31 octobre 2010

Pour Voyelle

Indignation, Philip ROTH

Un roman profond et juste sur la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte. Presque une révélation.


Je n’aimais pas Philip ROTH. Malgré les nombreuses tentatives d’Amandine, la Voyelle de notre duo (qui clame son amour pour l'auteur ici), malgré ses éloges incessants, malgré la variété de ses arguments (« Tu n’as pas aimé car ce n’était pas le bon moment », « Il vaudrait mieux découvrir l’auteur par un autre roman », « Tu es vraiment une tête de mule »…) : rien n’y faisait. J’ai essayé, j’ai lu et j’ai, invariablement, abandonné.
Mais comme l’amitié c’est sacré et que je voulais tant lui dire que, oui, ROTH est un auteur génial, j’ai retenté le coup. Et miracle : ça a marché !
Il y a deux ans de cela, j’avais été énormément touché par Un homme qui racontait la vie d’un homme ( !) sur le point de mourir. Justesse du ton, pudeur et retenue, mélancolie drôle.
Et pour Indignation, dernier ouvrage paru en français, mon enthousiasme est encore plus débordant. Lu en un temps record, le roman m’a emballé et, à nouveau, pas mal secoué.
En 1951, alors que de jeunes Américains continuent de mourir sur le front de la guerre de Corée, Marcus Messner quitte la demeure familiale pour entamer sa deuxième année d’université au Winesburg College, dans l’Ohio. Fils d’un boucher kasher de Newark, Marcus ne peut plus supporter l’inquiétude grandissante et écrasante de son père qui s’imagine que son fils, pourtant sérieux et travailleur, pourrait commettre d’absurdes faux-pas qui viendraient mettre un terme à ses possibilités d’ascension. La qualité de l’enseignement dispensé à Winesburg n’a rien d’exceptionnel et les valeurs patriotiques et religieuses qui fondent la tradition de l’école n’arrangent pas les choses, mais pour Marcus, mieux vaut cela que d’être face à la détresse paranoïaque de son père ou, pire, d’aller mourir en Corée. Studieux, appliqué, il se conforme à tout mais refuse de participer à la vie sociale de l’université (et notamment de faire partie d’une fraternité). Immergé dans un monde aux valeurs morales étriquées et pudibondes il n’en ressent pas moins du désir pour le sexe opposé. C’est ce qui le pousse à inviter la belle Olivia à un dîner qui, il l’espère bien, lui rapportera ses premiers succès amoureux. La découverte du plaisir coupable sonnera pour Marcus le début d’une série d’incidents désastreux l’obligeant à poser des actes et à prendre position face au monde que la société et ses parents lui proposent d’embrasser.
Même si l’Amérique chrétienne et conservatrice des années 50 est le cadre du livre, ROTH fait de son personnage un jeune homme aux aspirations intemporelles : grandir sans trahir, faire son chemin, être fidèle à soi-même, se confronter aux autres, découvrir l’amour et le sexe. Marcus cherche sa voie dans un monde fait de normes et de barrières et, même si ils sont légitimes, ses rêves se brisent souvent au contact de la réalité du monde qui l’entoure. L’emprise familiale dont il tente de se défaire dans la violence lui cause d’invisibles blessures qui se noient dans le sang, image récurrente et prégnante. Un fils de boucher, rompu aux solutions tranchées, découvre la complexité d’un monde construit sur des discriminations, sexuelles, religieuses ou raciales.
Portrait d’une époque mais surtout d’une étape dans la vie de chaque être humain, Indignation est un roman profond qui, sans jouer la carte de la sentimentalité, émeut par sa justesse. L’écriture de ROTH touche et amuse, avec finalement une certaine forme de tendresse et, en ce qui me concerne, fait résonner pas mal de souvenirs de l’adolescence et du début de l’âge adulte.
Alors oui, Amandine, pour moi aussi Mr. ROTH est un auteur génial.

PS: si d'aventure un certain professeur d'histoire amateur de mouches et ramasseur de pommes passait par ici, je lui recommande tout particulièrement ce livre.

28 octobre 2010

Attention : chute d’idéaux !

Divines amours, Michael BRACEWELL

Roman doux-acide sur un groupe de jeunes adultes idéalistes en Angleterre à la fin des années 1970: so british !

Kelly O’Kelly, à la fin de sa scolarité, obtient une bourse pour rejoindre une école d’art de Brighton. Douée mais fragile, Kelly se remet difficilement de son début d’histoire d’amour avortée avec Miles Harrier, un jeune homme de bonne famille qui, à l’aube de sa vie d’adulte, voit son cœur balancer entre Stella et Lucinda, deux amies d’enfance. L’une est mannequin, beauté naturelle, entêtante mais réservée ; l’autre, charmante et cultivée, démarre une carrière dans le monde de la pub. Dans l’Angleterre de la fin des années 1970, l’avenir semble sourire à ces jeunes gens qui pourtant peinent à trouver le bonheur. Jouets d’un destin cruel et ironique qui les manipule comme des pions sur un jeu d’échec, ils devront faire face aux coups du sort pour tenter de concilier leurs idéaux incertains avec la, parfois dure, réalité de la vie.
J’avais découvert Michael BRACEWELL il y a deux ans de cela à travers son roman Un éternel jeune homme, sorte d’éducation sentimentale d’un jeune esthète à l’heure du thatchérisme. Drôle et féroce, le livre m’avait surtout impressionné par le peu d’empathie de l’auteur pour ses personnages. Ici, c’est avant tout une ironie délicatement acide qui vient claquer à la figure des protagonistes. Les retournements de situation, ces coups du sort qui viennent frapper les personnages de plein fouet (le ciel leur tombe souvent littéralement sur la tête), sont extrêmement drôles et cruels à la fois. Les pensées des personnages et leur environnement sont décrits avec la minutie d’un auteur naturaliste du 19ème siècle mais toujours avec le petite pointe de distance qui, à la fin d’une phrase, vient saisir le lecteur pour faire tomber les masques. Derrières les préoccupations profondes de ces jeunes aristocrates se cachent des envies et des désirs refoulés, des blessures, des cicatrices. Leur aspiration au bonheur et au conformisme se heurte à une réalité qui les dépasse et nous fait sourire. Humour acide et raffiné : de la toute grande britishitude.
C’est également, à côté de ces marivaudages amoureux, un roman de mœurs et de société qui donne à voir l’aristocratie et la haute bourgeoise anglaise face à un monde en pleine mutation. Londres, ville de plaisirs et de séduction, vibre d’un mouvement perpétuel qui rejette à la marge ceux qui ne peuvent pas, par naissance ou par fortune, y adhérer. Et à la lisière des grandes villes apparaissent de nouvelles cités, modernes et fonctionnelles, garnies de galeries marchandes et d’habitations confortables et uniformes. La scène musicale explose et, après la vague punk, apparaît la new wave et les prémices d’une société de divertissements.
A côté de son regard de sociologue, BRACEWELL est également un grand conteur, capable d’emmener le lecteur très loin dans l’esprit de ses personnages, énervants et attachants, qui tentent vainement de conformer leurs actes à leurs croyances et à leurs espérances. On pense souvent à Jonathan COE, dans la capacité à portraiturer finement une époque et une génération, la tendresse en moins.

PS: petit message à l'éditeur, si d'aventure il passait par ici. La couverture ne rend vraiment pas compte du livre et je dois bien avouer qu'elle m'a même un peu rebuté, voire même un peu gêné quand je lisais dans les transports en commun...

Un livre lu dans le cadre d’un partenariat organisé par Blog-O-Book, que nous remercions une fois encore chaleureusement, avec les éditions Phébus.

21 octobre 2010

Ça c’est Paris !

Mémoires de Montparnasse, John GLASSCO

Autobiographie d’un apprenti poète canadien dans le Paris de l’entre-deux guerres ou le triomphe de la jeunesse.

Sur les bons conseils de mon dealer Vincent, je me suis laissé tenter par ces mémoires d’une époque qui me plait énormément : l’entre-deux guerres. Période où Paris était la capitale mythique des arts et des artistes, qui s’y retrouvaient dans quelques bars interlopes pour y deviser modernité. C’est en tout cas ce Paris-là que John GLASSCO, Canadien de 18 ans, est parti découvrir pendant trois années, laissant derrière lui un père qui ne voyait pas d’un très bon œil les aspirations littéraires de son fils. Car John se pique de poésie et pense que Paris fera de lui un grand poète surréaliste. Abandonnant rapidement son projet initial, il se lance par intermittence dans la chronique de sa découverte de la vie parisienne. Il terminera son récit deux ans plus tard, sur un lit d’hôpital à Montréal, dans l’attente d’une opération qui pourrait lui coûter la vie, ce qui donne à l’écriture un sentiment d’urgence et d’incroyable vitalité.
Lorsqu’il débarque à Paris, avec son ami Graeme Taylor, la petite rente que lui verse son père leur permet de vivre comme des rois tant le taux de change s’avère avantageux. Mais lorsque la rente diminue et que la crise économique fait chuter le cours du dollar, c’est le début d’une vie de bohême, à la recherche d’un toit et d’un travail. Qu’à cela ne tienne, John sait rebondir : il tape des manuscrits, se fait secrétaire particulier d’une fausse princesse, gigolo et pose même pour de photos pornographiques.
GLASSCO prend le pouls de la ville et offre à travers ce récit autobiographique une ode à l’innocence et à la jeunesse qui vit sans connaître la peur du lendemain. Une vie d’excès en tous genres et en tous sens, sans contrariétés : boire, manger et faire l’amour, ad libitum. Le milieu que fréquente GLASSCO aborde la sexualité avec une candeur et une légèreté qui, rétrospectivement, fascine et remet un peu en question notre prétendue « libération sexuelle ». Dans ce manège incessant de soirées et de rencontres fortuites, GLASSCO croise la crème des artistes et des personnalités de l’époque : Tristan Tzara, Robert Desnos, Marcel Duchamp ou encore l’extravagante Kiki de Montparnasse. Pour peu que vous ayez de l’intérêt pour ces années de grande fécondité artistique, vous ne pourrez que savourer les portraits que le jeune auteur dresse, souvent de manière espiègle, de James Joyce, Gertrude Stein, André Breton, Ernest Hemingway, Man Ray … Tout ce petit monde, des expatriés pour la plupart, discute littérature, poésie, art, philosophie et anime la Rive Gauche. Il faut donc connaître un minimum ces artistes afin d’apprécier au mieux le récit. (La présente édition propose, à la fin du livre, un « Index des personnes » très bien conçu).
Ce qui prédomine au final, c’est l’énergie et l’innocence amusée de ce jeune homme face à cet univers festif et intellectuel. Et si ces confessions évitent soigneusement toute nostalgie, il n’en va pas de même pour le lecteur qui ne peut que regretter de n’être pas né plus tôt.
McAlmon, Glassco, Taylor, Nice 1929
Un extrait à lire sur le site de l'éditeur: ici.

19 octobre 2010

Rencontre en couleurs


Jean-Michel BASQUIAT, Slave Auction (1982)
L'activité bloguesque nous apporte, depuis plus de deux ans maintenant, bien des plaisirs. Celui de partager nos lectures, bien sûr, mais aussi de lire vos réactions, vos idées, vos compliments et d'ainsi rencontrer, de loin, d'autres lecteurs. Parfois, c'est aussi l'occasion de rencontres en chair et en os! Comme cet été, à l'occasion du passage de Karine en Belgique et plus particulièrement chez Miss Ketchup aka Bookomaton
Et, à l'occasion d'un passage à Paris l'hiver dernier, la rencontre avec Laurent d'In Cold Blog. Nous avons remis cela samedi passé, à Paris une fois encore (les Français craignent-ils de s'aventurer jusque dans les contrées, pourtant pas si reculées, de la Belgique?). Un très bon moment, en bonne compagnie et aussi l'occasion de partager nos impressions sur la très belle exposition Basquiat du musée d'Art moderne de la ville de Paris. Une rage de peindre, un geste vif et enlevé, sans compromis et de la couleur qui jaillit et rebondit partout sur les toiles. A voir absolument.

Et pour le coup, nous n'avons absolument pas parlé littérature!

15 octobre 2010

Vider les placards de l'Histoire

Purge, Sofi OKSANEN

Plongée dans la période soviétique de l’Estonie pour y déterrer des secrets de famille. Un premier roman dur et percutant.

La chambre d’Aliide, dans une petite maison de la campagne estonienne. La vieille femme est comme hypnotisée par une mouche qui, si elle arrive à la cuisine, risque de gâcher la viande. C’est plus qu’un insecte, c’est une obsession, un obstacle à la tranquillité, au repos de l’âme. Cette mouche appelle à la vigilance : les plus grands dangers ne viennent pas toujours de l’extérieurs. Et Zara, la jeune femme qu’Aliide découvre un matin dans la cour de sa maison? Représente-t-elle une menace, fait-elle partie d’un plan pour s’emparer des modestes de bien de la vieille ? Non, c’est juste une enfant perdue, une jeune Russe accrochée dans les filets d’un sordide trafic d’êtres humains. Une victime qu’Aliide est prête à défendre, quitte à faire remonter à la surface des souvenirs enfouis, des secrets de l’époque où l’Estonie était soviétique.
Ne pas trop en dire car le roman utilise avec ingéniosité les effets de surprise dans une construction où le passé et le présent des différents personnages se croisent, à travers les lieux et les époques. OKSANEN, dont c’est ici le premier roman, embarque son lecteur dans une revisitation de l’histoire du vingtième siècle. Plusieurs voix nous conduisent le long des chemins de la mémoire, à l’affût des secrets et des blessures, vers des époques où la suspicion était constante, où la dissimulation était devenue un mode de vie et où il fallait choisir son camp : victime ou bourreau. Certaines scènes, d’hier et d’aujourd’hui, font frémir : une violence sourde et tranchante (mais pas complaisante). Au cœur de ce roman, le parcours de ces deux femmes, Aliide et Zara : deux visions de la femme, deux époques mais aussi un même destin capturé par le style puissant et acéré de la jeune auteure.
Malgré toutes ces qualités, il m’a fallu beaucoup de temps pour rentrer dans ce roman. Une question de timing, un moment où je n’avais peut-être pas trop la tête à lire, un trop plein de lectures après un mois de septembre gargantuesque. Mais, avec un peu de recul, je garde un excellent souvenir de ce livre dur et percutant que, comme une bonne partie de la blogosphère (comme Leiloona ou Keisha), je vous recommande vivement.

13 octobre 2010

Femme ardente

Sanctuaires ardents, Katherine MOSBY

Pour certains "différente", pour beaucoup "folle", Vienna Daniels, par sa soif de vivre, son amour de la nature et de la culture, détonne dans cette petite ville de Virginie et réveille les langues de vipères. Le récit d'une révolte par l'auteure de Sous le charme de Lillian Dawes

On a beaucoup entendu parlé, en francophonie, de Katherine MOSBY lors de la parution de son roman Sous le charme de Lillian Dawes. Or il s'agit déjà de son quatrième roman. Son premier, Sanctuaires ardents, sorti en 1995, vient enfin, pour notre plus grand bonheur, d'être publié en français.
Nous sommes dans les années 30, à Winsville, petite bourgade de Virginie. Lorsque la famille Daniels débarque sans prévenir pour s'y installer, la ville est en émoi. Si Willard Daniels parvient très vite à charmer la population de Winsville, Vienna, elle, originaire d'une riche famille new-yorkaise, intrigue d'abord, par sa beauté et ses manières de grande dame, énerve ensuite, parce que jamais elle n'essaye d'adopter les mœurs de son lieu d'adoption, pour finalement susciter un rejet quasi unanime. Vienna, en effet, n'accepte aucune concession. Elle rejette la bêtise, l'ignorance, le conformisme et surtout le faux-semblant. Sa liberté d'esprit et sa fantaisie excèderont Willard au point qu'un soir, il s'enfuit lâchement de la demeure familiale, abandonnant sa femme, sa toute petite fille et son bébé à naître. Et Vienna continuera sa vie, sa lutte contre la soumission en élevant seule ses deux enfants chéris, Willa et Elliott. La famille Daniels restera toujours en marge de Winsville car il est impossible pour Vienna de jouer le rôle qu'on attend d'elle, de se conformer à ce mode de vie provincial ou d'adhérer aux valeurs dominantes. Luttant contre la ségrégation dans un lieu ou le KKK est encore bien présent, refusant que ses enfants aillent à l'école dont le niveau est des plus désolants, se dérobant à toutes les mondanités et autres pratiques sociales, Vienna se coupera peu à peu du monde, entraînant ses enfants sans sa solitude. Mère aimante, magnifique mais non parfaite, elle éduquera ses enfants en leur enseignant la joie de vivre et l'amour des belles choses mais ne les armera pas pour s'insérer dans le monde. Par ailleurs, la douleur n'épargnera pas Vienna qui perdra successivement tous ceux qu'elle aimait et qui la maintenaient debout. Des drames saisissants, qui nous laissent, nous lecteurs, transis de tristesse...
L'écriture de Katherine MOSBY est belle, pleine de finesse et de nuance. L'évocation des gens est souvent mise en rapport avec la nature, le temps, la lumière : « Ils ne semblaient pas habiter le monde de la même façon que lui, rivé à la terre par sa large ossature à chacun de ses pas pesants. […] La famille Daniels suscitait en Addison le besoin d’une langue plus extravagante que ne le permettait son maigre vocabulaire. Plus tard, il ne pourrait expliquer ce qui avait rendu cette première rencontre avec les Daniels aussi fondamentale, mais il se rappellerait la façon dont la lumière miroitait à travers les branches des platanes, les feuilles en mouvement pointillant le sentier de cette même luminescence qu’il sentait à l’intérieur de lui, excitante et insaisissable. » Vienna, d'ailleurs, comblera sa solitude en s'occupant activement de tous les arbres et plantes de la ville et Elliott passera des heures à recueillir et à soigner des animaux blessés. Ce rapport à la nature donne au livre une sensation de légèreté malgré les tragédies que vont vivre les Daniels et cette mélancolie presque palpable qui enrobe tout le livre. Un récit poignant qui parle d'une femme entrée en résistance contre la mesquinerie de la nature humaine.

Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions Quai Voltaire/La Table Tonde, organisé par les bons soins de BOB que nous remercions chaleureusement.

7 octobre 2010

Le plus bel âge

Gentlemen, Klas ÖSTERGREN

Un roman culte suédois et ce n’est pas un polar !

Le jeune Klas fait la rencontre d’Henry Morgan dans son club de boxe à la fin des années 70. Klas est un écrivain qui vit en dilettante en bouclant les fins de mois par de petits boulots sans grand intérêt. Amusé par l’enthousiasme communicatif d’Henry, dandy fantasque et charismatique, il se laisse facilement entraîner et, comme il a perdu la plupart de ses biens dans le cambriolage de son appartement, il accepte l’invitation de son nouvel ami à venir partager son grand appartement. La cohabitation tient de l’état de grâce. Dans une atmosphère propice à la création, Klas se lance dans l’adaptation contemporaine d’un classique de la littérature suédoise tandis qu’Henry peaufine la partition d’Europe, fragments désagrégés, œuvre musicale qui lui apportera la gloire. Mais la réapparition de Leo, le frère cadet d’Henry, va venir bousculer la dolce vita suédoise des deux jeune hommes. Alors qu’Henry est extraverti et bon vivant, son jeune frère, poète précoce, est renfermé et sujet à de terribles crises qui l’éloignent toujours un peu plus du monde des vivants, de l’enfermement autistique au penchant mortifère pour certaines fleurs du mal.
Histoires de famille, réflexions philosophiques, esthétiques, histoires d’amour, femmes fatales, secrets d’Etat et même chasse au trésor : c’est toute la panoplie de la littérature qui est ici déployée par ÖSTERGREN pour donner corps au destin des deux frères que son double littéraire semble aduler. Le roman se révèle lentement et change souvent d’orientation, surprenant le lecteur jusqu’aux dernières lignes.
On lit avec beaucoup de plaisir cette chronique pleine de charme et d’originalité qui va des années 50 à la fin des années 70, intrigué et charmé comme le narrateur par cette fratrie hors-norme. Le style d’ÖSTERGREN est assez original et étonnant quand on sait que l’auteur n’avait que 25 ans au moment de la parution, en 1980, de ce roman, culte en Suède. Il a donné suite à l’histoire des frères Morgan en 2005 avec Gangsters.

2 octobre 2010

Penser par le petit écran

Philosophie en séries, Thibaut de SAINT MAURICE

Non, je ne passe pas des heures vautré devant la télé: je philosophe, nuance !

La rentrée : cap difficile à passer pour les élèves… comme pour nous. Se remettre dans le bain et trouver le moyen de s’améliorer, de se renouveler, d’essayer de nouvelles pistes pour éviter l’engourdissement. Cette année, pour aborder en douceur le programme de dernière année, nous avons proposé à nos chers petits de se pencher sur un essai qui a pour objet l’une de nos activités chronophages favorites : les séries télévisées.

Dire que les séries américaines des quinze dernières années ont révolutionné les codes de production du récit est une banalité ; elles sont aujourd’hui disséquées un peu partout et ont droit à tous les honneurs, au point de faire de l’ombre au cinéma. L’originalité de ce livre aux intentions clairement pédagogiques est d’envisager ces histoires et ces personnages sous l’angle de la philosophie. Voir quelles grandes problématiques philosophiques sont mises en scène dans ces produits de la culture de masse. Et à travers différentes questions, en profiter pour aller faire un tour du côté de la pensée de quelques grands philosophes. C’est ainsi que l’on pourra, par exemple, se pencher sur les agissements de Jack Bauer (24 Heures Chrono) à l’aune de la morale kantienne, comparer les procédés utilisés par les Experts avec la recherche de la vérité chez Aristote ou encore envisager les péripéties de Wisteria Lane (Desperate Housewives) sous l’angle du pessimisme de Schopenhauer. L’auteur envisage, d’Alias aux Soprano, en passant entre autres par Grey’s Anatomy, Lost et Six Feet Under, les séries phares de ces dix dernières années. Bien sûr c’est de la vulgarisation (ça s’adresse avant tout à des lycéens) mais bien tournée (ce n’est pas du Luc Ferry). Simple et pas simpliste, avec des courts extraits de textes d’auteurs commentés. L’idée a de quoi faire sourire (Eva Longoria chez Schopenhaueur, il fallait y penser…) cependant le résultat est intéressant (et semble avoir intéressé nos élèves, ouf !) et permet aussi d’ éclairer autrement le succès écrasant de ces programmes.

Profitons en, pour faire écho à un billet récent du Bookomaton, pour faire ici notre coming out : bonjour, je m’appelle Voyelle, bonjour je m’appelle Consonne et nous sommes complètement accros aux séries télés ! Oui, nous pouvons passer des heures devant la télé à nous passionner pour ces petits joyaux d’inventivité (comme quoi, la télé n’éloigne pas de la lecture).
Tour d’horizon de nos dernières grandes émotions :
True Blood : Ok, c’est un peu mode tous ces vampires. Mais contrairement aux atermoiements pseudo-romantiques de Twilight, ceux-ci mordent la vie à pleines dents (ok, c’est fin de semaine…) dans une métaphore politique de l’Amérique puritaine. Beaucoup de sang, beaucoup de sexe : on aime beaucoup.

United States of Tara : Un pitch un poil excessif : une mère de famille laisse libre cours à ses personnalités multiples, devenant selon le contexte une ado allumeuse, une mère au foyer des années 5O ou un vétéran du Vietnam. Et pourtant ça marche. Drôle, incisif avec des personnages secondaires justes et attachants.

30 Rock : De quoi se réconcilier avec la sitcom. Après un début simplement drôle, la série s’envole très vite vers quelque chose de délirant et ultra-addictif. Des gags qui tombent juste et une écriture comique implacable, pas politiquement correcte. Et puis surtout un personnage qu’on adore : Kenneth !



Mad Men : Pour terminer, la Rolls, la toute grande classe, de quoi nous consoler de la fin de Six Feet Under (ça fait maintenant cinq ans et on a encore un peu de mal…). Les années 50-60, dans une agence de pub américaine et dans le quotidien tourmenté de ses employés aux prises avec un monde qui commence à frémir. Que ce soit dans le soin apporté à la reconstitution, dans la réalisation, dans la construction complexe des personnages, dans un rythme qui étonne, tout participe à faire de cette série l’une de plus belle et des plus abouties de ces dernières années.