30 décembre 2009

Copenhagen revisited

Les mains rouges et Piazza Bucarest, Jens Christian GRØNDAHL

Deux romans d'un auteur danois, moins connu que ses collègues polardeux, mais qui vaut le détour.

Je soupçonne parfois Mme F. de travailler pour les services secrets scandinaves. Pas une rencontre au sommet sans qu’elle ne nous sorte de sa hotte l’un ou l’autre de ces auteurs du Nord dont on vous a déjà souvent parlé ici.
Entre deux polars, elle nous a notamment proposé de découvrir Jens Christian GRØNDAHL (prononcez comme vous voulez) que les critiques ont parfois qualifié de « MODIANO danois ». Car ne l’oublions pas, la France est l’ethnocentre de la littérature mondiale ! A quand le GAUDE inuit, le HOUELLEBECQ sri lankais ou la COLETTE bavaroise ? Bref…
Les mains rouges, dernier roman de GRØNDAHL traduit en français, mélange habilement réflexions sur l’histoire, et plus particulièrement celle des milieux terroristes d’extrême gauche en Allemagne dans les années 70, avec les parcours individuels d’un homme et d’une femme. Lui, étudiant, travaille à la gare de Copenhague durant les vacances. Il y croise une étrange jeune fille de retour d’Allemagne. Ils passent quelques jours ensemble avant qu’elle ne disparaisse, laissant derrière elle sa fausse identité et un sac rempli de marks à la consigne de la gare. Des années plus tard, il la recroise par hasard et décide de reprendre contact. Elle lui raconte alors l’histoire de son voyage en Allemagne et de sa rencontre avec un groupuscule révolutionnaire. Conscience politique, mauvaise rencontre, mauvaise passe ? Difficile à dire tant les événements semblent ne pas avoir prise sur elle. Doit-elle se sentir coupable ? Peut-il la comprendre, lui qui a passé ces dernières années sans vraiment l’oublier ?
Le roman est touchant par les errements de ces deux personnages qui luttent contre les souvenirs, les regrets et les remords. L’écriture simple et directe de l’auteur excelle dans l’évocation des moments creux et nostalgiques où rien ne se passe en surface mais où tout se joue. Une mélancolie qui pourrait peut-être ennuyer certains (sur la blogosphère, les commentaires sont partagés) mais qui moi m’a ému.
C’est, finalement, un dispositif assez proche de celui de Piazza Bucarest. Le narrateur tente d’y raconter l’histoire d’Elena, l’épouse roumaine de Scott, l’ex-mari de sa mère (vous suivez ?). Elena rencontre Scott, Américain vivant au Danemark, en Roumanie, à l’époque de Ceausescu. Ils contractent un mariage blanc pour permettre à Elena de sortir du pays, avant qu’elle ne disparaisse complètement sans laisser de trace. Le narrateur la retrouve et tente d’imaginer sa vie, pleine de silences et de zones d’ombres. Actes incompris, regrets, mauvaises décisions ; des gestes auxquels l’écriture parvient à redonner un sens.

La dimension philosophique des romans de GRØNDAHL apparaît en filigrane. Une réflexion sur les actes que nous posons, sur leurs conséquences, générales et individuelles.

Niveau 3

26 décembre 2009

Malemort et ses morts

Le passage des ombres, Isabelle HAUSSER

Un petit village de la Drôme, trois personnages luttant contre le chagrin, deux meurtres irrésolus... Voilà les ingrédients du dernier roman d'Isabelle HAUSSER.

Isabelle HAUSSER aime brouiller les pistes. Roman psychologique, roman policier, roman d’amour, on n’est jamais bien sûr… On avait été séduit par La table des enfants, roman étonnant d'une femme qui se rendait en Allemagne pour enquêter sur le suicide de sa fille qui semblait avoir laissé nombreux messages pour sa mère adorée. On est intrigué par son dernier roman, Le passage des ombres, aussi intelligent mais peut-être moins abouti. Le passage des ombres est la maison de Guillaume Barbier, à Malemort, petit village méridional chargé d'histoire. C'est aussi là que se réfugie son double et ami américain, William Barber, pour quelques mois, loin d'un pays gouverné par le président Bush, qu'il exècre. Enfin, c'est là que vient presque tous les jours Elise, amie d'enfance de Guillaume et médecin de Malemort. Ces trois personnages ont en commun un deuil à surmonter et l'amour de la musique. Deux histoires de meurtres irrésolus vont s'ajouter à l'histoire intime des personnages. L'une est réelle et actuelle. C'est l'assassinat d'une femme auquel Guillaume, en tant que juge d'instruction, est confronté et pour lequel il développera une étrange obsession. L'autre date de plusieurs siècles, pendant la période de la contre réforme, et passionnera William.
On est touché par la sensiblité et l'intelligence des personnages. De plus, l'écriture d'Isabelle HAUSSER est, comme à son habitude, précise et élégante. Par ailleurs, de nombreux thèmes et pistes de réflexion sont intimement entremêlés : la situation sociale et politique des USA, celle de la France, les attentats du 11 septembre, la douleur de la perte, la difficulté de l'amour, la situation des réformés avant la révocations de l'Edit de Nantes... et j'en passe. Le résultat est donc un livre étonnant et captivant. Malheureusement, il y a quelques longueurs. Isabelle HAUSSER se perd parfois en digressions et nous regrettons de ne pas suivre le fil de sa pensée. Rajoutons aussi que rien ne finit vraiment. Ni les résolutions des meurtres, ni les intrigues amoureuses. Comme dans la vie, pourrait-on dire, où tout ne trouve pas toujours une réponse et une solution. Mais avouons que cela gâche un peu le plaisir de la lecture et nous laisse, après avoir refermé la dernière page, la sensation de ne pas avoir réussi à assembler toutes les pièces du puzzle. Néanmoins, la finesse d'écriture d'Isabelle HAUSSER, l'intelligence de ses réflexions et son art de créer des intrigues à suspense nous donne envie de découvrir ses autres romans.

Un livre lu dans le cadre d'un partenariat organisé par BOB.

21 décembre 2009

Un livre sans fin

Un monde sans fin, Ken FOLLETT

Après Les piliers de la terre, on retrouve Kingbridge et ses habitants quelque deux siècles plus tard. Découvertes médicales et architecturales sont à l'honneur de ce nouveau roman de Ken FOLLETT qui n'a malheureusement pas la fougue du précédent.

Il y a vingt ans, Ken FOLLETT écrivit ce qui devint très vite un best seller : Les piliers de la terre, et nous découvrions que l'histoire de la construction d'une cathédrale pouvait être aussi passionnante qu'un roman policier. Nous avons dévoré cette histoire de seigneurs et de serfs, nous attachant aux personnages de Jack, d'Aliena et détestant de tout coeur l'affreux William. Nous avons vibré avec eux, nous nous sommes désepérés de leurs multiples chutes puis réjouis de leurs reconquêtes.
Quel ne fut pas notre plaisir d'apprendre que, dix-neuf ans plus tard, FOLLETT remettait le couvert et nous offrait une nouvelle saga monumentale située dans la ville de Kingbridge qu'on avait quittée avec tant de regrets. Nous sommes maintenant en 1327, soit deux cents ans plus tard que dans Les Piliers de la terre. Quatre enfants sont les témoins d'une scène étrange et meurtrière : un chevalier, poursuivi par deux soldats, enfouit dans le sol de la forêt, après avoir tué ses poursuivants, une lettre qui pourrait mettre la couronne d'Angleterre en péril. C'est la vie de ces quatre enfants que nous suivrons tout au long de cet immense récit. Il est d'abord question de Merthin, fils d'un noble déchu, descendant de Jack le batisseur, qui a l'ambition de
devenir chevalier mais qui sera placé en apprentissage chez un bâtisseur. Son destin sera irrémédiablement lié à celui de la cathédrale de Kingbridge. Il y a aussi Ralph, son frère, qui très jeune se découvre une passion pour le combat et la cruauté. Toute sa vie il tentera de grimper l'échelle sociale et rien ne l'arrêtera, surtout pas les scrupules. Ensuite il y a la petite Caris, dont Merthin s'éprend très vite. Mais à cause de sombres machinations et du caractère indépendant de Caris qui refuse le statut d'épouse soumise, ils resteront longtemps séparés. Enfin, il y a Gwenda, fille d'un paysan sans le sou, qui se battra bec et ongles pour échapper à la misère dans laquelle elle a grandi. Les personnages vont tenter de trouver un sens à leur destinée malgré la rude réalité du moyen âge et l'arrivée d'un ennemi qui ne leur laissera aucune répis : la peste !
Hélas, trois fois hélas, l'épaisseur du roman (presque 1300 pages) ne parvient pas à le hisser à la hauteur des Piliers de la terre. D'abord il y a de terribles longueurs. Nous qui pourtant en redemandions, nous surprenons à nous lasser des mille péripéties vécues par nos héros. Péripéties qui ont toutes un air de "déjà vu" pour qui a lu le premier opus. Par ailleurs, le manichéisme qui était pour le moins plaisant dans Les piliers de la terre, devient ici assez insupportable. Enfin, rajoutons que l'écriture n'a pas semblé être le premier souci de l'auteur. Certes, Les piliers de la terre ne brillait pas par ses effets de style mais l'écriture était suffisamment fluide pour mettre le récit au premier plan. Un monde sans fin est plein de lourdeurs, et je ne parle pas seulement du poids de l'ouvrage lui-même. Follett, qui s'est plu à multiplier les scènes à caractère sexuel (qui vont de badineries d'adolescents à de longues scènes de viol en passant par les amours entre religieux/ses qui paraissent tous bien portés sur la gaudriole) nous gratifie de passages tels que :
Merthin tâta le mortier entre les nouvelles pierres et porta son doigt à sa bouche. "ça sèche drôlement vite ! s'étonna-t-il.
- Je suis sûre que c'est très dangereux s'il reste de l'humidité dans la fente !" [dit Caris]

Il la regarda : "Je t'en donnerai, de l'humidité dans la fente! - Tu l'as déjà fait."
Bref, vous en conviendrez, la finesse n'est pas la qualité première de ce récit. Néanmoins, avouons-le, nous avons pris un certain plaisir dans la lecture de ces aventures médiévales sur fond de vengeance, d'amour, de haine, d'ambition et de soif de pouvoir. Mais cela justifiait-il le temps que prend ces 1300 pages? Je vous laisse seuls juges.

17 décembre 2009

Des cadeaux #1

On l’a dit: il fait froid et Noël approche. Il faudra bien y passer d’une manière ou d’une autre. Et peut-être même courir les magasins pour les cadeaux. Aïe… Pas simple, surtout pour ces grandes fêtes de famille où, finalement, vous ne vous voyez qu’une fois par an et, quand tante Machin vous offre cette année encore des petits bougeoirs qui, ô merveille, font aussi office de verrines, vous commencez à saisir qu’on ne vous connaît pas si bien que ça. Parce que vous, le cadeau pas trop cher qui vous fait toujours plaisir, c’est le livre. Alors vous faites circuler depuis quelques semaines une liste, pour éviter de recevoir encore des chaussettes Simpson (vous avez grandi, c’est vrai, mais pas pour tout le monde) ou un gel douche parfumé au spéculoos…

Mais offrir un livre, c’est parfois difficile. Pourtant, cela n’a que des avantages. Si vous n’offrez que ça, inutile de courir les magasins : un passage dans votre librairie préférée fera l’affaire. C’est facile à transporter, facile à emballer, ça se range facilement sous le sapin, ...
 

Pour fêter notre 101ème billet, sacrifions à la mode des listes et imaginons des livres à offrir à toute la famille.

Tonton Georges, c’est celui qu’on ne connaît pas très bien. Il travaille dans une grande boîte (une de celles avec deux noms vaguement anglais que vous ne retenez jamais), s’occupe de choses avec des chiffres et, à part la pêche à la ligne, vous ne lui connaissez aucun centre d’intérêt. Et bien, pourquoi pas un bon polar ? Pars vite et reviens tard, de Fred VARGAS. Du suspense, des personnages attachants et le retour de la peste noire en plein 20e siècle.

Tante Suzanne, elle est sympa, elle lit parfois, elle avait adoré Ensemble c’est tout d’Anna GAVALDA que vous lui aviez offert en 2004 et l’avait passé à toutes ses copines du cours de scrapbooking. Alors offrez-lui Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates (dont on a déjà parlé ici), plein de bonheur et d’humour. Ou bien Le mec de la tombe d’à côté, petite comédie douce-amère sur le choc des cultures. Idéal pour Noël, quoi…

Le petit cousin Victor n’est plus si petit que ça. Il a 18 ans, il ne jure que par des noms de groupes ultra-confidentiels, semble avoir greffé son iphone à sa main droite et vous pourriez jurer qu’à la dernière réunion de famille, son regard était trop vague pour être honnête… On peut tenter un MURAKAMI. Le passage de la nuit, par exemple. Le Japon est à la mode, le récit étrange à souhait et l’écriture magnifique, ce qui ne gâche rien.

Bonne-maman lit beaucoup, tout ce qui lui tombe sous la main. L’étrange disparition d’Esme Lennox va la toucher. Une histoire de femme du début du siècle, époque où être femme n’était pas facile, surtout quand on était différente. Touchant.

Tonton Etienne voyage beaucoup, vous avait fait découvrir les Chroniques de San Francisco, aime la légèreté et ne jure que par la littérature américaine. Montrez-lui que les Suédois aussi sont poilants et offrez-lui Doppler, d’Erlend LOE, un plaidoyer anti-Noël criant et un bon moment de rigolade.

Le petit cousin Nathan n’aime pas lire, surtout les livres de l’école. A quinze, il préfère nettement les jeux video. Slam de Nick HORNBY lui fera peut-être changer d’avis sur la littérature…

Bon, vous avez compris le principe: recycler ses lectures en cadeau de Noël pour toute la famille.
Et maintenant: à vous!

PS: En illustration, un détail d'une œuvre du super collectif eboy.



14 décembre 2009

Art et polar

Les Visages, Jesse KELLERMAN

Humour et tension pour une enquête qui a du style.

Du froid, de la neige artificielle, des files d’attente interminables aux caisses des magasins, une soudaine envie de marrons glacés en regardant la xème rediffusion de la Mélodie du bonheur (et pourtant on a le DVD)… Et oui : les « fêtes » approchent à grands pas ! On aime ou pas. Mais, malgré tout, c’est aussi le moment de se poser, de rester au chaud avec une bonne tasse de thé et un bon bouquin. Pour le chauffage et le thé, je ne peux pas faire grand chose. Mais, pour un pur moment de lecture-plaisir, voici un tout bon polar.
Ethan Muller est un jeune galeriste new-yorkais, petite pièce du petit monde de l’art contemporain de Big Apple. Artistes survoltés, vernissages, mondanités et petite amie qui aurait pu apparaître dans Sex and the city. Mais aussi une fêlure : la mère d’Ethan est morte quand il était enfant et depuis, il n’a fait que s’éloigner de son père, un magnat de l’immobilier, descendant d’une famille de riches entrepreneurs.
La découverte des dessins de Victor Crack vient combler la passion d’Ethan pour les génies. Comment un illustre inconnu qui n’a jamais, semble-t-il, quitté son minuscule appartement crasseux du Queens est-il parvenu à construire une œuvre aussi tentaculaire ? Des milliers de petits dessins qui, mis bout à bout, dessinent la carte d’un univers fantasmagorique et hallucinant. L’œuvre d’un génie… ou d’un fou. Mais Victor a disparu, impossible à trouver, impossible à décrire, un être qui est toujours passé inaperçu. Un fantôme ?
Je m’en voudrais d’en raconter plus. Mais s’il faut vous convaincre davantage, je vous dirai : portraits d’enfants morts, enquêtes enterrées, secrets de famille et même un brin de romance…
A côté des figures imposées du genre (l’enquête, les rebondissements, …), l’originalité du roman vient surtout du portrait caustique du milieu de l’art et de l’ironie constante d’Ethan, le narrateur, face à ce qui lui arrive. Un mélange d’humour et de tension brillant, une écriture juste et tendue. Jesse KELLERMAN, dont c’est ici le premier roman traduit en français, est un jeune auteur à suivre.

(Niveau 2)

PS: Ta-daaaa! C'est notre 100ème billet!

12 décembre 2009

Chantons dans la neige

Le Cantique de l'apocalypse joyeuse, Arto PAASILINNA

C'est la fin du monde... et pourtant, au fin fond de la forêt finlandaise, une petite communauté vit en paix autour d'une grande église en bois. L'avant dernier et décevant roman du grand PAASILINNA

Je n’ai pas beaucoup aimé l’avant dernier PAASILINNA… Voilà, c’est dit… Et pourtant, il m’en coûte ! Car d’habitude, j’adore ses livres. A la fois joyeusement optimiste et terriblement lucide sur le monde d’aujourd’hui, le Finlandais raconte avec un style et un humour inimitable, des histoires farfelues et désopilantes dans lesquelles, bien souvent, les hommes se rendent compte de la nécessité de retourner à la nature (et il faut dire que la nature finlandaise est on ne peut plus attirante) et à des valeurs plus essentielles que celles prônées par l’actuelle société de consommation. Le lièvre de Vatanen, son opus le plus célèbre, conte les péripéties d’un journaliste, ayant abandonné la vie civilisée pour suivre… un lièvre. Dans Les prisonniers du paradis, ce n’est pas dans la nature froide et enneigée des régions nordiques que les protagonistes décident de s’épanouir mais sur une île déserte sur laquelle leur avion s’est écrasé (ce qui n’est pas sans rappeler le pitch d’une série télévisée fort en vogue… le talent en plus et les incohérences en moins). Et puis surtout, il y a le brillant La douce empoisonneuse, dans lequel une vieille dame se débarrasse, un peu par la force des choses, de son neveu et de ses épouvantables amis, représentants d’une jeunesse désoeuvrée et sans repère, qui la persécutent et la volent depuis des années. Un bijou de finesse et d’humour noir et grinçant qui n’est pas sans rappeler les films du réalisateur danois Anders Thomas JENSEN (Adam’s apples, Lumières dansantes, Les bouchers verts,…). Dans Le cantique de l’apocalypse joyeuse, il est question de fin du monde. L’économie s’effondre, une centrale nucléaire explose, les déchets envahissent les villes, une troisième guerre mondiale se prépare,… et pourtant, une bande d’irréductibles finlandais résiste dans un havre de paix, au fin fond de la forêt. C’est que, quelques années plus tôt, un vieux communiste et bouffeur de curés, commanda à son petit-fils, sur son lit de mort, la construction d’une église en bois pour le rachat de son âme. Peu à peu, une joyeuse et délirante communauté se forme autour du constructeur et de sa construction. On retrouve, bien entendu, l’humour décapant de Paasilinna avec des répliques extraordinaires telles que « Si Dieu avait voulu que l’homme convoite sans fin la richesse financière, il l’aurait doté, en le créant, d’un sac spécial pour y ranger l’argent et les marchandises, à l’instar de la poche ventrale des kangourous » ou encore : « En l’absence de volontaires humains pour ce genre d’expériences médicales, le plantigrade ferait l’affaire, décida-t-il. Son organisme était très proche de celui de l’homme, un ours écorché ressemblait à s’y méprendre à un finlandais rougeaud sortant du sauna, et leur mode de vie aussi était similaire, surtout en été ». Par ailleurs, la thématique très paasilinnienne du retour à la nature et du rejet de la société consommatrice est plus que jamais d’actualité. Malheureusement, pour la première fois en lisant cet auteur, je me suis ennuyée… Les descriptions longues et minutieuses de la construction de l’Eglise et de l’organisation de la vie en communauté ont pris le pas sur la verve et sur le message de l’auteur dont l’enthousiasme est d’habitude beaucoup plus communicatif. Bon, je vais vite aller relire La douce empoisonneuse, et me réconcilier avec un auteur d’habitude tout bonnement jouissif…

6 décembre 2009

Deux polars pour un Danois

L’Epouse inconnue et L’ennemi dans le miroir, Leif DAVIDSEN

Du suspense, des intrigues politico-policières et un petit coup de froid.

Rares sont les réunions au sommet qui ne nous permettent pas de découvrir un nouvel auteur de polars venu du Nord. Nous avons déjà évoqué (ici, ici ou encore ici) certains de ces écrivains aux noms imprononçables.
Effet Millénium ? En tous cas, ils sont de plus en plus nombreux à être traduits et la température des rayons policiers des librairies ont depuis lors baissé de quelques degrés et ont des relents d’aquavit… Pour peu, on pourra bientôt trouver, dans le grand magasin de meubles jaune et bleu, des étagères "Wallander" et des chandeliers "Erlendur"…
Et donc dans la famille des scandinaves, voici DAVIDSEN, un Danois qui mélange enquêtes policières et politique internationale.
Dans L’ennemi dans le miroir, c’est au lendemain des attentats du 11 septembre, alors que l’Amérique cherche à relier les terroristes au régime de Saddam Hussein, que le passé de John Ericsson refait surface. Après avoir mis des années à se fondre dans les idéaux de la société américaine et être devenu un citoyen respectable, le voilà forcé de faire ressurgir Vuk, un double qui hante ses rêves, sorte de mercenaire sans scrupules qui sévissait autrefois en Bosnie et ennemi juré du commissaire Toftlund, qui à l’autre bout du monde, se met à enquêter sur les réseaux terroristes en activité au Danemark. Suspense, espionnage, réflexions politiques : efficace mais pas très original.
Dans l’Epouse inconnue, pas de policier, pas d’enquêteur mais un jeune homme d’affaires danois, Marcus Hoffmann. Un workaholic marié depuis dix ans à Nathalie, une jeune femme d’origine russe. Alors qu’elle n’a plus aucun lien avec son pays d’origine, elle parvient à convaincre Marcus de partir faire une croisière sur la Volga et disparaît à la première escale. Début d’une descente aux enfers pour Marcus qui découvre une société gangrenée par la corruption et la misère. Comment faire comprendre aux autorités que sa femme n’a pas pu le quitter comme ça, sans laisser de trace, que sa disparition ne lui ressemble pas. Mais, finalement, la connaît-il si bien que cela ? Aidé par un jeune garçon des rues et un homme d’affaire immensément riche, Marcus découvre peu à peu le passé de son épouse et, en vrac, le conflit en Tchétchénie, des Icônes orthodoxes, le silence du métro japonais et les ravages du capitalisme sauvage … Suspense, réflexions politiques et remise en question radicale de l’existence du personnage : efficace, parfois un peu maladroit dans l’écriture.
Mais ne boudez pas votre plaisir et passez un bon moment à courir aux quatre coins du monde en compagnie de vos nouveaux amis danois.

(Niveau 2)

29 novembre 2009

Retour sur l'amour

Lettre à D. Histoire d'un amour, André GORZ

Récit de la vie du couple du philosophe et de son épouse. Une vie à deux.

Un coup de foudre entre lui, le jeune philosophe apprenti écrivain, et elle, Dorine, libre et belle. Lui, an Austrian Jew, elle, Anglaise. Une rencontre en 1947, comme une évidence. Oui, l'amour c'est cela, corps et âmes, le reste n'était qu'une illusion, des tentatives infructueuses.
Cinquante-huit plus tard, il l'aime plus que jamais et revient sur leur histoire. Dans ses autres livres, il avait déjà parlé d'elle mais s'en voulait de l'image qu'il donnait d'elle à travers lui. Alors il raconte: la rencontre, les hésitations face au mariage, les années de vache maigre et les succès. Les voyages, les découvertes et, peu à peu, la maladie qui les poussera finalement à quitter ensemble la vie.
André GORZ est l'un des fondateurs de l'écologie politique, écrivain, philosophe et journaliste, proche, notamment, de Sartre. Un homme discret qui dans ce court texte tente de mettre en mots le lien amoureux et de rendre hommage à celle qui l'a suivi, devancé, aidé.
Les mots de GORZ sont d'une justesse rare et bien éloignés des témoignages pseudo-romanesques et nombrilistes de certains écrivains français. L'histoire d'une vie est ici amenée à travers celle du couple et de la manière d'avancer à deux. L'histoire d'une homme aussi, de son impossibilité d'envisager sa vie seul. A deux ou rien.

Niveau 4

22 novembre 2009

Les enfants terribles

Lignes de faille, Nancy HUSTON

La ligne de faille de Nancy HUSTON remonte le temps de 2004 à 1944, livrant le regard de quatre enfants de six ans sur les conflits de leur temps et sur leur histoire familiale.

C’est en corrigeant les travaux de nos élèves que j’ai eu l’idée de ce billet. Ces pauvres enfants devaient en effet, dernièrement, écrire une critique argumentée et basée sur une analyse rigoureuse d’un livre qu’ils pouvaient choisir (nous ne sommes pas des monstres !) dans une liste de cinq romans. La plupart d’entre eux ont choisi, et ce, malgré l’épaisseur du livre, Lignes de faille de Nancy HUSTON (et on dit que les élèves ne veulent plus lire !). J’ai donc eu l’occasion de repenser à ce magnifique roman, probablement une de mes plus belles lectures de ces dernières années et me suis dit qu’il était très dommage qu’il n’y ait rien sur lui dans ce blog. C’est donc chose faite et non contente d’en parler, je le place même dans la catégorie des « Chouchous », tant ce livre m’a émue, touchée, sensibilisée, fait rire et même pleurer (et même si je pleure de plus en plus facilement face à une fiction, surtout quand il est question d’enfants… un livre qui vous fait verser de chaudes larmes ne s’oublie pas si facilement).
Lignes de faille, c’est l’histoire de quatre enfants de six ans, l’histoire de cinq générations et l’histoire d’une famille, de ses secrets et de ses failles. La particularité de ce roman est qu’il n’est pas écrit chronologiquement mais qu’il rebrousse chemin, remonte le temps comme pour mieux expliquer les conséquences de la fracture originelle. Nancy HUSTON ne se réinvente pas psychanalyste pour autant et ne cherche pas à faire passer un message sur la nécessité de transmission au sein d’une famille (comme c’est la mode en ce moment depuis la parution du Secret de GRIMBERT). Mais elle montre le poids du passé, des non dits et des blessures sur les membres d’une famille.
Il est d’abord question de Sol, petit garçon surdoué et surprotégé, de ceux qu’on appelle aujourd’hui « enfant roi ». Sol a un ego surdimensionné, un caractère impossible, et un regard étrange et malsain sur le monde. Ainsi, perpétuellement à la recherche d’images violentes sur Internet, il apprécie tout particulièrement les images soldats irakiens morts ou torturés qui lui procurent même une certaine excitation sexuelle. Malgré son jeune âge, Sol est un petit garçon antipathique et dérangeant.
Le chapitre suivant raconte les six ans de Randal, le père de Sol, qui deviendra, adulte, un citoyen américain pro-Bush et foncièrement anti-arabe. Enfant, il vivra quelques années en Israël, pendant les événements du massacre de Sabra et Chatila. Sa mère, préoccupée par ses recherches historiques sur la deuxième guerre mondiale et la persécution des juifs, s’occupe peu du petit garçon.
Et c’est de cette mère, Sadie, que traite le troisième chapitre. Cette mère mal aimante était avant tout une petite fille mal aimée. Plus ou moins abandonnée par une très jeune mère, Sadie vit chez des grands parents peu compréhensifs et s’inflige à elle-même une discipline éprouvante.
Le dernier chapitre, le plus émouvant, raconte l’enfance troublée de la mère de Sadie, petite fille au lourd problème identitaire, responsable malgré elle de cette faille qui s’élargira au fil du temps et rattrapera tous ses descendants.
Roman sur les liens familiaux, sur l’enfance qu’on ne protège pas assez ou qu’on protège mal, mais aussi roman sur les grands conflits qui ont marqué le 20e et le 21e siècle (avec une vision bouleversante et méconnue de la seconde guerre mondiale !), Lignes de faille éblouit par son style épuré, par sa construction subtile et par une histoire forte, passionnante et terriblement émouvante. Un roman qu’on dévore mais qui vous hante longtemps.



Dracula toujours vivant

Le vampire a la cote: Twilight, La Communauté du Sud (et son excellente version télé True Blood), ...
Ce spectacle-ci revient plutôt aux sources en proposant une adaptation du roman culte de Bram Stoker, classique absolu et qu'on ne peut que conseiller de lire ou relire.

Dracula toujours vivant, de Paul EMOND, d'après Bram Stoker, mise en scène de Daniel Scahaise.

Le mercredi 25 novembre à 20h15, au Théâtre des Martyrs. Pour plus d'infos, un petit clic ici.

14 novembre 2009

Sic transit gloria mundi*

Gloire, Daniel KEHLMANN

Neuf histoires fantaisistes sur l'air du temps et notre besoin d'ailleurs: une réussite.

Le téléphone portable : manière d’être ici et ailleurs, toujours présent, connecté au monde, de s’assurer de la présence des autres, de leur raconter des mensonges et, dans les cas extrêmes, d’appeler au secours. Un objet ordinaire aux possibilités infinies, qui est aussi l’un des nombreux fils conducteurs de ce roman en neuf histoires.

Nous avons déjà parlé de Daniel KEHLMANN ici et Gloire, dernier opus du jeune surdoué des lettres allemandes, amuse et étonne tant il se distingue de son roman précédent (où il était aussi question de gloire, mais là chez deux grands scientifiques du 18ème siècle). Derrière le titre, assez ironique pour celui qui en très peu de temps est devenu une célébrité du milieu littéraire international, des histoires où se croisent une star de cinéma, des auteurs à succès ou des employés de bureau qui, par hasard ou par envie, brisent leur quotidien. Comme ce cadre qui, grâce à son portable justement, peut entretenir une double vie ou cet homme ordinaire qui découvre que son nouveau numéro de téléphone est aussi celui d’un autre.
Le réel et le virtuel sont souvent proches et les personnages d’écrivains qui jalonnent le livre en sont la preuve. Qui mieux qu’eux peut sans cesse mélanger fiction et réalité, réécrire l’histoire et intervenir dans la vie de leurs personnages, au point de pouvoir les sauver d’une mort annoncée.
L’écrivain semble tanguer sur un fil entre la vie et l’œuvre. Prenons par exemple Miguel Auristos Blancos, auteur brésilien de best-sellers de prêt-à-penser spirituel comme Le Chemin du moi vers son moi, Interroge l’univers il parlera, … (Paulo Coehlo aura du mal à ne pas s’y reconnaître…). Parvenu au sommet de son art et de ses ventes, il se rend brutalement compte de l’état du monde et de l’absurdité de la condition humaine. Parviendra-t-il à continuer à se mentir ou prendra-t-il les décisions qui s’imposent à lui ?
Et cette auteur de polar embarquée dans un voyage organisé hilarant dans une ancienne république soviétique d’Asie centrale : saura-t-elle faire face à la vie sans la langue et sans les mots ?

Le livre est difficile à résumer mais on peut dire qu’en mélangeant tous ces thèmes, KHELMANN parvient brillamment à dresser, dans un style enlevé et direct, un portrait plein d’ironie (et jamais cynique) de notre société tout en s’interrogeant sur l’univers de la création et celui de l’écrivain. Chaque texte est une nouvelle qui pourrait se lire indépendamment des autres mais elles sont toutes reliées par des détails, des clins d’oeil qu’il serait dommage de louper.
Un grand plaisir de lecture et un auteur à suivre…

Niveau 3

* Ainsi passe la gloire du monde

Mise à jour du 14/06/2010:
A voir aussi, la premier roman de KHELMANN: La Nuit de l'illusionniste.

11 novembre 2009

Saga iraniennne

La maison de la mosquée, Kader ABDOLAH

Chronique romanesque et poétique sur les transformations de l’Iran au vingtième siècle.

Aga Djan, riche marchand de tapis au bazar de Sénédjan, est le chef de la mosquée où vivent également les familles de l’imam et du muezzin. Une micro-société qui regarde se succéder les saisons, grandir les enfants et, de loin, s’amonceler les problèmes politiques de l’Iran, alors dirigé par le shah. Dans cette mosquée, on pratique un islam modéré, à la fois respectueux des traditions ancestrales et ouvert sur le monde; on peut s’émerveiller devant les premiers pas de l’homme sur la lune, s’adonner au plaisir des sens et laisser aux femmes le soin de disposer de leur destin. Harmonie fragile face aux mouvements de l’Histoire.
Car quand Galgal, le beau-fils de l’imam, reprend la charge de celui-ci et se met à propager l’anti-américanisme et un islam intolérant, la ville commence à gronder. Galgal est un ambitieux qui voit bien au-delà de la mosquée. Il pense rejoindre Khomeyni et, avec lui, renverser le régime et installer une république islamique.
La vie des habitants de la mosquée va subir les outrages de la révolution et voir peu à peu s’éteindre sa quiétude.
La force de ce roman est de montrer, à travers une foule de personnages, tous les aspects de la société iranienne. Des grands-mères qui rêvent du prophète qui pourra les envoyer à La Mecque, de jeunes militants gauchistes, des fumeurs d’opium, et même un Khomeyni amateur de documentaires animaliers, … La fresque imaginée par ABDOLAH, et c’est une caractéristique qui souvent nous plait dans les romans, parvient à aborder l’histoire d’un pays à travers des destinées individuelles. Des personnages qui vont et viennent, acteurs ou victimes des transformations de la société. L’originalité de ce roman est aussi d’amener tout cela avec douceur et sensualité et parfois même avec humour et poésie.
Kader ABDOLAH est né en Iran mais vit aux Pays-Bas, où il a obtenu l’asile politique, depuis 1988. Il écrit notamment dans le quotidien De Volkskrant. La vision de l’Islam qui ressort de son roman est modérée et très loin de certaines dérives fanatiques d'hier et d'aujourd'hui.

8 novembre 2009

Elémentaire mon cher Platon

La caverne des idées, José Carlos SOMOZA

Un polar antique sur fond de philosophie servi par un procédé narratif implacable.

Première couche : Athènes, Vème siècle avant JC. La découverte du cadavre sauvagement mutilé d’un éphèbe met la population en émoi. Le jeune homme était élève à l’Académie de Platon. Son ancien mentor décide de faire appel à Héraclès Pontor, déchiffreur d’énigmes au sens de l’observation aiguisé et à l’esprit rationnel. C’est le début d’une enquête et d’une recherche de la vérité (celle du coupable et celle avec un grand V) dans la haute société athénienne et dans l’entourage de Platon. Enquête criminelle, détective rationnel, H.P., … vous voyez certainement à quelle littérature SOMOZA rend ici hommage. « Elémentaire », me direz-vous… Mais cela ne s’arrête pas là, car…
… Deuxième couche : Nous lisons donc l’enquête d’Héraclès et, en bas de pages, nous découvrons les notes, les remarques et les impressions de lecture du traducteur du roman La caverne des idées. Rapidement, le traducteur découvre qu’entre les lignes du récit criminel se cachent des images cachées, des "eidesis", qui renvoient toutes au mythe d’Hercule. Etrange, tout comme la disparition soudaine et inexpliquée du précédent traducteur de ce récit… Mais le mystère s’épaissit encore lorsqu’apparaissent de troublantes coïncidences entre le roman et la vie de son traducteur … Mais cela ne s’arrête pas là non plus, car…
… Troisième couche : A vous de le découvrir : je ne voudrais pas gâcher votre plaisir.

Donc : un polar captivant, un procédé narratif original, une mise en contexte des idées platoniciennes, que demander de plus ? Comme dans ses autres romans, SOMOZA interroge finalement la notion d’art et de création et nous montre ici le pouvoir immense de la littérature.
Ni une nouveauté, ni une lecture récente, mais un livre que nous aimons beaucoup (au point de le faire lire à nos élèves !).

Niveau 3

31 octobre 2009

Garde-à-vous

Souvenir de la guerre récente, Carlos LISCANO

Une guerre psychologique et les mécanismes bien huilés de l’aliénation de l’homme par le pouvoir militaire.

Et oui ! Encore un livre qui parle de la guerre (comme récemment ici ou ici). Que les plus réticents aux faits d’armes et autres récits de batailles se rassurent : c’est plutôt d’une non-guerre dont il sera question dans ce court roman.
Un jeune homme dont nous ne connaitrons jamais le nom est enrôlé brusquement pour une guerre dont la population ignore tout. Des combats auraient lieu ou auront lieu prochainement, rien n’est certain. Il faut se préparer, s’entraîner pour ensuite rejoindre un camp, d’avant-garde ou d’arrière-garde, personne ne le sait, où l’on pourra, peut-être, participer aux combats.
La vie du camp s’installe et avec elle son lot d’habitudes et de règles qui font tout le « sel » de l’esprit militaire. Apprendre à obéir, à comprendre que l’intérêt collectif prime toujours sur l’individuel, à respecter des rituels d’une absurdité confondante. Comme cette cérémonie de la pause-café, imprescriptible, même si la tasse n’est remplie que d’eau chaude… Déroger aux rituels, aussi absurdes soient-ils, reviendrait à remettre en cause toute l’organisation d’un système bien huilé qui ne repose que sur la répétition et l’adhésion sans faille à ce système.
Dans cette prison à ciel ouvert, le temps passe, la vie d’avant et les souvenirs s’effacent. Des rumeurs de combats, jamais démenties et jamais confirmées, des événements insignifiants émaillent le quotidien routinier. Parfois, le narrateur parvient à s’échapper par la pensée vers un ailleurs où, s’extrayant de la compagnie du groupe, il se confond avec la nature dans des élans presque mystiques, mais cela suffira-t-il à freiner la lente érosion de son moi ?
Un style bref et rigoureux qui laisse au lecteur le soin de sentir l’ironie sous-jacente et la critique cruelle de la vie militaire dans un état où l’armée a tous les pouvoirs. LISCANO, né en Uruguay, a été torturé et emprisonné durant treize ans à l’époque de la dictature. On comprend dès lors d'autant plus la portée politique de cette fable sur la déshumanisation.

(Niveau 2)

27 octobre 2009

Lettres catalanes

Le dernier homme qui parlait catalan, Carles CASAJUANA

Catalan vs castillan


Petite déception pour notre première participation aux partenariats organisés par Blog-o-book entre les blogueurs et une maison d’édition, ici Robert Laffont.
Le roman qui nous a été proposé raconte l’histoire de deux écrivains Barcelonais pour qui la littérature n’a pas la même définition. Pour Balaguer, c’est avant tout une affaire de style, de recherche minutieuse du mot qui sonne juste, qui donnera à la phrase toute sa force. Il est Catalan, mais, comme de nombreux écrivains espagnols, écrit en castillan. Pour Rovira, l’écriture de son premier roman a pour seul but de pousser un cri d’alarme face à la disparition progressive de sa langue, le catalan. Il imagine donc, dans un futur proche, la rencontre entre un professeur américain et le dernier locuteur catalan.
La compétition entre les deux auteurs s’étend également au territoire amoureux et Rosa, la petite amie de Rovira, devient vite un objet de convoitise pour Balaguer. Ajouter à cela un entrepreneur immobilier prêt à tout pour déloger Balaguer de son appartement et vous obtenez deux écrivains au bord de la crise de nerfs…
Le thème de la survie d’une langue minoritaire face à une langue d’envergure internationale prend vite le dessus et cela de manière assez maladroite, alors qu’a priori le sujet semble intéressant (le francophone pensera souvent à sa situation face à l’anglais). De longs dialogues dialectiques où chaque camp s’affronte à coups d’arguments ; c’est un parfois intéressant, c’est souvent trop didactique (même si, dans une mise en abyme, Balaguer tente de mettre en garde son collègue contre les dangers d'une littérature trop informative). L’auteur ne parvient pas à rendre le propos plus universel et, alors que la rivalité entre les deux hommes réussit vite à intéresser, les digressions sur le catalan lassent rapidement.
Dommage car le livre propose également une réflexion amusante sur le statut de l’artiste et sa difficile confrontation avec le quotidien et le monde de l’argent.

21 octobre 2009

Le bruit des vagues

Les Déferlantes, Claudie GALLAY

La mer, les tempêtes, les naufrages, les oiseaux et les habitants d'un petit village du Cotentin, parfois détenteurs de lourds secrets, ou comment soigner le manque de l'être aimé.

On a beaucoup entendu parler des Déferlantes, qui, malgré une très petite couverture médiatique (il est édité dans une petite maison d'édition, La Brune) a connu un très joli succès de librairie. Or, on se méfie toujours un peu des livres dont on a beaucoup entendu parler, car ce ne sont pas toujours ceux qui vont nous surprendre agréablement. Par ailleurs, la taille du roman (un beau petit pavé) et le sujet du récit (joliment résumé par Xavier par ces mots : "une femme brisée, un paysage marin, un homme, ... bof") n'étaient pas fait pour m'attirer vers ce livre. Mais les aléas de la vie (et surtout notre groupe de lecture) m'a mis le roman entre les mains et je ne le regrette pas.
Les Déferlantes se situe à La Hague, dans un petit village du Cotentin, le long de la mer, là où le vent souffle fort, où les tempêtes font rage et où les histoires de naufrage sont nombreuses. C'est là qu'est venue se réfugier la narratrice, une femme brisée par la perte de l'homme qu'elle aimait, employée par le Centre ornithologique pour observer et compter les oiseaux migrateurs. Elle partage la maison d'un sculpteur inspiré, Raphaël, et de sa soeur, la pétillante Morgane, fréquente le seul bar du village, celui de Lili, fille de Théo, l'ancien gardien du phare et écoute les histoires sur Prévert de monsieur Anselme. Peu à peu elle découvre que ce village où tout le monde se connaît a aussi ses secrets. Lorsque Lambert, qui a quitté le village il y a presque quarante ans, revient, les langues vont commencer à se délier Qu'est-il réellement arrivé à sa famille, tragiquement disparue en mer un soir de tempête ? Qui est ce Michel que la vieille Nan croit reconnaître sous les traits de Lambert ? A qui sont ces vieux jouets qui réapparaissent et pourquoi, par contre, certaines photos disparaissent. En cherchant à comprendre et en aidant Lambert dans sa quête de la vérité, la narratrice va aussi peu à peu revenir à la vie.
Si l'intrigue manque un peu d'originalité et que le lecteur ne manquera pas de comprendre beaucoup plus vite que les personnages un certains nombres de mystères, le livre est cependant difficile à lâcher. Par des chapitres courts et efficaces, par un style à la fois sobre et violent (et Dieu sait que nous n'aimons d'habitude pas trop les "effets de style" souvent présents dans la littérature francophone), par une description très forte de la souffrance et de la douleur, Claudie GALLAY captive. Il y a une atmosphère dans Les Déferlantes, une vraie : on hume l'odeur salée de la mer, on entend le bruit des vagues, on sent l'humidité pénétrer nos vêtements (et nous, lecteurs belges, nous retrouvons un peu l'ambiance de notre mer du Nord...). On s'attache aux personnages et on veut connaître leurs secrets. On entre facilement dans l'univers des Déferlantes et l'on se laisse transporter par elles jusqu'à la fin.
Une lecture idéale pour un mois de novembre pluvieux.

15 octobre 2009

Un Indien dans la guerre

Le Chemin des âmes, Joseph BOYDEN

La sauvagerie de la première guerre mondiale vue par un Indien: sensible et sombre.

Xavier et Elijah, deux jeunes Indiens, quittent l’Ontario pour s’engager auprès des Canadiens qui partent combattre les Allemands pour une guerre qui va s’embourber dans les tranchées des villes du Nord de la France. Seul Xavier survivra, amputé d’une jambe et de l’âme. La morphine, son seul salut, se fait rare et Niska, sa tante, tente de le ramener vers la vie. Elle raconte son histoire, sa famille.
Les Indiens ont du abandonner leurs coutumes et leur vie saisonnière. Ils sont désormais parqués dans des réserves. Mais pas Niska. Elle cultive le savoir de ses ancêtres, la chasse, les plantes et la divination. Elle est une sorte de magicienne que les anciens viennent consulter ou appeler au secours lorsqu’un des leurs, affamé par les rudesses de l’hiver, sombre dans la folie et se transforme en windigo
Niska raconte, mais sa voix peine à faire taire les souvenirs qui assaillent Xavier : les tranchées, le froid, la faim et les heures sans fin à guetter l’ennemi. Et les tirs, les morts, les cadavres. Xavier et Elijah sont d’habiles chasseurs qui se font vite remarquer pour leur habileté au tir et leur incroyable faculté à se glisser partout. Mais comment supporter les atrocités de cette guerre alors que eux n’ont ni patrie ni ennemis. Pour qui se battre ? La faculté de tuer serait-elle juste inscrite en nous, peu importe qui se trouve au bout du fusil ?
Plus qu’un ixième livre sur la guerre, Joseph BOYDEN, dont c’est ici le premier roman, propose le voyage au bout de la nuit d'un l’homme et de sa conscience. Il ausculte, à travers ce personnage d’Indien déraciné et plongé dans l’enfer de la première guerre mondiale, les facultés d’adaptation aux situations les plus extrêmes et la notion d’humanité. L’Indien est ici un autre qui porte sur la sauvagerie de notre civilisation un regard nouveau. Bien que le sujet soit difficile et certaines scènes extrêmement violentes, rien n’est jamais gratuit et l’on garde surtout en mémoire la profondeur des personnages et leur attachement à leur qualité d’homme.

(Sur les conseils judicieux de Françoise et Laurent)

(Niveau 3)

7 octobre 2009

Des livres du plat pays... une fois #1

Des idées à lire un jour de grisaille, en regardant tomber la pluie et en trempant ses frites dans la mayonnaise !

Petit plaisir du blogger : aller voir combien de personnes se sont connectées sur notre blog et ont lu notre prose. Et savoir qui sont nos lecteurs. Surprise: la plupart ne sont pas de chez nous, le pays du spéculoos, de Brel, de Poelvoorde, de la mer du Nord, d’Amélie Nothomb (comme ça on l’a citée, et on n’en parle plus dans la suite de ce message) et de la bière. Du coup, on a une idée : pourquoi ne pas écrire sur la littérature de chez nous ! Un peu de nationalisme, que diable ! Et oui, malgré la jeunesse de notre pays et ses trois communautés linguistiques, la littérature française de Belgique (ou belge de langue française) existe bel et bien ! Et même fort bien! On ne discutera pas ici de ses particularismes avérés ou non, mais on vous propose un aperçu pas du tout exhaustif : un melting pot égoïste de littérature belge !

Des classiques…
…pour pleurer : La femme de Gilles, de Madeleine BOURDOUXHE. Un petit chef d’œuvre sur la trahison d’un homme et l’amour d’une femme. Jusqu’où est-on prêt à aller par amour… ? Elisa, la femme de Gilles, accepte tous les sacrifices pour garder son homme, allant même jusqu’à se perdre. On peut la trouve faible et énervante… mais difficile de rester de marbre face à cet amour vertigineux.

…pour rire : La légende de Thyl Ulenspiegel, de Charles DE COSTER. Le jeune Thyl lutte contre l’envahisseur espagnol des Payx-Bas du 16ème siècle, avec l’espièglerie qui lui donnera son nom. Un langage très coloré, à la Rabelais, un humour décapant et un personnage devenu mythique.

…pour frissonner : Bruges-la-Morte, de Georges RODENBACH. Un veuf éperdu, une chevelure rousse, les canaux de Bruges, ... Le roman symboliste par excellence. Rappelons que la Belgique a toujours su faire la part belle aux mouvements « marginaux » : le symbolisme, le naturalisme, le surréalisme…, en peinture comme en littérature.

…pour délirer : Le perce-oreille du Luxembourg, d’André BAILLON. Ou l’expérience de la folie et de l’internement vues au travers de la verve d’un grand auteur.

Des romans contemporains…
…pour laver son linge sale en famille : Le bonheur dans le crime, de Jacqueline HARPMAN. L’histoire d’une maison et de la famille étrange, attachante et terriblement disfonctionnelle qui l’a habitée longtemps.

…pour se replonger dans les mythes : Œdipe sur la route et Antigone, d’Henri BAUCHAU. Des figures mythiques relues au travers l’écriture solaire d’un grand homme qui s’interroge sur l’art et la vie.

…pour grincer des dents : La seconde vie d’Abram Potz, de Foulek RINGELHEIM. Un vieil homme aigri qui décide d’assouvir un désir de plus en plus pressent : tuer, juste pour le plaisir. Humour noir, humour juif et roman savoureux.

…pour parler d’art : Excusez les fautes du copiste, de Grégoire POLET. L’histoire d’un artiste raté mais d’un faussaire de génie. Qu’est-ce qui fait une œuvre d’art ?

…pour rester zen : Nuage et eau, de Daniel CHARNEUX. Le parcours spirituel d’un moine boudhiste amoureux de la poésie aux 18ème et 19ème siècles. Beau récit initiatique dans un Japon magnifié.

(Attention : cet article contient de nombreux clichés sur les Belges et la Belgique ! A vous de les retrouver…)

1 octobre 2009

Dire la guerre

Des hommes, Laurent MAUVIGNIER

Un retour brut et sans concession sur la guerre d’Algérie.


Un village de France, un après-midi, sous la pluie. Bernard, qu’on appelle Feu-de-bois, débarque à l’anniversaire de Solange, sa sœur. Malgré l’effort vestimentaire, il est repoussant. Sale, avec cette odeur de cheminée qui le suit partout. Pour une fois, il est sobre, mais avec lui, on n’est jamais sûr de rien. On l’évite, on préfère faire comme s’il n’était pas là. Mais quand il va vers Solange pour lui offrir une broche qui vaut certainement une fortune, toute la famille explose de colère. Indécent, oui, indécent ce cadeau alors qu’il n’a rien, que tous lui ont prêté un jour de l’argent, de quoi vivre, de quoi boire. C’est certainement l’argent de la Vieille, sa mère, qu’il aura retrouvé quelque part dans la maison.
Et quand un peu plus tard, Feu-de-bois revient à la charge, saoul, et qu’il voit Chefraoui, un ami de sa sœur, il lâche un mot, un mot venu de loin, un mot tu, un mot derrière lequel se cachent quarante années de silence, un mot qui déclenche un engrenage de violence et qui vous réveille la nuit.
Rabut, le cousin de Bernard, assiste à toute la scène et c’est vers lui que viennent les gendarmes pour raconter ce que Feu-de-bois est allé faire chez Chefraoui après la fête. Ce drame ouvre une porte dans la mémoire et ramène à l’Algérie, à ce groupe de jeunes hommes partis à la guerre sans trop savoir pourquoi et revenus sans en savoir beaucoup plus.
Là-bas, c’était un quotidien de peur, de tension et, peu à peu, d’horreur. Des images impossibles à effacer. Impossible de raconter, non pas la défaite, mais la violence et l’horreur de la guerre, la cruauté, la barbarie, la déshumanisation progressive d’un ennemi invisible, proche et étranger à la fois.
Pourtant, il a fallu revenir et se forcer à oublier, pour avancer, pour redevenir un homme comme les autres. Donc pour comprendre le geste de Feu-de-bois, Rabut convoque le passé et revient sur son Algérie et celle de son cousin, si loin de ces photos de soldats bronzés au bord de la mer, seules traces de ces années-là.
Le roman débute comme un fait divers réaliste, brut, dans une écriture nerveuse qui rend compte du bruit du groupe face à celui qui en est exclu. Au fur et à mesure que les personnages reviennent vers le passé, MAUVIGNIER délie son style, le fluidifie pour le resserrer et se rapprocher du bruit sourd de ce qu’on n’arrive pas à dire. L’écriture est tendue d’un bout à l’autre du roman et agrippe le lecteur dans ce voyage vers l’horreur. C’est de l’histoire, mais au niveau de l’individu, pas de la politique (comme dans A la vitesse de la lumière, de J. CERCAS). Peut-être un moyen pour l’auteur de parler d’un conflit que la France a encore du mal à aborder.

(Niveau 3)

29 septembre 2009

Controverses





Une expo enrichissante et stimulante que nous allons voir prochainement avec nos élèves au Botanique à Bruxelles.
Pour plus d'infos un petit clic ici.

25 septembre 2009

Rosencrantz et Guildenstern sont morts


De Tom STOPPARD, mise en scène de Daniel Scahaise.
Au Théâtre des Martyrs le 22 septembre (ARW) et le 1 octobre (ARU1) à 20h15.
Pour plus d'infos, un petit clic ici.

20 septembre 2009

Mise au vert

Doppler, Erlend LOE

Un retour à la nature dans la veine de Paasilinna.

Est-ce l’accident de vélo ? Est-ce la mort de son père ? La crise de la quarantaine ? Quoi qu’il en soit, Doppler a décidé de quitter la ville et ses contemporains, et plus particulièrement sa femme et ses deux enfants, pour aller vivre dans la forêt aux abords d’Oslo. Fuir les autres, car avant toute chose Doppler n’aime pas les gens. Leur vie minuscule de Norvégiens, leur « application », cette faculté innée de se conformer aux attentes et d’essayer de faire le mieux. Doppler est résolu : il ne veut plus être « appliqué ». Alors dans la forêt, il goûte à l’oisiveté et se donne pour programme de ne rien faire.
Il faut néanmoins subvenir à ses besoins vitaux. Alors il vole, parfois, ou tente de troquer au supermarché la viande de l’élan qu’il a tué de ses mains. Pas facile, d’ailleurs, de tuer un élan, surtout quand après il faut s’occuper d’un jeune élan orphelin. Qu’à cela ne tienne : Doppler n’a rien contre un compagnon, surtout si, comme Bongo le jeune élan, il est plutôt silencieux…
Parviendra-t-il à rester ainsi coupé du monde et à échapper à ses obligations ? Car, quand même, on rencontre parfois des personnes intéressantes qui, comme lui, vivent en marge de la société. Par exemple ce vieil homme qui passe sa vie à construire une reproduction en miniature d’une scène de la bataille des Ardennes où son père a trouvé la mort. Tiens ! En voilà une idée : rendre hommage à son père disparu. Doppler pourrait à son tour réaliser quelque chose : un totem !
Comme chez Arto PAASILINNA, le parcours décalé d’un personnage qui n’a rien d’héroïque est l’occasion de passer en revue les travers de la société, ici la classe moyenne norvégienne. L’éducation des enfants, l’absurdité du monde du travail, les sur-consommation, la propriété … C’est parfois un peu facile, mais souvent amusant. A partir de l’idée, pas très originale, du retour de l’homme à la nature et de la rupture avec la civilisation, Erlend LOE montre que le plus difficile n’est pas de s’adapter mais d’échapper aux autres qui, quoique vous fassiez, ne sont jamais bien loin.

(Niveau 2)

PS: Et la suite des aventures de Doppler, c'est ici.

16 septembre 2009

Ouvrez-moi la porte

Le Serrurier volant, Tonino BENACQUISTA

Un livre illustré pour adulte ou les périples d'un serrurier tourmenté.

Pourquoi les romans illustrés sont-ils réservés aux enfants. Pourquoi, nous, adultes et grands enfants (je pense à nos chers élèves…), ne pouvons-nous allier plaisir de la narration à celui de l’illustration, découvrir la suite d’une histoire par les mots ou par le dessin qui l’accompagne, enrichir le récit que l’on lit par les détails que l’on voit ? Il n’y a aucune raison, semblent répondre les éditeurs belges (un peu de nationalisme, faisons découvrir à nos lecteurs français un peu de notre patrimoine culturel, et promettons-leur d’ailleurs de publier tout bientôt un article spécial littérature belge) des éditions Estuaire qui ont eu la brillante idée de sortir des Carnets Littéraires, dont le principe est de faire collaborer un auteur avec un illustrateur. Ce n’est pas de la bande-dessinée, ni de la littérature jeunesse, mais bien de la littérature illustrée pour adulte. Comme une bonne idée ne vient jamais seule, les éditeurs ont pensé à Tonino BENACQUISTA pour écrire l’un des ouvrages de cette collection. BENACQUISTA, auteur prolifique, a écrit de nombreux romans, dont les très remarquables Saga, Quelqu’un d’autre et Malavita et est aussi scénariste (il a co-scénarisé avec Jacques Audiard les extraordinaires films Sur mes lèvres et De battre mon cœur s’est arrêté dont je me retiens avec difficulté de vous parler beaucoup plus longuement). Par ailleurs, il a également travaillé avec la bande dessinée puisqu’il a écrit l’adaptation d’une de ses nouvelles, La boîte noire, et un scénario original, L’outremangeur (qui a eu droit malheureusement à une maladroite adaptation au cinéma), tous deux illustrés par FERNANDEZ. Rien de surprenant donc à ce qu’on ait pensé à lui. Lorsqu’on lui a parlé du projet, BENACQUISTA a évoqué timidement le nom de TARDI, sans oser rêver que ce dernier accepte. Or, non seulement TARDI accepta de participer à l’un des carnets, mais sans savoir que BENACQUISTA avait pensé à lui, il proposa précisément le nom de cet auteur, avec qui il avait envie de collaborer depuis longtemps. Le hasard fait bien les choses. Sauf que ce n’est pas tout à fait le hasard. En effet, ces deux hommes ont bien des points communs : artistes populaires (au sens le plus élogieux du terme) ne se pliant jamais à aucun diktat de la mode culturelle, touches à tout (et avec brio), ils créent ou adaptent de vraies bonnes histoires, avec des personnages sombres mais franchement humains, des camarades terriblement attachants. De plus, tous deux ont un gros faible pour le polar (BENACQUISTA en a écrit de nombreux, TARDI a créé l’enquêteuse Adèle Blanc-Sec et adapté de nombreux Nestor Burma, le détective créé par Léo MALLET). Enfin, ils assument l’un et l’autre une culture populaire (BENACQUISTA dit que sa vocation d’artiste lui vient de la télévision) et n’en sont pas moins de vrais amateurs de littérature (TARDI a adapté, entre autres, des œuvres de CELINE). Ils étaient donc faits pour se rencontrer. De leur collaboration est né Le Serrurier volant : l’histoire de Marc qui, pour oublier la tragédie qu’il a vécue, quitte tout et se reconvertit en serrurier indépendant. Il ferme la porte de sa vie pour ouvrir celle des autres mais certaines serrures vont lui ouvrir des fenêtres sur le passé et lui permettre de penser à l’avenir. Une belle petite histoire, un conte moderne, bien écrit, bien ficelé, mis en valeur par les illustrations de TARDI qui représentent parfaitement l’ambiance décrite par BENACQUISTA. Deux art(tiste)s pour le prix d’un, double plaisir.

PS: il semblerait que les éditions Estuaire aient arrêté cette série, mais le volume BENACQUISTA-TARDI est disponible en Folio.

(Niveau 1)

10 septembre 2009

La part manquante

Les Disparus, Daniel MENDELSOHN

Une enquête sur la part manquante d’une histoire familiale. Une autre manière de parler de l’Holocauste, de l’Histoire et des histoires.

Daniel MENDELSOHN a été, depuis l’enfance, bercé par les histoires de son grand-père maternel : son départ d’une petite ville de Pologne en 1941, son arrivée aux Etats-Unis, … . Des histoires mythiques, répétées sans cesse. Des histoires drôles, souvent. Mais l’histoire qui concerne Schmiel, le frère du grand-père, et ses quatre filles, disparus en Pologne durant l’Holocauste, est une histoire incomplète dont le grand-père n’a jamais donné les détails. Où ? Quand ? Comment sont-ils morts ?
Après le décès de son grand-père, Daniel MENDELSOHN découvre les lettres désespérées de Schmiel, implorant sa famille américaine de l’aider à quitter la Pologne car le pire risquait d’arriver.
L’auteur, passionné par la généalogie, décide d’entreprendre des recherches pour comprendre ce qui est arrivé à ce grand-oncle et à sa famille. Ces recherches vont l’amener à voyager : Israël, Australie, Suède, Ukraine (là où se trouve aujourd’hui Bolechow, la ville dont sa famille est originaire) … Chaque voyage est une rencontre avec les anciens de Bolechow, rares survivants de l’extermination de la population juive de la région, programmée en plusieurs phases par les nazis. A chaque rencontre, de nouvelles informations sur les disparus. Pas uniquement sur leur mort, mais des détails sur leur vie, leur quotidien, leur caractère, … Et aussi le portrait de ceux qui ont survécu et qui, chacun à leur manière, vivent avec le passé. Des rencontres, des voyages, mais aussi d’incroyables hasards qui, jusqu’à la toute fin, permettent à Daniel MENDELSOHN de reconstituer le puzzle.
Un livre sur la tragédie de l’Holocauste mais aussi une réflexion sur comment l’histoire se raconte, se construit et se transmet. De l’importance de dire, ou de ne pas dire. De la difficulté de juger ou de ne pas juger ce que l’on n’a pas vécu. MENDELSOHN s’interroge aussi sur les raisons de sa quête et sur ses propres liens familiaux.
L’histoire de la recherche des Disparus est entrecoupée par des réflexions sur les premiers épisodes de la Torah : la Genèse, Adam et Eve, Caïn et Abel, Noé, Abraham. Il compare, en historien et en spécialiste de la littérature grecque, les différentes interprétations données à ces autres histoires et montre comment elles peuvent nous éclairer sur nos comportements.
Dans ce livre, pas de scoops, par de révélations sensationnelles, mais le récit d’une recherche qui permet de mettre en lumière une autre réalité de l’Holocauste en passant non pas par le collectif, comme dans les lieux de mémoire que sont les camps, mais par le parcours de quelques individus. MENDELSOHN est parfois très sentimental, il le dit lui-même, mais son regard est surtout profondément humain et les questions qu’il évoque dépassent largement son histoire personnelle. Alors oui, c’est très long, très détaillé, mais c’est une lecture assez simple et souvent captivante (sans être pour autant, comme l’indique assez bêtement le quatrième de couverture, « un roman policier haletant » !).

Niveau 3
(Merci à Laurent pour ce conseil judicieux)

3 septembre 2009

Femme à tout faire

La servante écarlate, Margaret ATWOOD

Un roman d’anticipation féministe et étonnant.

Pour la petite histoire, nous cherchions un roman d’anticipation à analyser en classe, dans la veine de 1984 de George ORWELL (que nous avons souvent fait lire à nos élèves). Amandine, qui a toujours le flair, nous a trouvé ce roman d’un écrivain dont nous pensions déjà beaucoup de bien (beaucoup de bien ici et ici). Et ça se confirme.
Donc nous sommes dans le futur, à la fin du vingtième siècle (le livre a été écrit en 1985) et nous écoutons le récit de Defred, une jeune femme habillée de rouge et coiffée d’un voile qui la cache aux regards des hommes. Elle est au service d’un Commandant et de son Epouse : elle est chez eux pour être fécondée. Depuis quelque temps, les naissances sont de plus en plus rares et les couples des classes dirigeantes peuvent avoir recours à ces mères porteuses à domicile, servantes silencieuses et désincarnées. Defred passe son temps à attendre et, par bribes, à penser à avant, au monde d’avant la République de Gilead. Elle était mariée à Luke, avait une petite fille. Mais où sont-ils maintenant ?
Est-il possible pour Defred de devenir cet objet de reproduction qui n’aurait pas de passé et pas d’avenir ? Est-il possible de faire à jamais disparaître le désir et ne limiter l’acte sexuel qu’à la reproduction ? Et comment la démocratie américaine a-t-elle pu en arriver là ?
C’est par petites touches qu’ATWOOD nous décrit la société de Defred, ses codes, son histoire et ses pratiques barbares. Elle imagine ici que la droite ultra-religieuse américaine s’empare du pouvoir, aidée en partie par certains mouvements féministes anti-pornographie. Le tout aboutit à la construction de cette femme-objet, mi-nonne mi-prostituée, soumise et contrôlée. On n’est pas loin de la société de 1984 à ceci prêt que chez ATWOOD ce ne serait pas les progrès technologiques qui permettraient l’instauration d’un régime totalitaire mais plutôt le fanatisme religieux.
Quand on sait combien le débat autour du retour du religieux et de l’effacement de certains principes de la laïcité est d’actualité (notamment la séparation de l’Eglise et de l’Etat), on se dit que La servante écarlate est une mise en garde puissante et pertinente. Le livre est parfois dur, certaines situations peuvent paraître malsaines, mais elles ne sont pas gratuites et servent à dénoncer une dérive et à questionner la place de la femme dans la société.
La force du livre réside également dans la finesse de sa construction et dans la justesse du ton : une distanciation entre le personnage et ce qui lui arrive. On est pris, captivé et tenu en haleine par ce roman qui pourtant se construit lentement. Et les dernières pages, d’une incroyable efficacité, nous amènent vers un autre niveau de lecture (mais nous n’en dirons pas plus…).
Pour terminer, une anecdote qui nous fait sourire, alors que nous nous apprêtons à faire lire ce roman à nos élèves : La servante écarlate a récemment donné lieu à une polémique au Canada. Un parent, dont l’enfant avait dû lire le roman à l’école, a estimé que cette lecture, qu’il considère comme trop brutale, anti-chrétienne et anti-islamique, n’était pas destinée à des adolescents.
Nous sommes déjà curieux de voir ce que nos élèves en penseront… Comme quoi — comprenne qui pourra — nous ne sommes pas du genre à éviter les sujets qui fâchent…

Niveau 2

31 août 2009

L'ombre du froid

Ténébreuses, Karin ALVTEGEN

Un nouveau polar venu du froid ? Pas tout à fait, plutôt un thriller psychologique qui tourne autour de lourds secrets de famille.

Qu’est-ce qui relie les personnages qui apparaissent dans les trois premiers chapitres du roman de Karin ALVTEGEN : le fils du grand écrivain consacré par le prix Nobel de littérature, une vieille dame qui meurt seule et laisse tout à un héritier que personne ne connaît et le petit garçon abandonné par sa mère sur les marches d’un escalier?
Pas question de vous en dire plus et de gâcher le suspense. La reine du polar scandinave nous plonge dans une histoire de famille et de ses secrets en nous dévoilant peu à peu les liens qui existent entre les personnages, et surtout en nous laissant suivre de nombreuses fausses pistes, mises à mal par la subtilité de son intrigue. ALVTEGEN, petite fille de l’auteur de Fifi Brindacier, auteur suédois aussi lue que MANKELL (et vous savez déjà à quel point nous aimons les auteurs de roman policier scandinave : petit rappel ici) signe ici son quatrième roman après Trahie, Honteuse et Recherchée. Ses titres nous démontrent l’intérêt qu’elle porte aux femmes et à leur condition. Si ses livres ont été rangés dans les romans noirs (ce qui n’a désormais plus rien de dévalorisant, le polar ayant enfin trouvé sa légitimité auprès de presque tous les publics), ses romans sont inclassables. Il y a évidemment des intrigues, du suspense et quelques cadavres au fond des placards, mais il y a également une fine analyse psychologique des personnages et de leurs comportements. Des personnages qui dérapent, qui font des mauvais choix, qui en payent les conséquences. Mais d’autres qui décident de changer leur destinée et de se libérer des chaînes qui les entravent. Une écriture fluide dans un récit haletant. Laissez-vous surprendre.

23 août 2009

Instants nippons

La mer, Yoko OGAWA

Un recueil de nouvelles au doux parfum d'étrangeté.

Comme dans La formule préférée du professeur, OGAWA présente dans ces nouvelles des personnages de générations différentes qui, souvent à travers des notions de voyages ou de déplacements, se rencontrent et se nourrissent de souvenirs et d’instants partagés. Par exemple, dans Voyage à Vienne où une jeune femme renonce à ses visites touristiques pour accompagner une vieille dame au chevet d’un ancien amant à l’article de la mort. Des instants suspendus autour d’une action, d’un micro-événement : le passage d’un camion de poussins colorés, une visite guidée ou un trajet en train.
Les nouvelles d’OGAWA échappent au schéma traditionnel du récit avec un début et une fin. Elle saisit ses personnages dans un moment de leur vie, comme une étape dans un parcours plus vaste. Et derrière l’apparente banalité du quotidien qu’elle décrit apparaissent çà et là d’étranges éléments. Comme cette petite fille muette qui collectionne les mues d’insectes ou cet ancien poète reconverti dans la création de titres de souvenirs. Contrairement à son précédent recueil, Tristes revanches, ces histoires restent cependant bien ancrées dans la réalité. Ici pas de carottes en forme de main ou d’apparition de montagnes de kiwi.
La douceur de l’écriture d’OGAWA, la simplicité et la finesse de son style donnent à ses textes des allures de poèmes et certains, mais en disant cela nous sommes presque dans le cliché, partagent avec le haïku cette faculté de capturer le moment et l’émotion.
Et parfois, cette douceur tend vers l’érotisme, comme dans la nouvelle Le bureau de dactylographie japonaise Butterfly. De minuscules caractères de plomb d’une machine à écrire se transforment en objets passeurs de désir et de sensualité.
(Niveau 2)

18 août 2009

Elle à table!

La femme comestible, Margaret ATWOOD

Le portrait d'une femme en proie à l'aliénation dans la société de consommation des années 60. Drôle et implacable.

Fin des années 60 en Amérique du Nord. Marian est une jeune femme en phase avec l'air du temps. Elle travaille dans une société de marketing qui sonde des consommateurs. Elle fréquente Peter, un jeune homme bien sous tous rapports: un possible futur mari? Car comment envisager sa vie sans passer par la case mariage? Marian ne veut pas ressembler à sa colocataire qui, alimentée aux discours psys et féministes, envisage de faire un bébé toute seule.
Alors que Marian s'engage peu à peu sur les rails d'une vie qu'elle pense avoir choisie, les contours de son existence commencent à lui échapper et ce qu'elle croyait jusque-là évident perd de sa clarté. Cela commence notamment par ces aliments que son corps refuse peu à peu d'avaler. Et la rencontre de Duncan, un étudiant lunatique et bohème, l'amène vers des espaces de sa propre vie encore inexplorés.
La femme comestible, c'est cette jeune fille des années 60 et 70, époques d'avant les combats d'émancipation des femmes. Comestible car, comme Marian, elle n'est finalement qu'un produit de consommation parmi tant d'autres. Une chose que l'on peut utiliser, agrémenter, habiller et déshabiller, transformer afin qu'elle corresponde au mieux aux attentes de son mari et de la société.
Le premier roman d'ATWOOD (auteur déjà évoquée ici), qui n'avait jusqu'ici jamais été traduit en français, veut dénoncer la condition féminine de son époque et choisit de le faire par l'humour. Humour grinçant qui démontre un processus d'aliénation bien rôdé et incidieux. Le talent d'ATWOOD est de réussir à rendre, par l'écriture et par un jeu de narration décalé, la transformation du personnage qui s'éloigne toujours plus d'elle-même, jusqu'à une scène finale surprenante et jubilatoire.
(Niveau 3)

15 août 2009

L'amour à l'italienne

Mal de pierres, Milena AGUS

Quelques pages tout en finesse sur la Sardaigne, la folie, l’écriture, la passion et l’amour d’une grand-mère.

Mal de pierres est le récit de vie d’une femme, grand-mère de la narratrice, personnage fantasque et marginal qui est encore célibataire à trente ans (donc presque vieille fille en ce début des années quarante) parce qu’elle fait fuir ses prétendants en leur écrivant de bouillonnantes lettres d’amour et qui écrit, en cachette, sa vie et ses réflexions dans un petit cahier noir, retrouvé par sa petite fille. Quand finalement elle trouvera un mari, un homme bon, qu’elle n’aime pas, et qui l’épouse pour rendre service à sa famille, son « mal de pierres », c’est-à-dire ses calculs rénaux, l’empêchera d’avoir des enfants. Elle partira donc quelques mois dans un sanatorium où elle connaîtra le véritable amour.
A priori, rien d’original dans ce récit de vie et l’on craint de lire à nouveau un auteur qui se contente de se raconter, de raconter sa famille, dans un texte un peu égocentrique et par lequel nous ne nous sentons pas concernés. Mais Milena AGUS (qui dit être une femme qui écrit mais pas encore un écrivain) par une écriture tout en finesse, par une construction originale, par la description de sa Sardaigne, et par une fin assez surprenante, réussit à nous séduire. Un tout petit livre tout en légèreté et en sensibilité.

13 août 2009

Faut-il avoir peur du loup?

Une faim de loup, Anne-Marie GARAT

Une analyse fine et éclairante du Petit Chaperon rouge de PERRAULT par une dévoreuse de mots.


La petite fille, les galettes, le loup, la chevillette et la bobinette, la mère-grand, les oreilles, les yeux, les dents: les ingrédients sont connus et nous ne nous lassons pas d’entendre et de raconter cette histoire cruelle et sanglante (drôle d’histoire à raconter aux enfants avant de dormir…). Le charme continue d’agir et le conte de traverser les générations. C’est, pour l’enfant, l’entrée dans le monde de l’imaginaire, qui préfigure son entrée dans celui de la littérature et de l’art.
Comme souvent, la proximité, l’habitude font que nous passons peut-être à côté de certains détails ou encore ignorons finalement pourquoi ce conte est à ce point fascinant.
Anne-Marie GARAT (que nous aimons beaucoup beaucoup) propose une lecture du conte de PERRAULT, l’original, pas celui où un gentil chasseur viendrait délivrer la jeune étourdie du ventre du loup (comme dans la version des frères GRIMM). Non, GARAT se penche sur ce petit bijou littéraire du 17ème siècle et en donne une analyse selon différents angles. Histoire et histoire littéraire, sociologie, psychanalyse, linguistique, étude stylistique.
Dans la Psychanalyse des contes de fées, Bruno BETTELHEIM avait déjà proposé une analyse psychanalytique du conte, mais sans utiliser la version de PERRAULT.
Le texte est archi-connu, mais pourtant, à y regarder de plus près (et c’est à relire de toute urgence ici), il semble soudain abriter des mystères. Pourquoi la mère et la mère-grand sont-elles « folles » de l’enfant ? Pourquoi la fillette, pas idiote, ne voit-elle pas la différence entre le loup déguisé et son aïeule ? Et pourquoi, alors que finalement elle n’est coupable d’aucune désobéissance, le Petit Chaperon rouge est-elle dévorée par le loup ?
A travers l’observation fine et pleine d’intelligence des mots et du récit, dont la cruauté n’a pas d’équivalent dans les autres Contes de ma mère l’Oye, GARAT nous ouvre les yeux sur la multiplicité des sens que nous pouvons dégager. Et nous fait découvrir des évidences insoupçonnées. Par exemple, nous pensions savoir ce qu’est un chaperon : une petite cape dotée d’un capuchon. Et bien pas du tout ! Le chaperon est une coiffe, « un petit bandeau d’étoffe rembourrée porté sur le haut de la tête » (p. 100), un accessoire qui, à l’époque de PERRAULT, était déjà passé de mode depuis longtemps. Pourquoi dès lors la mère-grand a-t-elle affublé la petite de cette coiffe de vieille femme ? Et rouge en plus !
Selon GARAT, ce que le conte peut nous apprendre, par-delà sa morale convenue sur le fait qu’il faut se méfier des beaux parleurs, est les dangers du dévoiement des rapports mère-fille.
Par delà l’histoire, le récit, il y aussi une analyse précise de la langue, du matériau du conte et de son jeu sur l’oralité. C’est le plaisir des mots, le goût des sonorités, du langage. Et pour nous amener au plus près de cette histoire de dévoration, Anne-Marie GARAT se fait loup. Car, comme pour chaque livre de l’auteur, on reste enchanté par cette langue qui se régale des mots, s’amuse avec eux. Et de ce loup-là, nul besoin de se méfier.

11 août 2009

La brève et merveilleuse vie d'Oscar Wao

La brève et merveilleuse vie d'Oscar Wao, Junot DIAZ

Oscar est un adolescent obèse, mal dans sa peau, passionné de jeux vidéo et de littérature fantastique, qui tombe amoureux à tout bout de champ mais qui n'arrive jamais à conclure. Comme l'annonce le titre, Oscar mourra jeune et son pote Yunior décide de raconter sa brève existence. Mais il narra aussi l'histoire familiale d'Oscar et son récit prendra l'allure d'une véritable saga. Originaire de Saint Domingue où se déroule une grande partie du récit, la famille d'Oscar émigrera aux Etats-Unis, au beau milieu du New-Jersey. Ainsi, notre narrateur narrera Saint Domingue, les horreurs du régime du dictateur local Trujillo, le "fukù", cette la malédiction dominicaine qui frappera la famille d'Oscar mais aussi la petite ville américaine de Paterson et la difficulté d'être un adolescent, surtout si on est différent.
Un récit coloré, loin d'un exotisme cliché, et une langue mélange d'anglais, d'espagnol, d'expressions dominicaines et d'argot hip hop. Une langue qui déroute, au début, et qui rend la lecture un peu ardue. Puis la langue se fluidifie (ou est-ce nous qui nous habituons ?) et la lecture de cette extraordinaire histoire familiale et de ce pays méconnu devient tout à fait savoureuse. Notons que Junot DIAZ a gagné, pour ce livre, rien de moins que le prix Pulitzer. Un livre comme un contresort à la malédiction : un zafa !

PS: Nouveauté sur Voyelle et Consonne: vous pouvez dorénavant laisser vos commentaires!