7 décembre 2015

Une fille au masculin

Annabel, Kathleen WINTER 

Un roman juste et poignant sur la différence. 

A la fin des années soixante, dans un village du Labrador, au fin fond du Canada, où les hivers sont rudes et la nature règne encore en maître, Yacinta et Treadway mettent au monde un enfant. Mais très vite, Thomasina, l'amie du couple qui a aidé à l'accouchement, prend la mère à part pour lui annoncer une nouvelle difficile à entendre : le bébé n'est pas comme les autres. Ni fille, ni garçon, il est ce que certains appellent un hermaphrodite et d’autres, un monstre. Ses parents choisissent pour lui : il s’appellera Wayne et sera élevé comme un garçon. Il se fera même opérer pour devenir ce que son père veut qu'il soit. Yacinta, cependant, n'est pas sûre de ce choix. En secret, elle lui parle comme à une fille. Quant à Tomasina, elle l'appelle Annabel, du nom de sa petite fille défunte et veillera toute son existence à laisser une place à la fille que l'on a tenté de faire disparaître. Parce qu'en grandissant, le corps de Wayne le trahira et peu à peu. Et un jour, il lui faudra « choisir entre une vérité angoissante et un mensonge rassurant ».
Si Kathleen WINTER s'attaque à un sujet difficile, elle le fait avec beaucoup de finesse. Tout d'abord par son écriture, emplie de poésie, particulièrement présente dans les descriptions de cette nature sauvage qui sert de cadre à l'histoire que les hommes doivent tenter de dompter, ou dans celle de ce corps qui évolue étrangement et se libère. Par l'absence de clichés, ensuite, chez les personnages qu'elle crée. Wayne souffre, parfois, mais c'est surtout un adolescent qui a du mal à trouver sa place dans un monde qui laisse peu de chance à la différence, et en cela, il ne diffère que peu de ses quelques amis. Son père, taiseux et obstiné, se révélera également un être à part, en communion parfaite avec la nature et capable de partager la souffrance de son fils. Sa mère, présentée comme un être faible et dépressif, se montrera capable aussi de s'affirmer et de résister aux regards des autres. Quand à Tomasina, la bonne fée, toujours en mouvement mais jamais loin de ceux qu'elle aime, elle étonnera tout du long par sa force de caractère et son incroyable modernité dans son combat à laisser tout le monde, y compris elle, vivre comme il l'entend. Par l'émotion, enfin, dont chaque page est empreinte et qui nous reste longtemps après avoir refermé la dernière page.
Annabel est un de ces romans rares, qu'on a envie de partager, parce que malgré la dureté du sujet, ce qui en ressort le plus est sans doute son infinie beauté. Et n'est-ce pas ce dont on a le plus besoin en ces temps incertains ?

Références :

Kathleen WINTER, Annabel, Christian Bourgeois, 2013

1 novembre 2015

Double face

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Esclaves heureux, Tom LANOYE

Tony Hanssen, deux fois. 

Le premier, un informaticien en cavale depuis la faillite de la banque qui l’employait, tente de repartir à zéro en se lançant dans le braconnage en Afrique du Sud.
Le second, ancien marin, joueur invétéré, balade à travers Buenos Aires l’antique épouse d’un mafieux chinois à qui il doit une grosse somme d’argent, remboursable en nature… 

C’est là, à San Telmo, l’un des plus vieux quartiers, fondé jadis par des réfugiés italiens et des esclaves noirs en fuite, qui devint ensuite le berceau du tango, du trafic d’armes et de la folie footballistique, que nous découvrons Tony Hanssen. Suant et ahanant au second étage d’une maison de maître rénovée à la manière kitsch, une casa de turistas, il est en train de satisfaire les sens d’une matrone chinoise, sur la demande insistante de celle-ci, mais à contrecœur. Au-dessus de leur tête, un ventilateur déglingué bat de l’aile, climatiseur antique et charmant qui grince et gémit plus fort que le lit.

Entre les deux homonymes qui s’ignorent, un fil tendu, invisible. Reliés par les désillusions, les combines et les coups du sort, les deux hommes finiront, bien évidemment, par se croiser et par unir, pour le meilleur ou pour le pire, leurs trajectoires déracinées.
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Comme toujours chez Tom Lanoye, le ton oscille entre tragique et comique. La première partie du roman passe d’un Tony Hanssen à l’autre et nous les présente dans ce moment où tout bascule. L’écriture est précise, rythmée et, comme toujours chez l’auteur, riche en arabesques qui étonnent et amusent. 
Par la suite, on passe du roman noir à la série b, le tout sur fond de mondialisation criminelle et de crise financière. Un mélange baroque et étonnant qui montre une autre facette de Tom Lanoye, plus romanesque.

Le prologue est à lire sur le site de l’éditeur.

Référence :
Esclaves heureux, Tom LANOYE, traduit du néerlandais (Belgique) par Alain van Crugten, Éditions de La Différence, 2015.

9 octobre 2015

Victimes de la crise

Le justicier d'Athènes, Petros MARKARIS

Des meurtres et d'inquiétants suicides sur fond de crise grecque. Ou quand le polar se fait aussi brûlant que l'actualité...

Grèce 2011, la crise fait rage. Et alors que la ville est bloquée de toute part à cause des manifestants venus, chaque jour, crier leur colère et leur rage, le commissaire Charitos et ses collègues de la police criminelle s'ennuient. Pas le moindre meurtre à l'horizon, alors ils entament un grand rangement des bureaux. 
Parfois, néanmoins, ils doivent affronter les embouteillages pour aller constater des suicides, de jeunes-gens désespérés, de personnes âgées désillusionnées,... puis écouter les voisins exprimer leur angoisse face à la crise qui ne laisse de chance à personne. 
Jusqu'au jour où des cadavres, empoisonnés à la cigüe — eh oui, comme le poison qui tua Socrate — sont retrouvés dans des sites archéologiques. Très vite, Charitos découvre que les victimes ont en commun d'être des hommes extrêmement riches ayant profité du système, du malheur des autres et n'ayant pas hésité à extorquer le fisc. Le meurtrier se fait appeler le Précepteur des impôts et menace hommes d'affaire ou hommes politiques de les tuer si ceux-ci ne remboursent pas l'État de ce qu'ils lui doivent. Ayant mis plusieurs fois ses menaces à exécution, les victimes potentielles se mettent à payer... Charitos et son équipe se doivent d'arrêter le meurtrier même si leur cœur, leur conscience et surtout la population grecque ont tendance à considérer ce dernier comme le héros qu'il manquait à la Grèce.
Roman policier haletant et bien ficelé, Le Justicier d'Athènes est avant tout un roman social et politique. Le talent de MARKARIS consiste, sous couvert de l'élucidation d'une énigme assez traditionnelle, d'expliquer de manière claire et limpide la crise grecque et ses conséquences sur le petit peuple. La Grèce, dit-il, est la seule mafia qui a réussi à faire faillite. La démocratie grecque (comme partout en Europe) est responsable de cette situation. Et si la plupart de la population est asphyxiée (le jeunes n'ont plus de travail, les pensionnés plus de pension, les soins de santé et les médicaments sont désormais hors de prix, les magasins et les restaurants ferment à tour de bras,...), certains continuent de s'enrichir sur le dos des moins bien lotis. Et ceux-là, nous explique le meurtrier, ont pris parti contre leur peuple. Un argument que comprend bien le peuple grec qui malgré sa haine du gouvernement, reste attaché à son pays et veut être fier d'être grec. C'est que qu'explique Charitos à sa fille, qui veut quitter le pays, sa famille et son mari, pour enfin trouver un emploi rémunérateur. Mais partir, c'est abandonner la Grèce, c'est abandonner son peuple... Et les Grecs n'abandonnent pas les leurs.
Le Justicier d'Athènes, qui met en scène le commissaire Charitos, personnage récurent de MARKARIS, est le deuxième volet d'une trilogie sur la crise grecque. Et qui mieux qu'un romancier pour expliquer la complexité de la crise en remettant l'humain au centre des préoccupations, et qui mieux qu'un Grec pour parler de son pays car comme le dit Charitos, "s'ils peuvent pester contre leur pays, les Grecs ne supportent pas que les étrangers en disent du mal…" ?

Référence : 
Petros MARKARIS, Le justicier d'Athènes, 2013, traduit du grec par Michel Volkovitch, Seuil policier.

15 septembre 2015

Une maison de poupée

Miniaturiste, Jessie BURTON

Un étonnant récit qui s'inspire d'une maison de poupée du XVIIe conservée au Rijksmuseum d'Amsterdam et à laquelle l'auteur, dont c'est le premier roman a donné vie.

Lorsque Petronella Oortman pénètre, à Amsterdam, dans la demeure de son nouvel époux, qu'elle a à peine rencontré quelques mois plus tôt lors de sa courte cérémonie de mariage, elle est encore pleine d'espoir d'une vie nouvelle. Certes, elle sait que pour une femme, au XVIIe siècle, dont le père est ruiné, les perspectives ne sont pas très nombreuses, mais elle espère tout au moins une vie au chaud auprès d'un mari aimant et remplie de cri d'enfants. Malheureusement, son époux, Johannes Brandt, est un homme occupé, un commerçant - le meilleur, selon lui - très pris par ses affaires et ses voyages. Il n'est donc même pas là pour l'accueillir le jour de son arrivée et ne brillera pas, par la suite, par sa présence. 

Petronella fera par contre la rencontre des autres habitants de la maison : Marin, sa belle-soeur, une femme froide, rigide et très pieuse, Cornélia, la jeune-servante dont les yeux et les oreilles trainent partout et, enfin, Otto, un ancien esclave noir que son maître a affranchi.
Nella, comme elle se surnomme elle-même, est bien vite perdue dans cette demeure, au milieu de ces êtres dont elle ne comprend pas les comportements. Seule et mélancolique, elle trompe son ennui en remplissant peu à peu la maison de poupée que Johannes lui a offerte en guise de cadeau de mariage. Pour ce faire, elle passe commande à un miniaturiste qu'elle ne parvient pas à rencontrer mais qui lui fait parvenir des créations à la fois magnifiques et effrayantes de vérité. C'est par le biais de ces étranges et prophétiques miniatures que Nella percera peu à peu les secrets de la famille Brandt. 

Ainsi, elle comprendra que les apparences sont trompeuses et que derrière la façade des chacun des habitants de la maison se cachent des êtres plus subtils et sensibles qu'il n'y parait. Et la petite fille naïve qu'elle était devra, en quelques mois, se transformer en une femme rusée et indépendante.

Avec ce premier roman, Jessie BURTON nous plonge dans la société hollandaise du XVIIe siècle, une ville riche, pleine de promesses, dont les entrepôts regorgent des produits exotiques - tels des pains de sucre éblouissants -  mais un pays également étouffé par le rigorisme et le puritanisme dans lequel chacun est à la merci du regard désapprobateur de son voisin. Amsterdam est donc présentée comme une ville dans laquelle il n'est pas bon d'être différent ou avide de liberté. Une ville dans laquelle il ne fait pas bon non plus être une femme. Ce qui n'empêche pas le récit d'être remplis de femmes fortes et fières, sachant fort bien, et beaucoup mieux que les hommes, détourner les codes imposés pour tenter de gagner un minimum de liberté.

Si quelques éléments semblent un tout petit peu fabriqués - notamment les révélations sur le fameux miniaturiste qui laisse un peu sur sa fin - le roman de Jessie BURTON est indéniablement un véritable page turner plein de rebondissements et dont les personnages principaux sont de plus en plus attachants au fur et à mesure de la lecture. Un excellent roman, donc, pour prolonger une petit peu les vacances et oublier la rentrée...

Références :
Jessie BURTON, Miniaturiste, Gallimard, 2015

30 août 2015

Le Commémorateur


Les Assassins, R.J. ELLORY

Ellory se penche sur les serial killers et, évidemment, ce n’est pas un livre comme les autres.

John Costello est un rescapé. Alors qu’un marteau s’abattait sur sa petite amie, un cri lancé de l’autre côté de la rue l’a sauvé de la mort. Une fois l’enquête bouclée, le jeune homme doit se reconstruire une vie à lui, dompter ses peurs, ses souffrances et tenter de donner du sens à une existence qui n’en a plus.
Des années plus tard, une série de meurtres frappe New York. Rien de plus que la violence habituelle, absurde, casse-tête sans fin pour la police qui doit jongler entre le manque d’effectifs, la pression des médias et les comptes à rendre aux autorités.
Alors qu’il enquête sur l’un de ces crimes, Ray Irving reçoit un message d’une journaliste qui a établi que ces meurtres étaient en réalité reliés : ils ont été commis à la date anniversaire d’un ancien meurtre et en ont rejoué, avec un sordide souci du détail, toutes les circonstances. Ce n’est pas la journaliste qui est à la base de cette découverte mais bien son enquêteur : John Costello, devenu au fil du temps une data base vivante de la violence américaine. 
Si les polars mettant en scène les serial killers n’ont plus grand chose d’original, il n’en va pas de même pour ce nouveau roman d’Ellory. Comme souvent chez l’auteur, le thème central tourne autour de la perte, du mal et du chemin vers la rédemption. Mais, et c’est là toute la particularité de ce livre par rapport aux autres thrillers, c’est également un portrait glaçant de l’Amérique et de sa fascination pour les criminels hors-normes. 
Dans les Assassins, ils sont même l’objet de collections malsaines (photos de scènes de crime, lettres manuscrites des tueurs, …). Comme si l’histoire du pays s’inscrivait dans cette mythologie du mal, celle du Zodiac, de Ted Bundy, … Pour Ellory, c’est également une interrogation plus globale sur le mal : comment expliquer et comprendre ces actes ? On retrouve en parallèle, comme récemment dans Papillon de nuit, la question de la peine de mort : une autre forme de violence absurde et aveugle. 
Ellory mélange les éléments du réel (les crimes « célèbres ») avec ceux de la fiction. L’intrigue est adroitement construite (le livre se dévore) et met en scène, comme dans toujours chez l’écrivain, des personnages complexes, sombres, en proie aux doutes.

Un excellent roman et peut-être, pour moi, l’un des meilleurs de l’auteur.

Référence :
Les Assassins, R.J. ELLORY, traduit de l’anglais par Clément Baude, Sonatine
Éditions, 2015.

30 juillet 2015

Qu’est-ce que tu lis pour les vacances 2015 #5 : randonnée

Océane MADELAINE, D'argile et de feu

Cette année, point de farniente à la plage, vous partez en randonnée ! Un tout petit livre, tout léger, à glisser dans votre sac à dos, comme compagnon de voyage...

D'argile et de feu, c'est la rencontre de deux Marie. 
La première, celle d'aujourd'hui, marche. Elle a tout quitté (mais a-t-elle quitté grand-chose?) pour partir sur les routes de France, pour rejoindre le Sud, lieu de sa naissance. Un fuite en avant ou, au contraire, un moyen d'affronter les démons de sa jeunesse ? La fin nous le dira. Son chemin est fait de douleur, donc, douleur physique, les pieds qui s'enflamment, le corps qui ploie et douleur psychologique, la solitude renvoyant la narratrice à ses angoisses et ses traumatismes. Mais son chemin est aussi fait de rencontres, celle du géomètre, qui sera une présence masculine rassurante et attirante dans ce voyage qui l'a rendue sauvage et surtout, celle de Marie Prat, la potière.
L'autre Marie, donc, née quelque cent ans plus tôt, et qui parvint à s'imposer dans un métier très physique et surtout très masculin. 
Quand la marcheuse découvre le travail de la potière, quelque chose cède en elle, enfin.
Dans ce récit à deux voix, il est question de terre, la terre courageusement foulée et la terre durement pétrie, de feu, celui des four dans lequel cuisent les pots mais aussi celui d'un mystérieux incendie qui détruisit la garrigue de l'enfance de la marcheuse mais aussi de la famille, de la figure du père en particulier, prodiguant un amour distant et muet... 
Un petit livre délicat, dont l'écriture semble avoir été travaillée comme la terre qui crée les pots, les bouteilles ou les terrines de Marie Prat, et qui nous emmène avec lui sur les chemins, dans la forêt, pour nous amener à devenir, à l'instar de la narratrice, "une ligne d'horizon".
A noter, que le roman a reçu le prix Première 2015.

On se retrouve en septembre pour le débriefing de nos lectures de vacances... Bonnes vacances à tous !

Référence :
Océane MADELAINE, D'argile et de feu, Editions des Busclats, 2015.

22 juillet 2015

Qu’est-ce que tu lis pour les vacances 2015 #4 : entre les jambes

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Thibaut de MONTAIGU, Voyage autour de mon sexe

Pourquoi prendre l’avion, partir à la recherche du dépaysement, du rêve, du délassement et du plaisir quand on peut avoir tout ça… sous la main ?

Lors d’un séjour de six mois en Arabie Saoudite, Thibaut de Montaigu a du revenir malgré lui à la case « ado » de sa sexualité et redécouvrir, d’abord en se résignant puis avec joie, la veuve poignet et le plaisir solitaire. De cette expérience est née l’envie de se pencher sur la question en se demandant pourquoi, alors qu’aujourd’hui la sexualité semble bien plus libérée qu’hier, la masturbation demeure une sorte de tabou, de pratique vaguement honteuse dont on ne parle pas ou très peu. Pour preuve, le haussement de sourcils et le commentaire de la caissière de la librairie qui, en voyant le titre de l’ouvrage, m’a gratifié d’un « Eh bien ! Il en faut pour tous les goûts ! » Je ne lui ai pas rétorqué qu’il n’était pas question du goût de la chose mais que, effectivement, celui-ci pouvait considérablement varier d’une personne à l’autre… (Ah ! Si seulement on pouvait vivre dans un monde où la réplique qui tue vous vient à l’esprit sur le moment et pas dix minutes plus tard…). 

Sous-titré Se faire l’amour, l’essai analyse donc, d’abord du point de vue historique, comment cette pratique sexuelle passe, en gros, d’une conception divine, créatrice, à une condamnation religieuse et sociétale. L’auteur insiste beaucoup sur le côté créateur de l’activité, la nommant d’ailleurs « plaisir imaginaire », où la pensée se met en branle pour échafauder tous les scénarios possibles pour alimenter nos fantasmes. 

Mais surtout, la thèse défendue définit la masturbation comme intimement opposée au capitalisme qui se développe à partir du XVIIIe siècle:

Tout système politique, tout mode d’organisation sociale ne peut que rejeter le recours au plaisir égoïste puisque celui-ci sape les bases mêmes de cette organisation. Puisqu’il postule un espace de liberté absolue en dehors de tout mécanisme de régulation, qu’il passe par l’échange marchand ou le travail collectiviste. 

De là, la récupération de cette activité gratuite et accessible à toutes et tous par le marché, depuis les années 1950, via la pornographie et, plus récemment, par le commerce des sex toys. L’autoérotisme comme rempart contre la marchandisation du monde ? Pourquoi pas. « Femmes et hommes de tous les pays : masturbez-vous ! » (Notons que les animaux, comme l’explique l’un des premiers chapitres, s’y adonnent aussi.)

On est bien sûr très loin du Marabout Flash sur l’Onanisme en 10 trucs et astuces. Le ton général de l’ouvrage est, bien que très sérieux sur le contenu, assez léger. Thibaut de Montaigu est brillant et drôle dans sa manière de parler d’un sujet aussi intime.

Référence :
Thibaut de MONTAIGU, Voyage autour de mon sexe, Grasset, 2015.

16 juillet 2015

Qu’est-ce que tu lis pour les vacances 2015 #3 : In the pocket

Certes, nous consacrons tous une valise entière pour nos livres de vacances... mais si on les prend en format poche, on peut en mettre le double ! Quelques romans, fraîchement sortis en poche, à glisser dans son sac à dos ou son sac de plage. 


Tout d'abord, quelques coups de cœur enfin en petit format :
Réparer les vivants de Maylis de KERANGAL, bien sûr, pour la beauté de cette histoire de cœur et pour la beauté de l'écriture.
Le Chardonneret de Donna TARTT, pour voyager à New-York (et un peu en Floride), pour s'embarquer dans un véritable et palpitant roman de formation qu'on ne peut pas lâcher, et pour éventuellement faire une petit détour par La Haye pour aller admirer le chef-d’œuvre de Fabritius (comme mon éminent collègue Consonne l'a fait !).
Au revoir là-haut de Pierre LEMAITRE. C'est une brique, certes, mais ça se dévore, et en plus, depuis qu'il est en poche, c'est beaucoup moins lourd !

Ensuite, des lectures pour ceux qui veulent faire une incursion dans les pays de l'Est (si, si, j'en connais !) :
La petite communiste qui ne souriait jamais, de Lola LAFON, les coulisses des salles de gymnastiques dans la Roumanie des années 70 ou la vie de l'étonnante gymnaste Nadia Comaneci.
Sombre dimanche, d'Alice ZENITER, ou la triste histoire de la Hongrie, pays meurtri, comme le sont ses habitants. 




Et enfin, pour rire un peu, parce que bon, ce sont les vacances, quand-même:
Passé imparfait, de Julian FELLOWES dans lequel le scénariste de Downton Abbey nous raconte la saison des bals dans l'Angleterre des années 1960. Désuet, drôle et captivant.
Expo 58, de Jonathan COE, l'humour anglais dans le Bruxelles des années 1950 (parce que l'expo universelle de 58, c'était chez nous!) avec en arrière plan les services secrets américains... désopilant.


Pour les vacances, remplissons nous les poches !



10 juillet 2015

Qu’est-ce que tu lis pour les vacances 2015 #2 : Venise

Giacomo CASANOVA, Histoire de ma vie — Tome troisième

Venise, ses touristes, ses masques made in China, ses gondoliers ventripotents, … 
Pendant que Voyelle fera le plein de cidre et de crêpes, je siroterai un Spritz sur le bord d’un canaletto, loin des foules, pour me remettre d’une journée de visites à la Biennale. L’occasion de revenir sur la lecture d’un chef d’œuvre trop peu connu de la littérature française du dix-huitième.
Si Casanova est l’un des plus illustres habitants de la Sérénissime, c’est davantage pour sa réputation de grand séducteur que pour ses talents littéraires. Et pourtant, les milliers de pages de l’Histoire de ma vie, autobiographie rédigée en français entre 1789 et 1798, sont une plongée vertigineuse dans le dix-huitième siècle européen. 

Plus que des mémoires, c’est un récit d’aventures, un grand roman libertin, politique, sociologique et philosophique ; un livre plein de fougue, de drôlerie, de rebondissements. Étonnant donc que ce grand classique de la littérature française ne soit pas davantage lu (et enseigné : je n'en ai jamais entendu parler de toutes mes études universitaires). 

Alors comment combler ce manque sans pour autant passer les six prochains mois le nez dans les trois grosses briques de l’édition complète ? Pour ce que j’en ai lu jusqu’ici, il me semble que le tome troisième constitue une excellente entrée dans l’œuvre. Il comporte deux grandes histoires distinctes : l’aventure de Casanova avec une religieuse (plus libertin, c'est difficile...) et son évasion des prisons vénitiennes.

Nous sommes aux alentours de 1755 : Casanova revient à Venise après un voyage à Paris et s’éprend d’une jeune fille qui, comme à chaque fois qu’il tombe amoureux, devient son seul et unique centre d’intérêt (jusqu’à la suivante…). Mais elle est envoyée par son père au couvent et c’est en allant lui rendre visite que Casanova fait la rencontre d’une autre religieuse, M.M., qui l’attire à lui par des brillantes manigances et l’entraine dans une captivante aventure amoureuse. M.M. est un esprit fort, une femme libre et rusée: une adversaire à la taille de Giacomo (qui jusqu'ici avait plutôt tendance à succomber aux charmes de très jeunes nymphettes naïves et rapidement emballée).

Cette partie du volume constitue en lui-même un roman libertin enlevé, à la fois profond et frivole, émaillé de quelques nuits torrides, où l’auteur rend compte de ses exploits à répétitions : « Je me suis élancé entre ses bras brûlant, ardent d’amour, et en lui donnant les plus vives preuves pour sept heures de suite qui ne furent interrompues que par autant de quarts d’heure animés par les propos les plus touchants. » Respect!

Mais ses frasques amoureuses et financières (il est toujours à court d’argent et monte de savantes combines pour parvenir à maintenir son train de vie) finissent par attirer sur lui la colère des Inquisiteurs qui l’envoient croupir sous les Plombs, nom donné à la prison située dans le palais des Doges (qu’on rejoint en passant par le fameux pont des soupirs). Mais rien n’arrête Casanova. Il met sur pied un projet d’évasion aussi extravagant que spectaculaire, à faire passer Prison Break pour une partie de chat-perché !

Les deux histoires du volume sont haletantes et brillamment construites. Même si Casanova s’y donne le beau rôle (quitte à raconter sa vie, autant le faire avec panache), il n’en reste pas moins extrêmement lucide sur ses faiblesses et, en fin lettré, justifie ses actions à grands renforts de réflexions philosophiques nourries par ses lectures des classiques. Le tout est écrit dans un français vif, percutant, parsemé d’italianismes. Delizioso !

Références :
À lire dans le premier volume de l’édition de l’Histoire de ma vie en Pléiade (dernière édition parue selon le manuscrit original) ou chez Robert Laffont dans la collection « Bouquins ».

6 juillet 2015

Qu'est ce que tu lis pour les vacances 2015 ? #1 : la Bretagne

Anne PERCIN, Les singuliers

La Bretagne, ses plages, ses rochers, ses crêpes, son cidre, son kouign-amann,... mais aussi ses peintres.

Chers lecteurs, Consonne et moi vous avons un peu délaissés ces derniers temps... Mais la fin de l'année, pour nous, professeurs au rythme scolaire, et les encouragements (réprimandes ? admonestations ? remontrances ?) de mon amie Marie-France : voilà deux bonnes raisons de revenir sur le blog vous parler de toutes ces lectures que nous avions mises en attente (d'avoir un peu de temps).

Et puisque ce sont les VACANCES et que dans quelques semaines, je pars en Bretagne, quel meilleur choix que de vous parler des Singuliers.

Nous avions beaucoup aimé le premier roman d'Anne Percin, Premier été, (qui aurait pu, vu son titre, introduire cette série d'articles de vacances) récit d'un étrange et pour le moins traumatisant premier amour. Si le récit des Singuliers débute également en été, l'ambiance est radicalement différente. Il s'agit de l'été 1888, et d'Hugo Boch, jeune Louviérois (donc, pour nos amis français, de La Louvière, ville de Wallonie) qui tente de s'émanciper d'une famille bourgeoise dont l'unique préoccupation est leur florissante entreprise Villeroy & Boch. Or, Hugo est artiste. Il craint donc plus que tout un travail de bureau et/ou un mariage arrangé. Même l'académisme des Beaux-Arts de Paris le dégoûte. Il part donc à Pont-Aven, et rencontre une joyeuse bande d'artistes dont un certain Gauguin, personnage haut en couleur, est le meneur. 

Dans ce roman initiatique, nous suivrons Hugo s'affirmer dans ses choix, celui de faire de l'art - la peinture d'abord, la photographie (que personne à l'époque ne considère comme un art) ensuite - quitte à couper tout lien avec sa famille. Mais également roman sur l'art, puisque, dans ce récit épistolaire mêlant la fiction et la réalité, nous entendrons parler de Van Gogh, Signac, Toulouse-Lautrec, Sisley, Cézanne, Odilon Redon, James Ensor et tant d'autres, des Impressionnistes, des Fauvistes, des Naturalistes et des Symbolistes. Il est question de la querelle des Anciens et des Modernes, du refus de certains génies de l'académisme, des Salons, celui des Vingt et celui des Indépendants ou encore de la construction de la tour Eiffel.

Mais à la grande Histoire se mêlent également les petites intrigues : entre autres, la touchante complicité entre Hugo et son ami Tobias, resté en Belgique pour soigner ses terribles crises de céphalée, et celle avec sa cousine Hazel, elle-même artiste et qui évoque la difficulté d'être une femme dans la société du 19e siècle. 

Un roman foisonnant, donc, à emporter sur une plage (bretonne ou pas) !

Anne PERCIN, Les singuliers, Éditions du Rouergue, coll. "la brune", août 2014.

28 juin 2015

Dead man talking

R.J. ELLORY, Papillon de nuit

En Caroline du Sud, dans les années 1950-1960, l'amitié entre un jeune noir et un jeune blanc n'est pas chose fréquente. Qu'importe, ce qui unit les deux garçons se passe au-delà de la couleur de peau. Nathan et Daniel grandissent dans une Amérique en crise, marquée par les assassinats politiques, les luttes pour les droits civiques et l'enfer de la guerre du Vietnam. Ensemble, alors que leurs bêtises d'enfants font peu à peu place aux questionnements de jeunes adultes, ils cherchent à donner un sens à toute cette absurdité, à trouver leur place au monde, quitte à devenir hors-la-loi. 
C'est sur cette longue amitié et sur sa tragique conclusion que revient Daniel, en attente de son exécution dans le couloir de la mort. Un récit sous forme de confession et la traversée d'une époque mouvementée.

Le premier roman de R.J. Ellory est enfin traduit en français et inaugure la nouvelle collection de poche des éditions Sonatine. On y trouve les éléments repris et développés par la suite dans tous les romans de l'écrivain: critique virulente de la société américaine, poids et fantômes de l'histoire, aspiration au Bien et fascination pour le Mal. Cette plongée dans les démons de l'Amérique est, comme à chaque fois chez Ellory, suffocante mais terriblement juste et à hauteur d'homme. 

Une bonne pioche pour les vacances et, pour moi, l'occasion de ranimer un peu notre blog...

Référence:
R.J. ELLORY, Papillon de nuit, traduit de l'anglais par Fabrice Pointeau, Sonatine +, 2015.

11 janvier 2015

Wolf Hall


Nous avions beaucoup aimé les deux premiers tomes de la trilogie d'Hilary MANTEL, le Conseiller (Wolf Hall en VO), consacrée à Thomas Crowell (et nous en avions parlé ici). Le style moderne et direct, loin du côté gravure de certains romans historiques, en faisait un candidat sérieux pour une adaptation en série télé. 

C'est chose faite et ce sera une série made in BBC, ce qui rend la chose encore plus réjouissante, si comme nous vous aimez les britisheries.

Côté casting, Henry VIII est interprété par Damian Lewis, le troublant sergent Brody de Homeland.

À voir dès le 21 janvier on BBC Two.

7 janvier 2015

Encre noire

Censure, liberté d'expression, rôle des artistes, des intellectuels, ... Des sujets que nous abordons souvent avec nos élèves. 

Que dire ici sur cette triste actualité? 

Vous rappeler un billet sur une BD que nous avions particulièrement aimée, à l'époque, et que nous allons relire et partager.

En février 2006, l’hebdomadaire Charlie Hebdo, après la publication des caricatures de Mahomet, se retrouve devant les tribunaux pour « injures publiques envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une religion ». Joann Sfar assiste à l’intégralité des débats et nous livre la chronique, sous forme de bande dessinée, d’un procès qui parle de racisme, de laïcité et du droit à l’expression. Avec ses dessins croqués en vitesse et son humour, Sfar retranscrit les brillantes tirades de certains témoins qui ne rappellent rien de moins que les bases de la démocratie.
À l’instar de son auteur, un ouvrage étonnant et remarquable.

Référence:
Joann SFAR, Les Carnets de Joann Sfar: Greffier, Delcourt, «Shampooing», 2007.