11 avril 2013

Illégal

Dans la mer il y a des crocodiles, Fabio GEDA

La rencontre entre Fabio GEDA, éducateur et écrivain et Enaiatollah Akbari, jeune réfugié politique ou l'histoire vraie du périple d'un enfant afghan jusqu'en Italie.

Enaia dit qu'il a de la chance. Et pourtant, on ne peut pas dire que les fées se soient penchées sur son berceau. Né Hazara, une ethnie persécutée à la fois par les Pachtounes et les Talibans, dans un petit village d'Afghanistan, Enaia est destiné à mourir pour compenser la dette qu'a contractée son père en ayant eu la mauvaise idée de mourir alors qu'il transportait de la drogue pour le compte des Talibans. 
La mère d'Enaia le conduit alors près de la frontière pakistanaise et l'abandonne, considérant que la fuite, aussi dangereuse soit-elle, vaut mieux que la condamnation à mort qui l'attend dans son village.
Enaia a dix ans, ou peut-être onze. Il ne sait pas. Et il va devoir apprendre à survivre dans un pays en guerre où les enfants de sa condition sont nombreux et traités comme des animaux.
Il traversera l'Iran, la Turquie, la Grèce avant d'atteindre l'Italie, terre de salut. Il voyagera dans le double fond d'un camion, dans le ventre d'un cargo, sur un canot de sauvetage, dans les montagnes pakistanaises, ... Il verra certains de ses compagnons de fortune mourir sous ses yeux. Il sera dépendant des trafiquants d'êtres humains qui le feront voyager et travailler illégalement sur des chantiers, de la police qui bien souvent spolie les illégaux de leurs maigres biens. 
La force de ce récit est sans doute la totale absence de pathos. Enaia raconte les faits. Il évite de parsemer son histoire de sentiments. Il raconte son histoire et l'on comprend qu'il a dû laisser les émotions de côté pour pouvoir survivre dans un monde qui ne voulait pas de lui. Car l'histoire d'Enaia est avant tout l'histoire de la rage de vivre d'un enfant. Malgré la guerre, la peur, la faim et la souffrance, l'enfant se battra jours après jours pour trouver un lieu dans lequel il puisse vivre. Il trouvera finalement un lieu où il peut même être heureux. Il n'en attendait pas tant.
Le récit d'Enaia est de temps en temps interrompu par le compte rendu de ses entrevues avec Fabio. Fabio qui tente de lui faire parler de sa mère, de la vieille dame qui l'a nourri et habillé avant de le remettre sur la route avec cinquante euros en poche, de ses amis d'errance. Mais Enaia refuse : « Ce qui est important, c'est l'histoire. Pas les gens, ni les lieux. Mon histoire n'est pas personnelle, elle est celle de milliers de gosses et de femmes. »
Un récit plein de pudeur, donc. Et une histoire poignante qui rappelle ce que traversent de nombreux immigrés clandestins, les hommes, les femmes, les familles et les enfants, prêts à toutes les humiliations et les souffrances physiques pour tenter de pénétrer sur une terre un peu moins hostile, mais dont ils sont malheureusement souvent chassés à coups de pieds. Et une belle leçon pour tous ceux qui pensent encore qu'on ne "peut pas accueillir toute la misère du monde".
Le récit de Fabio GEDA s'est vendu à plus de deux-cent milles exemplaires. Inouï quand on sait qu'il a été écrit dans une Italie berlusconienne bien peu accueillante pour les immigrés clandestins.

Référence :
Fabio GEDA, Dans la mer il y a des crocodiles, traduit de l'italien par Samuel Sfez, édition Liana Levi, 2011. 

2 commentaires:

  1. Hubert Haddad avait un peu retracé le même destin dans Opium Poppy sauf que c'était de la pure fiction.

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  2. Je l'ai lu ce bouquin-ci en pensant lire de la fiction. C'est d'autant plus édifiant de lire que c'est la pure réalité...

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