18 septembre 2010

Post-moderne solitude

La carte et le territoire, Michel HOUELLEBECQ 

Poids lourd de la rentrée 2010 : alors ?

A moins d’avoir passé les dernières semaines bloqué au fond d’une mine au Chili, il ne vous aura certainement pas échappé que HOUELLEBECQ a sorti un nouveau livre. Matraquage médiatique et chœur de louanges pour le cinquième roman de celui que de nombreux critiques semblent considérer comme le sauveur de la littérature française contemporaine. J’étais passé très loin à côté d’Extension du domaine de la lutte et des Particules élémentaires. Il ne m’en reste rien sinon le souvenir d’un ennui et de beaucoup de réticences. Mais à force de lire partout des critiques élogieuses sur La carte et le territoire, j’en suis quand même venu à penser que, peut-être, je passais à côté de quelque chose. Difficile donc d’appréhender le livre en faisant abstraction de tout ce qui en a déjà été dit.

Pour ceux qui n’en auraient pas encore entendu parler, ce roman raconte l’histoire de Jed Martin, artiste contemporain multiforme, de son arrivée sur le marché de l’art à sa disparition. Son parcours, ses amours, sa relation au père et la lente gestation de son art forment la base du récit sur laquelle vient se greffer son début d’amitié avec Michel Houellebecq, écrivain misanthrope retiré en Irlande. Dans la deuxième moitié du roman, un fait divers sordide viendra bousculer le tout et ouvrir d’autres perspectives…
Un premier soulagement : en faisant de lui-même un personnage, l’auteur a pris la rebrousse-poil l’auto-fiction et s’est amusé à se caricaturer en jouant sur l’image de l’écrivain taciturne et lunaire, peu sympathique et déconnecté du monde. Portrait plein d’ironie, faux-vrai double de l’auteur mais aussi pendant sombre de l’autre artiste du roman : Jed. Dans ses œuvres, celui-ci interroge le monde des objets, de la production et du travail. Des peintures ou des photographies qui, comme les romans de HOUELLEBECQ, dépeignent la mélancolie d’un monde post-moderne revenu des grandes utopies comme la révolution industrielle, où toute chose ne s’évalue plus qu’en fonction de sa valeur marchande. Ce n’est pas une pensée révolutionnaire mais ce thème est amené ici avec beaucoup de finesse et d’astuce et le personnage de l’artiste solitaire et habité évite pas mal de clichés. De même dans les moments entre Jed et son père : pas de grosses ficelles et des scènes fortes et émouvantes. Le texte s’ouvre parfois sur d’autres voies, sur des digressions (beaucoup de pastiches assez truculents) qui donnent à l’ensemble une construction originale et un rythme maîtrisé et efficace.
A côté de cela, le roman propose aussi une satire sociale du monde de l’art et des médias, drôle mais très référentielle. Même si certains noms (Jeff Koons, Steve Jobs, Bill Gates, …) semblent ouvrir des possibilités assez larges (et caressent un peu le lecteur bobo dans le sens du poil...), je doute que les lecteurs non-francophones s’amusent de la scène du nouvel an chez Jean-Pierre Pernaut ou du personnage de Frédéric Begbeider (qui apparaît ici comme la bonne fée qui vient aider le héros quand il est dans l’impasse).

Au final, La carte et le territoire est un très bon roman, malin et mélancolique. De là, comme j’ai pu le lire, à parler de « génie » ou de « roman total » il y a un pas que je ne franchirai pas…

PS: écho positif à lire aussi chez Emeraude.

19 commentaires:

  1. Bah, pas trop tentée, pourtant il a l'air meilleur que ses précédents (pas lus non plus). je ne suis pas au fond d'une mine mais sans les blogs je n'en aurais pas entendu parler (je suis sans télé , ne lis pas les magazines littéraires et n'écoute sans doute pas la radio au bon moment). La blogueuse Ys en a parlé avec conviction. Pourtant elle non plus n'a pas la télé... ^_^

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  2. @ keisha: je ne pensais ni à la télé, ni au magazines spécialisés. Mais tous les journaux que je lis (belges ou français) ont consacré au moins un article à Houellebecq. Pour ce qui est du livre: j'ai passé un très bon moment de lecture.

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  3. Tellement lu de polémiques sur ce livre que pour le moment, je n'ai pas envie de le lire.

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  4. je lis bientôt (ainsi que le reste de la sélection Goncourt), je repasserai par ici ;)

    mais déjà, que tu dises que ce n'est pas déplaisant à lire, ça me rassure :)

    pour l'instant, dans la sélection Goncourt, je n'ai lu que Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants de Mathias Enard, que je ne peux que te conseiller tellement c'est un livre splendide et intéressant (avis argumenté sur mon blog si ça t'intéresse ;) ).

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  5. @Keisha, je suis de ton avis: je n'ai pas plus envie de lire celui-ci que les autres. C'est peut-être plus à cause de la tête de l'auteur, d'ailleurs (ce qui est très bête, j'en conviens!) mais j'ai aussi tendance à me méfier du chœur des louanges.
    @constance93: je vais suivre ton conseil!

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  6. Allez, au final pourquoi pas ... J'en suis pour l'instant restée aux "Particules élémentaires" que je n'avais pas adoré mais que je n'avais pas détesté non plus ! Peut-être lorsque j'aurai fini le dernier Gaudé (une merveille) ... Merci pour ce billet !

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  7. @ Clara et Françoise: tout le buzz autour de Houellebecq est décourageant, je suis d'accord avec vous. C'est certainement pour cette raison que je n'ai pas eu envie de lire "Plateforme" et "La possibilité d'une île". Mais, pour ce qui est de celui-ci, je pense qu'il vaut la peine d'être lu. C'est même pour cela que je me suis dépêché de rédiger ce billet: pour ce genre de roman dont tout le monde parle, je fais peut-être plus confiance aux blogs.

    @ Constance: j'ai aussi lu et aimé le roman de Mathias Enard et j'en ai parlé ici: http://voyelleetconsonne.blogspot.com/2010/09/portrait-de-lartiste-au-travail.html

    @ Anne-So: Tu l'as compris, je conseille vraiment. Pour le Gaudé, je me tâte: ses tics d'écriture m'ennuient à la longue.

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  8. "Génie" et "roman total", je ne sais pas non plus. Mais un livre excellent oui et qui restera peut être dans une centaine d'années...
    En tout cas je suis contente que ça t'ait plu !

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  9. "Le sauveur de la littérature française contemporaine" (je cite) ?

    Etonnant ...

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  10. Ceci dit, c'est plutôt agréable de voir qu'un livre peut aussi émouvoir les media, à défaut de trouver des lecteurs "critiques", libres de leurs lectures et de leurs choix.

    Vous noterez qu'apparemment ... vous l'avez lu ... pour constater son défaut. Telle est la Littérature en son essence.

    Le Livre n'est qu'un rêve, et il n'existe forcément que "des" livres, limités dans l'espace-temps.
    Lus ou pas, ils existent, tout prêts à être réinventés, aujourd'hui, plus tard, jamais peut-être. Qu'importe !


    Tout au plus ces livres pluriels que l'on referme ont-ils fait l'expérience de l'extrême limite d'une expérience, intérieure ou humaine.
    C'est beaucoup.

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  11. Content de lire un avis positif. Je suis plutôt de ceux qui encensent Houellebecq, alors j'ai toujours hâte de lire un de ses livres.

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  12. @ Voyelle et consonne (!) : le dernier Gaudé vaut le coup juste pour la mise en récit de l'histoire. Une multitude de points de vue qui vous emporte en quelques pages. J'ai été assez bluffée. A mes yeux peut-être le meilleur de ses bouquins.

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  13. @ Emeraude: j'ai rajouté un lien vers ton billet.

    @ Aline Tilleul: je ne l'ai pas lu en espérant être déçu, heureusement, mais il était difficile de ne pas le juger en fonction de tout ce qui en avait été dit.

    @ Lukes: p-ê que celui-ci n'est pas assez houellebecquien pour les fans?

    @ Anne-So: bon, tu le vends bien! Noté!

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  14. C'est un auteur qui ne me tente pas, mais alors pas du tout...

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  15. J'ai du mal avec les écrivains français !

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  16. Moi, quand voyelle et consomne conseillent de lire : Je lis. Belle semaine.

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  17. Je crois que pour être définitivement IN pour la rentrée littéraire 2010, il faut avoir lu Houellebecq: eh bien, je vois que c'est fait pour toi. A priori, je n'ai rien contre ce nouveau livre: j'avais beaucoup aimé la possibilité d'une île, mais j'étais passé comme toi à côté des Particules élémentaires. Je crois qu'on en a trop fait sur les qualités stylistiques de l'auteur - se dessiner comme un auteur postmoderne est sans doute la position la plus confortable et la moins difficile à tenir.
    Mais la carte et le territoire a l'air d'explorer de nouvelles facettes en littérature, comme cette mise en scène à 360° de l'autofiction, et tu me donnes bien envie de le découvrir... plus tard !
    je lis actuellement bret easton ellis, je te recontacte pour le livre que tu voulais me prêter: en ce moment, c'est difficile !

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  18. @ Theoma: Je ne veux forcer personne!

    @ Tietie007: Comme moi, mais j'ai décidé de me montrer plus curieux que d'habitude. Et pour celui-ci je suis plutôt content.

    @ mir: Avec toute mon équipe, je m'y engage!

    @ Sébastien L: Je pense que cela pourra te plaire.

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  19. Je suis en plein dedans donc ma critique ne tardera pas trop à paraître. Je ne suis pas trop les tapages médiatiques en général mais il parait qu'il faut aussi se tenir à la page alors avec une rentrée littéraire de retard, j'entame mon premier Houellebecq. Pour le moment, je le trouve très agréable... Nous verrons bien pour la suite!

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