26 avril 2012

Sur les planches!

Le blog tourne un peu au ralenti ces derniers temps, et pour cause : c'est la période de l'année où nous jouons nos spectacles dans nos écoles respectives. Adrénaline, stress, couacs de dernières minutes et surtout un plaisir immense à vivre en troupe avec nos élèves et leur incroyable créativité.

Cette année les élèves d'Amandine (Athénée royal d'Uccle 1) proposent une création collective sur le thème de l'école :


Et les élèves de Xavier (Athénée royal de Waterloo) se penchent les pièges du langage dans un spectacle autour de Tardieu, Ribes, Dubillart, Queneau, ... :


Les journées sont longues (ou trop courtes) et ne laissent pas beaucoup de temps pour lire et écrire... Mais on revient tout bientôt...

22 avril 2012

L’art et l’Autre

Le Turquetto, Metin ARDITI

Un peintre – réel ou inventé – au centre d’un suspense historique et aux confluents de multiples cultures.

Au départ, il y a une nuance, un détail presque insoupçonné dans la signature de L’homme au gant, tableau attribué à Titien. Et si cette petite différence chromatique était la preuve de l’existence d’un autre peintre ?
De ce presque rien, Metin Arditi amène son lecteur à la suite d’un jeune garçon dans les rues bouillonnantes de Constantinople. 1531. Le père du petit Elie tente de survivre, endurant en silence les humiliations que doivent souffrir les juifs chassés d’Espagne. Et, alors qu’il voit la fin de ses jours arriver, il n’a de cesse de s’inquiéter pour Elie. L’enfant n’a qu’une obsession : dessiner ou, auprès d’un marchand d’encre du bazar, recopier à la plume, en formant de fascinantes arabesques, des extraits du Coran. Mais ni les musulmans ni les juifs n’acceptent que la créature de dieu ne se prenne pour un créateur : pas de portraits. Seuls les chrétiens, dans leurs incroyables mosaïques, représentent les figures humaines. Alors quand l’occasion se présente, Elie n’hésite pas et s’embarque pour l’Italie, direction Venise, où l’apprenti-peintre deviendra célèbre sous le nom du « Turquetto ».
Une fois le livre refermé, on rêve de découvrir les peintures de ce Turquetto – réel ou fictif – tant les descriptions de l’auteur font rêver. Mais les images ne sont pas que sur les toiles. Arditi redonne vie aux villes qu’il décrit, des bazars de Constantinople aux palais vénitiens. Du bruit, des odeurs et une sensualité à fleur de peau. Entre ces deux mondes, le personnage du peintre, juif en exil qui doit taire ses origines et son passé, fait la synthèse entre l’orient et l’occident. Au risque de se perdre... Car au-delà de l’art, le grand thème du roman est la mixité des cultures dans la société (et celle du seizième siècle rappelle ici souvent la nôtre). Les identités excluent, enferment et, comme dans les intrigues politiques qui rythment la vie de la Sérénissime, sont utilisées par les uns et les autres pour asseoir leur pouvoir. C’est d’ailleurs avec beaucoup d’intelligence que l’auteur s’empare des rivalités qui ravagent Venise pour, au fil des pages, faire monter le suspense.
Bref : un roman passionnant, intelligent et sensuel (et, pour les collègues, un must pour illustrer la Renaissance et les questions liées aux identités et aux cultures).
Et si après ça vous n’êtes pas encore convaincus, allez voir du côté de Françoise ou d’Emeraude.

Référence :
Le Turquetto, Metin ARDITI, Actes Sud, 2011.

14 avril 2012

L’ombre et la lumière

Les Anges de New York, R.J. ELLORY

Au-delà du thriller et du roman noir, le dernier Ellory traduit en français est une réussite.

Frank Parrish se trouve dans une mauvaise passe, tendance crise existentielle. Pointé du doigt par sa hiérarchie pour des erreurs de procédure, cet inspecteur au NYPD est mis à l’épreuve : retrait de salaire, suspension du permis de conduire et obligation de se rendre quotidiennement à un entretien avec la thérapeute de la brigade. L’occasion de se pencher sur son divorce, sa relation conflictuelle avec sa fille et, surtout, de se confronter à la mémoire de son père, John Parrish. Héros de la chasse aux gangs dans les années quatre-vingt, de ceux qui ont contribué à nettoyer New York, une légende de la police mais en vérité, selon son fils, le pire des ripoux. Son métier de flic est donc tout ce qui reste à Frank Parrish. Chercher inlassablement, parfois au mépris des règles, à mettre un peu d’ordre dans le chaos du monde contemporain. L’enquête qu’il mène sur le meurtre d’une adolescente vient lever le voile sur un monde d’une violence implacable qui n’a que faire de l’innocence de ses victimes. Mais qui, au final, se soucie encore de l’innocence ?
Neuvième roman d’Ellory (le quatrième traduit en français), ces Anges de New York font le pont entre les précédents livres de l’auteur. L’innocence perdue, l’obsession pour la vérité, la corruption, la face cachée de l’Amérique : ce sont là tous les éléments qui entrainent le lecteur au fil des pages, dans une intrigue tendue, maîtrisée à la perfection. Mais ce n’est pas juste un roman noir de plus. Les héros de l'auteur existent dans une complexité qui dépasse les contraintes du genre. Un flic alcoolo, dépressif mais pas un cliché comme on peut en croiser souvent dans ce genre de littérature. Les personnages d’Ellory sont des êtres de failles, en lutte contre eux-mêmes (l’ennemi intérieur est l’un des thèmes de prédilection de l’auteur) qui cherchent, comme chez Scorsese, le chemin de la rédemption. Et vers la fin du roman, l’auteur parvient même à prendre son lecteur à revers en passant soudainement dans en registre différent pour contourner complètement les chemins trop balisés du thriller.
Il est souvent question d’ombre et de lumière dans ce roman. Pas seulement le bien et le mal. Plutôt la part d’ombre inhérente à chaque lumière. Et c’est ce qui amène le livre dans des contrées bien plus vastes que celle de la littérature de genre. La chasse au crime organisé menée par la police n’est qu’illusion. Si Parrish passe tout son temps à combattre le chaos, sa vie privée est un désastre. Et plus profondément, il semble que derrière sa quête pour la justice se cache un attrait pour tout ce que l’humain possède de plus noir…
Nous avons déjà dit ici tout le bien que nous pensons d’Ellory. Après la toute petite déception des Anonymes, Les Anges de New York nous replongent dans tout ce qui fait de lui l’un de nos auteurs préférés. 

Référence :
Les Anges de New York, R.J. ELLORY, traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau, Sonatine Éditions, 2012.

8 avril 2012

Mélancolie mineure

Désaccords imparfaits, Jonathan COE

Trois nouvelles et un article : du concentré de Coe mais sans l’ampleur.

Dans son introduction au recueil, Jonathan Coe donne presque l’impression de s’excuser auprès du lecteur pour la publication de ces textes courts, avouant sa préférence pour la complexité des romans (mais il semblerait que Gallimard ne partageaient pas ses scrupules…). Et on ne peut que lui donner raison, même si on retrouve au fil des pages les ingrédients et les thématiques chers à l’auteur : souvenirs d’enfance, histoires d’amour manquées, personnages mélancoliques qui se dérobent à la réalité, ironie douçâtre (comme ici ou ici). De même pour les références au cinéma ou à la musique. Comme dans Version originale où le personnage principal est un compositeur de musiques de film, juré dans un festival consacré au cinéma d’horreur. Il découvre, transposée à l’écran, l’histoire de sa relation avec une réalisatrice, dans un film allemand, sous-titré en français et traduit simultanément à son oreille par une jeune journaliste qu’il tente de conquérir.
Le texte le plus intéressant du recueil est peut-être, pour moi, le moins littéraire. Journal d’une obsession, article rédigé pour les Cahiers du cinéma, raconte comment l’auteur se passionne pour un film de Billy Wilder, La vie privée de Sherlock Holmes. Un long métrage sans grande valeur aux yeux des spécialistes mais qui hante Coe depuis les années septante (ou, pour toi François le Français, soixante-dix). Le texte fait le pont entre l’art et la vie, s’amuse des hasards de l’existence et donne en passant quelques clés de lecture de l’œuvre de l’auteur de La maison du sommeil.
Même avec un goût de trop peu, on est quand même content de retrouver Coe mais on le sera encore davantage quand sortira son prochain roman (pas encore annoncé, même en Angleterre…).

D’autres avis chez Cynthia et chez Cathulu.

Référence :

Désaccords imparfaits, Jonathan COE, traduit de l’anglais par Josée Kamoun, Gallimard, 2012.

3 avril 2012

Dilemme cornélien

Mitsuba, Aki SHIMAZAKI

Shimazaki, avec sa grâce habituelle, parvient à faire d'un roman sur l'industrie japonaise, un récit des plus intimistes.

Takashi Oaki est un homme d'affaire consciencieux. Respectueux de la hiérarchie, il a monté les échelons un à un, dans la compagnie Goshima, celle où travaillait jadis son père, avant de mourir brutalement d'un arrêt cardiaque. Takashi s'apprête donc à embrasser la carrière de shôsha-man et se prépare à passer quelque temps à Paris pour la compagnie. Rien, donc, n'est censé le détourner de ce chemin tout tracé si ce n'est la jolie Yûko, qui travaille à l'accueil de la compagnie, et de qui Takashi va tomber amoureux. Leur idylle va naître, peu à peu, au détour des conversations qu'ils auront ensemble au café Mitsuba où ils aiment se retrouver.
Mais cet amour naissant ainsi que les confidences de son collègue, qui fait passer sa famille avant son travail, et les découvertes qu'il fait sur les circonstances de la mort de son père vont remettre en question toutes les certitudes de Takashi et ses illusions sur le bon fonctionnement de la compagnie mais aussi de toute la société japonaise.
L'amour mutuel que se portent Takashi et Yûko survivra-t-il aux pressions de la compagnie ? L'épilogue, situé quinze ans plus tard que le récit principal, nous le dit et est une jolie pirouette de ce récit de toute beauté.
Shimazaki, dont nous avions adoré la pentalogie Le poids des secrets, est japonaise mais vit désormais au Canada. On retrouve dans Mitsuba toute la délicatesse de l'écriture de l'auteur qui parvient à parler d'amour tout en faisant le bilan d'une société japonaise engluée à la fois dans ses traditions et dans son élitisme, d'en montrer toute la beauté et toute la rigueur avec très peu de mots. 
Si les auteurs français aiment souvent beaucoup beaucoup parler, parfois pour notre plus grand bonheur (Proust ou Balzac), parfois pour notre plus grand agacement (non, non, non, je résiste et je ne cite personne), les auteurs japonais semblent mettre un point d'honneur à trouver la formule la plus courte. Et c'est étonnamment efficace. C'est d'autant plus remarquable que Shimazaki écrit désormais en français.
La brièveté de cette critique a donc, vous l'avez compris, comme but de rendre hommage à l'écriture de l'auteur. Donc, chut, je n'en dirai pas plus !

Référence :
Aki SHIMAZAKI, Mitsuba, Acte Sud, 2006

1 avril 2012

L’honneur du kamikaze

Kosaburo, 1945, Nicole ROLAND

Dans la tête d’une kamikaze japonaise : un premier roman original mais trop retenu.


La jeune Mitsuko décide de prendre la place de son frère et de rejoindre l’aviation de l’armée japonaise. Une manière de suivre Kosaburo, le garçon qu’elle aime, mais surtout de faire honneur à son peuple, à sa famille et à l’empereur. Prête à donner sa vie, elle s’en va prendre place parmi l’élite des pilotes, les kamikazes.

Malgré l’indéniable connaissance de la culture japonaise de l’auteure et l’originalité de la situation, je suis resté de marbre face à ce premier roman. Les différentes étapes d’un endoctrinement qui mène peu à peu le personnage vers le sacrifice ultime sont assez bien suggérées mais l’écriture, d’un classicisme appliqué, finit par lasser. Et puis cette atmosphère retenue et les citations de poèmes et de codes de conduite des samouraïs m’ont presque donné l’impression d’être dans un Japon de carte postale. La question du genre n’est pour ainsi dire jamais abordée alors qu’il y avait là quelque chose à creuser.

L’avis de Anne est nettement plus enthousiaste.

Référence :

Kosaburo, 1945, Nicole ROLAND, Actes Sud, collection "Un endroit où aller", 2011.