31 octobre 2011

Nature humaine

L’enfant sauvage, T.C. BOYLE

L’histoire de Victor de l’Aveyron, l’enfant sauvage de Truffaut. Un récit aux allures de conte sur le lien entre humanité et animalité.

À la fin du 18ème siècle, la découverte dans une forêt du Languedoc d’un enfant sauvageon a fait le tour de la France et a passionné les foules. Un jeune garçon errant, plus proche de l’animal que de l’homme, vivant nu et se nourrissant de la chasse et d’aliments crus. Capturé et amené à la capitale, l’enfant est un défi pour les scientifiques du Siècle des Lumières. Le sauvage est-il doté de morale ou n’est-il, comme le pense Locke, qu’une page vierge sur laquelle la société vient imprimer sa propre culture ? Un jeune docteur de l’Institution des sourds-muets va tenter d’apprendre à l’enfant sauvage des rudiments de civilisation ainsi que ce qui permettra d’en faire un être humain à part entière : le langage.

Dans ce court récit qui rappelle presque l’univers du conte, T.C. Boyle décrit avec clarté et retenue la triste vie de cet enfant perdu sur qui la société de son époque fait reposer le poids de la croyance en la suprématie de la culture sur la nature. Brutal, animé presque uniquement par l’instinct de survie, Victor (du nom que lui donnera son maître) va peu à peu apprendre, de manière rudimentaire, à exprimer son humanité, ses désirs et, peut-être d’une certaine façon, ses sentiments. C’est finalement dans ces instants-là que ceux qui président à son existence semblent oublier l’animalité du garçon.
Une belle réflexion sur la nature humaine et, pour les professeurs de français, un roman qui illustrera parfaitement les thématiques abordées dans les cours sur le 18ème siècle (et qui peut être prolongé par une comparaison avec le film de Truffaut sur le même sujet).

L’avis d’Yspaddaden.

Référence :
L’enfant sauvage, T.C. BOYLE, traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Demarty, Grasset, 2011

24 octobre 2011

(Re)Lire ses classiques #4


L’insoutenable légèreté de l’être, Milan KUNDERA


Kundera appartient à ces auteurs que je lisais avec passion (et avec souvent peu de discernement) quand j’étais plus jeune et que j’ai abandonnés en cours de route. Aidé, en ce qui concerne Kundera, par ses derniers romans, écrits en français, selon moi bien en-dessous de ceux écrits dans sa langue maternelle.
Nous avions décidé, sur les conseils d’une collègue bien inspirée, de commencer l’année de nos sixièmes (terminales) avec ce désormais classique de la littérature moderne : L’insoutenable légèreté de l’être.

De ma première lecture lorsque j’avais dix-sept ans, je n’avais retenu qu’une histoire d’amour tortueuse et des personnages égarés. Les efforts de Tomas et Tereza pour maintenir au sein de leur couple l’équilibre entre le libertinage de l’un et le besoin de protection de l’autre. Les voyages de Sabina, la femme au chapeau melon, en quête de toujours plus de liberté. L’idéalisme romantique de Franz, l’intellectuel. Des personnages illustrant les réflexions philosophiques qui traversent tout le livre et qui interrogent sur les conséquences de nos actes, sur l’individualisme et, bien sûr, le kitsch.
J’avais oublié combien le contexte du Printemps de Prague et de l’occupation soviétique hantait le roman : la surveillance constante des citoyens, la censure, l’implacable puissance de la Grande marche. Et, étrangement, je n’avais aucun souvenir de la construction du roman, le mélange entre roman et essai, la présence constante du narrateur, les aller-retours dans le temps.

Aucune déception à la relecture : ce roman tient en haleine, amène sans cesse son lecteur à s’interroger et, alors qu’il date de 1984, est toujours en phase avec le monde d’aujourd’hui. Sur le kitsch, par exemple. Kundera avait raison d’écrire que le kitsch triompherait de tout. Entre l’affaire DSK, la pipolisation virale et le triomphe du politiquement correct : que du kitsch.

Et vous ? Un souvenir de votre lecture ?

Référence :
L’insoutenable légèreté de l’être, Milan KUNDERA, traduit du tchèque par François Kérel, Gallimard, Folio, 1989

19 octobre 2011

Avec des « si »

Le faiseur d’histoire, Stephen FRY

SF, roman d’anticipation et comédie romantique : un livre original qui souffre parfois de sa démesure.

Avec des « si », on mettrait Paris en bouteille. (Personnellement, en ce qui concerne Paris, j’opterai plutôt pour des garçons de café plus sympathiques, mais cela n’engage que moi.) Et on pourrait aussi réécrire l’Histoire et éviter des désastres. C’est en substance le projet physico-historique que va tenter Michael, un jeune thésard de Cambridge, aidé par un vieux physicien du genre Tournesol. Ensemble, ils envisagent de changer la face du monde en modifiant, tout simplement !, le passé.

Que les allergiques à la SF se rassurent : on s’embarrasse très peu des questions scientifiques et de l’explication du phénomène. Fry cherche davantage à créer des ambiances et à faire vivre les mondes qu’il raconte, les vrais comme les faux. Il sera question de l’enfance d’un petit autrichien au tempérament belliqueux (pas difficile de deviner de qui on parle : regardez la couverture !), de faits d’armes dans les tranchées du Nord de la France et d’une société qui ne connaît plus la diversité. Fry passe de l’un à l’autre avec beaucoup de facilité et saupoudre le tout avec pas mal d’humour, notamment à travers les états d’âme de Michael. Parfois, le grand écart entre la réflexion sur le sens de l’Histoire et les histoires d’amour du jeune chercheur m’ont semblé périlleuses. D’autant que Fry parodie les comédies romantiques américaines (une partie du récit est d’ailleurs présentée sous forme de scénario) au point d’utiliser parfois les mêmes grosses ficelles. Mais le tout est écrit avec tellement d’enthousiasme qu’on se laisse facilement prendre et, malgré un sujet pour le moins sensible, il ne s’en sort pas trop mal. J’imagine que si un auteur français s’était aventuré dans ce genre de projet, cela aurait donné lieu à l’une de ces petites polémiques littéraires dont seule l’Hexagone a le secret.

L’avis de Keisha.

Référence :
Le faiseur d’histoire, Stephen FRY, traduit de l’anglais par Patrick Marcel, Gallimard, Folio SF, 2011

15 octobre 2011

La PAL de nos élèves

Un oubli dans la course de la rentrée: publier ici nos listes de lectures pour l'année scolaire 2011-2012:

- quatrième année (seconde);
- cinquième année (première);
- sixième année (terminale).

Des idées pour nos collègues, pour des cadeaux de Noël, pour vos dimanches d'hiver, pour en finir avec Twilight, Musso, Levy, ... ou tout simplement pour allonger votre PAL!

Tous vos commentaires sont les bienvenus.

11 octobre 2011

La clarté des âmes


Les trois lumières, Claire KEEGAN

Petit récit d'apprentissage plein de délicatesse. Lumineux. 

Mais pourquoi donc le père fait-il un jour monter la petite dans sa voiture, quitter sa nombreuse fratrie et se rendre dans la ferme de parfaits inconnus le temps d'un été. Certes, la mère est à nouveau enceinte,... Mais cela n'explique pas tout. Passé la crainte de l'abandon, la petite se fera une place au milieu de ce couple singulier qui l'a recueillie, découvrira la ferme, la nature, les lumières de la nuit et surtout la chaleur et la tendresse. Car cet homme et cette femme, portant comme un fardeau un drame secret, s'attachent à cette petite, qu'il renommeront peu à peu Pétale, tout en sachant que son séjour chez eux n'est, en réalité, qu'une parenthèse enchantée.
Court roman ou longue nouvelle, le récit de Claire KEENAN est tout en subtilité et repose sur les non-dits. Pas question pour la romancière de nous expliquer le pourquoi du comment. Le point de vue est celui de l'enfant, et nous nous contentons d'apprendre ce qu'elle comprend, d'entendre ce que les adultes laissent échapper devant elle et de deviner... Un roman d'apprentissage, qui rappelle la beauté du monde et les petits moments de bonheur et néanmoins un roman social, bien ancré dans le lieu d'origine de la romancière, cette Irlande qui apparaît tour à tour riche et fertile puis âpre et dure et dans lequel certaines familles ont bien du mal à joindre les deux bouts. Peut-on se permettre l'affection et les gestes d'amour lorsque l'on a de nombreuses bouches à nourrir ?
L'écriture de Claire KEEGAN est presque poétique et se concentre sur les sensations, les bruits, les gestes et les regards car les personnages sont de ceux pour qui "la parole n'est une nécessité en aucune circonstance". Un récit réaliste et social mais aussi la description d'un univers presque enchanteur. Sans jamais les voir, on sent que les fées des contes traditionnels irlandais ne volent pas très loin de ces mystérieuses trois lumières.

6 octobre 2011

La fin du temps de l’innocence

Expiation, Ian McEWAN

À la fois intime et romanesque, un livre sur le thème du poids du passé et de la guerre.

Briony, treize ans, déborde de talent et d’inventivité quand il s’agit de mettre en mots des histoires romanesques et dramatiques. La jeune fille, produit de la bonne société anglaise d’avant-guerre, se verrait bien devenir romancière. À la charnière entre l’enfance et l’adolescence, elle commence à entrevoir le monde des adultes d’un œil nouveau, leurs désirs et leurs illusions. Pas encore assez cependant pour pouvoir reconnaître l’amour véritable en train de se tisser entre sa grande sœur et le fils de la domestique. Confondant passion et perversion, Briony va lancer une accusation aux conséquences désastreuses. Mais la réalité la dépasse et, cinq ans après, alors que la guerre balaie l’Europe, les trois personnages continuent de payer le prix de l’imagination de Briony.

La première partie du roman présente, sur deux journées, les drames intérieurs des personnages, le poids que fait peser sur eux la société et la lutte perpétuelle qui les oppose à toutes leurs aspirations. Récit intime où l’on passe d’un protagoniste à l’autre et où les points de vue sur l’action finissent par se contredire, on découvre avec le personnage de la jeune fille que la réalité est multiple et qu’il est illusoire de vouloir la dompter. Dans la seconde partie, les personnages sont plongés dans un univers qui les dépasse, celui de la guerre, des combats, des morts et des blessés. L’occasion pour eux d’aller au bout d’eux-mêmes et, pour Briony, de pouvoir peut-être expier sa faute. McEwan propose une narration sur plusieurs niveaux sans que cela ne sonne fabriqué et donne à son histoire un beau souffle romanesque. Il interroge aussi le pouvoir de la fiction et les limites de celle-ci.

Les avis de Karine :), de Manu et de Keisha.

Référence :
Expiation, Ian McEWAN, traduit de l’anglais par Guillemette Belleteste, Gallimard, Folio, 2010

1 octobre 2011

Dégât des eaux

Le convoi de l’eau, Akira YOSHIMURA

Roman étrange et "ambiancieux" sur la confrontation silencieuse entre deux sociétés.

Un groupe d’ouvriers s’engage à pas mal assurés au fond d’une vallée perdue dans la brume. Un lieu coupé du monde, difficile d’accès, où une grande société a projeté de construire un barrage hydroélectrique. Au bout de leur chemin dans la montagne, les hommes découvrent un hameau hors du temps, habité par des villageois silencieux et discrets, condamné à être englouti par les eaux du barrage. Avant d’entamer la procédure d’expropriation, les ouvriers de ce chantier isolé se lancent dans la destruction lente et irréversible de la montagne et découvrent peu à peu les étranges façons des habitants du hameau, passifs et en apparence résignés face aux ouvriers qui viennent dénaturer leur environnement presque sacré. Parmi eux, le narrateur, qui a rejoint le projet après sa sortie de prison. Observateur attentif de la vie des villageois, il retrouve chez eux des sensations et des attitudes qui réveillent sa conscience troublée par le meurtre de sa propre femme.

Etrange roman. L’atmosphère lourde, embrumée et décontextualisée du décor jette sur la vie de ces deux communautés qui s’observent avec méfiance et curiosité un voile de mystère qui rappelle, très subtilement, celui de la fable. À côté de la dénonciation évidente des dégâts causés par l’industrialisation qui ne s’embarrasse de rien, l’auteur laisse émerger progressivement du groupe des ouvriers la personnalité ambiguë du narrateur qui semble être le seul capable de comprendre le fonctionnement de la communauté qu’il est censée détruire. Les rites traditionnels prennent un tour menaçant, à travers des images puissantes et inquiétantes, et semblent venir perturber, en silence, la modernité en marche.
Autre thème abordé, le poids du groupe et la place de l’individu dans une société où doit primer l’intérêt collectif. Les codes et les règles qui définissent l’organisation de la vie en société s’opposent dans l’affrontement muet qui met face à face la société traditionnelle et celle des ouvriers.

Beaucoup de mystères donc pour cette méditation subtile sur le Japon d’aujourd’hui qui balance toujours entre modernité et tradition. Les amateurs de littérature japonaise apprécieront et les autres (peut-être même ceux qui en ont peur... ils se reconnaitront) se laisseront facilement envahir par l’ambiance étrange et originale de ce très beau roman.

Les avis (positifs) de Clara, d’Yspaddaden, de Vanessa, de Cachou et de Calyste.

Référence :
Le convoi de l’eau, Akira YOSHIMURA, traduit du japonais par Yutaka Makino, Babel, 2011