17 janvier 2010

On abat bien les chevaux

Le Dieu des animaux, Aryn KYLE

L'apprentissage d'une adolescente dans le monde sauvage des chevaux. Pas un roman à l'eau de rose pour jeunes filles fans d'équitation mais un récit juste et plein de violence sur l'adolence et les rapports humains.

A priori, une histoire d'adolescente grandissant parmi les chevaux, m'intéressait fort peu... Pas que je n'aime pas les chevaux, mais je crains fortement les histoires d'amitié entre l'homme et l'animal. Et pourtant, quel bonheur que ce roman se soit trouvé sur ma route de lectrice. Quel beau récit, plein de finesse et de profondeur.
Il est question d'Alice, une adolescente de treize ans, qui vit dans le ranch familial. Sa mère garde le lit depuis sa naissance et reste étrangement triste, sa sœur, championne de show équestre, s'est enfuie avec un cow boy qui fait du rodéo et son père se démène pour faire tourner son écurie. Et Alice évolue dans ce contexte étrange, nettoyant les boxes et faisant courir les chevaux lorsqu'elle rentre du collège, dans ses vêtements trop petits parce que personne ne semble se rendre compte qu'elle grandit, et s'inquiétant que son père ne puisse payer ses factures. Alors elle s'invente des amies, vivantes ou mortes, elle communique par téléphone avec son professeur d'anglais dont elle croit tomber amoureuse, elle imagine le voyage de sa soeur. Mais il y a la réalité. La difficulté pour une adolescente de se faire une place à l'école, dans le monde. La crainte de l'avenir. Les rêves qu'elle ne s'autorise plus à avoir. Alice souffre de l'apparente indifférence de son père, lui qui admirait tant les talents de cavalière de sa grande soeur. Dans son monde apparaîtront Sheila, petite fille riche qui apprend l'équitation, et les "poissons-chats", ces femmes qui mettent leurs chevaux en pension dans l'écurie et y traînent toute la journée pour tuer l'ennui de leur vie de femmes au foyer. Alice ne se sent pas proche de Sheila et de ces femmes qui ne sont pas nées auprès des chevaux, et pourtant, toutes vont se rapprocher par cette recherche du bonheur ou d'un peu de légerté. Et si on parle beaucoup de cheval dans ce roman, on n'est loin de l'univers glamour dont rêvent les petites filles. La vie dans une écurie c'est un travail dur, harassant et ingrat. Ainsi, l'homme doit assurer sa domination sur l'animal souvent par la violence parce que, comme le dit le père d'Alice : "Si les chevaux avaient la moindre idée de leur taille, de leur force, personne ne pourrait les maîtriser. Ce serait des dangers mortels". KYLE décrit ainsi le dressage d'une jeune jument par la force puis en la laissant se faire maltraiter par les autres chevaux, elle raconte comment on arrache les poulains à leur mère pour les sevrer et le cri de douleur et de tristesse de ceux-ci, ou encore l'abattage d'un cheval qui s'est cassé une patte.
Le récit se déroule dans le cadre particulier du Montana, dans le désert où l'été est caniculaire et où les hivers sont rudes. Aryn KYLE nous plonge dans un univers étonnant en créant une atmosphère lourde et prenante. Elle raconte avec beaucoup de justesse l'adolescence, la tristesse et la difficulté des rapports humains. Et surtout, elle décrit ses personnages avec une grande subtilité, ne tombant jamais dans le manichéisme. Ainsi, le père dur et exigeant se montrera parfois étonnamment doux et compréhensif, la mère moins absente que prévu et les femmes riches moins superficielles qu'elles n'en ont l'air. La mère de Sheila, par exemple, tentera d'expliquer à Alice le comportement de la mère de celle-ci: "Faire un bébé, me dit-elle, ça ouvre quelque chose en toi. C'est comme si le monde se fendait en deux, tellement on s'ouvre. Alors, toutes sortes de choses peuvent se jeter sur toi, pour te remplir. Certaines femmes s'emplissent de tristesse. (...) Eprouver tant d'amour pour quelque chose... on n'y est pas préparé. C'est si énorme, si primitif, si animal. C'est terrifiant. (...) Il y a de quoi devenir folle". On voit alors des personnages n'ayant a priori rien en commun attirés, l'espace de quelques mois, les uns vers les autres à cause ou grâce à leur tristesse respective.
Avec son premier roman, Eryn KYLE a choisi un récit étrange et plein de violence. Parvenir à toucher et à émouvoir avec une histoire et un univers pourtant profondément éloignés des nôtres, n'est-ce pas finalement ça, le vrai talent littéraire?

2 commentaires:

  1. A la lecture de ton commentaire, ça me tente bien ! Et j'adore la photo avec les petits chevaux ;-) Merci pour la découverte !

    RépondreSupprimer
  2. Suis bien contente que tu apprécies la photos ! J'ai beaucoup réfléchi à la mise en scène.
    En tout cas, une belle découverte, ce livre !

    RépondreSupprimer