Sombre dimanche, Alice ZENITER
Saga d'une famille sans panache dans la Hongrie d'hier et d'aujourd'hui.
Le roman aurait pu s'appeler "La petite maison derrière la gare". Car c'est dans cette petite maison de bois, située derrière la gare de Nyugati, à Budapest, que se déroule le récit sur plus de trente années.
Trente ans d'une famille, les Mandy, dont il ne reste plus que les hommes : Imre, qui malgré sa jeunesse et son désir de vivre ne parvient pas à s'extraire de cette maison; Pal, son père, le mélancolique, seul homme de la famille à ne pas porter le prénom de Imre; et Imre le grand-père, vieillard acide qui crache son venin et qui, chaque année à la même date, se soûle et chante cette triste chanson, Sombre dimanche, dont le jeune Imre ne comprend pas le sens. Des femmes, il ne reste que des fantômes : celui de la grand-mère morte mystérieusement dans le fond du jardin, près des rails de train, celui de la mère, écrasée par un train sur ces même rails et, enfin, celui de la sœur, toujours vivante mais qu'un chagrin d'amour a vidé de toute envie de vivre.
La maison se remplira pourtant quelque temps. Imre rencontrera, grâce à la chute du mur de Berlin, une jeune-fille allemande dont il tombera amoureux et qui lui fera un enfant, mais qui fuira bientôt cette maison de mort et de chagrin et ce pays dont l'histoire pèse comme un couvercle.
Car c'est l'histoire d'une famille, donc, mais aussi l'histoire d'un pays. La Hongrie, ravagée par la guerre, puis par de longues années de communisme, semble, après la chute du Mur de Berlin, abandonnée et oubliée de tous, comme cette famille à qui il ne reste que la petite maison de bois dans le jardin duquel passe le train.
Le récit d'Alice Zeniter est d'une richesse étonnante. Difficile de résumer ce livre qui révèle et distille secrets de familles, événements historiques et analyses psychologiques de personnages tout en complexité. Il pourrait sans doute se résumer par une phrase de l'auteure elle-même : «Mon Dieu ce qu'une vie humaine peut être riche et insignifiante tout à la fois.»
Étonnant de penser qu'Alice Zeniter n'a que 26 ans, tant son roman, pourtant fort ambitieux, sonne juste et frappe fort. Le style de l'auteur qui raconte les drames d'une famille et la tragédie d'un pays tout entier reste sobre, sans effet stylistique mais plein de poésie. L'auteure, sans pathos ni grandes envolées lyriques, fait apparaître des images qui resteront gravées en nous, telles que le père et sa fille fumant silencieusement toute les nuits sur la terrasse, les petits pas de la sœur qui semble ne plus savoir marcher depuis qu'elle a subi un avortement de peur de perdre ce qui lui reste dans le ventre, ou encore le tas d'objets jetés par les voyageurs à travers les fenêtres du train et ramassés par Imre enfant dans le fond de son jardin.
Et les personnages nous hantent encore longtemps après que l'on ait refermé le livre et qu'on les ait laissés seuls, Imre, son père et sa sœur, trois petites silhouettes courbées sous le poids du malheur, mais toujours debout, ensemble.
Référence :
Alice ZENITER, Sombre dimanche, Albin Michel, 2013