D’autres vies que la mienne, Emmanuel CARRERE
Confusion face à un livre dur, juste et (trop ?) intime.
Si l’on en croit les innombrables classements de fin d’année des magazines, journaux et autres blogs, le dernier livre d’Emmanuel CARRERE aura été l’un des meilleurs de 2009. J’en avais bien sûr entendu parler au moment de sa sortie mais l’envie n’y était pas. Finalement, comme mes collègues et amies du groupe de lecture ne tarissaient pas d’éloge et comme il fallait que le livre continue de tourner, je me suis proposé.
Difficile de dire si j’ai aimé ou pas. Je dois faire le tri et comprendre les émotions contradictoires qui m’ont traversé pendant la lecture (ce qui est, en soi, peut-être un signe qualité).
L’auteur a assisté en très peu de temps à deux événements bouleversants: la mort d’un enfant au Sri Lanka lors de la grande vague qui a ravagé les côtes de l’Asie du Sud (pour l’auteur, le mot tsunami n’est qu’une formule vide de sens) et la mort de sa belle-sœur, atteinte d’un cancer. Témoin de ces tragédies, CARRERE décide, en acceptant la proposition de certains protagonistes, de les écrire.
Plus que celles des disparus, ces autres vies sont avant tout celles des rescapés, héros grands et dignes: des parents qui ont perdu leur fille et une famille qui a perdu une mère et une épouse. CARRERE interroge, écoute, prend des notes et fait revivre les rencontres, les parcours, les moments de joie et les heures noires. Il y a quelque chose de cinématographique dans l’écriture, chaque vie étant ramenée à une série de scènes décrites avec simplicité, évitant le pathos tout en laissant filtrer les émotions. Alors c’est triste, oui, mais c’est aussi toujours du côté de la vie, de la résilience (pour reprendre un terme un peu trop à la mode), rien n’est morbide ni complaisant.
Une partie importante du livre est consacrée à un collègue de sa belle-sœur, un juge qui, comme elle, a décidé d’appliquer les lois qui penchent davantage vers ceux qui sont sans défense face aux grands groupes financiers. L’auteur dresse un portrait dur de la misère contemporaine, du cynisme des lois et, surtout, de la force et du courage de ces petits Don Quichotte anonymes qui luttent à leur échelle pour que triomphe la loi du plus faible. Ce serait peut-être là l’une des clés du livre : nous avons tous une place, quelque chose à faire de nos existences ; la difficulté d’être est alors celle de trouver sa juste place, ce qui, pour les protagonistes revient à soutenir les autres et tenter de faire le « bien ». A vous de juger de la valeur de l’opinion… En parcourant la vie des autres, CARRERE en revient souvent à la sienne, à son couple, à ses envies d’ailleurs impossibles à contenter et à son incapacité à trouver sa place.
Les drames exposés dans le livre peuvent nous en rappeler d’autres ou, comme pour l’auteur, nous ramener à la conscience de la fragilité du bonheur de vivre auprès de ceux qu’on aime. Alors on a souvent la gorge serrée par l’émotion et, mais je ne voudrais pas que cela sonne comme du mauvais mélo, on verse aussi quelques larmes. CARRERE le dit à un moment, il veut que son écriture soit efficace. C’est ici pleinement réussi.
Mais à côté de cela, j’ai éprouvé un étrange malaise durant tout le livre. Je me suis senti parfois voyeur face à la tristesse de ces familles dans la tourmente de la mort et de la maladie. De l’empathie mais aussi l’impression d’être de trop et de violer en quelque sorte un territoire intime. Tout est vrai nous dit CARRERE. Peut-être est-ce là, pour moi, ma limite en littérature, même si le livre se tient très loin des logorrhées nombrilistes et vaines de certains auteurs français contemporains.
J’avais éprouvé la même gêne à la lecture de L’adversaire. A la fois horrifié et fasciné par la vie de Jean-Claude Romand, que pouvait-on retirer de ce fait divers, tragique et macabre, sinon notre propre besoin de fascination pour des faits divers hors norme ?
Au final, pas d’avis tranché, mais bien une certaine confusion. Ce n’est pas un livre qu’on aime ou pas, encore moins un livre que l’on conseille ou non. A vous de voir.