Le Roman du mariage (The Marriage Plot), Jeffrey EUGENIDES
Mitchell aime Madeleine qui aime Leonard. Un triangle amoureux, un roman d’apprentissage et une interrogation sur la littérature d’hier et d’aujourd’hui.
Début des années 1980, dans une université de l’est des États-Unis. C’est la fin du premier cycle pour trois jeunes gens prometteurs, aux portes de l’âge adulte. S’il n’y avait que la question des études (quel second cycle et où ?), les choix pourraient être faciles. Mais voilà : il y a l’amour. Madeleine rêve d’une relation à la hauteur de ses ambitions et de celles de ses parents. Et alors que Mitchell, gendre idéal, timide et romantique, lui tourne autour, c’est pour Leonard que son cœur s’emballe. Ténébreux, inconstant – voire inquiétant – et d’une intelligence acérée : un mélange irrésistible pour une fille de bonne famille qui a passé ses jeunes années à rêvasser aux grandes passions amoureuses qui inondent la littérature. Mais les opposés finissent-ils par s’entendre, comme dans Orgueil et préjugés ?
À l’époque d’Henri James, d’Edith Wharton ou de Jane Austen, l’héroïne se devait de trouver dans l’institution du mariage l’accomplissement de son rôle de femme et la légitimation de sa place dans la société. Mais, fort heureusement, les choses ont changé et, au moment où se déroule le roman, les jeunes femmes comme Madeleine ont, en apparence du moins, la possibilité d’entrevoir un avenir pour elles-mêmes, d’envisager une carrière et de ne pas reproduire les schémas de la génération d’avant. D’ailleurs, c’est davantage le personnage de Mitchell qui endosse le rôle de l’amoureux romantique qui rêve, naïvement, d’un happy end austenien. Madeleine se veut indépendante mais, malgré cela, une partie d’elle-même rêve du prince charmant. Sans pour autant parler de bovarisme, le personnage est à la fois le fruit de ses lectures de jeunesse et de son apprentissage académique. Sa propre expérience de l’amour est sans cesse confrontée à ses réflexions d’étudiante sur un sujet qui hante la littérature de toutes les époques.
En effet, les trois personnages de ce triangle amoureux sont avant tout des apprentis intellectuels (avec tout ce que cela peut parfois comporter de ridicule) dont la lecture du monde se fait, dans un premier temps, en partie par les livres et par les cours qu’ils suivent à l’université. Dans le cas de Madeleine, la découverte du structuralisme et du déconstructivisme entre en concurrence avec ses propres représentations de la relation amoureuse. Ce n’est pas pour rien que lors d’une dispute, elle lance son exemplaire des Fragments du discours amoureux de Barthes à la tête de Leonard. Par la suite, ils vont chacun devoir confronter ce premier apprentissage avec le réel, que ce soit celui du vaste monde ou celui de leur patrimoine neurologique.
Au centre du roman, il y a la question de la liberté et du choix (qui rappelle, le cynisme en moins, Freedom de Franzen). Les indécisions des personnages s’expriment de manière très différente : la dépression pour Leonard et la recherche de spiritualité pour Mitchell. Quant à Madeleine, son cœur balance et ses efforts pour passer du statut d’objet à celui de sujet ne se font pas sans peine. Le regard que l’auteur porte sur ces trois protagonistes en marche vers l’âge adulte est à la fois tendre et amusé. Il croise avec beaucoup de finesse leurs parcours, par des ellipses narratives et des flash-back, et dépeint magnifiquement les états d’âme et les questionnements qui les taraudent, non sans un certain humour qui permet de ne pas tomber dans les pièges du roman psychologique.
Difficile pour moi de ne pas lire ce dernier Eugenides sans le comparer avec ses deux autres romans. Je n’ai pas retrouvé le ton épique et la fougue que j’avais aimés dans Middlesex. Malgré cela (et malgré la lecture en vo qui n’était pas toujours aisée), j’ai été captivé par la justesse de l’écriture et par la manière douce-amère de décrire cette période sensible où l’on referme peu à peu les portes de l’adolescence pour pénétrer le monde des adultes.
Références :
Jeffrey EUGENIDES, Le Roman du mariage, traduit de l’anglais (États-Unis) par Olivier Deparis, Éditions de l’Olivier, 2013.
(Et pour l’édition en vo : Picador, 2012)
Mitchell aime Madeleine qui aime Leonard. Un triangle amoureux, un roman d’apprentissage et une interrogation sur la littérature d’hier et d’aujourd’hui.
Début des années 1980, dans une université de l’est des États-Unis. C’est la fin du premier cycle pour trois jeunes gens prometteurs, aux portes de l’âge adulte. S’il n’y avait que la question des études (quel second cycle et où ?), les choix pourraient être faciles. Mais voilà : il y a l’amour. Madeleine rêve d’une relation à la hauteur de ses ambitions et de celles de ses parents. Et alors que Mitchell, gendre idéal, timide et romantique, lui tourne autour, c’est pour Leonard que son cœur s’emballe. Ténébreux, inconstant – voire inquiétant – et d’une intelligence acérée : un mélange irrésistible pour une fille de bonne famille qui a passé ses jeunes années à rêvasser aux grandes passions amoureuses qui inondent la littérature. Mais les opposés finissent-ils par s’entendre, comme dans Orgueil et préjugés ?
À l’époque d’Henri James, d’Edith Wharton ou de Jane Austen, l’héroïne se devait de trouver dans l’institution du mariage l’accomplissement de son rôle de femme et la légitimation de sa place dans la société. Mais, fort heureusement, les choses ont changé et, au moment où se déroule le roman, les jeunes femmes comme Madeleine ont, en apparence du moins, la possibilité d’entrevoir un avenir pour elles-mêmes, d’envisager une carrière et de ne pas reproduire les schémas de la génération d’avant. D’ailleurs, c’est davantage le personnage de Mitchell qui endosse le rôle de l’amoureux romantique qui rêve, naïvement, d’un happy end austenien. Madeleine se veut indépendante mais, malgré cela, une partie d’elle-même rêve du prince charmant. Sans pour autant parler de bovarisme, le personnage est à la fois le fruit de ses lectures de jeunesse et de son apprentissage académique. Sa propre expérience de l’amour est sans cesse confrontée à ses réflexions d’étudiante sur un sujet qui hante la littérature de toutes les époques.
En effet, les trois personnages de ce triangle amoureux sont avant tout des apprentis intellectuels (avec tout ce que cela peut parfois comporter de ridicule) dont la lecture du monde se fait, dans un premier temps, en partie par les livres et par les cours qu’ils suivent à l’université. Dans le cas de Madeleine, la découverte du structuralisme et du déconstructivisme entre en concurrence avec ses propres représentations de la relation amoureuse. Ce n’est pas pour rien que lors d’une dispute, elle lance son exemplaire des Fragments du discours amoureux de Barthes à la tête de Leonard. Par la suite, ils vont chacun devoir confronter ce premier apprentissage avec le réel, que ce soit celui du vaste monde ou celui de leur patrimoine neurologique.
Au centre du roman, il y a la question de la liberté et du choix (qui rappelle, le cynisme en moins, Freedom de Franzen). Les indécisions des personnages s’expriment de manière très différente : la dépression pour Leonard et la recherche de spiritualité pour Mitchell. Quant à Madeleine, son cœur balance et ses efforts pour passer du statut d’objet à celui de sujet ne se font pas sans peine. Le regard que l’auteur porte sur ces trois protagonistes en marche vers l’âge adulte est à la fois tendre et amusé. Il croise avec beaucoup de finesse leurs parcours, par des ellipses narratives et des flash-back, et dépeint magnifiquement les états d’âme et les questionnements qui les taraudent, non sans un certain humour qui permet de ne pas tomber dans les pièges du roman psychologique.
Difficile pour moi de ne pas lire ce dernier Eugenides sans le comparer avec ses deux autres romans. Je n’ai pas retrouvé le ton épique et la fougue que j’avais aimés dans Middlesex. Malgré cela (et malgré la lecture en vo qui n’était pas toujours aisée), j’ai été captivé par la justesse de l’écriture et par la manière douce-amère de décrire cette période sensible où l’on referme peu à peu les portes de l’adolescence pour pénétrer le monde des adultes.
Références :
Jeffrey EUGENIDES, Le Roman du mariage, traduit de l’anglais (États-Unis) par Olivier Deparis, Éditions de l’Olivier, 2013.
(Et pour l’édition en vo : Picador, 2012)
Bizarrement, rien encore à la bibli. j'attends.
RépondreSupprimerJe ne sais si c'est ma distraction mais j'ai l'impression que personne ne parle de ce roman. Je n'ai d'ailleurs rien trouvé sur les blogs que je suis d'habitude.
SupprimerEffectivement, les seuls échos que j'ai eu de ce roman jusqu'à aujourd'hui, je les ai trouvés dans la presse.
SupprimerTrès tentant, mais rien ne presse, j'attendrai la bibliothèque ou le poche...
RépondreSupprimerPour moi c'est le contraire: j'avais hâte de lire le nouvel Eugenides. Du coup, quand je l'ai vu en "softcover" en anglais, j'ai sauté dessus, sans me rendre compte qu'il sortait en français la semaine suivante.
SupprimerJ'ai adoré Virgin Suicide et Middlesex, donc il va sans dire que je lirai celui-ci !
RépondreSupprimerSage décision. ;-)
SupprimerIl est très différent des deux autres mais c'est aussi tout bon roman.
Je me demandais justement ce que donnait ce roman. J'ai vu aujourd'hui qu'il était bien placé dans les ventes d'amaz*n alors que je n'avais lu, jusqu'ici, aucun avis à son sujet. Ton billet tombe à pic, je le note dans un coin, n'ayant encore rien lu de l'auteur...
RépondreSupprimerJe m'explique difficilement pourquoi on n'en parle pas davantage. Perdu dans la rentrée littéraire de janvier? Pourtant il me semblait que l'auteur était très connu et généralement apprécié.
SupprimerLire ce nouvel Eugenides est bien entendu dans mes projets de lecture... J'avais tellement aimé Middlesex que je ne peux passer à côté de celui-ci. Un jour viendra...
RépondreSupprimerAvec ton titre, j'ai cette daubasse en tête pour la journée. Alors, y'a pas de raison : je partage ! :-D
Quelle générosité! Et en plus, tu donnes des idées mode: on l'oublie trop souvent mais les bottes de cowboy ça va vraiment avec tout.
SupprimerOui, surtout avec... rien ! :-D
SupprimerJe pense aussi le découvrir quand il arrivera à la bibliothèque. J'ai vu l'auteur à la télé dans La grande librairie et je l'ai trouvé à la fois drôle et un peu lunaire.
RépondreSupprimerPas vu à la télé. À peine une petite interview dans les Inrocks. Ce qui est aussi intéressant: lire sans vraiment savoir vers quoi on va.
Supprimer