28 novembre 2010

Pleure, transmets et aime

Elégie pour un Américain, Siri HUSTVEDT

Des pères, encore des pères, toujours des pères. Par une des plus belle voix de la littérature américaine.

Un manquement grave. Depuis que notre blog existe, nous n’avons pas encore eu l’occasion de parler de Siri HUSTVEDT. Et pourtant Tout ce que j’aimais est certainement l’un des livres qui nous a le plus marqués. Comme dans ses essais, sur la peinture (Les mystères du rectangle) ou sur des sujets variés (Plaidoyer pour Eros), l’écriture de celle que beaucoup réduisent trop facilement à son statut de « femme de » possède une force magnétique et vous immerge, le temps de la lecture, dans un monde sensible, familier et étrange. Une manière juste et profonde de voir le monde contemporain et les rapports humains, l'art, le langage, ... 

Dans son dernier roman en date, on retrouve comme dans Tout ce que j'aimais le poids de la mort et du deuil. Erik Davidsen, psychiatre divorcé, vient de perdre son père et, en vidant les affaires de celui-ci, découvre une lettre suggérant la possibilité d’un inquiétant secret bien gardé. Erik tente de trouver des indices dans les Mémoires laissées par son père et revisite ainsi la vie de sa famille, marquée notamment par la guerre du Pacifique, dont les guerres en Afghanistan et en Irak se font ici l’écho.
Le père est la figure centrale du récit. Père décédé, père absent, père manquant. Tous les personnages du roman tentent de se construire ou de se reconstruire en repensant et en se confrontant à leurs fondations. Inga, la sœur d’Erik, veuve d’un écrivain célèbre, découvre les parts d’ombre de l’existence de son mari et tente d’en préserver sa fille, adolescente qui garde en elle une souffrance muette depuis les attentats du 11 septembre. Miranda, la nouvelle voisine dont Erik est tombé immédiatement amoureux, élève seule sa fillette dans l’ombre d’un père absent et néanmoins très inquiétant. Ses différentes histoires viennent croiser celles des patients d’Erik pour former une communauté de personnages en souffrance mais, et c’est évidemment ce qui vient sauver le livre, qui luttent. Il est donc aussi beaucoup question de transmission, thème qui semble habiter profondément les auteurs américains d’aujourd’hui.
Inutile de le préciser, vous l’aurez certainement compris, ce roman est porteur d’une grande mélancolie qui m’a particulièrement touché. Sans jouer sur l’identification facile, HUSTVEDT parvient à donner à ses personnages, pourtant tous très bobos brooklyniens, une dimension profonde, humaine et presque universelle. Alors bien sûr, tout cela est très empreint de psychanalyse (à travers le récit des rêves, notamment) mais sans dogmatisme. Le rythme est assez fragmenté, parfois décousu mais très maîtrisé. Et comme dans ces autres romans, l’auteure nous plonge dans une ambiance et une couleur particulières qui m’ont séduit. 

Un beau portrait de notre époque.

19 novembre 2010

Anonymes mais pas inconnus

Les Anonymes, R.J. ELLORY

Dernier roman de notre chouchou du moment : oui, mais…

ELLORY est l’un des auteurs qui nous a le plus enthousiasmés ces derniers temps. Dans ces deux romans traduits en français (dont nous avions parlé notamment ici), il revisitait le roman noir pour en donner une vision plus profonde, on pourrait presque dire plus littéraire, avec un mélange de mélancolie très sombre, de cruauté effrayante et, dans le cas de Vendetta, d’une relecture originale de l’histoire des Etats-Unis. La part sombre, la part de l’ombre de l’humain, horrible, cruelle mais littérairement construite. Autant dire qu’on attendait avec impatience la sortie d’un nouveau roman. Mais nos attentes sont souvent bien difficiles à contenter et il en va de même pour les livres…
Les Anonymes se présente davantage comme un thriller. Une série de meurtres violents et reliés par un mode opératoire effrayant, un flic au bout du rouleau, une course à l’indice, etc. Mais à côté des ingrédients traditionnels du genre, ELLORY parvient rapidement à insérer une dimension politique et à renouer avec l’un de ses thèmes-phares : la création d’un monstre. L’enquête avance par sauts de puce, entrecoupée des bribes de confessions d’un homme, peut-être le tueur. Ce récit parallèle rejoindra finalement celui d’une enquête à rebondissements aux allures de scandale politique de grande échelle.
Autant le dire tout de suite, Les Anonymes est un excellent thriller qui fonctionne pleinement, se dévore avec avidité. Et pourtant, je m’attendais à mieux. Moins de profondeur que dans les romans précédents, une certaine impression de déjà-lu (avancer que les agents de la CIA ne sont pas tous des enfants de chœur, ce n’est pas des plus original…), une première partie parfois un peu laborieuse (avec toutes les vingt pages une sorte de répétition inutile de l’état des lieux de l’enquête). John Robbey, le « méchant » de l’histoire, a beau être un personnage assez bien construit, il ne possède pas la même dimension que les anti-héros « elloriens ».
Donc un brin de déception mais qui ne m’empêchera d’attendre impatiemment le prochain.

Même avis chez Emeraude.

Et pour terminer sur une bonne note : un entretien avec l’auteur réalisé par BOB.

10 novembre 2010

C'est mon tour

(Suite de l'épisode précédent)

Alors, sans trop y réfléchir...
1. John IRVING  : parce que c'est mon premier grand amour littéraire d'adolescence... Le premier auteur qui m'a donné envie de dévorer toute son œuvre.
2. Jean RACINE : d'accord, c'est un peu pompeux venant d'une prof de français. Mais il se trouve que je suis en train de voir Bérénice avec mes élèves et que j'ai de nouveau été émue en relisant ses alexandrins.
3. Siri HUSTVEDT : Xavier aka Consonne a déjà cité Auster. Alors pour ne pas répéter, j'ai choisi son épouse que j'aime aussi beaucoup. Et comme je suis la partie féminine de notre duo, j'ai choisi la partie féminine du leur.
 4. Jonathan COE : que puis-je dire d'autre que je l'adore, que j'attends chacun de ses livres avec ferveur, qu'il ne me déçoit jamais.
5. Jean COCTEAU : parce que j'ai consacré mon mémoire de fin d'études à son Orphée et à celui d'Anouilh. Comment oublier...
6. Henning MANKELL : le premier qui m'a persuadée que la littérature policière était bien souvent d'une grande qualité. Depuis, je lis tout (ou presque) de lui, policiers ou pas. Il paraît qu'il en a fini avec l'inspecteur Wallander... je n'ose même pas y penser.
7. Nancy HUSTON : elle m'a fait pleurer à chaudes larmes dans ses deux derniers romans. Quelle écriture ! Quelle femme !
8. Philip ROTH : une maîtrise incroyable de l'écriture et une analyse extraordinairement fine de son pays les Etats-Unis. Mais Consonne vous avait déjà dit que je l'aimais... non ?
9. Emile ZOLA : j'adore enseigner le cycle des Rougon-Macquart. Quelle entreprise littéraire !
10. Margareth ATWOOD : des histoires de femmes poignantes et toujours justes, qu'elle entreprenne de nous raconter le siècle dernier ou qu'elle se lance dans le roman d'anticipation.
11. Gabriel Garcia MARQUEZ : j'avais déjà adoré L'amour au temps du choléra. Mais Cent ans de solitude m'a donné, ado, la passion des grandes saga familiales.
12. Harry MULISCH : je sais que Xavier/Consonne l'a déjà cité mais La découverte du ciel est sans doute LE roman que je prendrais sur une île déserte.
13. René GOSCINNY : parce que j'adore Le petit Nicolas. Un des livres les plus poétiques et drôles du monde. Surtout illustré par SEMPE.
14. Haruki MURAKAMI : pour son onirisme et sa poésie (encore).
15. Jonathan SAFRAN FOER et son épouse Nicole KRAUSS : tous les deux capables de nous faire rire et pleurer presque en même temps.
Je suis sûre que dans une heure, je vais penser à plein d'auteurs que j'aurais dû absolument mettre sur cette liste. Je tâcherai de m'en souvenir pour la prochaine fois?

Tag ta gueule à la récré

Un tag reçu de Lystig et assez simple : citer quinze auteurs et taguer ensuite quinze blogolectrices/lecteurs (voir ci-dessous).

Fastoche… ou pas !

1.    Marcel PROUST : le premier qui me vient en tête car je caresse depuis longtemps l’envie de me replonger dans la Recherche (mais quand je vois le rythme de mes semaines, je me dis que ce sera pour la pension…).

2.    Marguerite DURAS : un peu passée de mode mais une auteure qui a marqué la fin de mon adolescence et que je relirais bien un de ces jours (ou un de mes vieux jours cf 1).

3.    Jane AUSTEN : parce qu’une de mes élèves a décidé de se pencher sur ses héroïnes pour son travail de fin d’études et que cela m’a rappelé combien j’avais été étonné par la modernité de ses figures féminines, notamment dans Orgueil et Préjugés (et comme quoi, elle ne touche pas que les blogueuses !)

4.    David SEDARIS (dont j’ai déjà parlé ici): un humoriste et écrivain américain de grand talent qui me fait énormément rire. J’avais emporté en vacances, pour les longs trajets, ses textes lus par lui-même et, en plus du très bon exercice pour améliorer sa compréhension en anglais, j’ai beaucoup beaucoup ri.

5.    Michel de MONTAIGNE : c’est un auteur que j’aime beaucoup enseigner et je suis toujours frappé par l’incroyable pertinence de ses Essais.

6.    R. J. ELLORY : je suis en train de lire son dernier roman paru en français, Les Anonymes. Les deux précédents, Seul le silence et Vendetta, sont parmi mes meilleures lectures de ces dernières années (on l’avait dit ici).

7.    Michel HOUELLEBECQ : il paraît qu’il vient de gagner un prix…

8.    Christine de PISAN : grand souvenir de mes études. Une poétesse du 15ème siècle (remarquable en soi) à l’écriture douce, simple et sensible.

9.    Anne-Marie GARAT : sa trilogie Une traversée du siècle (dont on a parlé ici) a fait vibrer mes cordes sensibles. Et son écriture ample et lyrique, bien que presque anachronique, me touche.

10.    Paul AUSTER : à quand le Nobel ?

11.    Arthur RIMBAUD : je dois vraiment à mon métier de m’avoir obligé à m’intéresser à la poésie et les vers de ce jeune prodige continuent de m’intriguer.

12.    J.K. ROWLING : ce blog date d’après HP et nous n’avons jamais eu l’occasion d’évoquer ici ces romans pour lesquels nous avons retrouvé des sensations enfantines.

13.    Henri BAUCHAU : l’auteur belge (mais sa nationalité n’a pas vraiment d’importance) d’Œdipe sur la route, autre grande lecture/révélation de mon adolescence.

14.    Emmanuel CARRERE : même si je ne sais toujours pas vraiment si je l’ai aimé ou pas (comme je le disais ici) D’autres vies que la mienne est un livre auquel je repense très souvent.

15.    Harry MULISCH : disparu récemment, il est l’auteur de La découverte du ciel, un chef d’œuvre.

Et, sans obligation aucune, je fais passer le tag à LuKe’s Blog, au Globe Lecteur, à Bookomaton, à Art et littérature (et encore plus), à Réka, à Calyste, à Zarline, à la Pyrénéenne, à Saleanndre, à Tiphanie, à Clara, à Niki, à Emeraude et, bien évidemment, à Amandine aka Voyelle.

9 novembre 2010

And the winners are...


Nous n’avons pas, chez Voyelle et Consonne, la passion des prix littéraires mais pour une fois, nous avons lu et chroniqué certains des ouvrages qui viennent de recevoir les récompenses d’automne. Et ça tombe bien : ce sont tous des livres que nous avions, d'une manière ou l'autre, aimés. 

L’occasion donc de se rappeler de:

6 novembre 2010

Elémentaire, mon cher Bello

Enquête sur la disparition d'Emilie Brunet, Antoine BELLO
 

Après les brillants Falsificateurs et Éclaireurs, le nouveau roman d'Antoine BELLO s'interroge sur le roman policier et ses subtilités. Étonnant...

On avait dévoré les Falsificateurs, roman foisonnant qui imaginait l'existence d'une mystérieuse organisation chargée de falsifier le réel et l'histoire. On avait bien entendu englouti la suite de cette géniale fiction sans être déçu (pour plus de détails, lire ici). On n'a évidemment pas résisté longtemps à acheter le nouveau Antoine BELLO, Enquête sur la disparition d'Emilie Brunet, étonnant roman sur la création littéraire en général, le roman policier et l'œuvre d'Agatha CHRISTIE en particulier.
Le détective Achille Dunot est retraité après un accident qui lui a valu un sérieux handicap : il souffre  désormais d'amnésie antégrade. Chaque matin, il ne se souvient que des événements arrivés avant son accident. Sa femme doit donc lui rappeler sa maladie et lui faire le résumé des derniers jours. Et pourtant, c'est son aide que sollicite le chef de la police dans l'affaire de la disparition d'Emilie Brunet. Celle-ci, partie en balade avec son amant, n'est jamais revenue. Son mari volage, Claude Brunet, qui héritera de toute la fortune de celle qui allait bientôt demander le divorce, n'a pas d'alibi mais beaucoup de mobiles. Malheureusement, la police n'est pas sûre d'avoir assez de preuves pour l'envoyer en prison. Achille Dunot décide alors de reprendre toute l'enquête et de s'intéresser de plus près à cet homme brillant et vraisemblablement machiavélique qu'est Claude Brunet. Et pour se faire, Dunot commence la rédaction d'un carnet qu'il relira chaque matin et qui constitue le livre que nous, lecteurs, sommes en train de lire.
Il y a donc bien enquête dans le nouveau livre d'Antoine BELLO, mais celle-ci n'est que prétexte. Il y a aussi une réflexion sur le thème de la mémoire dans cet affrontement entre le détective amnésique et le présumé assassin qui n'est, ô surprise, rien de moins qu'un brillant neurologue. Et il y a surtout une réflexion sur le thème de la littérature. D'abord parce que Dunot est en train d'écrire un livre et que sa relecture, chaque matin, va l'inciter à corriger et à commenter son style. Ainsi, si nous, lecteurs, sommes un peu étonnés par le manque de style de la première partie du récit, on lit quelques pages plus loin les propos du narrateur nous en expliquer la raison : "Grosse déception à la lecture de la dernière entrée. La relation de mon entretien avec Brunet, succincte, pauvre en nuances et terriblement désincarnée, est à peu près aussi truculente qu'un dialogue entre deux ordinateurs. Une telle aridité m'interpelle. Pourquoi n'avoir consigné aucun des geste de Brunet, aucune de ses intonations, quand je sais l'importance que peut revêtir le moindre détail dans un interrogatoire? Ai-je manqué de temps ou dois-je envisager que j'ai perdu la main?" Et BELLO  de couper sous nos pieds l'herbe de notre première critique.
Ensuite, il est question de littérature toujours par les nombreuses allusions au roman policier, à sa structure et surtout à l'œuvre d'Agatha CHRISTIE, dont le narrateur est un fan incontesté. A tel point que les références aux livres de la célèbre romancière anglaise se multiplient pour finalement faire partie intégrante du roman. Dunot finit par justifier les hypothèses de son enquête par des recoupements aux enquêtes d'Hercule Poirot. Et si son entourage semble craindre pour sa santé mentale, Brunet, lui, entre dans son jeu en relisant l'intégralité de l'œuvre d'Agatga CHRISTIE et en partageant ses impressions avec l'enquêteur.
Un exercice de style, donc, plein de prouesse et d'habilité. Le fait que nous n'ayons accès qu'aux retranscriptions hasardeuses d'un amnésique potentiellement fou et à celles d'un probable assassin ne nous permet de prendre aucun recul dans le déroulement de cette enquête et nous entraîne malgré nous dans les réflexions littéraires des deux hommes. Mais si le livre nous donne envie de relire certaines œuvres d'Agatha CHRISTIE, il manque, peut-être par cette prouesse narrative, d'un peu d'émotion. Difficile, en effet, de s'attacher aux personnages décrits sommairement (la manière d'Agatha CHRISTIE?) par le narrateur, à Brunet, personnage froid et impassible, ou même à Dunot lui-même, dont l'étrange cheminement intellectuel nous laisse un peu sur le carreau.
Que dire aussi de la fin ? Si elle comporte la pirouette que nous attendions depuis la dixième page, celle-ci est  pour le moins un peu brumeuse et élusive. Je profite du coup de ce billet pour solliciter votre avis. Les lecteurs avertis de ce blog qui ont déjà lu le dernier Antoine BELLO pourrait-il nous donner leur interprétation sur la fin? (N'hésitez pas à indiquer clairement si vous divulguer des éléments de fin...pour ne gâcher le plaisir de personne). A lire au moins pour résoudre cette énigme !