12 août 2010

Renaissance

Infrarouge, Nancy HUSTON

On avait adoré Lignes de faille, on n’a pas été déçu par Infrarouge. Un roman fort d’une écrivain qui parvient toujours à mêler intelligence et émotions pures. Magnifique.

Rena se prépare à passer une semaine en Toscane. Elle y a invité son père, pour fêter son septantième anniversaire, et sa belle mère. Et cette semaine promet d’être un cauchemar. Tout d’abord son jeune et bel amant, Aziz, est resté à Paris. Puis son père, Simon, ancien chercheur, a terriblement vieilli. Il annule la moitié des visites et fait des arrêts extrêmement fréquents. Enfin, sa belle-mère, rescapée de la deuxième guerre mondiale, toujours effrayée par la perspective de mourir de faim, ne pense qu’à manger. La relation entre le vieux couple et la photographe de quarante-cinq ans qu’est Rena est plus que tendue.
Et Rena de nous raconter les merveilles de l’art toscan, l’émotion qu’elle a devant les œuvres renaissantes dont elle parle avec amour et érudition (pendant que sa belle mère ne s’intéresse qu’au sujet des œuvres qu’elle contemple avec méfiance et naïveté) mais nous parle également de sa vie, de ce père qu’elle a du mal à reconnaître et de sa passion pour les hommes. Qu’est-ce qui a fait de Rena cette femme indépendante, photographe passionnée, dévoreuse d’hommes, qui a eu quatre maris venant des quatre coins du monde et deux fils vivant aujourd’hui en Afrique.
C’est par ses fréquents dialogues avec son double, Subra, sorte de conscience qui doit son nom à la photographe Arbus, qui écoute ses confidences et analyse sans juger, que nous accédons peu à peu à la vie tourmentée de Rena : la disparition de sa mère longtemps absorbée par son métier, la perversité de son frère jaloux de la naissance de sa sœur, la faiblesse de son père en tant que chercheur et en tant que père. La petite Rena comprend très vite son pouvoir de séduction et le pouvoir qu’elle a sur les hommes. Et elle en joue, et elle s’y perd, même si elle a le sentiment de toujours avoir le dessus. Dans son obsession pour l’érotisme on sent que Rena se cherche.
Infrarouge est un livre poignant, dérangeant parfois, bouleversant toujours. S’il est vrai que c’est un livre féminin et féministe qui rappelle l’emprise qu’ont encore et toujours les hommes sur les femmes, il raconte surtout le destin d’une femme qui, à force de vouloir être forte comme un homme, s’est quelque peu perdue dans les méandres de la vie.
Si parfois le discours très intellectualisé de Rena et ses propos ultra-féministes ont quelque chose d’agaçant, ils sont en cohérence avec le personnage lui-même, qui se veut une femme forte par sa culture, par son approche du monde, par son regard sur les hommes, par son rapport au sexe. Un personnage qui va se fendiller tout au long de cette semaine italienne et qui va se révéler, tout en chagrins et douleurs, sous l’infrarouge du soleil toscan.

7 commentaires:

  1. comme d'habitude : entièrement d'accord avec toi ! Même si au moment de ma lecture je n'ai pas été si émue que ça (certaines de mes collègues ont été obligée de faire des pauses tellement ça les a touché), j'en garde pourtant un souvenir très fort !

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  2. @Emeraude : moi je l'ai dévoré en une journée... et comme toi, c'est un livre auquel je pense très souvent.

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  3. ce livre m'avait beaucoup plu. merci pour ta chronique qui m'a permis de replonger dans l'univers de Rena. et de Subra !
    Il y a beaucoup de talent dans l'écriture et je me rappelle également avoir dû interrompre la lecture pour relire certains passages. Celui qui se déroule au restaurant, quand les voix se mélangent, avec la belle-mère qui raconte ses souvenirs de guerre était de toute beauté.

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  4. Toujours pas lu mais vu la qualité des critiques sur ce roman je me demande ce que j'attends encore!

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  5. J'ai plusieurs livres de Nancy Huston dans ma PAL mais je n'arrive pas me décider à les lire à cause du côté très "féministe" de l'auteure. Pas que je ne partage pas les idées mais le style me gêne dans un roman. Ce livre n'a pas l'air de déroger à la règle...

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  6. @ zarline: crois-moi, le féminisme dans Infrarouge est vraiment en filigrane, il ne gêne en rien la lecture, et s'il est présent dans infrarouge, c'est vraiment dans sa version brute, et non revendicative.

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  7. J'avais adoré Lignes de faille, seul roman de N. Huston que j'aie lu à ce jour. Ce titre-là m'attire autant qu'il me fait peur par ses thèmes, son érudition... Je crains de me faire larguer en route.

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