26 mai 2012

La peur dans la peau

L’Invisible, Robert POBI

Un thriller qui, s’il n’est pas très original, remplit parfaitement son contrat : faire peur.

Le corps de Jake Cole, agent spécial du FBI, a gardé les traces de ses années de débauche et de son grand plongeon dans le monde des paradis artificiels : son cœur est relié à un pacemaker et son corps est recouvert par le texte de la Divine Comédie (tatouage qu’il a découvert au sortir d’un black-out de plusieurs mois). Alors qu’il a remis de l’ordre dans sa vie, qu’il est devenu un expert dans la lecture des scènes de crime, qu’il aime profondément sa femme et son petit garçon, il revient, après trente années d’absence, à Montauk, au chevet de son père. Jacob Cole, le grand peintre américain, monstre narcissique, père détesté, a sombré lentement dans la démence et une crise violente l’a amené à l’hôpital. Jake ne sait que faire de ce père dont il ne veut plus entendre parler. La découverte d’un double assassinat d’une violence insupportable va obliger Jake à prolonger son séjour à Montauk au moment même où un terrible ouragan va s’abattre sur la région.
À plusieurs reprises, en reposant ce roman avant d’aller dormir, je me suis surpris à me demander si la porte de la maison était bien fermée. Si le thriller a pour but de faire peur, celui-ci y arrive assez bien. Le caractère horrible des crimes (il vaut mieux avoir le cœur bien accroché), la tension omniprésente et cette atmosphère de pré-apocalypse tiennent en haleine. L’intrigue n’est peut-être pas très originale, même s’il faut attendre les dernières pages pour que tous les éléments du puzzle s’emboitent, et certaines scènes semblent se répéter, insistant là où il aurait mieux valu laisser planer le doute. Il n’empêche, les amateurs du genre trouveront dans ce premier roman de quoi sustenter leur besoin d’adrénaline et d’images cauchemardesques.

Un autre avis chez Emeraude.

Référence :
L’Invisible, Robert POBI, traduit de l’anglais (Canada) par Fabrice Pointeau, Sonatine Éditions, 2012.

18 mai 2012

Le shérif, les Basques, les Indiens et la télé !

Le camp des morts, Craig JOHNSON

Deuxième épisode des aventures de Walt Longmire : une série qui tient ses promesses ? À voir…

Alors qu’il se remet à peine de sa dernière enquête, le shérif Longmire se retrouve de nouveau à devoir fouiller dans le passé de ses concitoyens pour élucider une étrange affaire. Une vielle femme, Mari Baroja, est retrouvée morte dans une chambre de la maison de retraite où elle finissait ses jours. Rien d’étonnant si ce n’est que selon Lucian, l’ancien shérif et mentor de Longmire, il s’agit d’un meurtre. La neige tombe inlassablement sur la petite ville de Durant, Noël approche mais l’ambiance n’est pas à la fête. Walt découvre que la vie de Mari et de sa famille, des Basques exilés dans les grands espaces du Wyoming, recèle des secrets profondément enfouis. Des secrets qui se réveillent lentement et amènent avec eux d’autres meurtres…
Pour l’amateur de séries que je suis, les retrouvailles avec Longmire et sa petite bande fonctionnent à merveille. Les employés du bureau du Shérif, les amis Indiens, les femmes de passage, … Dès les premières pages, le lecteur arrive en terrain connu. Longmire est toujours aussi drôle, un brin décalé par rapport au réel (aidé notamment par les visions qui s’emparent de lui depuis sa rencontre avec les esprits des Indiens de la réserve). C’est un peu le cousin américain d’Adamsberg… Mais pour le reste, j’ai trouvé que l’enquête manquait de rythme, tournait en rond et se contentait souvent de jouer uniquement sur la bonhomie générale des personnages. Et, comparé à Little Bird (dont nous vous avions parlé ici), plus d’effet de surprise. Donc une petite déception (ben oui, le charme du shérif opère semble-t-il un peu moins sur les lecteurs masculins… et pourtant, depuis Brokeback Mountain, je ne suis pas insensible aux chemises à larges carreaux...) mais pas assez pour ne pas avoir envie de découvrir les prochains épisodes (en version poche). 

Mais d’ici là, Longmire aura fait son chemin… sur le petit écran ! À partir du 3 juin, la chaine américaine A&E lance une première saison de dix épisodes, avec l’acteur Robert Taylor (vu dans Matrix) pour incarner le shérif de ces dames. Les quelques images du trailer donnent l’impression que l’esprit des romans est bien là. Les blogueuses Longmire-addict jugeront… On en reparlera à l’occasion…

D’autres avis sur le roman chez Keisha.

Référence :
Le camp des morts, Craig JOHNSON, traduit de l’américain par Sophie Aslanides, Gallmeister, collection « Totem », 2012.

15 mai 2012

Semelles de vent

La Cavale de Billy Micklehurst, Tim WILLOCKS

Une nouvelle et un beau travail d’édition.


Connu surtout pour ses romans (Amandine en a déjà parlé ici), Tim Willocks raconte, à travers la réécriture d’un épisode marquant de son adolescence, sa rencontre avec Billy Micklehurst, un sans-abri en proie à de terribles hallucinations : les morts du Cimetière du Sud lui demandent de les libérer. Face à ces âmes errantes, Billy ne peut opposer que son corps sans âge, où l’alcool et l’indigence extrême ont imprimé leur marque. Hantant les rues de Manchester, il traine derrière lui ses secrets et ses souffrances. Peut-on seulement parler d’amitié entre Billy, cette gargouille d'un peu de chair et d'os, et le jeune homme ? Pour lui, c’est en tous cas une rencontre qui ouvre les yeux sur la vie en marge et sur une autre manière d'envisager le monde.
Dans cette nouvelle d’une vingtaine de pages, Willocks porte un regard d’une incroyable humanité sur cet étrange personnage qui nous renvoie à tous ceux que nous croisons quotidiennement dans nos villes, sans jamais utiliser la carte du bon sentiment. Il redonne une identité à celui qui n’a plus rien mais qui comme le poète voit ce que les autres ne peuvent voir. C’est juste, écrit avec pudeur et beaucoup d’élégance. L’auteur ouvre vers une réflexion plus générale sur le rapport entre la cité et ses marginaux.
Et pour aller plus loin, l’éditeur a eu la bonne idée de joindre au texte un entretien avec l’auteur. Willocks y rappelle que la « folie » est une maladie qui existe de manière constante à toutes les époques et dans toutes les civilisations et qui serait dès lors l’une des composantes de notre caractère humain. Il nourrit sa réflexion des observations tirées de sa pratique de psychiatre mais aussi de ses lectures et discute de sa vision de l’art, de la littérature et des rencontres fortuites qui nous construisent.
Et petit plus : on peut également découvrir le texte dans sa version originale à la fin du livre (ce qui ne manquera pas de plaire à certains).
J’aimerais trouver les mots pour vous conseiller de vous plonger au plus vite dans ce petit bijou d’intelligence et d’émotion. Si tout ce que j’en ai dit ne vous a pas encore convaincu, j’ajoute que la couverture est une belle reproduction d’un merveilleux tableau de Van Gogh et qu’il ne vous en coûtera que 3,10€ !

Un extrait disponible sur le site de l’éditeur.

Edit post-publication : en réalité, plus qu'un extrait, c'est toute la nouvelle qui est disponible sur le site de l'éditeur... 

Edit post-lecture des commentaires : effectivement, l'éditeur a rogné quelques pages et le texte n'est plus disponible intégralement.

Référence :

La Cavale de Billy Micklehurst, Tim WILLOCKS, traduit de l’anglais par Benjamin Legrand, Gallimard, Éditions Allia, 2012.

8 mai 2012

That’s entertainment !

Gene Kelly, Alain MASSON

Biographie d’un danseur qui a marqué l’histoire de la comédie musicale. Retour sur une carrière en ups and downs.

La biographie est un genre dont je ne suis pas familier. Les rares qui me sont passées dans les mains l’étaient avant tout pour en savoir plus sur un auteur, pas pour le genre lui-même. J’avais déjà lu deux ouvrages parus dans la collection Folio biographies (Molière et Baudelaire) et j’avais trouvé qu’ils offraient, avec beaucoup de simplicité et un minimum de pages (je parle presque comme un élève !), un bon mélange entre faits, analyse et contextualisation ; de quoi prolonger ou apporter un nouveau regard sur l’œuvre d’un auteur.
Pour ce Gene Kelly, Alain Masson ne déroge pas à la ligne éditoriale et, en moins de 300 pages, dresse avec concision le portrait du danseur, acteur, chorégraphe et réalisateur. On découvre ainsi la carrière d’un visionnaire qui tenta de faire évoluer la danse et le mouvement (ainsi que leur utilisation dans les films) vers des formes plus modernes. Grand sportif, Kelly (1912-1996) donne à ses pas une ampleur et un dynamisme qui l’éloignent définitivement de celui qui régnait sur le genre : Fred Astaire. Il tente également d’intégrer les techniques cinématographiques aux scènes dansées, abandonnant le côté frontal des numéros qui garnissaient alors les musicals.
Un visionnaire donc mais qui n’a pas connu le succès et la notoriété d’autres grands danseurs-comédiens de l’époque, malgré quelques cartons comme Cover Girl (La Reine de Broadway), On the Town (Un jour à New York), … Souvent sous-employé par les studios, il tente d’imposer ses vues mais ne connaitra jamais la gloire d’un Aster ou d’un Sinatra. Sa vie privée, plutôt rangée, n’a certes pas contribué à construire l’image d’un artiste tourmenté ou à l’existence dissolue… C’est en partie avec lui que va s’éteindre l’âge d’or des comédies musicales hollywoodiennes (sa dernière grande réalisation, Hello, Dolly !, sera un flop retentissant).
Entre An American in Paris, Singin’in the Rain ou son apparition dans les Demoiselles de Rochefort (Kelly a fait de longs séjours en Europe, essentiellement pour des raisons fiscales !), cette biographie nous fait revivre une époque ainsi que la carrière d’une star qui, avec le recul, a gagné sa place parmi les légendes du cinéma américain.
Et, quelque soit l’heure, je vous souhaite à toutes et à tous « good morning » !



Référence :

Gene Kelly, Alain MASSON, Gallimard, Folio biographies, 2012.

1 mai 2012

Auto-fiction pour rire

N’exagérons rien !, David SEDARIS

Anthologie de textes pour (re)découvrir une voix originale de l'Amérique d'aujourd'hui. Humour noir et dérision. Une autre manière de parler de soi.

J’avais déjà dit un mot de Sedaris ici, il y a longtemps. Depuis, j’ai continué à découvrir les productions de l’auteur en VO mais aussi en version audio. Lus par lui-même, ses textes sont encore plus drôles. Comme ces dernières semaines consacrées au théâtre à l’école ont été à la fois épuisantes et obsessionnelles, difficile le soir venu de me plonger dans un roman. C’est pourquoi j’ai ressorti du fond de la PAL cette compilation de textes : formes brèves et légèreté, de quoi garder les yeux ouverts et se détendre entre deux répétitions.
Le point commun à tous les textes de Sedaris, c’est lui-même. Mais là où d’autres en profitent pour tirer les larmes ou se lamenter sur l’un ou l’autre de leurs drames intimes, Sedaris s’amuse de l’absurdité du quotidien et profite de chaque occasion pour montrer les travers de son époque, sans manquer au passage de rire de lui-même. Qu’il soit engagé comme lutin pour les fêtes de Noël chez Macy’s, qu’il tente d’apprendre le français en Normandie ou qu’il s’engage sur les routes américaines à la manière d’un Kerouac, tout est sujet à nous montrer la diversité et l’étonnante créativité névrotique de ses contemporains. Et lorsqu’il parle de ses proches, il se donne rarement le beau rôle (notamment dans ses relations amoureuses). Il parvient aussi à émouvoir en passant par l’humour noir : il dresse l’inventaire des animaux morts de son enfance avant d’aborder, l’air de rien, la disparition de sa mère. Certains textes vont même plus loin dans l’intime, comme lorsqu’il évoque la détestation de soi qu’éprouvent les jeunes homos face aux insultent qui garnissent le langage commun (« tapette », « pédale », …). Mais même là encore, il y a toujours une pirouette qui ramène le tout du côté du rire. Jamais vers le politiquement correct.
Si le caractère excessif et névrosé de son personnage de papier rappelle sans conteste Woody Allen, son sens de la formule et le côté dandy un rien misanthrope font de Sedaris un Oscar Wilde moderne.

Un extrait audio de When You Are Engulfed in Flames, lu par l’auteur à écouter ici.

Référence :

N’exagérons rien !, David SEDARIS, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, Éditions de l’Olivier, 2010.
Existe également en poche, chez Points (2011)