24 avril 2010

Tous en scène!

Le blog va tourner au ralenti les deux semaines qui viennent…

A côté de nos multiples occupations, nous sommes aussi l’un et l’autre à la tête des troupes de théâtre de nos écoles respectives. Et fin avril/début mai, c’est le moment des représentations, point d’orgue d’une année de répétitions et de travail hebdomadaire avec nos élèves.

Cette année, deux excellentes productions (et on parle en toute objectivité).

Pour Amandine et l'Athénée royal de Uccle 1, ce sera l’adaptation théâtrale du roman Saga de Tonino Benacquista :

Pour Xavier et l'Athénée royal de Waterloo, ce sera un spectacle/cabaret burlesque et absurde :

De quoi remplir notre emploi du temps…

Mais on revient vite, avec de chouettes lectures (on va prendre le temps de vous dire tout le bien qu’on pense du nouvel Anne-Marie GARAT) et aussi un ambitieux projet de « challenge »…

A tout bientôt!


21 avril 2010

Ne me quitte pas

Le jour où Nina Simone a cessé de chanter, Darina AL-JOUNDI et Mohamed KACIMI

Comment être une femme libre dans le Liban d'aujourd'hui. Le récit  d'une femme qui lutte contre la domination des hommes, de la religion et des coutumes en flirtant avec la violence et la folie.

Un jour, raconte Mohamed KACIMI, une jeune femme l'aborde, lui met entre les mains un manuscrit et lui explique qu'il s'agit de sa vie, avant de s'enfuir. KACIMI va alors découvrir un texte poignant qui raconte le destin d'une petite fille puis d'une femme dans le Liban d'aujourd'hui. Il va recontacter la jeune femme et rédiger avec elle d'abord un texte théâtral - qui sera monté à Avignon, interprété par Darina elle-même, et deviendra un spectacle événement - puis un roman témoignage.
Le jour où Nina Simone a cessé de chanter débute par la mort du père de la narratrice. Un homme extraordinaire, né en Syrie puis réfugié politique au Liban, qui élèvera ses trois filles dans le culte de la liberté. Ainsi, il leur apprend à s'opposer farouchement à la soumission aux hommes ("Méfie-toi ma fille, tous les hommes de ce pays sont des monstres pour les femmes"), à la religion ("Mes filles, dit-il, tant que je serai en vie je ne veux voir aucune de vous lever le cul en l'air pour faire la prière et encore moins s'affamer pour faire le ramadan") ou à toute autre coutume qui enferme les femmes, y compris l'obligation de porter des soutiens gorge ("Un soutien-gorge, tu te rends compte de la servitude que ça suppose, tu vas avoir un corset qui va t'empêcher de respirer, tu auras des marques de bretelles sur les épaules, sais-tu combien de femmes j'ai fuies au moment de faire l'amour rien que pour cette cicatrice affreuse, et les marques d'agrafes dans le dos, on dirait un impact de balle"). Pour respecter ses dernières volontés, sa fille, Darina, refuse qu'on écoute le Coran et exige que l'on passe Nina Simone et ses airs de jazz préférés.
Le récit est aussi et surtout l'histoire d'un pays en guerre où la liberté est de plus en plus difficile à préserver. Ainsi Darina et ses sœurs assisteront, depuis leur petite enfance, à des scènes de violence inimaginables et vivront les semaines du siège de Beyrouth, enfermées et entassées avec des dizaines d'autres dans une cave humide et étouffante. Et Darina, en grandissant, de goûter à la vie en brûlant la chandelle par les deux bouts, sachant que chaque jour est peut-être le dernier. Ainsi, elle nous raconte sans pudeur ses folles nuits à danser dans les boîtes de nuit de Beyrouth, le sexe auquel elle s'adonne sans modération ni protection, la cocaïne,... Tout ce qui permet d'oublier que la mort n'est pas loin et que la guerre et la violence font désormais partie du quotidien.
Mais lentement arrivent les premiers barbus. Les femmes commencent à se voiler, les mentalités à se fermer. Darina, qui s'évertue à vivre conformément à ce que lui a enseigné son père, dans la liberté la plus totale, sera rejetée par la communauté, y compris par sa propre famille qui la fera passer pour folle et enfermer.   
Elle quittera ensuite définitivement le Liban et se réfugiera en France pour pouvoir vivre enfin en femme libre.
Un beau et poignant destin de femme.

18 avril 2010

Apprendre par le vice ou la vertu ?

Une éducation libertine, Jean-Baptiste DEL AMO

Un roman d’apprentissage sensuel et enlevé à l’époque des Lumières.

Peut-on devenir un autre ? Est-il possible de se réinventer une vie, un être nouveau, à l’image de celui qu’on admire ? Et dans le cas de Gaspard, fils de paysans monté à la capitale, est-il possible de faire fi de ses origines pour gravir les marches de la société des nantis ?
Dans le Paris populaire de 1760, tel que le découvre Gaspard, tout n’est qu’odeurs infectieuses et misère. Le long de la rue Saint-Denis, il descend vers le fleuve qui charrie tout ce dont la ville se nourrit et tout ce qu’elle rejette. Le premier emploi du jeune homme consiste à débarquer sur la rive les rondins de bois qui descendent la Seine. Mais ce n’est pas pour risquer chaque jour la noyade que Gaspard est venu à Paris. Très vite, il se retrouve apprenti chez Justin Billod, perruquier en vogue dans les salons parisiens. C’est la beauté et le charme de Gaspard qui lui ouvrent les portes de l’atelier, tant le vieil semble troublé par l’innocente grâce du garçon. Mais c’est la rencontre avec Etienne de V., courtisan, libre-penseur, esthète à la réputation sulfureuse qui va décider du destin de notre jeune Rastignac. Etienne l’emmène à la découverte de Paris et de l’humanité bigarrée qui le compose : des bas-fonds à l’Opéra, en passant par la morgue et les exécutions publiques. Éducation à la pensée et à la connaissance de l’homme, de ce qu’il a de pire et de plus brillant. Etienne fascine Gaspard ; il veut à tout prix lui ressembler, goûter aux mêmes plaisirs, à la même douceur de vivre, même si celle-ci prend souvent les teintes amères de l’ennui. Eclairé à présent sur ses désirs d’ascension, Gaspard le sera aussi à ceux de son corps et de ses sens, révélés à lui par Etienne. Un corps fait pour se donner, se vendre et se rapprocher peu à peu de son idéal, quitte à y perdre toute son innocence.
Pour son premier roman, Jean-Baptiste DEL AMO marche dans des sentiers balisés – le roman d’initiation dans un cadre historique – mais il parvient dès les premières pages à imposer une écriture sensuelle, très travaillée et néanmoins prenante. Le parcours de Gaspard, son éducation sociale, morale et libertine (liberté de mœurs mais aussi d’esprit), séduisent et entraînent dans la redécouverte d’une époque et de ses rouages. On pense bien sûr aux idées des Lumières sur l’éducation, chez Rousseau notamment, mais aussi, à travers le personnage d’Etienne de V., sorte de divin marquis qui aurait eu pignon sur rue, à celles sur la nature humaine. L’évolution du personnage est patiente et nuancée. Il ne fait pas table rase du passé et est souvent visité dans ses songes par les souvenirs de la ferme de ses parents.
Un très bon roman qui donne envie de découvrir rapidement la suite du travail de ce jeune auteur.

Un livre lu grâce à BOB et à Folio que nous remercions très chaleureusement!

Les autres avis (contrastés) des blogueurs participants ici.

9 avril 2010

(Re)Lire ses classiques#1

 
La métamorphose, Franz KAFKA

Nouvelle angoissante et implacable sur l’aliénation pour inaugurer notre nouvelle rubrique.

Même si nous faisons rarement lire les fameux « classiques » à nos élèves, il nous arrive parfois de mettre au programme des lectures de l’année  (comme ici) l’un ou l’autre « incontournable ». Et, parce que nous sommes d’excellents profs (mais oui !), nous nous plongeons régulièrement dans l’histoire de la littérature pour préparer nos leçons. C’est alors l’occasion de lire ou de relire les « grands » auteurs. Beaucoup de guillemets dans ces quelques phrases car ces notions sont bien discutables et très floues, mais passons…
Donc, nous inaugurons aujourd’hui une nouvelle rubrique : (Re)Lire ses classiques, dans laquelle nous publierons régulièrement un petit billet sur ces (re)découvertes. On aurait aussi pu participer à l’un ou l’autre challenge (comme ici), mais les semaines et les mois qui viennent seront chargés et on a peur de ne pas suivre la cadence… On vous en dira plus bientôt…
Pour commencer, une nouvelle étudiée en classe dans le cadre du cours sur la modernité (et avant un passage à Prague avec les élèves) : La métamorphose.
On a bien sûr en tête l’image de l’immense cancrelat échoué sur le lit d’une petite chambre de l’appartement de la famille Samsa. Mais finalement la transformation de Gregor en parasite repoussant n’est qu’un accident vite évacué du récit au profit de la véritable métamorphose de la nouvelle, celle du regard de la famille sur cet occupant inopportun. Le fils et le frère aimé, soutien infaillible d’une cellule familiale en proie aux problèmes d’argent, un fois changé en insecte devient rapidement un fardeau qu’il faut soustraire aux yeux du monde, une honte, une disgrâce. Et la lente aliénation du personnage de commencer…
« Qui couche avec des chiens attrape des puces ». La phrase du père de Kafka est prise ici au pied de la lettre. Sans vouloir tomber dans les pistes trop biographiques de l’analyse du texte, on voit très clairement ici se jouer un conflit père-fils avec pour cadre cette transformation en parasite. Un thème évidemment cher à l’auteur (voir la Lettre au père), tout comme celui de l’aliénation par le travail et le poids des contraintes sociales.
Au-delà de la vision de la famille aliénante, la nouvelle de KAFKA fascine aussi par sa construction. Trois chapitres qui suivent le même schéma et qui montrent le pourrissement croissant de la situation. Alors que l’état du fils/insecte se dégrade, les rôles sont redistribués au sein de la famille, donnant à chacun une nouvelle position et, peut-être, de nouvelles chances.
Un texte cruel et incisif, d’une écriture tendue d’un bout à l’autre de la nouvelle.
A lire ou à relire…

4 avril 2010

Blue suede shoes

Les chaussures italiennes, Henning MANKELL

Un homme a choisi de vivre sa retraite sur une petite île au large de la Suède et se laisse vieillir entouré par la glace et  la solitude. Mais l'arrivée inopinée de son ancienne maîtresse va quelque peu bouleverser son existence isolée.

On ne présente plus Henning MANKELL et il n'est plus nécessaire non plus de dire à quel point on l'aime (voir ici et ici). On l'a découvert avec la série des Kurt Wallander, extraordinaires polars qui allient suspense, réalisme et intelligence. Tout le monde aime l'inspecteur Wallander, même ceux qui ont encore des a priori à l'encontre du genre policier, parce qu'il est terriblement humain et que ses enquêtes se déroulent toujours dans un contexte interpellant, évoquant tantôt l'appartheid, tantôt l'évolution de la société suédoise ou encore la mafia russe. On aime tellement Wallander qu'une adaptation télévisée a vu le jour et, pour notre plus grand plaisir, c'est l'excellent Kenneth Brannagh qui interprète le policier suédois. Un casting anglais, donc, mais un cadre spatial bien suédois et des vues magnifiques de ce pays qu'on a décidemment de plus en plus envie de visiter.
Mais MANKELL n'est pas qu'un auteur de roman policier (malgré que ça aurait suffi pour dire de lui qu'il est un grand écrivain!). On vous avait d'ailleurs déjà parlé de Tea Bag, étonnant roman qui traite de l'immigration clandestine en Suède par le biais d'un écrivain narcissique décidant d'écrire un roman sur de jeunes immigrées.
Son dernier roman, Les chaussures italiennes, est à la hauteur de l'idée que l'on avait de l'auteur de de son talent. Il y est question d'un homme d'une soixantaine d'années, médecin à la retraite, qui après un erreur médicale s'est coupé de tout et de tout le monde pour vivre, seul, avec son chien, son chat et sa fourmilière, sur un île où bien peu de gens, à part le facteur, homme curieux et hypocondriaque, ne passe. Mais un jour, notre homme voit arriver, sur la glace, à petit pas derrière son déambulateur, une femme, qu'il reconnaît être son plus grand amour lâchement abandonnée quarante ans plus tôt. C'est bien entendu le début d'une nouvelle vie, et on assiste à la renaissance d'un homme qui se considérait comme mort depuis trop longtemps. A partir de là, notre (anti)héros vivra, enfin, des aventures parfois douloureuses, souvent heureuses et fera de nombreuses et improbables rencontres : une fille qui vit dans une caravane, fait de la boxe et écrit des lettres aux chefs d'état pour leur demander de faire changer les injustices de ce monde, une ancienne patiente manchotte qui s'occupe de jeunes filles en réinsertion, les jeunes filles en questions, pour la plupart immigrées et remplies de colère et de souffrances (dont l'une est l'amie d'une certaine Tea Bag...), un chausseur italien artiste et amoureux des pieds,... Et, le facteur de reprendre du service, s'occupant d'un échange de courrier frénétique entre l'île et le continent, et se chargeant d'amener les nouveaux amis de notre solitaire sur l'île, anciennement no man's land, qui deviendra un lieu de plus en plus fréquenté, sur lequel, de temps à autre, auront lieu des fêtes de printemps inoubliables. 
Si l'on retrouve les thèmes de prédilections de MANKELL - l'amour filial, l'immigration, les rencontres extraordinaires, les cadeaux et les difficultés de la vie -, son écriture acérée et le personnage égocentrique et dépressif, on va, durant toute la lecture de surprises en surprises. Parce que MANKELL évite toujours et superbement facilité et toutes formes de clichés. A chausser sans plus attendre.