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13 décembre 2013

Prousteries

Avant la fin de 2013, année qui a célébré le centenaire de la parution du premier volume de la Recherche, retour sur quelques lectures proustiennes.

Alors que je suis toujours occupé, par intermittence, à ma relecture de la Recherche du temps perdu (dont j’ai déjà parlé ici), difficile de résister aux publications récentes qui ont remis Proust en vitrine des librairies.
S’il refusait de faire de son grand livre un roman à clé, il n’en reste pas moins que la vie de l’auteur a nourri son œuvre et inversement. Sans parler du fait que l’homme est un personnage à part entière, étonnant, versatile, drôle, agaçant et tragique à la fois. Autant de raisons de s’intéresser à sa vie et à sa manière de travailler.

Dans son très bel essai Proust contre Cocteau, Claude Arnaud (auteur de l’excellente biographie de Cocteau parue en 2003) nous fait découvrir la relation d’amitié qui a longtemps uni les deux auteurs. Derrière une certaine forme d’admiration, teintée comme souvent chez Proust de sentiments amoureux, se cachent pourtant la jalousie et l’envie : Proust se désespère en voyant la facilité avec laquelle son cadet de vingt ans acquiert à la vitesse de l’éclair une célébrité que lui-même recherche maladivement depuis ses débuts ; de son côté, Cocteau assistera, après la mort de son aîné, à la postérité croissante de l’œuvre de Proust, alors que la sienne se retrouve à la périphérie du paysage littéraire (et occupe, aujourd’hui encore, une place à part). C’est aussi deux manières radicalement opposées de concevoir le métier d’écrivain.

Incapable de ramasser littérairement sa sensibilité, le petit Marcel envie l’intelligence cursive de Cocteau, qui perçoit d’emblée ce qu’elle percevra toujours. (…) En l’empêchant de rester deux heures en place, elle lui interdit de parfaire un livre central ou une œuvre massive. Il pense n’avoir qu’à puiser dans sa personnalité exubérante pour bâtir un nouveau livre ? Proust pressent qu’il lui faudra d’abord sacrifier son être réel, s’il veut se reconstruire par écrit.

Le livre met en parallèle les parcours des deux auteurs pour souligner, avec beaucoup de finesse dans la manière de raconter, l’influence particulière qu’ils ont pu avoir l’un sur l’autre.

On taxe souvent Proust de grand mondain. L’accusation est assez excessive lorsque l’on sait qu’il a vécu une bonne partie de sa vie d’adulte enfermé chez lui, sacrifiant tout à l’écriture. Enfermé et donc particulièrement sensible (c’est un euphémisme quand il est question de Proust) à son environnement, son cadre de vie, son appartement et, par extension, son voisinage.  Estelle Gaudry et Jean-Yves Tadié  viennent d’établir et de publier la correspondance que Marcel a entretenue avec Marie Williams, sa voisine du dessus, épouse d’un dentiste américain. À travers une vingtaine de lettres, on découvre Proust au quotidien : sa curiosité pour tout un chacun, sa sollicitude, sa compassion qui, portée parfois à l’extrême, peut faire peur et sa hantise du bruit.

J’espère que Bagnoles vous fait du bien, j’espère aussi que vous avez auprès de vous votre fils que je regrette de ne pas avoir vu à Paris. Vous êtes bien bonne de penser au bruit. Il est jusqu’ici modéré et se rapproche relativement du silence. Ces jours-ci un plombier est venu tous les matins de 7 à 9 ; c’est l’heure qu’il avait sans doute élue. Je ne peux pas dire qu’en cela mes préférences concordassent avec les siennes !

Entre les conversations de voisinage et les compliments de circonstances, Proust glisse des mots sur la musique, la littérature, des amis communs, avec élégance et humour. Une manière détournée, pour ceux qui n’ont jamais lu Proust épistolier, de découvrir cette autre facette de l’auteur.

Et pour les proustophiles acharnés, le clou du spectacle est sans conteste la superbe édition que Gallimard consacre aux premières épreuves de Combray corrigées par l’auteur, en fac-similé, avec leur transcription.
Au fil des ajouts et des modifications, le texte se densifie, gonfle, devient plus ample et plus précis. On assiste véritablement au travail de création. Cette édition est également un merveilleux objet : certaines pages se déplient pour faire apparaître les « paperoles », ces petits morceaux de papiers collés que Proust ajoutait sans cesse à ses textes. On pourrait parler de pop-up littéraire !
Un beau livré édité à 1200 exemplaires (et que mon cher et tendre a eu la judicieuse idée de m’offrir pour mon anniversaire !) et déjà épuisé.

Pas encore lus mais en bonne place dans ma lettre au Père Noël : Proust est une fiction de François Bon et Le dictionnaire amoureux de Marcel Proust de Jean-Paul et Raphaël Enthoven.

Références :
Claude ARNAUD, Proust contre Cocteau, Grasset, 2013.
Marcel PROUST, Lettres à sa voisine, Gallimard, 2013.
Marcel PROUST, Du Côté de chez Swann – Combray. Première épreuves corrigées (1913), Hors série Beaux Livres, Gallimard, 2013.

11 avril 2013

Illégal

Dans la mer il y a des crocodiles, Fabio GEDA

La rencontre entre Fabio GEDA, éducateur et écrivain et Enaiatollah Akbari, jeune réfugié politique ou l'histoire vraie du périple d'un enfant afghan jusqu'en Italie.

Enaia dit qu'il a de la chance. Et pourtant, on ne peut pas dire que les fées se soient penchées sur son berceau. Né Hazara, une ethnie persécutée à la fois par les Pachtounes et les Talibans, dans un petit village d'Afghanistan, Enaia est destiné à mourir pour compenser la dette qu'a contractée son père en ayant eu la mauvaise idée de mourir alors qu'il transportait de la drogue pour le compte des Talibans. 
La mère d'Enaia le conduit alors près de la frontière pakistanaise et l'abandonne, considérant que la fuite, aussi dangereuse soit-elle, vaut mieux que la condamnation à mort qui l'attend dans son village.
Enaia a dix ans, ou peut-être onze. Il ne sait pas. Et il va devoir apprendre à survivre dans un pays en guerre où les enfants de sa condition sont nombreux et traités comme des animaux.
Il traversera l'Iran, la Turquie, la Grèce avant d'atteindre l'Italie, terre de salut. Il voyagera dans le double fond d'un camion, dans le ventre d'un cargo, sur un canot de sauvetage, dans les montagnes pakistanaises, ... Il verra certains de ses compagnons de fortune mourir sous ses yeux. Il sera dépendant des trafiquants d'êtres humains qui le feront voyager et travailler illégalement sur des chantiers, de la police qui bien souvent spolie les illégaux de leurs maigres biens. 
La force de ce récit est sans doute la totale absence de pathos. Enaia raconte les faits. Il évite de parsemer son histoire de sentiments. Il raconte son histoire et l'on comprend qu'il a dû laisser les émotions de côté pour pouvoir survivre dans un monde qui ne voulait pas de lui. Car l'histoire d'Enaia est avant tout l'histoire de la rage de vivre d'un enfant. Malgré la guerre, la peur, la faim et la souffrance, l'enfant se battra jours après jours pour trouver un lieu dans lequel il puisse vivre. Il trouvera finalement un lieu où il peut même être heureux. Il n'en attendait pas tant.
Le récit d'Enaia est de temps en temps interrompu par le compte rendu de ses entrevues avec Fabio. Fabio qui tente de lui faire parler de sa mère, de la vieille dame qui l'a nourri et habillé avant de le remettre sur la route avec cinquante euros en poche, de ses amis d'errance. Mais Enaia refuse : « Ce qui est important, c'est l'histoire. Pas les gens, ni les lieux. Mon histoire n'est pas personnelle, elle est celle de milliers de gosses et de femmes. »
Un récit plein de pudeur, donc. Et une histoire poignante qui rappelle ce que traversent de nombreux immigrés clandestins, les hommes, les femmes, les familles et les enfants, prêts à toutes les humiliations et les souffrances physiques pour tenter de pénétrer sur une terre un peu moins hostile, mais dont ils sont malheureusement souvent chassés à coups de pieds. Et une belle leçon pour tous ceux qui pensent encore qu'on ne "peut pas accueillir toute la misère du monde".
Le récit de Fabio GEDA s'est vendu à plus de deux-cent milles exemplaires. Inouï quand on sait qu'il a été écrit dans une Italie berlusconienne bien peu accueillante pour les immigrés clandestins.

Référence :
Fabio GEDA, Dans la mer il y a des crocodiles, traduit de l'italien par Samuel Sfez, édition Liana Levi, 2011. 

22 septembre 2012

Bon appétit!

My Life in France et Mastering the Art of French Cooking, Julia CHILD

L’aventure culinaire et éditoriale d’une star des fourneaux américaine et de sa passion pour « la belle France ».

Comme beaucoup, je ne connaissais pas Julia Child avant de voir le film Julie & Julia. Loin d’être un chef d’œuvre (le film est bourré de clichés servis à la grosse louche), il avait toutefois le mérite de faire découvrir une star américaine des cuisines et du petit écran.
Pour la petite histoire, j’ai vu ce film en avion. L’un des rares avantages, selon moi, à ne pas se sentir très à l’aise en avion (je n’irai pas jusqu’à dire que j’ai peur mais j’avoue que je dois quand même souvent mettre de côté l’angoisse qui monte durant les longs vols) c’est que tout ce qui peut me distraire est le bienvenu et se revêt de qualités qu’il n’aurait jamais sur la terre ferme. Du coup, n’importe quel film, pourvu qu’il m’empêche de penser, pendant deux heures, au fait que je suis coincé dans une carcasse de métal à des milliers (euh…) de mètres au-dessus d’un océan, est digne d’intérêt. Bref, une fois sorti de l’avion, j’avais très envie d’en savoir davantage sur Julia Child. Le message est si bien passé que ma belle-sœur m’a rapidement offert Mastering the Art of French Cooking, LE livre de cuisine de Child, best-seller sans précédent dans l’histoire de l’édition culinaire outre-Atlantique (et qui a depuis trouvé une place de choix dans ma bibliothèque de livres de recettes). J’ai un peu cherché du côté du net pour voir Julia en action dans ses émissions de cuisine (comme ici). Et, plus récemment, un très gentil collègue m’a passé My Life in France, un livre de souvenirs où Julia Child raconte son parcours et, surtout, sa découverte de la cuisine française.
Quittant la Californie pour la France en 1948, elle y accompagne Paul, son mari, qui rejoint Paris pour s’occuper d’un bureau d’information créé par les États-Unis au lendemain de la guerre pour, en gros, vanter les mérites du plan Marshall. Julia n’a alors aucune culture culinaire mais son premier repas en France, une sole meunière, va lui ouvrir les yeux et les papilles. Dès leur arrivée à Paris, elle commence à s’intéresser au contenu de son assiette, interroge les vendeurs sur le marché et essuie ses premiers échecs aux fourneaux. Bien décidée à venir à bout de la cuisine française, elle s’inscrit à un cours pour apprentis cuisiniers. Au fil des années et des rencontres, elle va tenter de partager sa passion avec le public américain, à travers des cours, des livres et puis, finalement, à la télévision.
Ce livre de souvenirs nous raconte ce parcours auquel il faut associer Paul, son mari. Il la soutient et se met souvent en retrait pour lui permettre de mener à bien tous ses projets. Un couple assez moderne pour l’époque (qui s’amusait notamment à envoyer des cartes de vœux originales ; voir ci-contre), un peu bohème, en rupture par rapport à son milieu (le père de Julia est un farouche républicain qui ne comprend pas le mode de vie de sa fille). Paul sera d’ailleurs inquiété pour ses opinions politiques au moment du maccarthysme.
À côté de l’histoire d’amour entre une femme, un pays et sa cuisine My Life in France est aussi l’histoire d’une aventure éditoriale hors du commun. Mastering the Art of French Cooking est un projet qui aura mis plus de dix ans à voir le jour. Avec ses co-auteures, Child entendait rendre la cuisine française accessible à la ménagère américaine qui, à l’époque, n’en avait que faire du fameux « beurre blanc ». Que ce soit dans la mise en page, dans les explications ou dans la manière de proposer des déclinaisons autour d’une même base, le livre est une petite révolution dans le milieu de l’édition culinaire et imposera une forme et des conventions qui feront date. Du point de vue didactique, l’écriture de Child est un sommet du genre. Tout est limpide, précis et accessible. Et pour le lecteur d’aujourd’hui, même de ce côté de l’Atlantique, c’est un livre que tout amateur se devrait d’avoir dans sa bibliothèque. C’est d’abord la photographie de la cuisine traditionnelle française avant l’arrivée de la nouvelle cuisine mais c’est aussi une mine d’informations et de recettes, entre vraie/fausse simplicité (l’omelette), morceaux de bravoure (le pâté de canard en croute) et plats traditionnels (sa recette du bœuf bourguignon est un must que chacun se devrait d’essayer au moins une fois).
Le caractère enjoué et passionné de Julia Child se retrouve à chaque page de ces deux livres qui n’ont malheureusement jamais été traduits en français.

Références :
My Life in France, Julia CHILD, Alex PRUD’HOMME, Alfred A. Knopf., 2006.
Mastering the Art of French Cooking, Julia CHILD (avec Louisette BERTHOLLE et Simone BECK), Alfred A. Knopf., 1961.

14 novembre 2011

« Nul n’est esclave en France »

L’affaire de l’esclave Furcy, Mohammed AÏSSAOUI


L’enquête d’un journaliste d’aujourd’hui sur une aventure juridique sans précédent : un esclave qui revendique sa liberté.

L’affaire Furcy est un procès au long cours. De 1817 à 1843, un esclave de l’île Bourbon, aujourd’hui île de La Réunion, va revendiquer devant les tribunaux rien de moins que sa liberté. Alors que l’esclavage avait été aboli en métropole après la Révolution, il n’en allait pas de même dans les colonies qui dépendaient, pour leur économie, de cette main d’œuvre à bas prix et sur laquelle les maîtres avaient tous les droits. Furcy, dont on sait très peu de choses, est le fils d’une indienne, née à Chandernagor, achetée à l’âge de neuf ans, puis affranchie. Consciente ou non de cette liberté nouvelle, elle n’en a jamais fait l’usage et est restée au service d’un maître jusqu’à sa mort. Lorsque Furcy découvre la vérité, il cherchera simplement, avec une impressionnante détermination, à faire respecter ses maigres droits : l’enfant d’un affranchi ne peut être maintenu en esclavage. Mais le problème est plus vaste : comment les propriétaires et les petits potentats locaux peuvent-ils accepter qu’un esclave vienne défier leur autorité ou, pire, mettre le feu aux poudres et faire lever un vent de révolte ?

Mohammed Aïssaoui, en découvrant les archives consacrées à l’affaire, s’est passionné pour le parcours étonnant de Furcy et, à travers ce livre, tente de combler les zones d’ombres et de redonner vie à cette aventure juridique et humaniste. Un travail d’enquêteur, d’historien et de romancier qui ressuscite une époque où, loin des idéaux des Lumières et de la déclaration des droits de l’Homme, tous les hommes ne naissaient pas encore libres et égaux. Le discours des maîtres et de certains magistrats fait même froid dans le dos.
Le style de l’auteur est vibrant, habité et joue habilement sur les codes du romanesque pour garder intact le suspense : Furcy deviendra-t-il un homme libre ? Le récit de cette quête éprouvante et essentielle nous fait, au final, nous pencher sur notre propre sens de la liberté, donnée que nous considérons comme acquise mais qui s’avère plus complexe qu’il n’y paraît.

Avis aux collègues : si ce n’est certes pas un essai, ce petit livre s’inscrira sans problème dans le programme de sixième.

D’autres avis chez In Cold Blog, qui a eu la patience de recenser les billets.

Référence :
L’affaire de l’esclave Furcy, Mohammed AÏSSAOUI, Gallimard, Folio, 2011

29 novembre 2009

Retour sur l'amour

Lettre à D. Histoire d'un amour, André GORZ

Récit de la vie du couple du philosophe et de son épouse. Une vie à deux.

Un coup de foudre entre lui, le jeune philosophe apprenti écrivain, et elle, Dorine, libre et belle. Lui, an Austrian Jew, elle, Anglaise. Une rencontre en 1947, comme une évidence. Oui, l'amour c'est cela, corps et âmes, le reste n'était qu'une illusion, des tentatives infructueuses.
Cinquante-huit plus tard, il l'aime plus que jamais et revient sur leur histoire. Dans ses autres livres, il avait déjà parlé d'elle mais s'en voulait de l'image qu'il donnait d'elle à travers lui. Alors il raconte: la rencontre, les hésitations face au mariage, les années de vache maigre et les succès. Les voyages, les découvertes et, peu à peu, la maladie qui les poussera finalement à quitter ensemble la vie.
André GORZ est l'un des fondateurs de l'écologie politique, écrivain, philosophe et journaliste, proche, notamment, de Sartre. Un homme discret qui dans ce court texte tente de mettre en mots le lien amoureux et de rendre hommage à celle qui l'a suivi, devancé, aidé.
Les mots de GORZ sont d'une justesse rare et bien éloignés des témoignages pseudo-romanesques et nombrilistes de certains écrivains français. L'histoire d'une vie est ici amenée à travers celle du couple et de la manière d'avancer à deux. L'histoire d'une homme aussi, de son impossibilité d'envisager sa vie seul. A deux ou rien.

Niveau 4

10 septembre 2009

La part manquante

Les Disparus, Daniel MENDELSOHN

Une enquête sur la part manquante d’une histoire familiale. Une autre manière de parler de l’Holocauste, de l’Histoire et des histoires.

Daniel MENDELSOHN a été, depuis l’enfance, bercé par les histoires de son grand-père maternel : son départ d’une petite ville de Pologne en 1941, son arrivée aux Etats-Unis, … . Des histoires mythiques, répétées sans cesse. Des histoires drôles, souvent. Mais l’histoire qui concerne Schmiel, le frère du grand-père, et ses quatre filles, disparus en Pologne durant l’Holocauste, est une histoire incomplète dont le grand-père n’a jamais donné les détails. Où ? Quand ? Comment sont-ils morts ?
Après le décès de son grand-père, Daniel MENDELSOHN découvre les lettres désespérées de Schmiel, implorant sa famille américaine de l’aider à quitter la Pologne car le pire risquait d’arriver.
L’auteur, passionné par la généalogie, décide d’entreprendre des recherches pour comprendre ce qui est arrivé à ce grand-oncle et à sa famille. Ces recherches vont l’amener à voyager : Israël, Australie, Suède, Ukraine (là où se trouve aujourd’hui Bolechow, la ville dont sa famille est originaire) … Chaque voyage est une rencontre avec les anciens de Bolechow, rares survivants de l’extermination de la population juive de la région, programmée en plusieurs phases par les nazis. A chaque rencontre, de nouvelles informations sur les disparus. Pas uniquement sur leur mort, mais des détails sur leur vie, leur quotidien, leur caractère, … Et aussi le portrait de ceux qui ont survécu et qui, chacun à leur manière, vivent avec le passé. Des rencontres, des voyages, mais aussi d’incroyables hasards qui, jusqu’à la toute fin, permettent à Daniel MENDELSOHN de reconstituer le puzzle.
Un livre sur la tragédie de l’Holocauste mais aussi une réflexion sur comment l’histoire se raconte, se construit et se transmet. De l’importance de dire, ou de ne pas dire. De la difficulté de juger ou de ne pas juger ce que l’on n’a pas vécu. MENDELSOHN s’interroge aussi sur les raisons de sa quête et sur ses propres liens familiaux.
L’histoire de la recherche des Disparus est entrecoupée par des réflexions sur les premiers épisodes de la Torah : la Genèse, Adam et Eve, Caïn et Abel, Noé, Abraham. Il compare, en historien et en spécialiste de la littérature grecque, les différentes interprétations données à ces autres histoires et montre comment elles peuvent nous éclairer sur nos comportements.
Dans ce livre, pas de scoops, par de révélations sensationnelles, mais le récit d’une recherche qui permet de mettre en lumière une autre réalité de l’Holocauste en passant non pas par le collectif, comme dans les lieux de mémoire que sont les camps, mais par le parcours de quelques individus. MENDELSOHN est parfois très sentimental, il le dit lui-même, mais son regard est surtout profondément humain et les questions qu’il évoque dépassent largement son histoire personnelle. Alors oui, c’est très long, très détaillé, mais c’est une lecture assez simple et souvent captivante (sans être pour autant, comme l’indique assez bêtement le quatrième de couverture, « un roman policier haletant » !).

Niveau 3
(Merci à Laurent pour ce conseil judicieux)

17 mai 2009

Greffier

Greffier, Joann SFAR

En février 2006, l’hebdomadaire Charlie Hebdo, après la publication des caricatures de Mahomet, se retrouve devant les tribunaux pour « injures publiques envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une religion ». Joann Sfar assiste à l’intégralité des débats et nous livre la chronique, sous forme de bande dessinée, d’un procès qui parle de racisme, de laïcité et du droit à l’expression. Avec ses dessins croqués en vitesse et son humour, Sfar retranscrit les brillantes tirades de certains témoins qui ne rappellent rien de moins que les bases de la démocratie.
A l’instar de son auteur, un ouvrage étonnant et remarquable.

22 janvier 2009

Gomorra

Gomorra - Dans l'empire de la camorra, Roberto Saviano

Une plongée dans la criminalité organisée de la région de Naples.
A l'heure de la mondialisation de l'économie, le "Système" mafieux s'est internationalisé et diversifié. Il touche aujourd'hui de nombreux secteurs d'activité: vêtements, drogue, armes, alimentation, déchets, construction, tourisme, ... Un système complexe aux mains de clans qui se font parfois la guerre et sont prêts à tout pour conserver leur pouvoir.
Roberto Saviano, écrivain et journaliste, a longuement enquêté et nous montre comment, pour les habitants de ces zones où le droit et la justice semblent absents, la camorra est presque devenue l'unique chance de se sortir de la misère, d'obtenir le respect. Napolitain de naissance, il pousse un cri de colère face au destin tragique de sa région.
Un livre choc au succès retentissant, qui a valu à son auteur d'être placé sous protection policière.

2 janvier 2009

Une femme à Berlin

Une femme à Berlin - Journal, 20 avril-22 juin 1945

Derniers jours de la guerre à Berlin, ville détruite, et arrivée des Soviétiques. Une jeune Berlinoise décide de tenir un journal pour raconter, témoigner mais surtout survivre à l'horreur. Elle décrit le quotidien des habitants d'un immeuble durant les derniers combats: les bombardements, le froid, la faim. Et puis à l'arrivée des Russes, les viols, la peur et la lutte pour garder sa part d'humanité. La jeune femme porte un regard lucide et sans pitié sur ce qui lui arrive, sur le nazisme et sur les raisons de la défaite allemande. Pas d'auto-apitoiement, pas d'amnésie.
Un témoignage anonyme sur la guerre, vue ici par les civils et plus particulièrement les femmes. Les mots sont parfois durs mais toujours empreints de pudeur. Une lecture qui nous interroge sur nos facultés à survivre et à rester humains, malgré tout.