Une guerre psychologique et les mécanismes bien huilés de l’aliénation de l’homme par le pouvoir militaire.
Et oui ! Encore un livre qui parle de la guerre (comme récemment ici ou ici). Que les plus réticents aux faits d’armes et autres récits de batailles se rassurent : c’est plutôt d’une non-guerre dont il sera question dans ce court roman.
Un jeune homme dont nous ne connaitrons jamais le nom est enrôlé brusquement pour une guerre dont la population ignore tout. Des combats auraient lieu ou auront lieu prochainement, rien n’est certain. Il faut se préparer, s’entraîner pour ensuite rejoindre un camp, d’avant-garde ou d’arrière-garde, personne ne le sait, où l’on pourra, peut-être, participer aux combats.
La vie du camp s’installe et avec elle son lot d’habitudes et de règles qui font tout le « sel » de l’esprit militaire. Apprendre à obéir, à comprendre que l’intérêt collectif prime toujours sur l’individuel, à respecter des rituels d’une absurdité confondante. Comme cette cérémonie de la pause-café, imprescriptible, même si la tasse n’est remplie que d’eau chaude… Déroger aux rituels, aussi absurdes soient-ils, reviendrait à remettre en cause toute l’organisation d’un système bien huilé qui ne repose que sur la répétition et l’adhésion sans faille à ce système.
Dans cette prison à ciel ouvert, le temps passe, la vie d’avant et les souvenirs s’effacent. Des rumeurs de combats, jamais démenties et jamais confirmées, des événements insignifiants émaillent le quotidien routinier. Parfois, le narrateur parvient à s’échapper par la pensée vers un ailleurs où, s’extrayant de la compagnie du groupe, il se confond avec la nature dans des élans presque mystiques, mais cela suffira-t-il à freiner la lente érosion de son moi ?
Un style bref et rigoureux qui laisse au lecteur le soin de sentir l’ironie sous-jacente et la critique cruelle de la vie militaire dans un état où l’armée a tous les pouvoirs. LISCANO, né en Uruguay, a été torturé et emprisonné durant treize ans à l’époque de la dictature. On comprend dès lors d'autant plus la portée politique de cette fable sur la déshumanisation.
(Niveau 2)