Esprit d’hiver, Laura KASISCHKE
Un roman intimiste et angoissant où, une fois encore, Kasischke règle ses comptes avec les fondamentaux de l’american way of life tout en déjouant les attentes du lecteur.
Un matin de Noël, au réveil. Holly est soudainement face à une évidence terrible : « Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux. » Et si elle n’avait abandonné depuis longtemps l’idée de devenir une grande poétesse, Holly se serait isolée pour coucher sur le papier cette idée dont la puissance la laisse un peu hagarde.
Mais pas de temps pour l’écriture : elle s’est réveillée plus tard que d’habitude et il faut s’affairer aux préparatifs de la fête. Eric, son mari, est déjà en route pour aller chercher sa famille à l’aéroport. Tatiana, leur fille âgée de quinze ans, l’aidera à mettre la table, à préparer le repas. Malgré les signes d’agacements et d’impatience qui trahissent l’entrée de Tatiana dans l’adolescence, elle est toujours aussi affectueuse et dévouée. Et Noël se prête plutôt bien aux bons sentiments.
Cependant, l’étrange impression qu’Holly avait ressentie à son réveil s’installe à mesure que les événements lui échappent. Un blizzard inattendu se lève et recouvre d'un lourd manteau blanc l’extérieur de la maison. Eric ne revient pas. Les autres invités décommandent, laissant la mère et la fille seules, face à face. Tatiana s’enferme dans une animosité qu’Holly ne lui connaît pas et une angoisse diffuse gagne peu à peu la maison.
Holly relâcha son étreinte autour de sa fille, et Tatiana, qui était restée raide tout ce temps, se redressa, s’écarta de se mère et repartit en silence dans sa chambre. Holly entendit la porte se fermer avec un cliquetis net, puis se pouvait-il (ça n’était pas possible) qu’elle ait entendu Tatiana glisser le crochet dans son anneau ? Ce crochet et cet anneau qu’elle avait tout bonnement refusé de reconnaître la présence depuis que Holly les avait installés pour elle ? Alors c’était à ça qu’allait ressembler cette journée ? Ne lui pardonnerait-on donc jamais d’avoir dormi trop tard ?
Oui, décidément : « Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux. »
Et pourtant, depuis qu’Eric et Holly avaient fait ce long voyage pour aller adopter cette jolie petite fille aux cheveux sombres, la vie leur avait semblé si facile. Au fil des pages, pourtant, des failles apparaissent dans le récit des souvenirs de Holly. Un monde de non-dits, d’impressions fugaces mais prégnantes.
Avec douceur et retenue, Laura Kasischke nous fait pénétrer peu à peu dans les méandres de la pensée de son personnage. Et comme souvent chez l’auteure (dont nous avons déjà parlé ici), les apparences sont trompeuses : une matinée de Noël, cliché américain par excellence, peut s’avérer bien plus inquiétante qu’il n’y paraît…
Entre Virginia Woolf, David Lynch et Alfred Hitchcock, Esprit d’hiver nous fait glisser lentement dans un univers étrange où le quotidien, soudain, ne soutient plus, où les liens familiaux peuvent tourner à l’asphyxie. Le drame s’annonce à l’horizon mais se dérobe et réapparait là où on ne l’attendait pas.
De livre en livre, le talent de conteuse de Kasischke ne se dément pas. On découvre dans celui-ci un aspect plus intimiste et plus sombre de son travail.
Référence :
Laura KASISCHKE, Esprit d’hiver, traduit de l’anglais (États-Unis) par Aurélie Tronchet, Christian Bourgois, 2013.
Un roman intimiste et angoissant où, une fois encore, Kasischke règle ses comptes avec les fondamentaux de l’american way of life tout en déjouant les attentes du lecteur.
Un matin de Noël, au réveil. Holly est soudainement face à une évidence terrible : « Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux. » Et si elle n’avait abandonné depuis longtemps l’idée de devenir une grande poétesse, Holly se serait isolée pour coucher sur le papier cette idée dont la puissance la laisse un peu hagarde.
Mais pas de temps pour l’écriture : elle s’est réveillée plus tard que d’habitude et il faut s’affairer aux préparatifs de la fête. Eric, son mari, est déjà en route pour aller chercher sa famille à l’aéroport. Tatiana, leur fille âgée de quinze ans, l’aidera à mettre la table, à préparer le repas. Malgré les signes d’agacements et d’impatience qui trahissent l’entrée de Tatiana dans l’adolescence, elle est toujours aussi affectueuse et dévouée. Et Noël se prête plutôt bien aux bons sentiments.
Cependant, l’étrange impression qu’Holly avait ressentie à son réveil s’installe à mesure que les événements lui échappent. Un blizzard inattendu se lève et recouvre d'un lourd manteau blanc l’extérieur de la maison. Eric ne revient pas. Les autres invités décommandent, laissant la mère et la fille seules, face à face. Tatiana s’enferme dans une animosité qu’Holly ne lui connaît pas et une angoisse diffuse gagne peu à peu la maison.
Holly relâcha son étreinte autour de sa fille, et Tatiana, qui était restée raide tout ce temps, se redressa, s’écarta de se mère et repartit en silence dans sa chambre. Holly entendit la porte se fermer avec un cliquetis net, puis se pouvait-il (ça n’était pas possible) qu’elle ait entendu Tatiana glisser le crochet dans son anneau ? Ce crochet et cet anneau qu’elle avait tout bonnement refusé de reconnaître la présence depuis que Holly les avait installés pour elle ? Alors c’était à ça qu’allait ressembler cette journée ? Ne lui pardonnerait-on donc jamais d’avoir dormi trop tard ?
Oui, décidément : « Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux. »
Et pourtant, depuis qu’Eric et Holly avaient fait ce long voyage pour aller adopter cette jolie petite fille aux cheveux sombres, la vie leur avait semblé si facile. Au fil des pages, pourtant, des failles apparaissent dans le récit des souvenirs de Holly. Un monde de non-dits, d’impressions fugaces mais prégnantes.
Avec douceur et retenue, Laura Kasischke nous fait pénétrer peu à peu dans les méandres de la pensée de son personnage. Et comme souvent chez l’auteure (dont nous avons déjà parlé ici), les apparences sont trompeuses : une matinée de Noël, cliché américain par excellence, peut s’avérer bien plus inquiétante qu’il n’y paraît…
Entre Virginia Woolf, David Lynch et Alfred Hitchcock, Esprit d’hiver nous fait glisser lentement dans un univers étrange où le quotidien, soudain, ne soutient plus, où les liens familiaux peuvent tourner à l’asphyxie. Le drame s’annonce à l’horizon mais se dérobe et réapparait là où on ne l’attendait pas.
De livre en livre, le talent de conteuse de Kasischke ne se dément pas. On découvre dans celui-ci un aspect plus intimiste et plus sombre de son travail.
Référence :
Laura KASISCHKE, Esprit d’hiver, traduit de l’anglais (États-Unis) par Aurélie Tronchet, Christian Bourgois, 2013.