La théorie de l’information, Aurélien BELLANGER
Un premier roman qui, entre vrai-fausse encyclopédie scientifique et avant-garde littéraire, se penche sur les aspirations technologiques du monde contemporain. Original mais lassant.
Dans sa chambre d’ado de la banlieue parisienne, Pascal Ertranger bidouille de petits programmes en langage informatique sur son premier ordinateur. Les années 80 : c’est l’arrivée du Minitel, prouesse technologique sans précédent. Très vite, le jeune homme solitaire, peu bavard, ancêtre du geek, abandonne ses études pour se lancer, d’abord comme employé puis en tant que jeune chef d’entreprise, dans l’aventure du 3615. Ses idées audacieuses font de lui un entrepreneur chanceux, vite admiré. Avec l’arrivée d’Internet, il installe définitivement sa fortune et son réseau en devenant l’un de premiers fournisseurs d’accès de France. Derrière l’homme d’affaires, Pascal Etranger reste cependant un ado renfermé qui se rêve en démiurge, faiseur de mondes 2.0 et créateur de flux d’informations infinis et indépendants de l’homme.
Ce premier roman, qui a fait le buzz lors de la rentrée littéraire, nous raconte le parcours, pour ne pas dire le destin, d’un personnage inspiré en partie de l’histoire de Xavier Niel, fondateur de Free. À côté du roman d’initiation (qui prend au fil des pages des allures de SF mystique) autour de ce Rastignac du virtuel, le livre est aussi celui de l’histoire de l’économie française (et mondiale) où les biens échangés et facturés deviennent de plus en plus immatériels, où l’usine fait place aux grandes zones post-industrielles dans lesquelles des machines surpuissantes enregistrent, raccordent et mettent en lien l’humanité entière. C’est aussi l’époque des grandes fusions, des patrons d’entreprise en voie de peopolisation. Bellanger montre assez adroitement que chaque nouvelle avancée technologique dans le monde de la communication a, avant tout, profité à l’industrie de la pornographie, du Minitel rose aux webcams payantes. Son personnage entretient d’ailleurs d’étroites liaisons avec l’entre-monde des sex-shops et de la pornographie. Histoire de l’économie donc mais également bilan sur les transformations qui ont amené à l’avènement d’une société où tout n’est que flux d’information.
L’écriture de Bellanger est volontairement froide, technique et descriptive, observant de très loin l’évolution du personnage avec lequel le narrateur n’a aucune empathie. Difficile de ne pas penser au Meursault de Camus, tant le nom du personnage rappelle celui de L’Étranger. L’enjeu stylistique est certainement ici l’un des aspects particuliers du roman qui rend compte du récit comme s’il s’agissait d’une notice trouvée sur Wikipédia. Loin de lasser, l’effet est assez original.
D’ailleurs, entre les différents chapitres, on retrouve des notices encyclopédiques sur le thème de la théorie de l’information (une doctrine scientifique crée par Claude Shannon) qui racontent, d’un point de vue scientifique, les grandes avancées qui, du xviiie siècle à aujourd’hui, ont influencé l’informatique contemporaine. On trouve même un long article scientifique sur "la singularité technologique française". Difficile pour les non-initiés de tout saisir ou encore de départager le réel de la fiction. Houellebecq (à qui Bellanger a consacré une étude) avait déjà, dans La carte et le territoire, utilisé un copier-coller de Wikipédia. Dans ce cas-ci, la question est de savoir si l’on peut se fier au message délivré par l’auteur (thème également exploité par la théorie de l’information de Shannon). Un sujet souvent débattu autour de l’encyclopédie en ligne apparaît ici de manière étonnante dans le cadre d’un roman. D’autant que le livre met aussi en scène des personnages réels, comme Jean-Marie Messier, Thierry Ehrmann (l’étrange patron de Artprice) ou Nicolas Sarkozy (ce qui donne lieu à un excellent pastiche de la "sarko-langue").
Aux frontières entre les sciences, la sociologie, l’économie et la philosophie, ce livre est en résonance avec le champ artistique contemporain qui interroge souvent la limite entre expérience scientifique, encyclopédie du savoir et œuvre d’art. Seul ennui : plus on avance, plus le propos devient obscur et redondant. À croire que les critiques qui ont encensé le roman n’ont pas dépassé les 150 premières pages…
Référence :
La théorie de l’information, Aurélien BELLANGER, Gallimard, 2012.
Un premier roman qui, entre vrai-fausse encyclopédie scientifique et avant-garde littéraire, se penche sur les aspirations technologiques du monde contemporain. Original mais lassant.
Dans sa chambre d’ado de la banlieue parisienne, Pascal Ertranger bidouille de petits programmes en langage informatique sur son premier ordinateur. Les années 80 : c’est l’arrivée du Minitel, prouesse technologique sans précédent. Très vite, le jeune homme solitaire, peu bavard, ancêtre du geek, abandonne ses études pour se lancer, d’abord comme employé puis en tant que jeune chef d’entreprise, dans l’aventure du 3615. Ses idées audacieuses font de lui un entrepreneur chanceux, vite admiré. Avec l’arrivée d’Internet, il installe définitivement sa fortune et son réseau en devenant l’un de premiers fournisseurs d’accès de France. Derrière l’homme d’affaires, Pascal Etranger reste cependant un ado renfermé qui se rêve en démiurge, faiseur de mondes 2.0 et créateur de flux d’informations infinis et indépendants de l’homme.
Ce premier roman, qui a fait le buzz lors de la rentrée littéraire, nous raconte le parcours, pour ne pas dire le destin, d’un personnage inspiré en partie de l’histoire de Xavier Niel, fondateur de Free. À côté du roman d’initiation (qui prend au fil des pages des allures de SF mystique) autour de ce Rastignac du virtuel, le livre est aussi celui de l’histoire de l’économie française (et mondiale) où les biens échangés et facturés deviennent de plus en plus immatériels, où l’usine fait place aux grandes zones post-industrielles dans lesquelles des machines surpuissantes enregistrent, raccordent et mettent en lien l’humanité entière. C’est aussi l’époque des grandes fusions, des patrons d’entreprise en voie de peopolisation. Bellanger montre assez adroitement que chaque nouvelle avancée technologique dans le monde de la communication a, avant tout, profité à l’industrie de la pornographie, du Minitel rose aux webcams payantes. Son personnage entretient d’ailleurs d’étroites liaisons avec l’entre-monde des sex-shops et de la pornographie. Histoire de l’économie donc mais également bilan sur les transformations qui ont amené à l’avènement d’une société où tout n’est que flux d’information.
L’écriture de Bellanger est volontairement froide, technique et descriptive, observant de très loin l’évolution du personnage avec lequel le narrateur n’a aucune empathie. Difficile de ne pas penser au Meursault de Camus, tant le nom du personnage rappelle celui de L’Étranger. L’enjeu stylistique est certainement ici l’un des aspects particuliers du roman qui rend compte du récit comme s’il s’agissait d’une notice trouvée sur Wikipédia. Loin de lasser, l’effet est assez original.
D’ailleurs, entre les différents chapitres, on retrouve des notices encyclopédiques sur le thème de la théorie de l’information (une doctrine scientifique crée par Claude Shannon) qui racontent, d’un point de vue scientifique, les grandes avancées qui, du xviiie siècle à aujourd’hui, ont influencé l’informatique contemporaine. On trouve même un long article scientifique sur "la singularité technologique française". Difficile pour les non-initiés de tout saisir ou encore de départager le réel de la fiction. Houellebecq (à qui Bellanger a consacré une étude) avait déjà, dans La carte et le territoire, utilisé un copier-coller de Wikipédia. Dans ce cas-ci, la question est de savoir si l’on peut se fier au message délivré par l’auteur (thème également exploité par la théorie de l’information de Shannon). Un sujet souvent débattu autour de l’encyclopédie en ligne apparaît ici de manière étonnante dans le cadre d’un roman. D’autant que le livre met aussi en scène des personnages réels, comme Jean-Marie Messier, Thierry Ehrmann (l’étrange patron de Artprice) ou Nicolas Sarkozy (ce qui donne lieu à un excellent pastiche de la "sarko-langue").
Aux frontières entre les sciences, la sociologie, l’économie et la philosophie, ce livre est en résonance avec le champ artistique contemporain qui interroge souvent la limite entre expérience scientifique, encyclopédie du savoir et œuvre d’art. Seul ennui : plus on avance, plus le propos devient obscur et redondant. À croire que les critiques qui ont encensé le roman n’ont pas dépassé les 150 premières pages…
Référence :
La théorie de l’information, Aurélien BELLANGER, Gallimard, 2012.
oula ! je fuis à grandes enjambées malgré le beau billet - vraiment pas pour moi ça :)
RépondreSupprimerUn genre de livre très particulier qui a peut-être du mal à trouver son lectorat. Merci du compliment!
Supprimer36.15 Jepassemontour
RépondreSupprimer36.15 Jemendoutais
SupprimerCe livre m'attirait plutôt. Bon, je suis au courant, pour les bémols, on verra bien (prochainement à la bibli, en tout cas)
RépondreSupprimerC'est quelque chose d'assez original dans le paysage contemporain. Il mérite ta curiosité!
SupprimerQue les critiques qui encensent certaines romans ne les lisent pas en entier, cela ne m'étonnerait guère... Ils feraient mieux d'essayer de nous faire découvrir des pépites dont personne ne parle... Bref, celui-ci ne me tente pas, mais alors pas du tout !
RépondreSupprimerOu alors tous les critiques littéraires sont peut-être passés par les sciences dures? À investiguer...
SupprimerCe billet me rassure: je suis au moins assurée - ou presque - de pouvoir lire les 150 premières pages! Après,j'essaierai de m'accrocher. J'ai acheté ce livre sur une impulsion à mon dernier passage en librairie. Parfois, en rentrant chez moi, j'ai du mal à comprendre mes choix!
RépondreSupprimerPour être tout à fait honnête, et soutenir ton instant d'enthousiasme, c'est surtout le dernier tiers du livre qui laisse une mauvaise impression. Enfin, ce n'est que mon avis.
SupprimerPas du tout envie de m'avaler plus de 500 pages d'une écriture plate sur un sujet dont on a tant parler que je n'ai plus envie de lire quoi que ce soit dessus... bref, je passe...
RépondreSupprimerJe ne sais pas si mon billet était assez clair là-dessus mais j'ai appris beaucoup de choses. C'est beaucoup plus qu'un xième livre sur le virtuel.
SupprimerComme beaucoup, je fuis ce roman dont le sujet me laisse totalement de marbre. Si en plus l'écriture est plate, il ne reste rien à sauver de ce texte...
RépondreSupprimerIl y a une écriture, mais qui est plus de l'ordre de l'exercice de style ou du conceptuel. Je ne dirai pas que c'est "plat". Mais bon, je comprends bien les réactions des uns et des autres. Je n'ai d'ailleurs pas trouvé de billet sur le livre dans les blogs que je suis.
SupprimerBonsoir,
RépondreSupprimerC'est le type de livre et de médiatisation qui me fait fuir me réfugier dans les profondeurs de ma pile "à lire" tentatrice, je me contenterai donc de la lecture de ce billet bien informé ...