27 mars 2011

Les bonnes

La couleur des sentiments, Kathryn Stockett

Martin Luther King et Rosa Park font résonner le cri de la révolte. Un cri que ne semblent pas entendre les habitants de Jackson, Mississipi... La couleur des sentiments, un premier roman très réussi sur la vie des domestiques noirs dans les années soixante aux Etats-Unis. 

Le titre de l'édition française, la couverture (deux bonnes noires et un enfant blanc) et la thématique (l'amitié de deux bonnes noires et d'une jeune femme blanche) ne nous disait rien qui vaille. Le fait que le livre soit déjà un best seller et, selon la quatrième de couverture, un "véritable phénomène culturel outre-Atlantique", ne nous a pas rassuré. On voyait déjà dégouliner du livre le mélodrame et les bons sentiments. Et pourtant... force fut de constater que le livre a amplement mérité son succès. Malgré un sujet risqué, ce roman, ni pathétique, ni larmoyant, est une réussite. Émouvant, passionnant, ce livre se dévore et les personnages vous hantent encore des jours durant.
Jackson, Mississipi, dans les années soixante. Près d'un siècle après la guerre de sécession et l'abolition de l'esclavage, la ségrégation des noirs est encore bien présente. Trois personnages centraux se partagent équitablement la narration. Tout d'abord il y a Aibileen, bonne noire de cinquante-trois ans qui dès l'âge de quatorze ans a appris à se taire devant ses patrons blancs, à faire profil bas et à se rendre indispensable. Son truc, à Aibileen, ce sont les enfants, surtout les petits enfants, dont elle s'occupe avec un amour inconditionnel qui remplace celui des jeunes mamans blanches parfois absentes ou négligentes. Elle tente d'ailleurs d'insérer dans la tête de ces toutes petites personnes des sentiments de confiance en leur répétant chaque jour leur importance. Son fils à elle est mort accidentellement à l'âge de vingt-quatre ans et depuis, un petite voix taraude Aibileen, une petite voix qui lui souffle qu'il est peut-être temps que les choses changent. C'est cette petite voix qui la pousse, notamment, à raconter à la petite fille dont elle s'occupe, l'histoire de ce martien, rejeté par les hommes parce qu'il est vert, le pauvre Martien Luther King. 
Ensuite il  y a Minny, la meilleure amie d'Aibileen. Minny est beaucoup plus jeune, a déjà cinq enfants, une grande gueule et un mari qui a la main un peu trop lourde. Elle vient d'être renvoyée et craint de ne jamais retrouver de travail dans cette ville, voire dans cet État. Et puis il y a la Chose Abominable Epouvantable qu'elle a faite à l'horrible Miss Hilly, et elle sent qu'un jour, ça va lui retomber dessus. 
Et enfin, il y a Skeeter, fille blanche revenue vivre dans la plantation familiale après ses études universitaires. Elle est l'amie d'enfance de Hilly, joue au bridge avec ses amies, fait du tennis dans un club privé et participe aux réunions de la Ligue qui organise des soirées de charité pour les enfants d'Afrique. Mais depuis son retour, Skeeter a beaucoup de mal a tout recommencer comme avant. Tout d'abord, elle cherche à comprendre pourquoi la bonne qui l'a élevée, Constantine, a disparu de la surface du monde sans lui laisser la moindre explication et puis elle se sent grandir un certain malaise et un certain décalage avec ses amies d'enfance, surtout quand Hilly lui parle de sa proposition de loi pour promouvoir l'installation de sanitaires pour les domestiques...
Peu à peu, ces trois femmes se rencontrent, au-delà des clivages, des traditions, des règles et surtout des dangers que cela représente et entament la rédaction d'un livre témoignage sur la condition des bonnes noires. Commence alors un récit saisissant et éclairant sur ce que subissent chaque jour les bonnes noires mais dans lequel il est aussi parfois question d'amour entre les domestiques et leurs employeurs. "Je crains de ne pas en avoir assez dit, avoue l'auteure à la fin du roman. De ne pas avoir assez dit que non seulement la vie était beaucoup plus dure pour nombre de femmes travaillant chez les Blancs dans le Mississipi, mais aussi qu'il y avait infiniment plus d'amour entre les familles blanches et les domestiques noires que je n'avais d'encre ou de temps pour le décrire". Car l'auteure, originaire de Jackson, élevée elle-même par une bonne noire qui travaillait depuis des années dans sa famille, raconte un univers qu'elle connaît bien. Ce qui donne sans doute l'authenticité nécessaire à un sujet aussi périlleux traité avec pudeur et absence de manichéisme.
Un roman sur la subtilité des sentiments.

Référence :
Kathryn STOCKETT, La couleur des sentiments, traduit de l'américain par Pierre Girard, Editions Jacqueline Chambon, 2010

13 commentaires:

  1. Vraiment contente que vous ayez aime, Kathryn Stockett a vraiment trouve les mots justes pour parler de ce sujet difficile.

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  2. @Ogresse : je n'ai pas eu le courage, comme tu le suggérais, de le lire en anglais mais je crois que la traduction est assez fidèle. Et effectivement, quelle justesse !

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  3. Je note, c'est un sujet que j'aime bien.

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  4. Toujours guidée par le principe tellement égoïste mais tellement jubilatoire aussi "Je n'offre que des livres qui me plairaient à moi aussi", je l'ai offert à ma mère, qui a été conjquise et me le conseille vivement ! Donc...

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  5. J'ai vraiment envie de le lire, d'autant plus que tout les lecteurs qui le rendent là où je travaille sont vraiment heureux après cette lecture !

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  6. Acheté en V.O., il patiente toujours sur l'étagère... notamment en compagnie de Bauchau

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  7. @Tiphanie : et en plus bien traité... ce qui ne gâche rien !
    @Anne : tout bon principe de cadeau ! Plus d'hésitation donc.
    @D. : c'est bien ça : un livre qui rend heureux (mais en évitant la niaiserie)
    @In Cold Blog : hum... Disons que celui-ci se dévore plus vite que du Bauchau (enfin, peut-être pas en VO...)

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  8. Il est déjà sur ma LAL mais comme vous je suis un peu méfiante quant au côté "grand succès". Votre avis me rassure :)

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  9. @Sabbio : je comprends bien : j'ai d'autant plus aimé le livre que je l'ai commencé avec de gros a priori...

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  10. Pareil, j'ai entamé ce roman avec de gros préjugés, mais j'ai été complètement happée par cette intrigue... et cette amitié... et ces personnages... Comme quoi ;)

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  11. Tout le monde me dit que c'est super bien et j'ai quand même un peu peur, exactement pour les raisons que tu cites... il traîne dans ma pile depuis sa sortie en VO, imagine!

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  12. @gustaveetsesamis : exactement mon expérience !
    @Karine : auras-tu comme nous une toute bonne surprise? N'hésite pas à nous tenir au courant !

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  13. Je viens de le lire et j'ai vraiment adoré. Plus de 500 pages avalées en même pas deux jours (bon, j'étais malade et donc à la maison, je précise). Je me souvenais avoir lu votre avis positif et l'ai donc emprunté à ma maman ... Aucun regret ! C'est mon chéri qui y est à présent plongé !

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