29 novembre 2011

Langue maternelle

La Langue de ma mère, Tom LANOYE

Roman familial à la forme mouvante et première traduction en français d’une grande voix venue du Nord de la frontière linguistique.

La mère et le père. Elle, comédienne semi-professionnelle, à la scène comme à la ville. Lui, boucher d’un quartier où tout le monde connaît tout le monde et où rien n’est loin de rien. Et l’un de leurs enfants, un fils écrivain qui se demande comment raconter sa mère et quels mots trouver pour décrire celle qui, dans ses dernières années, a perdu sa langue à la suite d’un accident cérébral. Quelles histoires, quelles anecdotes familiales faut-il choisir pour, non pas faire revivre ceux qui ont disparu, mais les laisser définitivement aller. « Écrire, c’est détruire, faute de mieux. C’est seulement après cela et à cause de cela que ce que vous écrivez devient du passé. La littérature consiste à lâcher prise. Écrire, c’est chasser de son souvenir. » (p. 69) Ce roman tout en courbes et détours est le chemin emprunté par Tom Lanoye pour, d’une certaine manière, tourner la page.

Parmi tous les éléments qui composent le livre, il y a d’abord le portrait d’une famille de commerçants d’une petite ville flamande, la middle class laborieuse, ses codes vestimentaires, alimentaires, sa fierté et son souci des apparences et du travail bien fait. Il y a également les histoires, drôles ou tristes, qui composent la mythologie familiale. Et puis les souvenirs d’enfance, les fêtes de fin d’année, les histoires de voisinages. Au centre de ce récit kaléidoscopique trône la figure maternelle, personnage haut en couleurs, adepte du bon sens et des effets dramatiques adroitement calculés. Le roman dresse par petits morceaux éclatés le portrait de cette mère omnipotente qui, après son accident, perdra l’usage des mots et, peu à peu, de sa superbe.
Tom Lanoye, dont c’est ici le premier roman traduit en français (dans le monde francophone, il était surtout connu pour son théâtre), invente une langue baroque, une nouvelle manière de raconter les êtres chers et les souvenirs, prenant le lecteur avec lui pour construire ce monument de mots, à des kilomètres de l’écriture de soi des auteurs français. Persuadé que le less is more est le contraire même de la littérature, Lanoye accumule, s’éloigne de son sujet pour, par la bande, y revenir toujours l’air de rien, dans un style généreux et débordant de tout. Comme si, pour combler le manque, seuls les mots pouvaient venir à bout de l’absence.

En ce qui me concerne, comme pour de nombreux Belges francophones, la littérature de l’autre côté de la frontière linguistique est une terra incognita et, à un moment où les deux communautés ont tendance à se replier sur elles-mêmes, la découverte de la voix de Tom Lanoye est une heureuse surprise que j’espère faire partager au plus grand nombre. Donc, lecteurs français : osez la littérature belge, oubliez Nothomb et ses romans-gadgets et partez à la rencontre d’un auteur dont on risque fort d’entendre parler à nouveau. Et comme bientôt c’est la Saint-Nicolas, vous savez ce qu’il vous reste à demander (si vous avez été sages…).

Référence :
La Langue de ma mère, Tom LANOYE, traduit du néerlandais (Belgique) par Alain van Crugten, La Différence, 2011

24 novembre 2011

C'est mon tour

Ou, là là... terrible défi que de se définir en un mot et de faire aussi poétique que mon comparse Consonne.
Allez, on se lance, la version féminine, portrait vocalique.
Et si, et si, et si j'étais...

 1- Une langue
Bon, difficile de faire original dans ce cas... le Français bien sûr : c'est la langue que je parle, c'est celle que je lis, c'est celle que j'enseigne. Mais j'aimerais être un peu plus l'Anglais, histoire de lire Shakespeare dans le texte (et de chanter à tue tête sans les massacrer mes chansons préférées).

2- Une mauvaise habitude
Est-ce que finir une plaquette de chocolat entière ou faire des muffins à des moments improbables et les manger immédiatement est considéré comme une mauvaise habitude ? Non ? Bon, alors trouvons autre chose...
Ouvrir une deuxième plaquette de chocolat quand la première est finie?

3- Une odeur 
L'odeur de mes enfants.

4- Une envie
Passer trois jours au lit avec ma PAL à côté de moi (et bien sûr un peu de chocolat pour survivre).

5- Un idéal  
Celui de Consonne, tout d'abord, parce qu'il a la gentillesse de me le répéter à chaque fois que je me plains de ne pas parvenir à venir à bout de mes corrections.
Sinon, mon idéal : tout gérer sans rien sacrifier.


6- Un souvenir de voyage  
Une plage déserte sur l'île de Samos, en fin d'après-midi, et tout le temps pour finir un bouquin passionnant...

7- Une sensation 
Celle lorsque je sors mes enfants du lit et que je les sens se blottir, tout chauds, tout endormis, contre moi.

8- Un tic de langage 
Demandez à mes élèves ! Ils se feront un plaisir de faire une liste exhaustive.

9- Une torture  
Corriger (moi j'hésite pas). Et je l'infligerais à tous ceux qui ne se lassent pas de dire qu'être prof c'est quand même peinard (et quitte à être sadique, je leur donnerai une pile de dissertations !).

10- Un livre inadaptable au cinéma
Aucun livre n'est adaptable. Il y a de bonnes adaptations mais jamais, au grand jamais, on ne rendra au cinéma toute la magie d'un livre.

18 novembre 2011

Tag-tag-tag: qui est là?

Il tournait mais ne passait pas par nous : la grosse looose !
Nous sauvons la face grâce à In Cold Blog qui nous a concocté son petit questionnaire du portait chinois.


Et pour une fois, levons le voile sur l’identité de l’auteur de ce billet : c’est la partie consonantique du blog qui parle.


Si j’étais…

1- Une langue
Fastoche ! (Ah bon ? On me dit que ce n’est pas une interro…). Le français, bien sûr. La langue que j’enseigne, celle qui m’amuse le plus.

2- Une mauvaise habitude
(Passons sous silence une certaine mauvaise habitude qui, selon ce qui est écrit sur le paquet, nuit gravement à la santé…)
Depuis qu’il est possible de relever ses mails partout et à tout moment, je pense que c’est devenu chez moi un réflexe assez idiot.

3- Une odeur
Une odeur d’enfance : celle de la pâtisserie en train de cuire dans la cuisine de mes grands-parents (et que l’on peut régulièrement retrouver chez moi).

4- Une envie
Là, maintenant, tout de suite ? Sauter dans un Eurostar et aller voir l’expo Gerhard Richter à Londres.

5- Un idéal
Être capable de ne pas négocier avec moi-même. (Citation de Karl Lagerfeld à propos de la réussite de son régime, hum hum, mais qui marche aussi avec les piles de corrections)


6- Un souvenir de voyage
Le Japon. Un salon de thé au sommet d’un petit immeuble dans le quartier un peu « olé-olé » de Shinjuku à Tokyo. L’endroit parfait et absolu pour passer un moment fin de journée, après avoir été émerveillé et emporté par tout ce que j’avais vu plus tôt.

7- Une sensation
 Sortir le matin quand il a neigé et voir la ville marcher au ralenti.
(Et la réponse groupie : entendre les premières mesures d’une nouvelle chanson de Madonna… ça marche encore !).

8- Un tic de langage
Tu vois ? Tu vois ? Non mais, tu vois ?


9- Une torture
J’allais écrire « corriger » mais si j’étais une torture, je ne serais pas aussi sadique.
Plutôt quelque chose d’attendu qui tarde à arriver (bon, d'accord, c'est pas très sympa non plus).

10- Un livre inadaptable au cinéma
Je vais sonner un peu prof de français mais j’assume : Madame Bovary. Plusieurs tentatives ont réduit le livre soit à une bluette, soit à une critique sociale. Alors que l’écriture de Flaubert est tellement plus que ça. Féroce, passionnée, incontrôlable et maîtrisée.


C’est au tour de Voyelle de répondre…

14 novembre 2011

« Nul n’est esclave en France »

L’affaire de l’esclave Furcy, Mohammed AÏSSAOUI


L’enquête d’un journaliste d’aujourd’hui sur une aventure juridique sans précédent : un esclave qui revendique sa liberté.

L’affaire Furcy est un procès au long cours. De 1817 à 1843, un esclave de l’île Bourbon, aujourd’hui île de La Réunion, va revendiquer devant les tribunaux rien de moins que sa liberté. Alors que l’esclavage avait été aboli en métropole après la Révolution, il n’en allait pas de même dans les colonies qui dépendaient, pour leur économie, de cette main d’œuvre à bas prix et sur laquelle les maîtres avaient tous les droits. Furcy, dont on sait très peu de choses, est le fils d’une indienne, née à Chandernagor, achetée à l’âge de neuf ans, puis affranchie. Consciente ou non de cette liberté nouvelle, elle n’en a jamais fait l’usage et est restée au service d’un maître jusqu’à sa mort. Lorsque Furcy découvre la vérité, il cherchera simplement, avec une impressionnante détermination, à faire respecter ses maigres droits : l’enfant d’un affranchi ne peut être maintenu en esclavage. Mais le problème est plus vaste : comment les propriétaires et les petits potentats locaux peuvent-ils accepter qu’un esclave vienne défier leur autorité ou, pire, mettre le feu aux poudres et faire lever un vent de révolte ?

Mohammed Aïssaoui, en découvrant les archives consacrées à l’affaire, s’est passionné pour le parcours étonnant de Furcy et, à travers ce livre, tente de combler les zones d’ombres et de redonner vie à cette aventure juridique et humaniste. Un travail d’enquêteur, d’historien et de romancier qui ressuscite une époque où, loin des idéaux des Lumières et de la déclaration des droits de l’Homme, tous les hommes ne naissaient pas encore libres et égaux. Le discours des maîtres et de certains magistrats fait même froid dans le dos.
Le style de l’auteur est vibrant, habité et joue habilement sur les codes du romanesque pour garder intact le suspense : Furcy deviendra-t-il un homme libre ? Le récit de cette quête éprouvante et essentielle nous fait, au final, nous pencher sur notre propre sens de la liberté, donnée que nous considérons comme acquise mais qui s’avère plus complexe qu’il n’y paraît.

Avis aux collègues : si ce n’est certes pas un essai, ce petit livre s’inscrira sans problème dans le programme de sixième.

D’autres avis chez In Cold Blog, qui a eu la patience de recenser les billets.

Référence :
L’affaire de l’esclave Furcy, Mohammed AÏSSAOUI, Gallimard, Folio, 2011

10 novembre 2011

Tchiki Boum

Le premier été, Anne PERCIN

Sur le thème casse-figure des amours de vacances, un roman sensuel et surprenant.

Deux sœurs se retrouvent dans la maison de leurs grands-parents, là où plus jeunes elles venaient passer l’été. Catherine, la cadette, profite de cette réunion pour enfin lever le voile sur un épisode qui la hante depuis ses quinze ans.

C’est la chaleur de l’été. À la radio, Etienne Daho tombe pour la France. Les filles et les garçons quittent doucement les jeux de l’enfance pour se lancer dans les premières histoires d’amour, ritualisées dans les boums. Catherine observe les transformations qui s’opèrent chez sa sœur aînée: le regard toujours en alerte, les poses, les attitudes et les tenues qui tentent d’en dire long, comme Madonna dans Recherche Susan désespérément. Malgré ses quinze ans, Catherine ressent parfois une certaine langueur, comme un étourdissement qu’elle comprend à peine et qu’elle garde pour elle, dans l’isolement du grenier ou dans ses promenades solitaires. Mais comment apprivoiser ce désir naissant, ignoré des tests de Ok ! (avec Sophie Marceau en couverture), qui ne présentent les filles que comme des poupées qui font non ?

Je m’arrête là. Le roman ne joue pas sur une révélation soudaine ou un incroyable retournement de situation mais il serait dommage d’enlever au lecteur le plaisir d’évoluer, au rythme de la jeune héroïne, sur les sentiers aux pierres chauffées par le soleil de juillet.

Le thème des premiers émois, sensuels et amoureux, couplé à celui des vacances d’été : on aurait pu tomber dans la nunucherie. Mais l’écriture d’Anne Percin parvient, avec une douceur aigre et suave, à arracher son personnage aux stéréotypes de l’adolescente à la découverte d’elle-même. Personnage en marche et en recherche, Catherine va se heurter aux mots qui enferment, à la violence des rapports sociaux. La bonne idée est ici de passer les événements par le biais du récit de Catherine adulte : c’est donc la parole d’une adulte qui se penche sur son passé, jouant habilement, entre distance et intimité, avec les pensées de la jeune fille. Au-delà de l’histoire, le livre séduit également par son ambiance sensuelle et fiévreuse et par la pointe de nostalgie qui émane de cette reconstruction des années 80.

Sur les bons conseils d’In Cold Blog qui reprend d’autres avis dans son billet.

Et un petit bonus, un slow qui tue, made in 1985.



Référence :
Le premier été, Anne PERCIN, Au Rouergue, Collection La brune, 2011

3 novembre 2011

Je déteste le féminisme

L'homme qui haïssait les femmes, Elise FONTENAILLE


Petit roman percutant sur un fait divers qui bouleversa la société canadienne à l'aube des années 90.

Non, il ne s'agit pas d'un nouveau tome de la série Millénium découvert dans les archives de feu son auteur. Le récit de la romancière canadienne Elise FONTENAILLE est certes moins complexe (quoique) mais glace tout autant le sang, surtout quand l'on sait qu'il se base sur un fait divers tout à fait véridique.
Montréal, décembre 1989. Un jeune homme débarque dans un auditoire de la faculté de Polytechnique, fait sortir tous les hommes et abat les jeunes-filles présentes au cours. Il continue ensuite sa balade meurtrière au sein de l'établissement. Il fera quatorze victimes avant de retourner l'arme contre lui.
Vingt ans plus tard, FONTENAILLE revient sur ce fait divers, le romance à peine et s'interroge. Ou plutôt interroge tous ceux qui de près ou de loin ont été marqués par cette tuerie, perpétrée dix ans avant celle de Columbine. L'auteur laisse alors la parole à la mère de l'assassin, femme victime d'une famille ultra réactionnaire et d'un époux violent, puis à sa sœur, dont le drame précipitera la mort prématurée. On aura entre autre aussi le point de vue de la miraculée qui a survécu aux trois balles reçues après avoir osé affronter le tueur ou encore celui de ces hommes qui sont sortis de l'auditoire lors de l'injonction du forcené et qui sont dévorés de culpabilité,... Témoins, policiers, parents de l'assassin ou des victimes, partisans du féminisme ou du moins connu mouvement masculiniste, acteurs de la société canadienne de l'époque ou d'aujourd'hui, FONTENAILLE fait parler beaucoup de monde.
Comment comprendre ce geste et cette haine ? Est-ce la faute à l'enfance meurtrie de l'assassin ? Est-ce la faute d'un système qui a exclu à de nombreuses reprises un jeune-homme désireux de rentrer dans l'armée ou de suivre de bonnes études ? Celle de la société canadienne qui est passée sans transition d'un ultra-catholicisme rigoureux à un féminisme radical ? Celle encore des marchands d'armes qui vendent sans sourciller un fusil à n'importe qui ? FONTENAILLE, bien sûr, interroge mais ne répond pas, à l'instar de Gus VAN SANT et de son très digne Elephant.
Un style descriptif, froid, sans concession ni atermoiement. Les faits sont là. Un livre choc.

Référence :
Elise FONTENAILLE, L'homme qui haïssait les femmes, Grasset, 2011.

Remarque : à ne pas confondre avec L'homme qui haïssait les femmes de Judith MacNaught, de la collection Amour et destin (si si, je vous jure, je n'invente pas) qui raconte la rencontre entre Lauren, jeune fille inexpérimentée, et Nick, homme blessé par une relation précédente,... Je n'en sais pas plus parce que je n'ai pas eu la chance de le lire mais la couverture est très très prometteuse... Allez, je vous la mets en lien ici juste pour le plaisir !