18 mai 2014

En parler ou pas ?

Lors de notre dernière rencontre, Laurent-ICB m’entretenait sur le fait qu’il serait parfois utile que les blogueurs recensent aussi les livres qu’ils n’ont pas aimés.
Effectivement.
Il est très rare que sur cette page Amandine et moi publiions des billets sur des livres qui ne nous ont pas plu.

Tentative d’explication.

Nous lisons beaucoup. En grande partie pour le boulot (et, dans certains cas, des livres que nous n’avons pas choisis), parfois juste pour le plaisir (et quand les deux se combinent, c’est encore mieux). Du coup, nous n’écrivons pas sur tout ce que nous lisons, principalement par manque de temps. Alors, quitte à parler lecture, on préfère vraiment mettre en avant ce qui nous plait plutôt que ce qui nous semble dispensable. Et comme ce blog a aussi comme objectif de conseiller des lectures aux professeurs de français du secondaire, nous préférons faire des propositions plutôt que des avertissements.

Mais, une fois n’est pas coutume, et en quelques mots (j’assume tout à fait le peu d’argumentation de mes avis et je précise qu’il ne s’agit bien que de mon opinion !), un petit tour d’horizon des livres qui ne m’ont pas plus dernièrement (au risque de me mettre à dos pas mal de lecteurs…).

Hugo HAMILTON, Je ne suis pas d’ici
Le parcours d’un jeune Serbe un rien candide qui tente de s’intégrer en Irlande mais qui se trouve entrainé malgré lui dans une histoire d’assassinat. Le roman dresse un portrait assez sévère de l’intolérance face à l’autre mais s’englue dans une intrigue qui sonne faux, pleine de détours inutiles.
Amin MAALOUF, les Désorientés
Un brique qui donne à chaque page l’impression d’un déjà-lu. En parlant de la diaspora libanaise, Maalouf remet une couche sur le thème de l’identité multiple avec ce roman qui met en scène une série de personnages qui représentent chacun une communauté différente. Fabriqué et très didactique.
Maxence FERMINE, Noces de sel
En voulant rejouer Chronique d’une mort annoncée de Gabriel García Márquez, l’auteur de Neige tombe dans la parodie au fil d’une intrigue au dénouement digne d’une mauvaise telenovela.

Hernán RIVERA LETELIER, Mirage d’amour avec fanfare
Une histoire d’amour passionnel au Chili, sur fond de politique et de musique. Une écriture rococo, pleine de bruit et de digressions farfelues. Uniquement pour les amateurs du genre dont je ne suis apparemment pas!
Lynda RUTLEDGE, le Dernier Vide-grenier de Faith Bass Darling
Une intrigue qui tourne en rond autour d’une vieille femme atteinte de la maladie d’Alzheimer et dont on découvre l’histoire en passant par les antiquités qui garnissent sa riche demeure. Lassant et un peu mièvre. 
François GARDE, Pour trois couronnes
Grosse déception après le coup de cœur pour Ce qu’il advint du sauvage blanc. Après une très bon début, j’ai eu l’impression que l’intrigue s’embourbait dans une atmosphère d’exotisme fabriquée et pesante
Loïc MERLE, l’Esprit de l’ivresse
Un roman fragmenté sur les émeutes dans les banlieues françaises et petit chouchou de la rentrée littéraire 2013. L’écriture est très intéressante, extrêmement travaillée (ce qui souvent m’arrête) mais je me suis perdu et ennuyé dans un récit trop contenu.

11 mai 2014

D’autres grandes espérances

Le Chardonneret, Donna TARTT

Après plus de dix années de silence, Donna Tartt revient sur le devant de la scène avec un roman de formation ambitieux, ancré dans l’histoire de la littérature et qui n’hésite pas à jouer la carte du page turner. Une brique à dévorer.

Le destin de Théo Decker, treize ans, bascule le jour où, avec sa mère, il fait la visite dans un musée new-yorkais d’une exposition consacrée à la peinture hollandaise. Elle veut lui faire admirer un petit tableau de Carel Fabritius, le Chardonneret. À travers les salles de l’exposition, Théo suit du regard une jeune fille rousse accompagnée de son grand-père. 
Mais tout à coup, la visite vire au chaos. Une puissante explosion fait s’écrouler les murs et les plafonds du musée. Blessé, désorienté mais vivant, Théo tente de sortir des décombres et de retrouver sa mère lorsque le vieil homme qu’il avait aperçu auparavant, dans un dernier souffle, lui confie le tableau de Fabritius. Sans réfléchir à son geste, Théo l’emporte hors du musée, traversant les nuées de pompiers et de policiers qui ont investi les lieux. Il rentre chez lui, obsédé par l’idée d’y retrouver sa mère. Mais les heures passent et l’appartement reste désespérément vide : la mère de Théo est morte dans l’explosion.
Pour ainsi dire sans famille (son père avait auparavant quitté le domicile conjugal sans laisser de trace), Théo est accueilli dans un premier temps dans la famille huppée d’un de ses condisciples, les Barbour. Commence alors pour Théo une lourde période de deuil, de confusion et, par la suite, de rencontres décisives, de celles qui déterminent une existence. Avec à ses côtés, à l’abri des indiscrets et des polices du monde entier, le portrait de l’oiseau du maître hollandais.
Il y aurait beaucoup à dire pour ne raconter qu’une infime partie de l’intrigue de ce roman de formation qui se déploie avec une impressionnante fluidité sur près de 800 pages. Mais mieux vaut laisser au lecteur la chance d’être surpris par les rencontres, les hasards et les coups du sort qui jalonnent le parcours de Théo.
À l’image de l’oiseau, le personnage de Donna Tartt n’est prisonnier d’aucune cage et pourrait aspirer à la liberté s’il n’y avait cette chaine quasi invisible qui le maintenait rivé à son passé. Entre culpabilité et peur de l’abandon, Théo se construit tant bien que mal. Sa recherche du bonheur trébuche souvent au bord du précipice et, entre l’alcool et les drogues, il oscille sur un fil tendu au-dessus du vide, hésitant sans cesse entre le bien et le mal. Si le personnage est évidemment très attachant, l’auteure n’en fait pas pour autant un héros lisse et stéréotypé. On a souvent l’impression d’avancer à ses côtés dans une brume opiacée où les contours du monde s’effacent, se brouillent. Les journées de Théo ressemblent à un lendemain de veille qui ne s’arrêterait pas, sombre et angoissant.
Parallèlement à ce roman d’initiation finement construit, l’histoire du tableau dérobé ouvre d’autres voies narratives, celles des romans noirs et d’aventures qui plongent dans l’univers des faussaires et du marché de l’art. Dans la deuxième partie du livre, ce changement de tonalité redonne du souffle et du suspense à l’intrigue, sans pour autant perdre de sa substance.
Ce troisième roman de l’auteure à succès vient rompre un silence de plus de dix ans. De Donna Tartt, je n’avais lu que le Maître des illusions, qui ne m’avait pas laissé un grand souvenir. Ce qui n’est pas le cas de celui-ci. S’il présente parfois quelques longueurs, elles sont vite oubliées tant le souffle romanesque emporte tout sur son passage. Le livre avance avec précision et confiance. Les échos aux grands auteurs sont assumés et sonnent juste. Pas de pastiche mais bien une synthèse entre les classiques de la tradition romanesque : Dickens, Dostoïevski, Tolstoï, Proust, …
Comme nous le disions dans l’un de nos derniers billets, ces derniers mois étaient, pour Amandine et moi, bien remplis. C’est donc avec bonheur que je me suis accordé le temps de plonger dans ce grand roman et, chose qui ne m’était plus arrivée depuis longtemps, de ralentir ma lecture en voyant arriver la fin du livre.

Référence :
Le Chardonneret, Donna TARTT, traduit de l’anglais (États-Unis) par Édith Soonckindt, Plon, « Feux croisés », 2014.