7 décembre 2015

Une fille au masculin

Annabel, Kathleen WINTER 

Un roman juste et poignant sur la différence. 

A la fin des années soixante, dans un village du Labrador, au fin fond du Canada, où les hivers sont rudes et la nature règne encore en maître, Yacinta et Treadway mettent au monde un enfant. Mais très vite, Thomasina, l'amie du couple qui a aidé à l'accouchement, prend la mère à part pour lui annoncer une nouvelle difficile à entendre : le bébé n'est pas comme les autres. Ni fille, ni garçon, il est ce que certains appellent un hermaphrodite et d’autres, un monstre. Ses parents choisissent pour lui : il s’appellera Wayne et sera élevé comme un garçon. Il se fera même opérer pour devenir ce que son père veut qu'il soit. Yacinta, cependant, n'est pas sûre de ce choix. En secret, elle lui parle comme à une fille. Quant à Tomasina, elle l'appelle Annabel, du nom de sa petite fille défunte et veillera toute son existence à laisser une place à la fille que l'on a tenté de faire disparaître. Parce qu'en grandissant, le corps de Wayne le trahira et peu à peu. Et un jour, il lui faudra « choisir entre une vérité angoissante et un mensonge rassurant ».
Si Kathleen WINTER s'attaque à un sujet difficile, elle le fait avec beaucoup de finesse. Tout d'abord par son écriture, emplie de poésie, particulièrement présente dans les descriptions de cette nature sauvage qui sert de cadre à l'histoire que les hommes doivent tenter de dompter, ou dans celle de ce corps qui évolue étrangement et se libère. Par l'absence de clichés, ensuite, chez les personnages qu'elle crée. Wayne souffre, parfois, mais c'est surtout un adolescent qui a du mal à trouver sa place dans un monde qui laisse peu de chance à la différence, et en cela, il ne diffère que peu de ses quelques amis. Son père, taiseux et obstiné, se révélera également un être à part, en communion parfaite avec la nature et capable de partager la souffrance de son fils. Sa mère, présentée comme un être faible et dépressif, se montrera capable aussi de s'affirmer et de résister aux regards des autres. Quand à Tomasina, la bonne fée, toujours en mouvement mais jamais loin de ceux qu'elle aime, elle étonnera tout du long par sa force de caractère et son incroyable modernité dans son combat à laisser tout le monde, y compris elle, vivre comme il l'entend. Par l'émotion, enfin, dont chaque page est empreinte et qui nous reste longtemps après avoir refermé la dernière page.
Annabel est un de ces romans rares, qu'on a envie de partager, parce que malgré la dureté du sujet, ce qui en ressort le plus est sans doute son infinie beauté. Et n'est-ce pas ce dont on a le plus besoin en ces temps incertains ?

Références :

Kathleen WINTER, Annabel, Christian Bourgeois, 2013