30 juillet 2015

Qu’est-ce que tu lis pour les vacances 2015 #5 : randonnée

Océane MADELAINE, D'argile et de feu

Cette année, point de farniente à la plage, vous partez en randonnée ! Un tout petit livre, tout léger, à glisser dans votre sac à dos, comme compagnon de voyage...

D'argile et de feu, c'est la rencontre de deux Marie. 
La première, celle d'aujourd'hui, marche. Elle a tout quitté (mais a-t-elle quitté grand-chose?) pour partir sur les routes de France, pour rejoindre le Sud, lieu de sa naissance. Un fuite en avant ou, au contraire, un moyen d'affronter les démons de sa jeunesse ? La fin nous le dira. Son chemin est fait de douleur, donc, douleur physique, les pieds qui s'enflamment, le corps qui ploie et douleur psychologique, la solitude renvoyant la narratrice à ses angoisses et ses traumatismes. Mais son chemin est aussi fait de rencontres, celle du géomètre, qui sera une présence masculine rassurante et attirante dans ce voyage qui l'a rendue sauvage et surtout, celle de Marie Prat, la potière.
L'autre Marie, donc, née quelque cent ans plus tôt, et qui parvint à s'imposer dans un métier très physique et surtout très masculin. 
Quand la marcheuse découvre le travail de la potière, quelque chose cède en elle, enfin.
Dans ce récit à deux voix, il est question de terre, la terre courageusement foulée et la terre durement pétrie, de feu, celui des four dans lequel cuisent les pots mais aussi celui d'un mystérieux incendie qui détruisit la garrigue de l'enfance de la marcheuse mais aussi de la famille, de la figure du père en particulier, prodiguant un amour distant et muet... 
Un petit livre délicat, dont l'écriture semble avoir été travaillée comme la terre qui crée les pots, les bouteilles ou les terrines de Marie Prat, et qui nous emmène avec lui sur les chemins, dans la forêt, pour nous amener à devenir, à l'instar de la narratrice, "une ligne d'horizon".
A noter, que le roman a reçu le prix Première 2015.

On se retrouve en septembre pour le débriefing de nos lectures de vacances... Bonnes vacances à tous !

Référence :
Océane MADELAINE, D'argile et de feu, Editions des Busclats, 2015.

22 juillet 2015

Qu’est-ce que tu lis pour les vacances 2015 #4 : entre les jambes

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Thibaut de MONTAIGU, Voyage autour de mon sexe

Pourquoi prendre l’avion, partir à la recherche du dépaysement, du rêve, du délassement et du plaisir quand on peut avoir tout ça… sous la main ?

Lors d’un séjour de six mois en Arabie Saoudite, Thibaut de Montaigu a du revenir malgré lui à la case « ado » de sa sexualité et redécouvrir, d’abord en se résignant puis avec joie, la veuve poignet et le plaisir solitaire. De cette expérience est née l’envie de se pencher sur la question en se demandant pourquoi, alors qu’aujourd’hui la sexualité semble bien plus libérée qu’hier, la masturbation demeure une sorte de tabou, de pratique vaguement honteuse dont on ne parle pas ou très peu. Pour preuve, le haussement de sourcils et le commentaire de la caissière de la librairie qui, en voyant le titre de l’ouvrage, m’a gratifié d’un « Eh bien ! Il en faut pour tous les goûts ! » Je ne lui ai pas rétorqué qu’il n’était pas question du goût de la chose mais que, effectivement, celui-ci pouvait considérablement varier d’une personne à l’autre… (Ah ! Si seulement on pouvait vivre dans un monde où la réplique qui tue vous vient à l’esprit sur le moment et pas dix minutes plus tard…). 

Sous-titré Se faire l’amour, l’essai analyse donc, d’abord du point de vue historique, comment cette pratique sexuelle passe, en gros, d’une conception divine, créatrice, à une condamnation religieuse et sociétale. L’auteur insiste beaucoup sur le côté créateur de l’activité, la nommant d’ailleurs « plaisir imaginaire », où la pensée se met en branle pour échafauder tous les scénarios possibles pour alimenter nos fantasmes. 

Mais surtout, la thèse défendue définit la masturbation comme intimement opposée au capitalisme qui se développe à partir du XVIIIe siècle:

Tout système politique, tout mode d’organisation sociale ne peut que rejeter le recours au plaisir égoïste puisque celui-ci sape les bases mêmes de cette organisation. Puisqu’il postule un espace de liberté absolue en dehors de tout mécanisme de régulation, qu’il passe par l’échange marchand ou le travail collectiviste. 

De là, la récupération de cette activité gratuite et accessible à toutes et tous par le marché, depuis les années 1950, via la pornographie et, plus récemment, par le commerce des sex toys. L’autoérotisme comme rempart contre la marchandisation du monde ? Pourquoi pas. « Femmes et hommes de tous les pays : masturbez-vous ! » (Notons que les animaux, comme l’explique l’un des premiers chapitres, s’y adonnent aussi.)

On est bien sûr très loin du Marabout Flash sur l’Onanisme en 10 trucs et astuces. Le ton général de l’ouvrage est, bien que très sérieux sur le contenu, assez léger. Thibaut de Montaigu est brillant et drôle dans sa manière de parler d’un sujet aussi intime.

Référence :
Thibaut de MONTAIGU, Voyage autour de mon sexe, Grasset, 2015.

16 juillet 2015

Qu’est-ce que tu lis pour les vacances 2015 #3 : In the pocket

Certes, nous consacrons tous une valise entière pour nos livres de vacances... mais si on les prend en format poche, on peut en mettre le double ! Quelques romans, fraîchement sortis en poche, à glisser dans son sac à dos ou son sac de plage. 


Tout d'abord, quelques coups de cœur enfin en petit format :
Réparer les vivants de Maylis de KERANGAL, bien sûr, pour la beauté de cette histoire de cœur et pour la beauté de l'écriture.
Le Chardonneret de Donna TARTT, pour voyager à New-York (et un peu en Floride), pour s'embarquer dans un véritable et palpitant roman de formation qu'on ne peut pas lâcher, et pour éventuellement faire une petit détour par La Haye pour aller admirer le chef-d’œuvre de Fabritius (comme mon éminent collègue Consonne l'a fait !).
Au revoir là-haut de Pierre LEMAITRE. C'est une brique, certes, mais ça se dévore, et en plus, depuis qu'il est en poche, c'est beaucoup moins lourd !

Ensuite, des lectures pour ceux qui veulent faire une incursion dans les pays de l'Est (si, si, j'en connais !) :
La petite communiste qui ne souriait jamais, de Lola LAFON, les coulisses des salles de gymnastiques dans la Roumanie des années 70 ou la vie de l'étonnante gymnaste Nadia Comaneci.
Sombre dimanche, d'Alice ZENITER, ou la triste histoire de la Hongrie, pays meurtri, comme le sont ses habitants. 




Et enfin, pour rire un peu, parce que bon, ce sont les vacances, quand-même:
Passé imparfait, de Julian FELLOWES dans lequel le scénariste de Downton Abbey nous raconte la saison des bals dans l'Angleterre des années 1960. Désuet, drôle et captivant.
Expo 58, de Jonathan COE, l'humour anglais dans le Bruxelles des années 1950 (parce que l'expo universelle de 58, c'était chez nous!) avec en arrière plan les services secrets américains... désopilant.


Pour les vacances, remplissons nous les poches !



10 juillet 2015

Qu’est-ce que tu lis pour les vacances 2015 #2 : Venise

Giacomo CASANOVA, Histoire de ma vie — Tome troisième

Venise, ses touristes, ses masques made in China, ses gondoliers ventripotents, … 
Pendant que Voyelle fera le plein de cidre et de crêpes, je siroterai un Spritz sur le bord d’un canaletto, loin des foules, pour me remettre d’une journée de visites à la Biennale. L’occasion de revenir sur la lecture d’un chef d’œuvre trop peu connu de la littérature française du dix-huitième.
Si Casanova est l’un des plus illustres habitants de la Sérénissime, c’est davantage pour sa réputation de grand séducteur que pour ses talents littéraires. Et pourtant, les milliers de pages de l’Histoire de ma vie, autobiographie rédigée en français entre 1789 et 1798, sont une plongée vertigineuse dans le dix-huitième siècle européen. 

Plus que des mémoires, c’est un récit d’aventures, un grand roman libertin, politique, sociologique et philosophique ; un livre plein de fougue, de drôlerie, de rebondissements. Étonnant donc que ce grand classique de la littérature française ne soit pas davantage lu (et enseigné : je n'en ai jamais entendu parler de toutes mes études universitaires). 

Alors comment combler ce manque sans pour autant passer les six prochains mois le nez dans les trois grosses briques de l’édition complète ? Pour ce que j’en ai lu jusqu’ici, il me semble que le tome troisième constitue une excellente entrée dans l’œuvre. Il comporte deux grandes histoires distinctes : l’aventure de Casanova avec une religieuse (plus libertin, c'est difficile...) et son évasion des prisons vénitiennes.

Nous sommes aux alentours de 1755 : Casanova revient à Venise après un voyage à Paris et s’éprend d’une jeune fille qui, comme à chaque fois qu’il tombe amoureux, devient son seul et unique centre d’intérêt (jusqu’à la suivante…). Mais elle est envoyée par son père au couvent et c’est en allant lui rendre visite que Casanova fait la rencontre d’une autre religieuse, M.M., qui l’attire à lui par des brillantes manigances et l’entraine dans une captivante aventure amoureuse. M.M. est un esprit fort, une femme libre et rusée: une adversaire à la taille de Giacomo (qui jusqu'ici avait plutôt tendance à succomber aux charmes de très jeunes nymphettes naïves et rapidement emballée).

Cette partie du volume constitue en lui-même un roman libertin enlevé, à la fois profond et frivole, émaillé de quelques nuits torrides, où l’auteur rend compte de ses exploits à répétitions : « Je me suis élancé entre ses bras brûlant, ardent d’amour, et en lui donnant les plus vives preuves pour sept heures de suite qui ne furent interrompues que par autant de quarts d’heure animés par les propos les plus touchants. » Respect!

Mais ses frasques amoureuses et financières (il est toujours à court d’argent et monte de savantes combines pour parvenir à maintenir son train de vie) finissent par attirer sur lui la colère des Inquisiteurs qui l’envoient croupir sous les Plombs, nom donné à la prison située dans le palais des Doges (qu’on rejoint en passant par le fameux pont des soupirs). Mais rien n’arrête Casanova. Il met sur pied un projet d’évasion aussi extravagant que spectaculaire, à faire passer Prison Break pour une partie de chat-perché !

Les deux histoires du volume sont haletantes et brillamment construites. Même si Casanova s’y donne le beau rôle (quitte à raconter sa vie, autant le faire avec panache), il n’en reste pas moins extrêmement lucide sur ses faiblesses et, en fin lettré, justifie ses actions à grands renforts de réflexions philosophiques nourries par ses lectures des classiques. Le tout est écrit dans un français vif, percutant, parsemé d’italianismes. Delizioso !

Références :
À lire dans le premier volume de l’édition de l’Histoire de ma vie en Pléiade (dernière édition parue selon le manuscrit original) ou chez Robert Laffont dans la collection « Bouquins ».

6 juillet 2015

Qu'est ce que tu lis pour les vacances 2015 ? #1 : la Bretagne

Anne PERCIN, Les singuliers

La Bretagne, ses plages, ses rochers, ses crêpes, son cidre, son kouign-amann,... mais aussi ses peintres.

Chers lecteurs, Consonne et moi vous avons un peu délaissés ces derniers temps... Mais la fin de l'année, pour nous, professeurs au rythme scolaire, et les encouragements (réprimandes ? admonestations ? remontrances ?) de mon amie Marie-France : voilà deux bonnes raisons de revenir sur le blog vous parler de toutes ces lectures que nous avions mises en attente (d'avoir un peu de temps).

Et puisque ce sont les VACANCES et que dans quelques semaines, je pars en Bretagne, quel meilleur choix que de vous parler des Singuliers.

Nous avions beaucoup aimé le premier roman d'Anne Percin, Premier été, (qui aurait pu, vu son titre, introduire cette série d'articles de vacances) récit d'un étrange et pour le moins traumatisant premier amour. Si le récit des Singuliers débute également en été, l'ambiance est radicalement différente. Il s'agit de l'été 1888, et d'Hugo Boch, jeune Louviérois (donc, pour nos amis français, de La Louvière, ville de Wallonie) qui tente de s'émanciper d'une famille bourgeoise dont l'unique préoccupation est leur florissante entreprise Villeroy & Boch. Or, Hugo est artiste. Il craint donc plus que tout un travail de bureau et/ou un mariage arrangé. Même l'académisme des Beaux-Arts de Paris le dégoûte. Il part donc à Pont-Aven, et rencontre une joyeuse bande d'artistes dont un certain Gauguin, personnage haut en couleur, est le meneur. 

Dans ce roman initiatique, nous suivrons Hugo s'affirmer dans ses choix, celui de faire de l'art - la peinture d'abord, la photographie (que personne à l'époque ne considère comme un art) ensuite - quitte à couper tout lien avec sa famille. Mais également roman sur l'art, puisque, dans ce récit épistolaire mêlant la fiction et la réalité, nous entendrons parler de Van Gogh, Signac, Toulouse-Lautrec, Sisley, Cézanne, Odilon Redon, James Ensor et tant d'autres, des Impressionnistes, des Fauvistes, des Naturalistes et des Symbolistes. Il est question de la querelle des Anciens et des Modernes, du refus de certains génies de l'académisme, des Salons, celui des Vingt et celui des Indépendants ou encore de la construction de la tour Eiffel.

Mais à la grande Histoire se mêlent également les petites intrigues : entre autres, la touchante complicité entre Hugo et son ami Tobias, resté en Belgique pour soigner ses terribles crises de céphalée, et celle avec sa cousine Hazel, elle-même artiste et qui évoque la difficulté d'être une femme dans la société du 19e siècle. 

Un roman foisonnant, donc, à emporter sur une plage (bretonne ou pas) !

Anne PERCIN, Les singuliers, Éditions du Rouergue, coll. "la brune", août 2014.