L'histoire étonnante mais passionnante de la construction d'un pont suspendu dans une ville imaginaire. Et surtout la découverte d'une auteure exceptionnelle.
A priori, le récit de la construction d'un pont, pendant plus de 300 pages, était loin de me tenter, loin s'en faut. Il fallut que j'entende les nombreux éloges de mes collègues et que je vois leurs yeux pétiller lorsqu'ils évoquaient la découverte de ce livre étonnant pour que je me décide à me plonger dans Naissance d'un pont. Et je compris. Je fus, dès la première page, complètement séduite par cette histoire, qui raconte bien la naissance d'un pont, mais surtout le destin croisé d'hommes que parfois tout oppose si ce n'est la réalisation de ce projet herculéen, mais aussi par l'écriture incroyable de cet auteur dont je n'oublierai désormais plus le nom compliqué, Maylis de Kerangal.
Parce qu'on y pense pas, mais la construction d'un pont c'est d'abord un projet, ce sont des concours d'architectes, des décisions d'administrations, des volontés d'hommes politiques. Puis c'est la mise en place d'une équipe, le choix des spécialistes, le chef de chantier, l'ingénieur béton (qui est en réalité une ingénieuse jeune-femme), le grutier... Et puis il y a tous les autres, ceux qui se sont précipités à l'ouverture du chantier pour avoir du boulot, des centaines de corps de métier, d'hommes et de femmes qui se lèvent tôt pour en être, parce que ces temps-ci, on n'est jamais sûrs d'en trouver, du boulot.
Enfin, ce genre de projet un peu fou ne fait pas que des contents. Il y a aussi la mafia qui voit d'un mauvais œil l'ambition du maire et les écologistes qui regrettent qu'on empêche la migration des oiseaux et qu'on massacre les poissons. Il y a les mouvements de grève, la grogne des syndicalistes, les accidents de travail, les tentatives de sabotage...
Maylis de Kerangal nous raconte une dizaine de personnages qui se croisent et partagent, le temps d'un chantier, des émotions, des sensations et quelques rêves. Elle nous raconte l'énergie, le foisonnement, le tourbillon du chantier. Et pour ce faire, elle utilise une langue travaillée, ciselée, cherchant le mot parfait, frisant l'exercice de style : les quartiers sont "juvéniles et coruscant", les têtes lourdes sont "coincées dans la latence", les hommes traînent dans des "rades à barbaque huileux", les cheveux sont "flavescents",...
Et malgré ce choix lexical très académique — et peut-être même grâce à lui — on est véritablement emporté par ce style bouillonnant qui rend cette histoire pleine d'humanité passionnante.
Références :
Maylis de KERANGAL, Naissance d'un pont, éditions Verticales et Folio, Gallimard, 2010.
J'ai beaucoup aimé moi aussi cette écriture "bouillonnante", comme tu dis. Je l'ai retrouvée dans "Corniche Kennedy", mais j'ai préféré cette "Naissance d'un pont", plus aboutie, et plus dense.
RépondreSupprimerJe me suis plongée dans Corniche Kennedy. Pour le moment, j'aime beaucoup... Il paraît que le dernier est fantastique !
SupprimerL'accroche commerciale n'a rien de très attirante, en effet ! En littérature la curiosité paye toujours...
RépondreSupprimerPas toujours évident de trouver la motivation de lire un sujet pas trop accrocheur. Mais c'est vrai que ça permet parfois de très bonnes surprises !
SupprimerJe rejoins cet avis en tous points ... A priori, les ponts, le béton, tout ça, bof ... Et pourtant, j'ai beaucoup aimé et l'histoire ( un bémol quand même pour la fin un peu eau-de-rose, mais sans doute en fallait-il un peu ...) et l'écriture, un exercice de style, oui, mais aussi ciselé que le béton ...
RépondreSupprimerTout à fait d'accord ! Mais je suis quand même heureuse qu'il y ait eu un peu de rose dans ce récit assez dur.
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