18 novembre 2012

À la fin de l’automne, Auster perd ses feuilles

Winter Journal, Paul AUSTER

Le dernier Auster en VO : paresseux et dispensable.

L’hiver du titre c’est celui qui s’ouvre devant Paul Auster. À soixante-cinq ans, malgré une condition physique tout à fait honorable, l’auteur entre dans une nouvelle phase de son existence. Ce livre compile une série de souvenirs et d’anecdotes qui racontent implicitement comment il en est arrivé là. En mode shuffle. On passe de l’histoire de certaines cicatrices à la liste des différents appartements et maisons où il a vécu, de la mort de sa mère au récit d’un accident de voiture, de tout ce que ses doigts ont pu toucher (en tout bien tout honneur) à tous le lieux qu’il a visités. Il revient également sur certains passages de sa vie familiale déjà racontés dans L’Invention de la solitude. Le point de vue adopté est souvent celui du corps, de la manière dont il réagit, parfois violemment, aux événements.
J’aimerais pouvoir aller plus loin mais il n’y a malheureusement rien à dire de plus. Et pour le grand amateur d’Auster que je suis (ici), la déception n’en est que plus grande. D’accord tous ses romans ne sont pas inoubliables, mais quand même. Face à ce livre, on se demande ce qui l’a poussé à publier cet assemblage de textes sans grand intérêt. Péché d’orgueil ? Panne d’inspiration ? Ou investissements malheureux à Wall Street ?
Même si certaines anecdotes sont touchantes, on passe souvent par des moments d’ennui (Noël dans sa belle-famille? Who cares?), voire de gêne (oui son épouse, Siri Hustvedt, est belle et intelligente mais il n’est pas nécessaire de le rappeler toutes les dix pages…). Bref : grosse paresse ! Et la narration à la deuxième personne, coquetterie littéraire qui suinte l’artificialité, n’aide en rien…
Pour finir sur une note positive, le seul passage du livre qui m’a vraiment emballé est celui où il reprend des extraits de PV des réunions du syndic d’un immeuble où il a habité plusieurs années : des petits bijoux de style et de drôlerie, rédigés par Hustvedt herself ! Et en plus, elle est bêêêêlle…

Référence :
Paul AUSTER, Winter Journal, Faber and Faber, 2012.

15 novembre 2012

Quand Harry rencontre Nola

Joël DICKER, La vérité sur l'affaire Harry Québert

Polar américain à la sauce française (ou le contraire) et buzz littéraire. Qui n'a pas encore entendu parler de l'affaire Québert ?


Joël DICKER, jeune suisse de 27 ans quasiment inconnu jusqu'à ce jour, est désormais partout. Son deuxième roman, La vérité sur l'affaire Harry Québert connait en effet un véritable succès de librairie, a obtenu le Grand Prix du roman l'Académie française et aujourd'hui même, le prix Goncourt des lycéens. Mais qu'en est-il de cette fameuse affaire Québert ?
Marcus Goldmann, jeune auteur ambitieux, fort du succès de son premier roman, s'apprête à écrire le second. Mais il ne peut se contenter d'écrire un livre : ce qu'il souhaite, c'est écrire LE livre qui va marquer sa génération, à l'instar du grand Harry Québert, son professeur d'université, mentor et ami qui, dans les années septante, a connu la gloire avec son extraordinaire roman L'origine du mal. Et lorsque Marcus se heurte au cauchemar de tout écrivain, l'angoisse de la page blanche, c'est donc vers Québert qu'il se tourne tout naturellement. Malheureusement, les quelques jours passés à Aurora, la petite ville de bord de mer dans laquelle s'est installé Harry depuis plus de trente ans, ne lui redonnent pas l'inspiration et Marcus, retourne à New-York affronter son éditeur. Mais alors que Marcus se lamente sur son triste sort, une terrible nouvelle vient faire basculer à jamais son existence : on vient de retrouver le corps de Nola Kellergan, une jeune-fille d'Aurora disparue depuis trente-trois ans, dans le jardin d'Harry et ce dernier est accusé du meurtre. Persuadé de l'innocence de son vieux professeur, Marcus se rend à Aurora et reprend l'enquête depuis le début. Ce qui lui donne l'idée de son nouveau livre...
Que dire de La vérité sur l'affaire Harry Québert ? Tout d'abord que c'est un roman policier extrêmement efficace et que force est de constater qu'il est très difficile de lâcher le roman une fois commencé. On y retrouve tous les ingrédients du polar à l'américaine : une petite ville où tout le monde se connaît, la disparition d'une très jeune-fille, le côté noir voire perverse de la jeune-fille en question, des secrets de famille, un vieux flic bourru, une serveuse de hamburgers mélancolique, un enquêteur pas commode mais tenace,... Par ailleurs, la narration joue bien évidemment sur le bon vieux procédé de mise en abîme : nous comprenons assez vite que nous sommes, en réalité, en train de lire le roman de Marcus Goldmann, et le petit clin d’œil de l'auteur (mais lequel ?) en guise de remerciement final nous le confirme. Rajoutons à cela une longue réflexion sur l'écriture, le métier d'écrivain, le monde cruel de l'édition et des médias, la gloire dangereuses et éphémères,... Chaque chapitre commence d'ailleurs par un conseil d'Harry à son élève pour devenir un parfait écrivain (Dicker a-t-il lui-même scrupuleusement respecté tous ces conseils ?) Enfin, les nombreuses rétrospections nous font redécouvrir l'Amérique des années 70 tout en parlant de l'Amérique d'aujourd'hui à la veille de la première élection d'Obama.
Je vous l'avoue, je n'ai absolument pas boudé mon plaisir et pourtant... je ne peux qu'émettre une petite réserve. D'abord parce que ce roman, aussi palpitant soit-il, a néanmoins un petit air de déjà vu (déjà lu, plutôt) : il y a, je pense, en littérature américaine, de nombreux romans policiers au moins aussi efficaces et basés à peu prêt sur le même canevas. Et puis parce que les retours en arrière introduits assez grossièrement ressemblent plus au flash backs des séries télé (l'auteur serait-il fan de la série Cold Case ?) que de subtils procédés littéraires. Et enfin et surtout, parce que l'écriture est un peu faible, certains dialogues étant d'ailleurs d'une platitude étonnante. On se surprend alors à se dire que c'est dû à la difficulté de la traduction avant de se rappeler... que le livre a été écrit en français ! Quel paradoxe alors de voir que le roman a été couronné du Grand Prix du roman de l'Académie française, grande institution censée défendre la beauté de la lannnnngue française. Or, le travail de la langue, vous l'avez compris, est sans doute ce qu'il y a de moins intéressant dans le roman.
Mais bon, avouons-le, DICKER est quand même plus palpitant que BOILEAU (et visiblement mieux fait de sa personne, mais ça, ça n'a rien à voir...). 
  Référence :
Joël DICKER, La vérité sur l'affaire Harry Québert, Ed. de Fallois, l'Age d'Homme, 2012.

9 novembre 2012

Candide à Kinshasa

Mathématiques congolaises, In Koli Jean BOFANE

Portrait sans concession du Congo d’aujourd’hui à travers un roman d’initiation original, drôle et tragique.

Pour comprendre le monde qui l’entoure, Célio Matemona a recours aux mathématiques. Dans le chaos qui règne à Kinshasa, il est bon de pouvoir se reposer sur ces vérités immuables. Sa bible : un vieux manuel scolaire, seul héritage de sa famille disparue.
La candeur et l’originalité de la pensée de Célio attirent l’attention d’un homme fort du Président, directeur d’un bureau de renseignements et d’informations dont les intentions sont assez troubles. Pour Célio, c’est l’occasion unique de quitter une vie de misère, le royaume de la débrouille, pour aller côtoyer les plus hautes sphères de la société congolaise et mettre ses talents au service de l’État.
Vie au jour le jour, ventres vides, écarts toujours croissants entre le peuple et ses élites, … Le tableau du Congo contemporain dressé par Bofane est sans appel. Alors qu’un semblant de démocratie tente péniblement de s’installer dans le pays, le pouvoir en place, on pourrait presque parler de dictature, manipule l’opinion publique et entretient l’illusion d’un pays en marche vers le changement. Les accusations d’irrégularités aux élections de l’automne 2011 donnent amplement raison à l’auteur. Afin de dénoncer cette situation, il met en scène une série de personnages qui reflète les différentes composantes de la société congolaise. La toute-puissance de l’armée, les mensonges savamment élaborés par les dirigeants, l’absence d’un véritable pouvoir d’opposition, les manquements de la diplomatie internationale, les superstitions ancestrales, … Les attaques de l’auteur sont nombreuses et sont habilement amenées à mesure que Célio s’enfonce dans les allées du pouvoir. À côté de cela, il y a également toute la vie d’un peuple qui crie famine et qui pourtant parvient à garder le sourire. C’est d’ailleurs souvent par le biais de l’humour que Bofane tire ses flèches, en mettant en évidence l’absurdité de certaines situations.
À l’école, j’ai très peu étudié l’histoire de la colonisation belge et encore moins, contrairement à aujourd’hui, celle de la décolonisation. Jusque récemment, j’habitais dans le quartier africain de Bruxelles (Matonge, du nom d’un quartier de Kinshasa) et ce roman m’a permis d’en apprendre beaucoup sur les aspirations des Congolais.
Une bonne introduction pour la lecture qui m’occupe, par intermittences, depuis plusieurs semaines : Congo. Une histoire, de David Van Reybrouck (prix Médicis de l’essai 2012).

Référence :

Mathématiques congolaises, In Koli Jean BOFANE, Babel, 2011.