2 décembre 2013

Royales poupées

L’Échange des princesses, Chantal THOMAS

Entre l’essai historique et le roman, Chantal Thomas raconte le destin particulier de deux enfants soumis aux caprices de l’histoire.

Philippe d’Orléans, Régent de France, est extrêmement fier de son idée : une double union entre la France et l’Espagne. Il veut unir Louis XV à la jeune Infante Anna Maria Victoria et, dans la foulée, le prince des Asturies, futur roi d’Espagne, à sa propre fille, Mlle de Montpensier. L’initiative du Régent enchante toutes les parties, heureuses à l’idée d’une alliance entre les deux grandes puissances européennes. Le plus vite sera donc le mieux.

Curieuse hâte, souligne Saint-Simon, on a des années devant nous, étant donné les âges de tous ces fiancés. De précoces fiancés, il faut l’avouer. Si le prince des Asturies a quatorze ans, la fille du Régent n’en a que douze, Louis XV (…) va vers ses douze ans. Quant à Anna Maria Victoria, infante d’Espagne, elle est née le 31 mars 1718. La future épouse de Louis XV et reine de France n’a pas encore quatre ans !

L’échange des princesses a lieu en 1722. L’une part de Madrid, l’autre de Paris. Elles laissent définitivement derrière elles leur famille et leur cour pour accomplir un destin que d’autres ont décidé pour elles. Elles se croisent, lors d’une cérémonie à haute valeur symbolique, sur une petite île qui sépare les deux pays.
Le Régent et les souverains espagnols se félicitent de la réussite du projet. Le peuple acclame les nouvelles venues et se réjouit à l’idée des noces. Mais ce que tous semblent oublier, c’est qu’il n’en va pas des relations humaines comme des courriers diplomatiques et que ces petites princesses ont parfois des sentiments.
Après avoir vu le très beau film d’Olivier Assayas, Les Adieux à la reine, adapté d’un livre de Chantal Thomas, j’avais envie de découvrir cette auteure que je n’avais jamais lue. C’est chose faite avec ce livre à mi-chemin entre l’essai historique et le roman. À partir d’extraits de presse ou de correspondances, Chantal Thomas redonne vie à cet épisode de l’histoire où les symboles prennent le pas sur le réel.
Au centre de la vie de la cour, les corps des personnes royales sont les astres autour desquels tout s’organise. Et ceux des petites princesses, reines en devenir, sont nourris, habillés, scrutés, comme ces poupées que la petite Infante emmène partout avec elle. Si leur destin n’est clairement pas entre leurs propres mains, elles différent cependant dans leur manière de s’y soumettre. La princesse de Montpensier s’enferme dans un mutisme forcé et fait rarement bonne figure. Et, bien que pubère, elle tarde à fournir un héritier à la famille royale espagnole.
De son côté, la jeune Anna Maria Victoria est complètement habitée par son statut de future reine de France. Malgré ses manières enfantines, elle assume pleinement le rôle qui lui a été dévolu et, surtout, vibre d’amour pour son Louis qui ne lui accorde que de très vagues marques d’affection. Mais peu importe, la fillette fait le bonheur de la cour.

L’infante charme par sa bonne humeur et par ses répliques. Par exemple, à l’ambassadeur du Portugal qui après avoir pris des nouvelles de sa santé lui demande si « elle trouve la France et Versailles plus beaux que Madrid elle répond : J’ai eu toutes les peines de monde à me séparer de mon père et de ma mère mais je suis bien aise d’être reine de France. » Son esprit, dit-on, tient du prodige ? On admire, on s’extasie. Et si c’était trop, si elle avait trop d’esprit pour survivre ?

Peu importe finalement leur caractère ou leur docilité car les deux princesses sont le caprice de leurs aînés : leur destin ne tient qu’à un fil.
Chantal Thomas est un excellente conteuse et, dans une langue qui emprunte à l’époque qu’elle raconte sa grâce et sa clarté, elle entraine le lecteur à la suite de ces enfants sacrifiés, objets de grande valeur qui peuvent à tout moment passer de mode. Un petit bout d’histoire et une plongée dans les mentalités de l’époque.
Autre temps, autres mœurs ? À voir l’engouement médiatique autour de la naissance du prince George en Angleterre, on peut en douter…

Référence :
Chantal THOMAS, L’Échange des princesses, Seuil, 2013.

8 commentaires:

  1. Qui l'eût cru ? Je jouerais bien à nouveau à la poupée, moi ;)

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  2. Un livre qui me tente aussi (comme toi, parce que je n'ai rien lu de Chantal Thomas, en ayant apprécié le film tiré d'un de ses romans). Mais j'attends le bon moment (= l'envie de lire un roman historique) ... ce qui permettra au livre en question d'être plus facilement disponible en bibliothèque !

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  3. Contrairement à toi, Delphine a été déçue de sa lecture.

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  4. Je ne savais pas du tout que ça pouvait être bien... j'avais un drôle de préjugé sur l'auteur. Vous êtes en train de le faire fondre!

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    1. Sur le préjugé: mon cher et tendre est passé devant moi quand je lisais le livre. Titre + image de princesse: j'ai eu droit à un sourire narquois... Comme si je lisais les aventures de Sissi...

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