ne sais toujours pas vraiment si je l’ai aimé ou pas (comme je le disais ici) D’autres vies que la mienne est un livre auquel je repense très souvent.

15.    Harry MULISCH : disparu récemment, il est l’auteur de La découverte du ciel, un chef d’œuvre.

Et, sans obligation aucune, je fais passer le tag à LuKe’s Blog, au Globe Lecteur, à Bookomaton, à Art et littérature (et encore plus), à Réka, à Calyste, à Zarline, à la Pyrénéenne, à Saleanndre, à Tiphanie, à Clara, à Niki, à Emeraude et, bien évidemment, à Amandine aka Voyelle.

9 novembre 2010

And the winners are...


Nous n’avons pas, chez Voyelle et Consonne, la passion des prix littéraires mais pour une fois, nous avons lu et chroniqué certains des ouvrages qui viennent de recevoir les récompenses d’automne. Et ça tombe bien : ce sont tous des livres que nous avions, d'une manière ou l'autre, aimés. 

L’occasion donc de se rappeler de:

6 novembre 2010

Elémentaire, mon cher Bello

Enquête sur la disparition d'Emilie Brunet, Antoine BELLO
 

Après les brillants Falsificateurs et Éclaireurs, le nouveau roman d'Antoine BELLO s'interroge sur le roman policier et ses subtilités. Étonnant...

On avait dévoré les Falsificateurs, roman foisonnant qui imaginait l'existence d'une mystérieuse organisation chargée de falsifier le réel et l'histoire. On avait bien entendu englouti la suite de cette géniale fiction sans être déçu (pour plus de détails, lire ici). On n'a évidemment pas résisté longtemps à acheter le nouveau Antoine BELLO, Enquête sur la disparition d'Emilie Brunet, étonnant roman sur la création littéraire en général, le roman policier et l'œuvre d'Agatha CHRISTIE en particulier.
Le détective Achille Dunot est retraité après un accident qui lui a valu un sérieux handicap : il souffre  désormais d'amnésie antégrade. Chaque matin, il ne se souvient que des événements arrivés avant son accident. Sa femme doit donc lui rappeler sa maladie et lui faire le résumé des derniers jours. Et pourtant, c'est son aide que sollicite le chef de la police dans l'affaire de la disparition d'Emilie Brunet. Celle-ci, partie en balade avec son amant, n'est jamais revenue. Son mari volage, Claude Brunet, qui héritera de toute la fortune de celle qui allait bientôt demander le divorce, n'a pas d'alibi mais beaucoup de mobiles. Malheureusement, la police n'est pas sûre d'avoir assez de preuves pour l'envoyer en prison. Achille Dunot décide alors de reprendre toute l'enquête et de s'intéresser de plus près à cet homme brillant et vraisemblablement machiavélique qu'est Claude Brunet. Et pour se faire, Dunot commence la rédaction d'un carnet qu'il relira chaque matin et qui constitue le livre que nous, lecteurs, sommes en train de lire.
Il y a donc bien enquête dans le nouveau livre d'Antoine BELLO, mais celle-ci n'est que prétexte. Il y a aussi une réflexion sur le thème de la mémoire dans cet affrontement entre le détective amnésique et le présumé assassin qui n'est, ô surprise, rien de moins qu'un brillant neurologue. Et il y a surtout une réflexion sur le thème de la littérature. D'abord parce que Dunot est en train d'écrire un livre et que sa relecture, chaque matin, va l'inciter à corriger et à commenter son style. Ainsi, si nous, lecteurs, sommes un peu étonnés par le manque de style de la première partie du récit, on lit quelques pages plus loin les propos du narrateur nous en expliquer la raison : "Grosse déception à la lecture de la dernière entrée. La relation de mon entretien avec Brunet, succincte, pauvre en nuances et terriblement désincarnée, est à peu près aussi truculente qu'un dialogue entre deux ordinateurs. Une telle aridité m'interpelle. Pourquoi n'avoir consigné aucun des geste de Brunet, aucune de ses intonations, quand je sais l'importance que peut revêtir le moindre détail dans un interrogatoire? Ai-je manqué de temps ou dois-je envisager que j'ai perdu la main?" Et BELLO  de couper sous nos pieds l'herbe de notre première critique.
Ensuite, il est question de littérature toujours par les nombreuses allusions au roman policier, à sa structure et surtout à l'œuvre d'Agatha CHRISTIE, dont le narrateur est un fan incontesté. A tel point que les références aux livres de la célèbre romancière anglaise se multiplient pour finalement faire partie intégrante du roman. Dunot finit par justifier les hypothèses de son enquête par des recoupements aux enquêtes d'Hercule Poirot. Et si son entourage semble craindre pour sa santé mentale, Brunet, lui, entre dans son jeu en relisant l'intégralité de l'œuvre d'Agatga CHRISTIE et en partageant ses impressions avec l'enquêteur.
Un exercice de style, donc, plein de prouesse et d'habilité. Le fait que nous n'ayons accès qu'aux retranscriptions hasardeuses d'un amnésique potentiellement fou et à celles d'un probable assassin ne nous permet de prendre aucun recul dans le déroulement de cette enquête et nous entraîne malgré nous dans les réflexions littéraires des deux hommes. Mais si le livre nous donne envie de relire certaines œuvres d'Agatha CHRISTIE, il manque, peut-être par cette prouesse narrative, d'un peu d'émotion. Difficile, en effet, de s'attacher aux personnages décrits sommairement (la manière d'Agatha CHRISTIE?) par le narrateur, à Brunet, personnage froid et impassible, ou même à Dunot lui-même, dont l'étrange cheminement intellectuel nous laisse un peu sur le carreau.
Que dire aussi de la fin ? Si elle comporte la pirouette que nous attendions depuis la dixième page, celle-ci est  pour le moins un peu brumeuse et élusive. Je profite du coup de ce billet pour solliciter votre avis. Les lecteurs avertis de ce blog qui ont déjà lu le dernier Antoine BELLO pourrait-il nous donner leur interprétation sur la fin? (N'hésitez pas à indiquer clairement si vous divulguer des éléments de fin...pour ne gâcher le plaisir de personne). A lire au moins pour résoudre cette énigme !

31 octobre 2010

Pour Voyelle

Indignation, Philip ROTH

Un roman profond et juste sur la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte. Presque une révélation.


Je n’aimais pas Philip ROTH. Malgré les nombreuses tentatives d’Amandine, la Voyelle de notre duo (qui clame son amour pour l'auteur ici), malgré ses éloges incessants, malgré la variété de ses arguments (« Tu n’as pas aimé car ce n’était pas le bon moment », « Il vaudrait mieux découvrir l’auteur par un autre roman », « Tu es vraiment une tête de mule »…) : rien n’y faisait. J’ai essayé, j’ai lu et j’ai, invariablement, abandonné.
Mais comme l’amitié c’est sacré et que je voulais tant lui dire que, oui, ROTH est un auteur génial, j’ai retenté le coup. Et miracle : ça a marché !
Il y a deux ans de cela, j’avais été énormément touché par Un homme qui racontait la vie d’un homme ( !) sur le point de mourir. Justesse du ton, pudeur et retenue, mélancolie drôle.
Et pour Indignation, dernier ouvrage paru en français, mon enthousiasme est encore plus débordant. Lu en un temps record, le roman m’a emballé et, à nouveau, pas mal secoué.
En 1951, alors que de jeunes Américains continuent de mourir sur le front de la guerre de Corée, Marcus Messner quitte la demeure familiale pour entamer sa deuxième année d’université au Winesburg College, dans l’Ohio. Fils d’un boucher kasher de Newark, Marcus ne peut plus supporter l’inquiétude grandissante et écrasante de son père qui s’imagine que son fils, pourtant sérieux et travailleur, pourrait commettre d’absurdes faux-pas qui viendraient mettre un terme à ses possibilités d’ascension. La qualité de l’enseignement dispensé à Winesburg n’a rien d’exceptionnel et les valeurs patriotiques et religieuses qui fondent la tradition de l’école n’arrangent pas les choses, mais pour Marcus, mieux vaut cela que d’être face à la détresse paranoïaque de son père ou, pire, d’aller mourir en Corée. Studieux, appliqué, il se conforme à tout mais refuse de participer à la vie sociale de l’université (et notamment de faire partie d’une fraternité). Immergé dans un monde aux valeurs morales étriquées et pudibondes il n’en ressent pas moins du désir pour le sexe opposé. C’est ce qui le pousse à inviter la belle Olivia à un dîner qui, il l’espère bien, lui rapportera ses premiers succès amoureux. La découverte du plaisir coupable sonnera pour Marcus le début d’une série d’incidents désastreux l’obligeant à poser des actes et à prendre position face au monde que la société et ses parents lui proposent d’embrasser.
Même si l’Amérique chrétienne et conservatrice des années 50 est le cadre du livre, ROTH fait de son personnage un jeune homme aux aspirations intemporelles : grandir sans trahir, faire son chemin, être fidèle à soi-même, se confronter aux autres, découvrir l’amour et le sexe. Marcus cherche sa voie dans un monde fait de normes et de barrières et, même si ils sont légitimes, ses rêves se brisent souvent au contact de la réalité du monde qui l’entoure. L’emprise familiale dont il tente de se défaire dans la violence lui cause d’invisibles blessures qui se noient dans le sang, image récurrente et prégnante. Un fils de boucher, rompu aux solutions tranchées, découvre la complexité d’un monde construit sur des discriminations, sexuelles, religieuses ou raciales.
Portrait d’une époque mais surtout d’une étape dans la vie de chaque être humain, Indignation est un roman profond qui, sans jouer la carte de la sentimentalité, émeut par sa justesse. L’écriture de ROTH touche et amuse, avec finalement une certaine forme de tendresse et, en ce qui me concerne, fait résonner pas mal de souvenirs de l’adolescence et du début de l’âge adulte.
Alors oui, Amandine, pour moi aussi Mr. ROTH est un auteur génial.

PS: si d'aventure un certain professeur d'histoire amateur de mouches et ramasseur de pommes passait par ici, je lui recommande tout particulièrement ce livre.

28 octobre 2010

Attention : chute d’idéaux !

Divines amours, Michael BRACEWELL

Roman doux-acide sur un groupe de jeunes adultes idéalistes en Angleterre à la fin des années 1970: so british !

Kelly O’Kelly, à la fin de sa scolarité, obtient une bourse pour rejoindre une école d’art de Brighton. Douée mais fragile, Kelly se remet difficilement de son début d’histoire d’amour avortée avec Miles Harrier, un jeune homme de bonne famille qui, à l’aube de sa vie d’adulte, voit son cœur balancer entre Stella et Lucinda, deux amies d’enfance. L’une est mannequin, beauté naturelle, entêtante mais réservée ; l’autre, charmante et cultivée, démarre une carrière dans le monde de la pub. Dans l’Angleterre de la fin des années 1970, l’avenir semble sourire à ces jeunes gens qui pourtant peinent à trouver le bonheur. Jouets d’un destin cruel et ironique qui les manipule comme des pions sur un jeu d’échec, ils devront faire face aux coups du sort pour tenter de concilier leurs idéaux incertains avec la, parfois dure, réalité de la vie.
J’avais découvert Michael BRACEWELL il y a deux ans de cela à travers son roman Un éternel jeune homme, sorte d’éducation sentimentale d’un jeune esthète à l’heure du thatchérisme. Drôle et féroce, le livre m’avait surtout impressionné par le peu d’empathie de l’auteur pour ses personnages. Ici, c’est avant tout une ironie délicatement acide qui vient claquer à la figure des protagonistes. Les retournements de situation, ces coups du sort qui viennent frapper les personnages de plein fouet (le ciel leur tombe souvent littéralement sur la tête), sont extrêmement drôles et cruels à la fois. Les pensées des personnages et leur environnement sont décrits avec la minutie d’un auteur naturaliste du 19ème siècle mais toujours avec le petite pointe de distance qui, à la fin d’une phrase, vient saisir le lecteur pour faire tomber les masques. Derrières les préoccupations profondes de ces jeunes aristocrates se cachent des envies et des désirs refoulés, des blessures, des cicatrices. Leur aspiration au bonheur et au conformisme se heurte à une réalité qui les dépasse et nous fait sourire. Humour acide et raffiné : de la toute grande britishitude.
C’est également, à côté de ces marivaudages amoureux, un roman de mœurs et de société qui donne à voir l’aristocratie et la haute bourgeoise anglaise face à un monde en pleine mutation. Londres, ville de plaisirs et de séduction, vibre d’un mouvement perpétuel qui rejette à la marge ceux qui ne peuvent pas, par naissance ou par fortune, y adhérer. Et à la lisière des grandes villes apparaissent de nouvelles cités, modernes et fonctionnelles, garnies de galeries marchandes et d’habitations confortables et uniformes. La scène musicale explose et, après la vague punk, apparaît la new wave et les prémices d’une société de divertissements.
A côté de son regard de sociologue, BRACEWELL est également un grand conteur, capable d’emmener le lecteur très loin dans l’esprit de ses personnages, énervants et attachants, qui tentent vainement de conformer leurs actes à leurs croyances et à leurs espérances. On pense souvent à Jonathan COE, dans la capacité à portraiturer finement une époque et une génération, la tendresse en moins.

PS: petit message à l'éditeur, si d'aventure il passait par ici. La couverture ne rend vraiment pas compte du livre et je dois bien avouer qu'elle m'a même un peu rebuté, voire même un peu gêné quand je lisais dans les transports en commun...

Un livre lu dans le cadre d’un partenariat organisé par Blog-O-Book, que nous remercions une fois encore chaleureusement, avec les éditions Phébus.

21 octobre 2010

Ça c’est Paris !

Mémoires de Montparnasse, John GLASSCO

Autobiographie d’un apprenti poète canadien dans le Paris de l’entre-deux guerres ou le triomphe de la jeunesse.

Sur les bons conseils de mon dealer Vincent, je me suis laissé tenter par ces mémoires d’une époque qui me plait énormément : l’entre-deux guerres. Période où Paris était la capitale mythique des arts et des artistes, qui s’y retrouvaient dans quelques bars interlopes pour y deviser modernité. C’est en tout cas ce Paris-là que John GLASSCO, Canadien de 18 ans, est parti découvrir pendant trois années, laissant derrière lui un père qui ne voyait pas d’un très bon œil les aspirations littéraires de son fils. Car John se pique de poésie et pense que Paris fera de lui un grand poète surréaliste. Abandonnant rapidement son projet initial, il se lance par intermittence dans la chronique de sa découverte de la vie parisienne. Il terminera son récit deux ans plus tard, sur un lit d’hôpital à Montréal, dans l’attente d’une opération qui pourrait lui coûter la vie, ce qui donne à l’écriture un sentiment d’urgence et d’incroyable vitalité.
Lorsqu’il débarque à Paris, avec son ami Graeme Taylor, la petite rente que lui verse son père leur permet de vivre comme des rois tant le taux de change s’avère avantageux. Mais lorsque la rente diminue et que la crise économique fait chuter le cours du dollar, c’est le début d’une vie de bohême, à la recherche d’un toit et d’un travail. Qu’à cela ne tienne, John sait rebondir : il tape des manuscrits, se fait secrétaire particulier d’une fausse princesse, gigolo et pose même pour de photos pornographiques.
GLASSCO prend le pouls de la ville et offre à travers ce récit autobiographique une ode à l’innocence et à la jeunesse qui vit sans connaître la peur du lendemain. Une vie d’excès en tous genres et en tous sens, sans contrariétés : boire, manger et faire l’amour, ad libitum. Le milieu que fréquente GLASSCO aborde la sexualité avec une candeur et une légèreté qui, rétrospectivement, fascine et remet un peu en question notre prétendue « libération sexuelle ». Dans ce manège incessant de soirées et de rencontres fortuites, GLASSCO croise la crème des artistes et des personnalités de l’époque : Tristan Tzara, Robert Desnos, Marcel Duchamp ou encore l’extravagante Kiki de Montparnasse. Pour peu que vous ayez de l’intérêt pour ces années de grande fécondité artistique, vous ne pourrez que savourer les portraits que le jeune auteur dresse, souvent de manière espiègle, de James Joyce, Gertrude Stein, André Breton, Ernest Hemingway, Man Ray … Tout ce petit monde, des expatriés pour la plupart, discute littérature, poésie, art, philosophie et anime la Rive Gauche. Il faut donc connaître un minimum ces artistes afin d’apprécier au mieux le récit. (La présente édition propose, à la fin du livre, un « Index des personnes » très bien conçu).
Ce qui prédomine au final, c’est l’énergie et l’innocence amusée de ce jeune homme face à cet univers festif et intellectuel. Et si ces confessions évitent soigneusement toute nostalgie, il n’en va pas de même pour le lecteur qui ne peut que regretter de n’être pas né plus tôt.
McAlmon, Glassco, Taylor, Nice 1929
Un extrait à lire sur le site de l'éditeur: ici.

19 octobre 2010

Rencontre en couleurs


Jean-Michel BASQUIAT, Slave Auction (1982)
L'activité bloguesque nous apporte, depuis plus de deux ans maintenant, bien des plaisirs. Celui de partager nos lectures, bien sûr, mais aussi de lire vos réactions, vos idées, vos compliments et d'ainsi rencontrer, de loin, d'autres lecteurs. Parfois, c'est aussi l'occasion de rencontres en chair et en os! Comme cet été, à l'occasion du passage de Karine en Belgique et plus particulièrement chez Miss Ketchup aka Bookomaton
Et, à l'occasion d'un passage à Paris l'hiver dernier, la rencontre avec Laurent d'In Cold Blog. Nous avons remis cela samedi passé, à Paris une fois encore (les Français craignent-ils de s'aventurer jusque dans les contrées, pourtant pas si reculées, de la Belgique?). Un très bon moment, en bonne compagnie et aussi l'occasion de partager nos impressions sur la très belle exposition Basquiat du musée d'Art moderne de la ville de Paris. Une rage de peindre, un geste vif et enlevé, sans compromis et de la couleur qui jaillit et rebondit partout sur les toiles. A voir absolument.

Et pour le coup, nous n'avons absolument pas parlé littérature!

15 octobre 2010

Vider les placards de l'Histoire

Purge, Sofi OKSANEN

Plongée dans la période soviétique de l’Estonie pour y déterrer des secrets de famille. Un premier roman dur et percutant.

La chambre d’Aliide, dans une petite maison de la campagne estonienne. La vieille femme est comme hypnotisée par une mouche qui, si elle arrive à la cuisine, risque de gâcher la viande. C’est plus qu’un insecte, c’est une obsession, un obstacle à la tranquillité, au repos de l’âme. Cette mouche appelle à la vigilance : les plus grands dangers ne viennent pas toujours de l’extérieurs. Et Zara, la jeune femme qu’Aliide découvre un matin dans la cour de sa maison? Représente-t-elle une menace, fait-elle partie d’un plan pour s’emparer des modestes de bien de la vieille ? Non, c’est juste une enfant perdue, une jeune Russe accrochée dans les filets d’un sordide trafic d’êtres humains. Une victime qu’Aliide est prête à défendre, quitte à faire remonter à la surface des souvenirs enfouis, des secrets de l’époque où l’Estonie était soviétique.
Ne pas trop en dire car le roman utilise avec ingéniosité les effets de surprise dans une construction où le passé et le présent des différents personnages se croisent, à travers les lieux et les époques. OKSANEN, dont c’est ici le premier roman, embarque son lecteur dans une revisitation de l’histoire du vingtième siècle. Plusieurs voix nous conduisent le long des chemins de la mémoire, à l’affût des secrets et des blessures, vers des époques où la suspicion était constante, où la dissimulation était devenue un mode de vie et où il fallait choisir son camp : victime ou bourreau. Certaines scènes, d’hier et d’aujourd’hui, font frémir : une violence sourde et tranchante (mais pas complaisante). Au cœur de ce roman, le parcours de ces deux femmes, Aliide et Zara : deux visions de la femme, deux époques mais aussi un même destin capturé par le style puissant et acéré de la jeune auteure.
Malgré toutes ces qualités, il m’a fallu beaucoup de temps pour rentrer dans ce roman. Une question de timing, un moment où je n’avais peut-être pas trop la tête à lire, un trop plein de lectures après un mois de septembre gargantuesque. Mais, avec un peu de recul, je garde un excellent souvenir de ce livre dur et percutant que, comme une bonne partie de la blogosphère (comme Leiloona ou Keisha), je vous recommande vivement.

13 octobre 2010

Femme ardente

Sanctuaires ardents, Katherine MOSBY

Pour certains "différente", pour beaucoup "folle", Vienna Daniels, par sa soif de vivre, son amour de la nature et de la culture, détonne dans cette petite ville de Virginie et réveille les langues de vipères. Le récit d'une révolte par l'auteure de Sous le charme de Lillian Dawes

On a beaucoup entendu parlé, en francophonie, de Katherine MOSBY lors de la parution de son roman Sous le charme de Lillian Dawes. Or il s'agit déjà de son quatrième roman. Son premier, Sanctuaires ardents, sorti en 1995, vient enfin, pour notre plus grand bonheur, d'être publié en français.
Nous sommes dans les années 30, à Winsville, petite bourgade de Virginie. Lorsque la famille Daniels débarque sans prévenir pour s'y installer, la ville est en émoi. Si Willard Daniels parvient très vite à charmer la population de Winsville, Vienna, elle, originaire d'une riche famille new-yorkaise, intrigue d'abord, par sa beauté et ses manières de grande dame, énerve ensuite, parce que jamais elle n'essaye d'adopter les mœurs de son lieu d'adoption, pour finalement susciter un rejet quasi unanime. Vienna, en effet, n'accepte aucune concession. Elle rejette la bêtise, l'ignorance, le conformisme et surtout le faux-semblant. Sa liberté d'esprit et sa fantaisie excèderont Willard au point qu'un soir, il s'enfuit lâchement de la demeure familiale, abandonnant sa femme, sa toute petite fille et son bébé à naître. Et Vienna continuera sa vie, sa lutte contre la soumission en élevant seule ses deux enfants chéris, Willa et Elliott. La famille Daniels restera toujours en marge de Winsville car il est impossible pour Vienna de jouer le rôle qu'on attend d'elle, de se conformer à ce mode de vie provincial ou d'adhérer aux valeurs dominantes. Luttant contre la ségrégation dans un lieu ou le KKK est encore bien présent, refusant que ses enfants aillent à l'école dont le niveau est des plus désolants, se dérobant à toutes les mondanités et autres pratiques sociales, Vienna se coupera peu à peu du monde, entraînant ses enfants sans sa solitude. Mère aimante, magnifique mais non parfaite, elle éduquera ses enfants en leur enseignant la joie de vivre et l'amour des belles choses mais ne les armera pas pour s'insérer dans le monde. Par ailleurs, la douleur n'épargnera pas Vienna qui perdra successivement tous ceux qu'elle aimait et qui la maintenaient debout. Des drames saisissants, qui nous laissent, nous lecteurs, transis de tristesse...
L'écriture de Katherine MOSBY est belle, pleine de finesse et de nuance. L'évocation des gens est souvent mise en rapport avec la nature, le temps, la lumière : « Ils ne semblaient pas habiter le monde de la même façon que lui, rivé à la terre par sa large ossature à chacun de ses pas pesants. […] La famille Daniels suscitait en Addison le besoin d’une langue plus extravagante que ne le permettait son maigre vocabulaire. Plus tard, il ne pourrait expliquer ce qui avait rendu cette première rencontre avec les Daniels aussi fondamentale, mais il se rappellerait la façon dont la lumière miroitait à travers les branches des platanes, les feuilles en mouvement pointillant le sentier de cette même luminescence qu’il sentait à l’intérieur de lui, excitante et insaisissable. » Vienna, d'ailleurs, comblera sa solitude en s'occupant activement de tous les arbres et plantes de la ville et Elliott passera des heures à recueillir et à soigner des animaux blessés. Ce rapport à la nature donne au livre une sensation de légèreté malgré les tragédies que vont vivre les Daniels et cette mélancolie presque palpable qui enrobe tout le livre. Un récit poignant qui parle d'une femme entrée en résistance contre la mesquinerie de la nature humaine.

Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions Quai Voltaire/La Table Tonde, organisé par les bons soins de BOB que nous remercions chaleureusement.

7 octobre 2010

Le plus bel âge

Gentlemen, Klas ÖSTERGREN

Un roman culte suédois et ce n’est pas un polar !

Le jeune Klas fait la rencontre d’Henry Morgan dans son club de boxe à la fin des années 70. Klas est un écrivain qui vit en dilettante en bouclant les fins de mois par de petits boulots sans grand intérêt. Amusé par l’enthousiasme communicatif d’Henry, dandy fantasque et charismatique, il se laisse facilement entraîner et, comme il a perdu la plupart de ses biens dans le cambriolage de son appartement, il accepte l’invitation de son nouvel ami à venir partager son grand appartement. La cohabitation tient de l’état de grâce. Dans une atmosphère propice à la création, Klas se lance dans l’adaptation contemporaine d’un classique de la littérature suédoise tandis qu’Henry peaufine la partition d’Europe, fragments désagrégés, œuvre musicale qui lui apportera la gloire. Mais la réapparition de Leo, le frère cadet d’Henry, va venir bousculer la dolce vita suédoise des deux jeune hommes. Alors qu’Henry est extraverti et bon vivant, son jeune frère, poète précoce, est renfermé et sujet à de terribles crises qui l’éloignent toujours un peu plus du monde des vivants, de l’enfermement autistique au penchant mortifère pour certaines fleurs du mal.
Histoires de famille, réflexions philosophiques, esthétiques, histoires d’amour, femmes fatales, secrets d’Etat et même chasse au trésor : c’est toute la panoplie de la littérature qui est ici déployée par ÖSTERGREN pour donner corps au destin des deux frères que son double littéraire semble aduler. Le roman se révèle lentement et change souvent d’orientation, surprenant le lecteur jusqu’aux dernières lignes.
On lit avec beaucoup de plaisir cette chronique pleine de charme et d’originalité qui va des années 50 à la fin des années 70, intrigué et charmé comme le narrateur par cette fratrie hors-norme. Le style d’ÖSTERGREN est assez original et étonnant quand on sait que l’auteur n’avait que 25 ans au moment de la parution, en 1980, de ce roman, culte en Suède. Il a donné suite à l’histoire des frères Morgan en 2005 avec Gangsters.

2 octobre 2010

Penser par le petit écran

Philosophie en séries, Thibaut de SAINT MAURICE

Non, je ne passe pas des heures vautré devant la télé: je philosophe, nuance !

La rentrée : cap difficile à passer pour les élèves… comme pour nous. Se remettre dans le bain et trouver le moyen de s’améliorer, de se renouveler, d’essayer de nouvelles pistes pour éviter l’engourdissement. Cette année, pour aborder en douceur le programme de dernière année, nous avons proposé à nos chers petits de se pencher sur un essai qui a pour objet l’une de nos activités chronophages favorites : les séries télévisées.

Dire que les séries américaines des quinze dernières années ont révolutionné les codes de production du récit est une banalité ; elles sont aujourd’hui disséquées un peu partout et ont droit à tous les honneurs, au point de faire de l’ombre au cinéma. L’originalité de ce livre aux intentions clairement pédagogiques est d’envisager ces histoires et ces personnages sous l’angle de la philosophie. Voir quelles grandes problématiques philosophiques sont mises en scène dans ces produits de la culture de masse. Et à travers différentes questions, en profiter pour aller faire un tour du côté de la pensée de quelques grands philosophes. C’est ainsi que l’on pourra, par exemple, se pencher sur les agissements de Jack Bauer (24 Heures Chrono) à l’aune de la morale kantienne, comparer les procédés utilisés par les Experts avec la recherche de la vérité chez Aristote ou encore envisager les péripéties de Wisteria Lane (Desperate Housewives) sous l’angle du pessimisme de Schopenhauer. L’auteur envisage, d’Alias aux Soprano, en passant entre autres par Grey’s Anatomy, Lost et Six Feet Under, les séries phares de ces dix dernières années. Bien sûr c’est de la vulgarisation (ça s’adresse avant tout à des lycéens) mais bien tournée (ce n’est pas du Luc Ferry). Simple et pas simpliste, avec des courts extraits de textes d’auteurs commentés. L’idée a de quoi faire sourire (Eva Longoria chez Schopenhaueur, il fallait y penser…) cependant le résultat est intéressant (et semble avoir intéressé nos élèves, ouf !) et permet aussi d’ éclairer autrement le succès écrasant de ces programmes.

Profitons en, pour faire écho à un billet récent du Bookomaton, pour faire ici notre coming out : bonjour, je m’appelle Voyelle, bonjour je m’appelle Consonne et nous sommes complètement accros aux séries télés ! Oui, nous pouvons passer des heures devant la télé à nous passionner pour ces petits joyaux d’inventivité (comme quoi, la télé n’éloigne pas de la lecture).
Tour d’horizon de nos dernières grandes émotions :
True Blood : Ok, c’est un peu mode tous ces vampires. Mais contrairement aux atermoiements pseudo-romantiques de Twilight, ceux-ci mordent la vie à pleines dents (ok, c’est fin de semaine…) dans une métaphore politique de l’Amérique puritaine. Beaucoup de sang, beaucoup de sexe : on aime beaucoup.

United States of Tara : Un pitch un poil excessif : une mère de famille laisse libre cours à ses personnalités multiples, devenant selon le contexte une ado allumeuse, une mère au foyer des années 5O ou un vétéran du Vietnam. Et pourtant ça marche. Drôle, incisif avec des personnages secondaires justes et attachants.

30 Rock : De quoi se réconcilier avec la sitcom. Après un début simplement drôle, la série s’envole très vite vers quelque chose de délirant et ultra-addictif. Des gags qui tombent juste et une écriture comique implacable, pas politiquement correcte. Et puis surtout un personnage qu’on adore : Kenneth !



Mad Men : Pour terminer, la Rolls, la toute grande classe, de quoi nous consoler de la fin de Six Feet Under (ça fait maintenant cinq ans et on a encore un peu de mal…). Les années 50-60, dans une agence de pub américaine et dans le quotidien tourmenté de ses employés aux prises avec un monde qui commence à frémir. Que ce soit dans le soin apporté à la reconstitution, dans la réalisation, dans la construction complexe des personnages, dans un rythme qui étonne, tout participe à faire de cette série l’une de plus belle et des plus abouties de ces dernières années.

29 septembre 2010

Critique de la déraison pure

Le miroir fêlé, Svetislav BASARA

Absurde, moderne et déconstruit : un roman serbe qui voyage.

« Qu’est-ce que c’est que ce début ? » se demanda le typo à l’imprimerie en lisant : « Qu’est-ce que c’est que ce début ? »
Une première phrase d’anthologie et qui donne le ton de ce court roman déconstruit et décapant. Mais avant toute chose, une révélation : l’homme ne descend pas du singe mais bien du néant. Il faut donc cesser d’exister, devenir rien. C’est pour cela qu’Anan annonce qu’il vit désormais en 1949, là où il n’était (encore) rien. Ceci n’est pas du goût de son père qui, craignant les vagues, décide rapidement de faire interner son fils. Cependant Anan parvient à quitter l’asile, arrivé à la fin du chapitre 10 du roman qu’il est occupé à écrire. Car les infirmiers « n’ont rien pu faire contre la logique littéraire »
Les deux guerres mondiales du siècle précédent ont chacune engendré, sous diverses formes, une prise de conscience de l’absurdité de nos conditions et de nos modes de pensée. Plus près de nous, il y a eu aussi les guerres de Yougoslavie et pour BASARA, auteur serbe né en 1953, l’absurde semble être également la réponse à bien des questions. L’auteur s’emploie en une centaine de pages à dégommer avec jubilation et cynisme toute forme de raison. De même pour la psychanalyse, la religion, le socialisme, le langage et la famille : tout passe à la moulinette. Ces réflexions surgissent dans le savant désordre du roman qu’Anan est en train d’écrire et que nous découvrons à mesure que celui-ci le conçoit. On perd évidemment très vite le fil du réel pour passer dans une autre dimension, littéraire, de l’autre côté de ce miroir fêlé que nous tend l’auteur. Comme dans un conte philosophique, nous découvrons une vision de l’existence à la fois spirituelle (dans tous les sens du terme) et désespérée. C’est aussi du pur roman moderne, avec mises en abyme, jeux sur la narration, sur les attentes du lecteur et sur les conventions romanesques.
Si toute l’histoire (impossible à résumer) s’inscrit dans un univers en perpétuelle mutation, ce qui ressort de l’ensemble est la relation d’Anan à son père, jaloux des ambitions littéraires de son fils. Impossible de ne pas penser à KAFKA et à La métamorphose (notamment lorsque le père, dans une parodie de tragicomédie, finit par se cacher sous un lit).

Un livre aimé et envoyé par Sébastien du Globe-Lecteur (il en parle ici) et qui va s’en aller faire un tour chez LuKe’s
Merci à Sébastien pour ce bon décapage cérébral de début d’automne.