11 mai 2014

D’autres grandes espérances

Le Chardonneret, Donna TARTT

Après plus de dix années de silence, Donna Tartt revient sur le devant de la scène avec un roman de formation ambitieux, ancré dans l’histoire de la littérature et qui n’hésite pas à jouer la carte du page turner. Une brique à dévorer.

Le destin de Théo Decker, treize ans, bascule le jour où, avec sa mère, il fait la visite dans un musée new-yorkais d’une exposition consacrée à la peinture hollandaise. Elle veut lui faire admirer un petit tableau de Carel Fabritius, le Chardonneret. À travers les salles de l’exposition, Théo suit du regard une jeune fille rousse accompagnée de son grand-père. 
Mais tout à coup, la visite vire au chaos. Une puissante explosion fait s’écrouler les murs et les plafonds du musée. Blessé, désorienté mais vivant, Théo tente de sortir des décombres et de retrouver sa mère lorsque le vieil homme qu’il avait aperçu auparavant, dans un dernier souffle, lui confie le tableau de Fabritius. Sans réfléchir à son geste, Théo l’emporte hors du musée, traversant les nuées de pompiers et de policiers qui ont investi les lieux. Il rentre chez lui, obsédé par l’idée d’y retrouver sa mère. Mais les heures passent et l’appartement reste désespérément vide : la mère de Théo est morte dans l’explosion.
Pour ainsi dire sans famille (son père avait auparavant quitté le domicile conjugal sans laisser de trace), Théo est accueilli dans un premier temps dans la famille huppée d’un de ses condisciples, les Barbour. Commence alors pour Théo une lourde période de deuil, de confusion et, par la suite, de rencontres décisives, de celles qui déterminent une existence. Avec à ses côtés, à l’abri des indiscrets et des polices du monde entier, le portrait de l’oiseau du maître hollandais.
Il y aurait beaucoup à dire pour ne raconter qu’une infime partie de l’intrigue de ce roman de formation qui se déploie avec une impressionnante fluidité sur près de 800 pages. Mais mieux vaut laisser au lecteur la chance d’être surpris par les rencontres, les hasards et les coups du sort qui jalonnent le parcours de Théo.
À l’image de l’oiseau, le personnage de Donna Tartt n’est prisonnier d’aucune cage et pourrait aspirer à la liberté s’il n’y avait cette chaine quasi invisible qui le maintenait rivé à son passé. Entre culpabilité et peur de l’abandon, Théo se construit tant bien que mal. Sa recherche du bonheur trébuche souvent au bord du précipice et, entre l’alcool et les drogues, il oscille sur un fil tendu au-dessus du vide, hésitant sans cesse entre le bien et le mal. Si le personnage est évidemment très attachant, l’auteure n’en fait pas pour autant un héros lisse et stéréotypé. On a souvent l’impression d’avancer à ses côtés dans une brume opiacée où les contours du monde s’effacent, se brouillent. Les journées de Théo ressemblent à un lendemain de veille qui ne s’arrêterait pas, sombre et angoissant.
Parallèlement à ce roman d’initiation finement construit, l’histoire du tableau dérobé ouvre d’autres voies narratives, celles des romans noirs et d’aventures qui plongent dans l’univers des faussaires et du marché de l’art. Dans la deuxième partie du livre, ce changement de tonalité redonne du souffle et du suspense à l’intrigue, sans pour autant perdre de sa substance.
Ce troisième roman de l’auteure à succès vient rompre un silence de plus de dix ans. De Donna Tartt, je n’avais lu que le Maître des illusions, qui ne m’avait pas laissé un grand souvenir. Ce qui n’est pas le cas de celui-ci. S’il présente parfois quelques longueurs, elles sont vite oubliées tant le souffle romanesque emporte tout sur son passage. Le livre avance avec précision et confiance. Les échos aux grands auteurs sont assumés et sonnent juste. Pas de pastiche mais bien une synthèse entre les classiques de la tradition romanesque : Dickens, Dostoïevski, Tolstoï, Proust, …
Comme nous le disions dans l’un de nos derniers billets, ces derniers mois étaient, pour Amandine et moi, bien remplis. C’est donc avec bonheur que je me suis accordé le temps de plonger dans ce grand roman et, chose qui ne m’était plus arrivée depuis longtemps, de ralentir ma lecture en voyant arriver la fin du livre.

Référence :
Le Chardonneret, Donna TARTT, traduit de l’anglais (États-Unis) par Édith Soonckindt, Plon, « Feux croisés », 2014.

8 commentaires:

  1. Je fais partie de ceux qui ont beaucoup aimé ce roman (mon premier de l'auteur) Petites longueurs mais globalement je n'ai pas peiné!

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    1. Oui, quelques petites longueurs, parfois. Inévitables, je pense, dans un roman de 800 pages mais rien d'ennuyeux.

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  2. In the pile. Depuis sa sortie. Moi, j'avais carrément été bluffée par Le maître des illusions... que je sais par coeur!

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    1. À sortir de la pile quand tu as un peu de temps devant toi. Je l'avais mis de côté pour une semaine de vacances et il convient bien à une lecture en immersion!

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  3. Un roman que je lirai, car je fais partie de celle qui sont fan du maître des illusions. J'espère que je serai, comme toi, sous le charme.

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    1. De ce que j'ai pu lire ici et là, il a beaucoup plu aux "fans" de l'auteure.

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  4. Très déçue par ce looooooong, trop long roman pour moi !

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    1. Oui, c'est vrai que c'est assez long. Mais cela ne m'a pas du tout dérangé; j'aime assez bien l'impression de m'immerger pendant longtemps dans un univers romanesque ou, comme ici, dans un personnage.

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