Un été à Cold Spring, Richard YATES
Auteur de la désillusion, Richard YATES nous compte l'été de deux familles, aussi vide et sombre que le sera leur futur.
Inutile de rappeler, sans doute, que Richard Yates serait aujourd'hui un auteur tombé dans l'oubli si Kate Winslet n'avait pas eu la bonne idée de donner à son mari Sam Mendes l'une de ses œuvres qu'il s'empressa de réaliser. Depuis, YATES est devenu un écrivain culte au même titre que ceux qu'il a inspirés, des auteurs tels que Ford ou Carver.
Un été à Cold Spring est tout d'abord l'été d'Evan Shepard, beau gosse dont on comprend très vite qu'il ne fera jamais rien de bon dans la vie, au grand désespoir de son père qui tente, à force d'empathie et de compréhension, de persuader son fils de "prendre sa vie en main". Mais Evan accumule les erreurs et chacun de ses choix (ou de ses non-choix) nous confirme qu'il est destiné à rater son existence. Au sortir du lycée, Evan se voit plus ou moins contraint d'épouser la fille qu'il a engrossée et de continuer son métier d'ouvrier pour subvenir aux besoins de sa famille. Lorsque sa femme, très vite étouffée par cette vie étriquée, le quitte, Evan décide, sans grandes convictions, de reprendre des études, à la grande satisfaction de son père. Mais la rencontre avec Rachel Drake, jeune fille innocente dont la fragilité agace parfois le lecteur, n'annonce rien de bon pour la suite. Rachel coincée avec son petit frère par une mère "en quête d'amour", qui pour oublier ce manque et sa jeunesse perdue boit dès le petit matin, voit sans doute en Evan la possibilité de changer de vie. Très vite, trop vite, Evan décide d'épouser Rachel qui tombera enceinte quelques semaines plus tard. Et sans vraiment s'en rendre compte, poussé par sa jeune-femme pleine de contradictions - chaque tentative de Rachelle pour éloigner sa mère ne fera que rapprocher les deux femmes — le jeune-homme se retrouve à vivre dans une maison située dans la ville de ses parents, avec sa femme, son jeune beau-frère, qui se démène comme il peut dans l'atmosphère gluante qui l'entoure et sa belle-mère, femme définitivement toxique. Le temps d'un été ces différents personnages auront alors l'occasion de voir leur vie se déliter et leur avenir s'assombrir.
On retrouve, dans cet Eté à Cold Spring, les thèmes chers à Yates (dont nous avons déjà parlé ici) : la petite bourgeoisie de l'Amérique d'après-guerre, le manque d'ambition, le désenchantement et la médiocrité. Les hommes perdent leur virilité (le père et le fils Shepard sont tous deux écartés de l'armée pour raisons médicales), les femmes sont tour à tour jeunes et écervelées, puis vieilles et décadentes. Les vies s'enlisent et les jeunes (à l'image du frère boutonneux de Rachel) perdent leurs illusions.
Et pourtant, on se surprend à s'attacher à ces personnages, à leur vouloir du bien même si l'on sait que l'on lit la chronique d'une déchéance annoncée. Nous comprenons leur douleur et leurs rêves. Et puis l'on ressent la moiteur de cet été américain, qui colle à la peau, comme le malheur.
Et l'on se dit qu'on a bien fait de redécouvrir ce grand écrivain qu'est Richard Yates.
En espérant que votre été a été tout le contraire de celui du livre, nous vous annonçons le retour de vacances, avec des valises pleines de lectures achevées, de Voyelle et Consonne, ravis de vous retrouver pour une nouvelle année (scolaire... parce que nous, les profs, on compte surtout en années scolaires) pleine de livres et de partages !
Références :
Richard YATES, Un été à Cold Spring, Robert Laffont, 2011