31 août 2009

L'ombre du froid

Ténébreuses, Karin ALVTEGEN

Un nouveau polar venu du froid ? Pas tout à fait, plutôt un thriller psychologique qui tourne autour de lourds secrets de famille.

Qu’est-ce qui relie les personnages qui apparaissent dans les trois premiers chapitres du roman de Karin ALVTEGEN : le fils du grand écrivain consacré par le prix Nobel de littérature, une vieille dame qui meurt seule et laisse tout à un héritier que personne ne connaît et le petit garçon abandonné par sa mère sur les marches d’un escalier?
Pas question de vous en dire plus et de gâcher le suspense. La reine du polar scandinave nous plonge dans une histoire de famille et de ses secrets en nous dévoilant peu à peu les liens qui existent entre les personnages, et surtout en nous laissant suivre de nombreuses fausses pistes, mises à mal par la subtilité de son intrigue. ALVTEGEN, petite fille de l’auteur de Fifi Brindacier, auteur suédois aussi lue que MANKELL (et vous savez déjà à quel point nous aimons les auteurs de roman policier scandinave : petit rappel ici) signe ici son quatrième roman après Trahie, Honteuse et Recherchée. Ses titres nous démontrent l’intérêt qu’elle porte aux femmes et à leur condition. Si ses livres ont été rangés dans les romans noirs (ce qui n’a désormais plus rien de dévalorisant, le polar ayant enfin trouvé sa légitimité auprès de presque tous les publics), ses romans sont inclassables. Il y a évidemment des intrigues, du suspense et quelques cadavres au fond des placards, mais il y a également une fine analyse psychologique des personnages et de leurs comportements. Des personnages qui dérapent, qui font des mauvais choix, qui en payent les conséquences. Mais d’autres qui décident de changer leur destinée et de se libérer des chaînes qui les entravent. Une écriture fluide dans un récit haletant. Laissez-vous surprendre.

23 août 2009

Instants nippons

La mer, Yoko OGAWA

Un recueil de nouvelles au doux parfum d'étrangeté.

Comme dans La formule préférée du professeur, OGAWA présente dans ces nouvelles des personnages de générations différentes qui, souvent à travers des notions de voyages ou de déplacements, se rencontrent et se nourrissent de souvenirs et d’instants partagés. Par exemple, dans Voyage à Vienne où une jeune femme renonce à ses visites touristiques pour accompagner une vieille dame au chevet d’un ancien amant à l’article de la mort. Des instants suspendus autour d’une action, d’un micro-événement : le passage d’un camion de poussins colorés, une visite guidée ou un trajet en train.
Les nouvelles d’OGAWA échappent au schéma traditionnel du récit avec un début et une fin. Elle saisit ses personnages dans un moment de leur vie, comme une étape dans un parcours plus vaste. Et derrière l’apparente banalité du quotidien qu’elle décrit apparaissent çà et là d’étranges éléments. Comme cette petite fille muette qui collectionne les mues d’insectes ou cet ancien poète reconverti dans la création de titres de souvenirs. Contrairement à son précédent recueil, Tristes revanches, ces histoires restent cependant bien ancrées dans la réalité. Ici pas de carottes en forme de main ou d’apparition de montagnes de kiwi.
La douceur de l’écriture d’OGAWA, la simplicité et la finesse de son style donnent à ses textes des allures de poèmes et certains, mais en disant cela nous sommes presque dans le cliché, partagent avec le haïku cette faculté de capturer le moment et l’émotion.
Et parfois, cette douceur tend vers l’érotisme, comme dans la nouvelle Le bureau de dactylographie japonaise Butterfly. De minuscules caractères de plomb d’une machine à écrire se transforment en objets passeurs de désir et de sensualité.
(Niveau 2)

18 août 2009

Elle à table!

La femme comestible, Margaret ATWOOD

Le portrait d'une femme en proie à l'aliénation dans la société de consommation des années 60. Drôle et implacable.

Fin des années 60 en Amérique du Nord. Marian est une jeune femme en phase avec l'air du temps. Elle travaille dans une société de marketing qui sonde des consommateurs. Elle fréquente Peter, un jeune homme bien sous tous rapports: un possible futur mari? Car comment envisager sa vie sans passer par la case mariage? Marian ne veut pas ressembler à sa colocataire qui, alimentée aux discours psys et féministes, envisage de faire un bébé toute seule.
Alors que Marian s'engage peu à peu sur les rails d'une vie qu'elle pense avoir choisie, les contours de son existence commencent à lui échapper et ce qu'elle croyait jusque-là évident perd de sa clarté. Cela commence notamment par ces aliments que son corps refuse peu à peu d'avaler. Et la rencontre de Duncan, un étudiant lunatique et bohème, l'amène vers des espaces de sa propre vie encore inexplorés.
La femme comestible, c'est cette jeune fille des années 60 et 70, époques d'avant les combats d'émancipation des femmes. Comestible car, comme Marian, elle n'est finalement qu'un produit de consommation parmi tant d'autres. Une chose que l'on peut utiliser, agrémenter, habiller et déshabiller, transformer afin qu'elle corresponde au mieux aux attentes de son mari et de la société.
Le premier roman d'ATWOOD (auteur déjà évoquée ici), qui n'avait jusqu'ici jamais été traduit en français, veut dénoncer la condition féminine de son époque et choisit de le faire par l'humour. Humour grinçant qui démontre un processus d'aliénation bien rôdé et incidieux. Le talent d'ATWOOD est de réussir à rendre, par l'écriture et par un jeu de narration décalé, la transformation du personnage qui s'éloigne toujours plus d'elle-même, jusqu'à une scène finale surprenante et jubilatoire.
(Niveau 3)

15 août 2009

L'amour à l'italienne

Mal de pierres, Milena AGUS

Quelques pages tout en finesse sur la Sardaigne, la folie, l’écriture, la passion et l’amour d’une grand-mère.

Mal de pierres est le récit de vie d’une femme, grand-mère de la narratrice, personnage fantasque et marginal qui est encore célibataire à trente ans (donc presque vieille fille en ce début des années quarante) parce qu’elle fait fuir ses prétendants en leur écrivant de bouillonnantes lettres d’amour et qui écrit, en cachette, sa vie et ses réflexions dans un petit cahier noir, retrouvé par sa petite fille. Quand finalement elle trouvera un mari, un homme bon, qu’elle n’aime pas, et qui l’épouse pour rendre service à sa famille, son « mal de pierres », c’est-à-dire ses calculs rénaux, l’empêchera d’avoir des enfants. Elle partira donc quelques mois dans un sanatorium où elle connaîtra le véritable amour.
A priori, rien d’original dans ce récit de vie et l’on craint de lire à nouveau un auteur qui se contente de se raconter, de raconter sa famille, dans un texte un peu égocentrique et par lequel nous ne nous sentons pas concernés. Mais Milena AGUS (qui dit être une femme qui écrit mais pas encore un écrivain) par une écriture tout en finesse, par une construction originale, par la description de sa Sardaigne, et par une fin assez surprenante, réussit à nous séduire. Un tout petit livre tout en légèreté et en sensibilité.

13 août 2009

Faut-il avoir peur du loup?

Une faim de loup, Anne-Marie GARAT

Une analyse fine et éclairante du Petit Chaperon rouge de PERRAULT par une dévoreuse de mots.


La petite fille, les galettes, le loup, la chevillette et la bobinette, la mère-grand, les oreilles, les yeux, les dents: les ingrédients sont connus et nous ne nous lassons pas d’entendre et de raconter cette histoire cruelle et sanglante (drôle d’histoire à raconter aux enfants avant de dormir…). Le charme continue d’agir et le conte de traverser les générations. C’est, pour l’enfant, l’entrée dans le monde de l’imaginaire, qui préfigure son entrée dans celui de la littérature et de l’art.
Comme souvent, la proximité, l’habitude font que nous passons peut-être à côté de certains détails ou encore ignorons finalement pourquoi ce conte est à ce point fascinant.
Anne-Marie GARAT (que nous aimons beaucoup beaucoup) propose une lecture du conte de PERRAULT, l’original, pas celui où un gentil chasseur viendrait délivrer la jeune étourdie du ventre du loup (comme dans la version des frères GRIMM). Non, GARAT se penche sur ce petit bijou littéraire du 17ème siècle et en donne une analyse selon différents angles. Histoire et histoire littéraire, sociologie, psychanalyse, linguistique, étude stylistique.
Dans la Psychanalyse des contes de fées, Bruno BETTELHEIM avait déjà proposé une analyse psychanalytique du conte, mais sans utiliser la version de PERRAULT.
Le texte est archi-connu, mais pourtant, à y regarder de plus près (et c’est à relire de toute urgence ici), il semble soudain abriter des mystères. Pourquoi la mère et la mère-grand sont-elles « folles » de l’enfant ? Pourquoi la fillette, pas idiote, ne voit-elle pas la différence entre le loup déguisé et son aïeule ? Et pourquoi, alors que finalement elle n’est coupable d’aucune désobéissance, le Petit Chaperon rouge est-elle dévorée par le loup ?
A travers l’observation fine et pleine d’intelligence des mots et du récit, dont la cruauté n’a pas d’équivalent dans les autres Contes de ma mère l’Oye, GARAT nous ouvre les yeux sur la multiplicité des sens que nous pouvons dégager. Et nous fait découvrir des évidences insoupçonnées. Par exemple, nous pensions savoir ce qu’est un chaperon : une petite cape dotée d’un capuchon. Et bien pas du tout ! Le chaperon est une coiffe, « un petit bandeau d’étoffe rembourrée porté sur le haut de la tête » (p. 100), un accessoire qui, à l’époque de PERRAULT, était déjà passé de mode depuis longtemps. Pourquoi dès lors la mère-grand a-t-elle affublé la petite de cette coiffe de vieille femme ? Et rouge en plus !
Selon GARAT, ce que le conte peut nous apprendre, par-delà sa morale convenue sur le fait qu’il faut se méfier des beaux parleurs, est les dangers du dévoiement des rapports mère-fille.
Par delà l’histoire, le récit, il y aussi une analyse précise de la langue, du matériau du conte et de son jeu sur l’oralité. C’est le plaisir des mots, le goût des sonorités, du langage. Et pour nous amener au plus près de cette histoire de dévoration, Anne-Marie GARAT se fait loup. Car, comme pour chaque livre de l’auteur, on reste enchanté par cette langue qui se régale des mots, s’amuse avec eux. Et de ce loup-là, nul besoin de se méfier.

11 août 2009

La brève et merveilleuse vie d'Oscar Wao

La brève et merveilleuse vie d'Oscar Wao, Junot DIAZ

Oscar est un adolescent obèse, mal dans sa peau, passionné de jeux vidéo et de littérature fantastique, qui tombe amoureux à tout bout de champ mais qui n'arrive jamais à conclure. Comme l'annonce le titre, Oscar mourra jeune et son pote Yunior décide de raconter sa brève existence. Mais il narra aussi l'histoire familiale d'Oscar et son récit prendra l'allure d'une véritable saga. Originaire de Saint Domingue où se déroule une grande partie du récit, la famille d'Oscar émigrera aux Etats-Unis, au beau milieu du New-Jersey. Ainsi, notre narrateur narrera Saint Domingue, les horreurs du régime du dictateur local Trujillo, le "fukù", cette la malédiction dominicaine qui frappera la famille d'Oscar mais aussi la petite ville américaine de Paterson et la difficulté d'être un adolescent, surtout si on est différent.
Un récit coloré, loin d'un exotisme cliché, et une langue mélange d'anglais, d'espagnol, d'expressions dominicaines et d'argot hip hop. Une langue qui déroute, au début, et qui rend la lecture un peu ardue. Puis la langue se fluidifie (ou est-ce nous qui nous habituons ?) et la lecture de cette extraordinaire histoire familiale et de ce pays méconnu devient tout à fait savoureuse. Notons que Junot DIAZ a gagné, pour ce livre, rien de moins que le prix Pulitzer. Un livre comme un contresort à la malédiction : un zafa !

PS: Nouveauté sur Voyelle et Consonne: vous pouvez dorénavant laisser vos commentaires!

7 août 2009

Récompense!

Avant de reprendre le fil de nos publications, une nouvelle qui nous réjouit:

Voyelle et Consonne a reçu le Blog d'Or du meilleur espoir!

Alors un grand merci à In Cold Blog et à ceux qui, depuis lors, sont venus faire un petit tour sur le blog.
Encore un petit peu de vacances et nous revenons en force...