21 mars 2013

L'Inde I Go

Indigo, Catherine CUSSET

Le voyage en Inde de trois artistes français qui vont se confronter à l'exotisme d'un pays parfois effrayant et à leurs conditions d'individus et d'artistes.

Trois Français sont invités en Inde pour y faire une série de conférences et participer à diverses rencontres culturelles. Charlotte, réalisatrice quarantenaire, mariée à un Américain et vivant à New-York avec son mari et ses deux filles, profite de ce voyage pour faire le deuil de son amie de toujours, qui s'est suicidée quelque temps auparavant et qui a vécu de nombreuses années en Inde; Roland, essayiste de soixante-quatre ans, séducteur invétéré et amoureux de la vie, se réjouit de retrouver en Inde, où il a vécu quelques années, son amour de jeunesse, malgré qu'il soit accompagnée de sa jeune et jolie maîtresse italienne, Renata; Raphaël, enfin, auteur de deux romans d'autofiction, personnalité trouble, tantôt aimable, tantôt revêche, découvre lui aussi l'Inde d'aujourd'hui et ses contradictions.
Les trois invités vont donc se confronter à ce pays si particulier, l'Inde. Il y a les paysages de conte de fées, bien entendu, les plages de sable fin, les hôtels luxueux mais il y a aussi la misère, la violence et la menace des attentats terroristes qui planent. Et puis il y a la chaleur.
Géraldine, jeune femme mariée à un Indien et mère d'un petit garçon d'un an, qui travaille à l'Alliance française, organise cette rencontre. Le fait qu'elle reconnaisse en Raphaël le ténébreux voisin dont elle était éperdument amoureuse lorsqu'elle était encore enfant dans sa Bretagne natale va quelque peu mettre à l'épreuve son professionnalisme.
Les personnages, dans ce paysage exotique et parfois effrayant, vont vivre une série d'événements - un attentat, un incendie, un accident, l'annonce d'une maternité,... - qui vont mettre en lumière leurs angoisses, leurs contradictions et leurs attentes de la vie. Chacun révélera peu à peu sa peur de vieillir, sa peur de la mort ou sa peur de l'engagement.
On retrouve dans ce dernier roman de Catherine CUSSET l'art de la comédie humaine de l'auteure. Celle-ci met à jour chacun de ses personnages en évitant de les présenter de manière trop manichéenne. Chacun d'eux apparait ainsi tour à tour sympathique, touchant, agaçant, pathétique.
Par ailleurs, la rencontre de ces hommes et femmes de lettres permettra une réflexion sur la place de la littérature et du cinéma dans la vie des héros et dans le monde en général.
Si le roman se laisse dévorer, que le cadre indien est exotique à souhait et que la construction est tout en finesse, on pourrait, si on était un peu tatillon, remarquer qu'on ne retrouve pas, dans ce livre, toute la finesse de l'analyse des personnages dont l'auteur nous avait habitués avec des romans tels que Le problème avec Jane, La haine de la famille ou encore le récent Un brillant avenir. La complexité des rapports humains est toujours le thème de prédilection de Catherine CUSSET mais ceux-ci sont peut-être un peu moins décortiqués que dans ses précédents ouvrages.
Reste qu'Indigo est digne de son titre, un roman plein de nuances.

Références :
Catherine CUSSET, Indigo, Gallimard, 2013.

17 mars 2013

We could be heroes

The Perks of Being a Wallflower (Le Monde de Charlie), Stephen CHBOSKY

Un roman d’adolescence qui sonne juste.

Ado, la mixtape constituait, plus encore qu’une lettre, l’objet à travers lequel l’apprenti-amoureux que j’étais s’exprimait le mieux. À côté des messages transportés par les chansons, la K7 était également la promesse et l’expérience de la durée en amour. Le temps de la préparation : choisir les titres, calculer comment les répartir entre deux faces de 30 ou 45 minutes, l’une après l’autre les écouter à mesure qu’on les enregistre et recopier les titres sur le petit morceau de papier cartonné à glisser dans le boitier. Une occupation qui n’autorisait aucune distraction. Et puis venait l’autre durée, celle de l’écoute. Le plaisir de savoir que l’autre allait prendre le temps de découvrir un à un ces petits bouts de musique qui ne parleraient qu’à lui, qui lui montreraient combien mon goût en musique était à la fois original et éclairé, décalé et coolissime. En bref : une déclaration d’amour et un portrait à ma gloire !
Et puis parfois, à la mixtape offerte répondait une autre en retour. Le cadeau à écouter au creux de l’oreille, dans le casque du walkman qui ne me quittait pas.
Pourquoi vous raconter tout ceci me direz-vous ? Parce que c’est dans le monde des mixtapes et d’autres souvenirs de l’adolescence que le roman de Stephen Chbosky invite le lecteur à plonger.
Charlie a quinze ans, habite la banlieue newyorkaise et entame sa première année de lycée. Encore ébranlé par le suicide de son meilleur ami, ce jeune garçon timide et sensible raconte son quotidien dans des lettres adressées à un correspondant inconnu. La vie au lycée s’étire sous le signe de l’ennui et des rêveries solitaires d’un ado qui n’appartient pas à la frange populaire de l’école et qui semble, par peur d’y sombrer, presque étranger à la multitude de sentiments qui l’animent. Les lectures conseillées par son professeur d’anglais, qui lui fait découvrir les grands auteurs, sont un refuge dans lequel il oublie un temps sa mélancolie. La rencontre avec deux élèves plus âgés, Patrick et la jolie Sam, va chambouler son univers et lui faire découvrir l’amitié, le sentiment d’appartenance à un groupe et, bien sûr, les premiers émois amoureux.
J’avais vu l’adaptation au cinéma, réalisée par l’auteur, et malgré tous les défauts du film, j’avais été touché par la justesse du ton et du regard sur l’adolescence. Et puis le billet d’Émeraude (ou plutôt son grand cri d’amour) m’a donné envie d’aller voir ce qu’il en était du roman, presque inconnu chez nous mais gros succès d’édition aux États-Unis1. (Et pour ceux qui ont parfois peur de lire en VO, c’est d’un niveau très accessible.)
Ici aussi, malgré certaines facilités et quelques ficelles un peu attendues, j’ai été emporté par le parcours de Charlie, cousin du début des années 1990 du Holden de L’Attrape-cœurs, par l’écriture, douce et sensible et par toutes les références à une époque pas si lointaine (pour peu, on pourrait presque ranger le livre dans la catégorie des romans historiques!). 
Face à certains livres, on met parfois de côté tout son attirail critique parce qu’il y a quelque chose qui résonne en vous de manière très puissante. Même si mon parcours n’est pas le même que Charlie, j’ai retrouvé cette impression propre à l’adolescence où tout semble vécu de manière intense, où les émotions débordent de partout et où chaque nouvelle expérience émerveille autant qu'elle inquiète. 
Et puis un livre qui vous donne envie d’écouter du Bowie, de (re)fumer un pétard ou de revoir The Rocky Horror Picture Show… ou de recevoir une jolie une mix-tape, c’est déjà pas mal, non ?

Références :
Stephen CHBOSKY, The Perks of Being a Wallflower, Simon & Schuster, 2009.

1 Le livre est sorti en français dans une collection jeunesse, d’abord sous le titre Pas raccord puis réédité avec le titre du film, Le Monde de Charlie (traduit de l’anglais par Blandine Longre, Éditions Sarbacane, 2008, nouvelle édition en 2012). À noter que ce titre est d’une parfaite idiotie et ne rend pas du tout compte de la poésie du titre original (qu’on pourrait traduire, en gros, par Les avantages d’être passe-partout).

12 mars 2013

Un automne islandais

L'embellie, Audur Ava OLAFSDÓTTIR

Un road movie islandais assez décevant.

En rentrant de chez son amant, quelle n'est pas la surprise de la narratrice d'apprendre que son mari la quitte pour une collègue enceinte de ses œuvres. Pas plus abattue que ça, notre héroïne se voit confier par sa meilleure amie qui va bientôt accoucher le petit Tumi, garçonnet de quatre ans malentendant et pourvu de lunettes avec des verres démesurés. "Tu verras, lui dit son amie, il va te changer". Peu après la voilà gagner deux fois au lotto. Qu'à cela ne tienne, pour faire le bilan de tout ça, elle décide de prendre un congé et de partir sur les routes islandaises avec son petit passager.
Et comme le lui avait prédit une voyante quelque temps plus tôt, il y aura : " un voyage, un gain, de la fortune, de l'amour, bien que l'on puisse s'attendre à quelques bizarreries en la matière".
Le personnage principal est fantasque, le petit garçon attendrissant, les rencontres étonnantes et les métaphores nombreuses. Un voyage initiatique sur les routes islandaises pluvieuses. Et pourtant, la mayonnaise ne prend pas. Pourquoi ne suis-je quasiment jamais entrée dans ce roman ? Peut-être parce que cette histoire avait un petit air de déjà lu, parce que les personnages ne prennent jamais vraiment chair et qu'on a du mal à y croire. La folie sympathique de l'héroïne finit par énerver et tous les autres personnages ne sont qu'ébauchés. Même les effets de style semblent fabriqués.
On avait pourtant été tellement séduit par Rosa Candida de la même auteure. Mais en y regardant de plus près, on se rend compte que ce roman a été écrit en 2004 et a été traduit sans doute grâce au succès du roman cité ci-dessus malgré qu'il soit bien plus faible.
Quelques petites choses à sauver, cependant... Tout d'abord la description que fait l'auteure du rôle de mère  : 
"Les mères n'ont qu'une chose en commun : ce sont des femmes qui ont couché avec un homme au moment de l'ovulation sans prendre les précautions adéquates. Pas même besoin de le faire deux fois, en tout cas avec le même homme. (...) Être mère, c'est se réveiller le matin, faire de son mieux puis se coucher le soir en espérant que tout ira pour le mieux.
Et les nombreuses recettes de cuisine présentes en annexe, dont quelques recettes islandaises assez tentantes telles les "bruants des neiges grillés à la mode des hauts plateaux" ou encore la "saucisses de viande de cheval " (plat d'actualité...) en passant par les "kleinur" et autres "skonsur". Dommage que le livre ne soit pas à la hauteur de sa cuisine !

Références :
Audur Ava ÓLAFSDÓTTIR, L'Embellie, traduit de l'islandais par Catherine Eyjólfsson, Zulma, 2012.

9 mars 2013

Bon appétit bien sûr !

Le Dîner, Herman KOCH

Un dîner de famille qui nous plonge dans les recoins les plus obscurs de l’être humain. À déguster saignant.  

Deux frères se retrouvent, avec leur épouse, pour un dîner dans un resto mondain et branché où obtenir une réservation tient de l’impossible. Rien de trop difficile pour Serge : annoncé comme le prochain premier ministre des Pays-Bas, son nom ouvre toutes les portes. Mais il en faudrait plus pour donner envie à Paul, le narrateur, de passer une soirée à la table de son frère : tout dans le comportement de Serge l’énerve, des platitudes de sa conversation (le dernier Woody Allen : un chef d’œuvre !) à sa manière de goûter le vin. Cependant, à mesure que le repas avance et que l’objet de la soirée se précise, d’autres tensions apparaissent et la digestion s’annonce difficile.
Mon billet sera court car il ne faut vraiment pas en dire davantage, voire même éviter de lire la quatrième de couverture. Ce roman joue sur la découverte de zones d’ombres de plus en plus effrayantes. Pas de coups de théâtre mais plutôt l’entrée progressive dans les pensées du narrateur et sur les raisons de sa présence au dîner.
Tout démarre sur le ton de la comédie de mœurs mais l’humour badin vire rapidement au cynisme et laisse entrevoir à certains moments un abyme de cruauté et de violence insoupçonnés. Je pensais lire une variation sur le même thème que celui du Dieu du carnage de Yasmina Réza, mais il n’en est rien. Pas de grand déballage à table : on plonge ici bien plus profondément dans les recoins les plus obscurs de l’humain.
L’écriture et la construction sont remarquables. Cependant, seul bémol, j’ai parfois eu l’impression que l’auteur s’était laissé emporter et qu’il n’hésitait pas à en rajouter une couche là où certains silences en auraient dit davantage.

Un livre découvert chez In Cold Blog.

Référence :
Herman KOCH, Le Dîner, traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin, 10/18, 2013.

5 mars 2013

I do. Do I ?

Le Roman du mariage (The Marriage Plot), Jeffrey EUGENIDES

Mitchell aime Madeleine qui aime Leonard. Un triangle amoureux, un roman d’apprentissage et une interrogation sur la littérature d’hier et d’aujourd’hui.

Début des années 1980, dans une université de l’est des États-Unis. C’est la fin du premier cycle pour trois jeunes gens prometteurs, aux portes de l’âge adulte. S’il n’y avait que la question des études (quel second cycle et où ?), les choix pourraient être faciles. Mais voilà : il y a l’amour. Madeleine rêve d’une relation à la hauteur de ses ambitions et de celles de ses parents. Et alors que Mitchell, gendre idéal, timide et romantique, lui tourne autour, c’est pour Leonard que son cœur s’emballe. Ténébreux, inconstant – voire inquiétant  – et d’une intelligence acérée : un mélange irrésistible pour une fille de bonne famille qui a passé ses jeunes années à rêvasser aux grandes passions amoureuses qui inondent la littérature. Mais les opposés finissent-ils par s’entendre, comme dans Orgueil et préjugés ?
À l’époque d’Henri James, d’Edith Wharton ou de Jane Austen, l’héroïne se devait de trouver dans l’institution du mariage l’accomplissement de son rôle de femme et la légitimation de sa place dans la société. Mais, fort heureusement, les choses ont changé et, au moment où se déroule le roman, les jeunes femmes comme Madeleine ont, en apparence du moins, la possibilité d’entrevoir un avenir pour elles-mêmes, d’envisager une carrière et de ne pas reproduire les schémas de la génération d’avant. D’ailleurs, c’est davantage le personnage de Mitchell qui endosse le rôle de l’amoureux romantique qui rêve, naïvement, d’un happy end austenien. Madeleine se veut indépendante mais, malgré cela, une partie d’elle-même rêve du prince charmant. Sans pour autant parler de bovarisme, le personnage est à la fois le fruit de ses lectures de jeunesse et de son apprentissage académique. Sa propre expérience de l’amour est sans cesse confrontée à ses réflexions d’étudiante sur un sujet qui hante la littérature de toutes les époques.  
En effet, les trois personnages de ce triangle amoureux sont avant tout des apprentis intellectuels (avec tout ce que cela peut parfois comporter de ridicule) dont la lecture du monde se fait, dans un premier temps, en partie par les livres et par les cours qu’ils suivent à l’université. Dans le cas de Madeleine, la découverte du structuralisme et du déconstructivisme entre en concurrence avec ses propres représentations de la relation amoureuse. Ce n’est pas pour rien que lors d’une dispute, elle lance son exemplaire des Fragments du discours amoureux de Barthes à la tête de Leonard. Par la suite, ils vont chacun devoir confronter ce premier apprentissage avec le réel, que ce soit celui du vaste monde ou celui de leur patrimoine neurologique.
Au centre du roman, il y a la question de la liberté et du choix (qui rappelle, le cynisme en moins, Freedom de Franzen). Les indécisions des personnages s’expriment de manière très différente : la dépression pour Leonard et la recherche de spiritualité pour Mitchell. Quant à Madeleine, son cœur balance et ses efforts pour passer du statut d’objet à celui de sujet ne se font pas sans peine. Le regard que l’auteur porte sur ces trois protagonistes en marche vers l’âge adulte est à la fois tendre et amusé. Il croise avec beaucoup de finesse leurs parcours, par des ellipses narratives et des flash-back, et dépeint magnifiquement les états d’âme et les questionnements qui les taraudent, non sans un certain humour qui permet de ne pas tomber dans les pièges du roman psychologique.
Difficile pour moi de ne pas lire ce dernier Eugenides sans le comparer avec ses deux autres romans. Je n’ai pas retrouvé le ton épique et la fougue que j’avais aimés dans Middlesex. Malgré cela (et malgré la lecture en vo qui n’était pas toujours aisée), j’ai été captivé par la justesse de l’écriture et par la manière douce-amère de décrire cette période sensible où l’on referme peu à peu les portes de l’adolescence pour pénétrer le monde des adultes.

Références :
Jeffrey EUGENIDES, Le Roman du mariage, traduit de l’anglais (États-Unis) par Olivier Deparis, Éditions de l’Olivier, 2013.
(Et pour l’édition en vo : Picador, 2012)