29 avril 2011

Pas dans son assiette

Faut-il manger les animaux ?, Jonathan SAFRAN FOER

Le jeune auteur new-yorkais se penche sur notre rapport à la viande et sur les conséquences du régime carnivore. Extrêmement fort…

Nous savons que le morceau de viande, de volaille, de poisson qui remplit notre assiette a dû, avant d’y échouer, appartenir à un animal vivant. Nous le savons mais, en ce qui me concerne, ce n’est pas précisément ce à quoi je pense au moment où j’approche la fourchette de ma bouche. Et puis, ne sommes-nous pas des prédateurs et n’est-il pas « naturel » pour des animaux d’en manger d’autres ?
À première vue, et  à en juger par son titre, on pourrait croire que cet essai présente un plaidoyer pour le végétarisme. Jonathan SAFRAN FOER l’explique dès le début du livre : pour bien des raisons il a choisi, au fil des ans, de s’orienter vers un régime végétarien, volonté renforcée depuis la naissance de son fils. Mais ce choix est personnel et il ne jette pas l’opprobre sur tous les mangeurs de viande. Contrairement à la plupart de ceux-ci, et c’est souvent le cas des végétariens, il a profondément réfléchi à sa manière de s’alimenter et à ce que cela pouvait signifier de manger des animaux. Le but de son livre est d’avant tout faire réfléchir sur cet aspect de notre alimentation et de pousser les lecteurs à prendre conscience des lourdes conséquences du régime carnivore.

Manger est d’abord une histoire de famille et une manière de s’intégrer dans une filiation et une société. Les repas constituent une activité sociale importante et la viande y joue un rôle important. Mais pourquoi, par exemple, ne retrouve-t-on pas des chiens ou des chats dans nos assiettes? Pourquoi certains des animaux qui nous entourent ont-ils droit à un traitement différent ? C’est à partir de cette question banale que SAFRAN FOER décide de se lancer dans une grande enquête sur les conditions d’élevage et de mise à mort des animaux destinés à l’alimentation. Et son constat est sans appel. Que ce soit d’un point de vue écologique, moral, éthique, psychologique (et dans une certaine mesure aussi économique) : c’est un désastre. Les élevages industriels qui représentent aujourd’hui aux Etats-Unis la quasi totalité des exploitations empoisonnent les sols, sont un danger pour la santé et font subir des traitements indignes et douloureux aux animaux. Des animaux génétiquement modifiés, nourris aux antibiotiques, entassés et enfermés, soumis au stress, mis à mort dans la douleur afin de répondre, à bas prix, à une demande en viande toujours croissante. SAFRAN FOER a enquêté, lu, rencontré des acteurs du secteur et des défenseurs des droits des animaux. Il va même jusqu’à s’introduire clandestinement dans un élevage industriel.

L’intérêt du livre tient dans la nuance des propos. A côté des entreprises qui n’ont que faire du bien-être de l’animal (peut-on seulement parler de « bien-être » pour des animaux qui ne voient jamais la lumière du jour et qui sont créés dans le seul but d’être tués ?), il existe encore quelques petits éleveurs qui luttent, se battent pour préserver l’élevage traditionnel et qui tentent d’offrir aux animaux une vie et une mort meilleures. L’auteur sait que le monde entier ne deviendra pas végétarien mais il espère que les consommateurs prendront davantage conscience de ce qu’implique leur consommation. Manger est devenu un acte politique et, en choisissant tel ou tel type d’alimentation, j’encourage un modèle de société.

Ok, mais tout cela ne concerne que les Etats-Unis, me direz-vous. En Europe, les normes sont beaucoup plus strictes et plus soucieuses du bien-être de l’animal. N’empêche : 22 poulets par m2 (ce qui semble être la norme européenne en ce qui concerne les poulets industriels), ce n’est quand même pas le rêve. Mais bon, chez nous d’autres systèmes existent encore à côté de ce type d’élevages, heureusement. Il suffit de savoir lire une étiquette ou de s’approvisionner autrement (quitte à payer plus cher et à consommer moins de viande).

La forme de l’essai de SAFRAN FOER est, à l’image de ses romans, assez créative. Même si certaines descriptions sont difficiles à supporter, il évite de (trop) jouer sur l’émotion et parvient même parfois à une certaine forme d’humour. Les propos sont nuancés et mélangent témoignages, statistiques et réflexions personnelles.

Alors : faut-il manger les animaux ? Même si pour l’auteur la réponse est dans la question, ce sera aux lecteurs à décider, en âme et conscience. Car une fois la lecture achevée, impossible de fermer les yeux sur certaines réalités. Pas une question de sensibilité mais bien d’intelligence.

Référence :
Faut-il manger les animaux ?, Jonathan SAFRAN FOER, traduit de l’anglais (États-Unis) par Gilles Berton et Raymond Clainard, Éditions de l’Olivier, 2010

23 avril 2011

Don’t rain on my parade

Easter parade, Richard YATES

La part mélancolique du rêve américain à travers les trajectoires opposées de deux sœurs. Un beau roman qui évite astucieusement le sentimentalisme et les clichés. Du Mad Men avant l’heure…

« Aucune des deux sœurs Grimes ne serait heureuse dans la vie… »
La première phrase du roman laisse peu de place au doute : pas de bonheur en vue pour Sarah et Emily Grimes. Depuis le divorce de leurs parents, elles grandissent tant bien que mal au rythme des déménagements. Pookie, leur mère, écume les banlieues new-yorkaises et, à défaut d’avoir réussi sa vie, espère le meilleur pour celle de ses filles. Un beau mariage, une belle maison. Quelle autre possibilité pour une femme  dans l’Amérique de l’après-guerre ? Sarah, l’aînée des sœurs Grimes, n’ira pas chercher plus loin et se cantonnera au rôle d’épouse et de mère, fermant à demi les yeux sur les défauts de son prince charmant. Emily, plus indépendante, fera des études, travaillera et enchaînera les relations. Chacune des deux sœurs pense réaliser son rêve, vivre selon ses désirs, feignant d’ignorer la tristesse et les silences qui envahissent leur quotidien.

Ecrit en 1976, le roman de Richard YATES revient sur les années 50 et 60, époque où la classe moyenne américaine voyait prospérer son idéal fait de domesticité et de consommation. Un repli sur soi-même, sur la cellule familiale, alors que, entre la guerre froide, la mort de Kennedy et la guerre du Vietnam, le monde se transformait. Métaphore politique et sociale, la destinée des sœurs Grimes montre une Amérique en proie aux doutes face à ses rêves de prospérité et de bonheur. Les deux routes choisies par Sarah et Emily aboutissent au final à un cul-de-sac. La félicité familiale de Sarah n’est qu’un leurre, tout comme la liberté d’Emily ; elles ont tout pour être heureuses mais n’y parviennent pas. Le style de YATES rend avec beaucoup de finesse cette ambiance mélancolique sans pour autant présenter les personnages comme des victimes. Le style est tranchant et souvent ironique, évitant astucieusement les pièges du roman sur le thème : « un beau destin de femme ».

Mélancolie, années 50-60, whisky et personnages fantomatiques : difficile de ne pas penser à Mad Men (le personnage d’Emily travaille comme rédactrice dans une agence de pub à Manhattan). Matthew Weiner, créateur de la série, explique pourtant (notamment ici) qu’il n’a découvert YATES qu’après avoir commencé l’écriture des premiers épisodes. En plus de l’atmosphère, on retrouve également le thème de la place de la femme dans la société, femme au foyer aux névroses rentrées ou fille de la ville qui ne peut compter que sur elle-même.

Sur la blogosphère, les avis sont partagés. Assez positifs chez Sabio et Amanda Meyre, pas très enthousiastes chez Cynthia.

Du même auteur, on peut également lire La Fenêtre panoramique, adapté au cinéma par Sam Mendes en 2008 (Revolutionary Road).


Référence :
Easter parade, Richard YATES, traduit de l’anglais (États-Unis) par Aline Azoulay-Pacvon, Éditions Robert Laffont, 2010

18 avril 2011

Piège en direct

Faute de preuves, Harlan COBEN

Le dernier COBEN, une junk food agréable mais pas indispensable...

Le subtil travail de Wendy Tines consiste à rien de moins que de piéger des pédophiles en direct à la télévision. Faut-il être américain pour ne pas tiquer sur la profession pas très éthique de la dame ? Toujours est-il qu'il n'est pas forcément évident de se sentir des affinités avec l'héroïne en question.
Bon, évidemment, COBEN nous montre tout le danger de ce genre de pratique puisque la dernière victime de Wendy, le pauvre Dan Mercer, semble assez vite au lecteur, et même à la perfide Wendy, blanc comme neige. Un héros tel que seul COBEN peut en concevoir, charmant, généreux, drôle bien qu'un peu écorché... Quelque temps plus tard, la disparition d'une adolescente sera elle aussi attribuée à Dan. C'est alors que Wendy décide de creuser un peu le passé de celui dont elle a détruit la vie. Elle rencontre ainsi ses anciens camarades d'université qui semblent tous cacher quelque chose..
Intrigues à tiroirs, personnages sensibles ayant tous vécu des drames personnels et quelques questions plus ou moins existentielles sur le pardon et la responsabilité, tous les ingrédients de COBEN sont bien sûr réunis dans ce dernier opus. Soulignons que le récit est un peu moins invraisemblable que dans ses dernières productions mais avouons qu'on ne retrouve plus le côté haletant des premières œuvres (dont on a longuement parlé ici) qui nous faisait dévorer ses livres des nuits entières. On ne retrouve dans les derniers Harlan COBEN ni la subtilité des polars nordiques, ni  la noirceur et l'envergure de certains de ses collègues américains. Lire COBEN aujourd'hui donne autant de plaisir que de manger un Mars quand on a l'habitude de manger des pralines belges, un hamburger du Quick quand on ne mange que des petits plats bio,... bref, vous avez compris la métaphore : ça rend un peu coupable mais ça va vite et ça fait du bien à condition de ne pas en abuser.

Merci à Athomedia pour ce partenariat

Référence :
Harlan COBEN, Faute de preuves, Belfond, 2011

17 avril 2011

Quatrième de couverture

In Cold Blog lance une enquête sur les liens que les lecteurs entretiennent avec la quatrième de couverture. Un petit questionnaire qui ne vous prendra pas plus de dix minutes et qui est à découvrir ici (cliquer sur l'image):



15 avril 2011

Vous avez un message

Quand souffle le vent du nord, Daniel GLATTAUER

Dialogue amoureux et virtuel. Courrier indésirable ?

Une lettre de trop dans une adresse mail. C’est par cette erreur qu’Emma fait la connaissance virtuelle de Leo. S’ensuit une correspondance amusée, intriguée et de plus en plus complice. Au fil des jours et des courriels, une relation s’installe dans l’anonymat le plus complet. Un homme et une femme, deux inconnus qui, l’un pour l’autre, n’existent que dans ce qu’ils veulent bien écrire. Les mails s’enchaînent à un rythme rapide, fiévreux parfois, et s’acheminent vers l’inévitable question : faut-il que Leo et Emma se rencontrent « en vrai » ?

Si l’auteur parvient à rendre crédible ce dialogue épistolaire moderne et à nous faire découvrir les deux personnages à mesure où ceux-ci inventent leur relation, il peine à maintenir l’intérêt du lecteur. Les dialogues fusent avec humour et tendresse (on pense souvent à l’écriture de GAVALDA, dans ses bons moments) mais les hésitations répétées des deux personnages (« oui mais non mais oui mais finalement non »), les platitudes amoureuses (« aujourd’hui vous êtes méchant ! » « oh que je vous trouve gentil ! ») et les clichés romantiques ennuient (comme chez GAVALDA !). Les personnages sont stéréotypés et, malgré quelques coups de théâtre originaux, finissent par lasser (et pourtant cela se lit très vite). Dommage car on est parfois touché par la description de cette intimité fragile où l’on devient, dans la distance et le virtuel, un autre, un être détaché de son quotidien. Un sujet qui avait tout pour intéresser un blogueur…

Ailleurs, les avis sont partagés. Enthousiasme cher Clara, Keisha et Emeraude. Des réserves chez Cathulu et un billet dur chez Anne-Sophie.

Le livre, best-seller international, a eu droit pour sa sortie en France à une bande-annonce (!). C’est affligeant de bêtise et c’est à voir ici.

Et pour ceux qui en redemandent, la suite du roman vient de sortir et s’intitule La septième vague.

Référence :
Quand souffle le vent du nord, Daniel GLATTAUER, traduit de l’allemand par Anne-Sophie Anglaret, Grasset, 2010
Vient de paraître au Livre de Poche avec une couverture qui en découragera plus d’un!

12 avril 2011

Tête de gondole

Comment je suis devenu un écrivain célèbre, Steve HELY

Satire amusante du monde de la littérature contemporaine et de l’impitoyable buzz.

Pete Tarslaw a beau être paumé, accorder peu de soin à son hygiène et à son alimentation, vivre comme s’il était encore étudiant, il n’en possède pas moins un don inestimable : celui de savoir travestir la réalité pour en faire une histoire. Au sein d’une compagnie aux limites de la légalité, il s’occupe de retravailler les lettres de motivations d’étudiants étrangers candidats aux grandes universités américaines. De quelques lignes mal traduites du russe ou du japonais, Pete parvient à tirer un récit qui sonne juste et vrai ; en somme, un travail d’écrivain. À l’annonce du mariage de son ex, blessé au plus profond de ce qui lui reste d’orgueil, Pete se lance un défi qui lui permettra d’assister aux noces la tête haute: écrire un best-seller et devenir un écrivain célèbre. Pas besoin d’inspiration divine, de génie créatif. La méthode de Pete consiste à étudier la liste des meilleures ventes et d’en retirer une liste d’ingrédients indispensables à l’écriture d’un livre qui touchera un maximum de lecteurs et lui apportera argent et gloire. C’est ainsi que Cendres dans la tornade fera son apparition dans le monde des livres et des médias, pour le meilleur et pour le pire.

Dans cette satire mordante et très drôle, HELY envisage tous les aspects du champ littéraire qui, ne le perdons pas de vue, est aussi un business comme les autres, répondant de plus en plus à la politique de l’offre et la demande. Il ne suffit pas d’enfiler les éléments narratifs les plus vendeurs, il faut aussi utiliser tous les moyens de communication du monde moderne et créer le buzz. Dans cette course effrénée au succès, HELY caricature avec beaucoup d’humour les auteurs du milieu littéraire américain (dont la sainte patronne serait Oprah Winfrey !), égratigne le mythe de l’auteur esclave de son art et interroge le lecteur sur les indices de qualité littéraire et, au final, sur notre besoin insatiable d’histoires. Qu’est-ce que le talent, l’authenticité ? Pastiches, notes de lecture, listes de best-sellers, … l’auteur mélange le vrai et le faux et, malgré quelques problèmes de rythme, réussit à ne pas tomber dans les travers qu’il épingle.

Léger, drôle et pas bête. Nous tenons notre premier conseil lecture pour les vacances.


Les avis d’Emeraude et d'Amanda Meyre.


Référence :
Comment je suis devenu un écrivain célèbre, Steve HELY, traduit de l’anglais par Héloïse Esquié, Sonatine Éditions, 2011

2 avril 2011

Triangle silencieux

Les tendres plaintes, Yoko OGAWA

Histoire d’amour, roman d’une reconstruction, récit symboliste : OGAWA surprend à nouveau.

Fuir et chercher refuge dans un lieu de son enfance, quitter la grande ville et son mari infidèle et parfois violent pour le calme d’un chalet dans la forêt. C’est ainsi que Ruriko va faire la rencontre de Nitta, un facteur de clavecin, et de son assistante Koaru. Les deux artisans partagent avec Ruriko, elle-même calligraphe, le goût du calme, des silences concentrés et de la beauté de la musique. Comme elle, ils sont aussi arrivés à ce stade de leur existence après drames et déceptions: Nitta a mis brusquement fin à sa carrière de pianiste tandis que Koaru continue de pleurer la mort brutale de son fiancé. Les trois compagnons trouvent rapidement les bases d’une amitié douce et sincère, entrecoupée de silences. Ruriko se demande cependant si elle pourra un jour retourner vers son ancienne vie, son mari et s’éloigner du charme troublant de Nitta.

Fidèle à son style délicat et sensible, OGAWA met ici en scène un personnage en pleine reconstruction et, sur le thème banal du triangle amoureux, parvient à étonner par la manière subtile et étrange qu’elle a de faire agir ses personnages. Pas de sentimentalisme, pas d’effets faciles. Sous l’apparence de la douceur et de la tendresse croupissent les secrets et les désirs inavoués, les regrets et les jalousies. L’écriture, elle, suit le rythme des saisons, contemplative lorsqu’il s’agit d’écouter les murmures de la nature ou plus mystérieuse quand les personnages tentent d’échanger leurs histoires. Un style reconnaissable qui n’est jamais vain et qui, au fil des romans (comme ici ou ici) et des nouvelles (comme ici) se réinvente à chaque livre.

Les avis du Globe-Lecteur et de Lou.

Référence :
Yoko OGAWA, Les tendres plaintes, traduit du japonais par Rose-Marie Makino et Yukari Kometani, Actes Sud, 2010