29 avril 2013

Le bon garçon et la vilaine fille

Tours et détours de la vilaine fille, Marie Vargas LLOSA

Roman faussement léger sur une histoire d'amour à sens unique ou les tribulations d'une femme pour se faire une place de choix dans la société sous le regard de celui qui l'aimera passionnément toute son existence.

Ricardo rencontre la petite Lily quand il est encore enfant et qu'il fréquente la jeunesse dorée de Miraflorès, à Lima. Elle est belle, elle aime danser et faire la fête, elle fait tourner la tête de tous les garçons. Trois fois Ricardo se déclare à elle, en vain. Mais leur chemin se croisera plusieurs fois, que ce soit de manière fortuite ou à l'initiative de l'un ou de l'autre. 
Le récit de Vargas Llosa est avant tout une histoire d'amour. Le béguin de Ricardo se transformera, d'années en années, en une passion ravageuse car a priori à sens unique. Il l'appelle la "vilaine fille", et sera son "bon garçon", "son pitchounet" qui lui dit sans cesse des "cucuteries" et à qui elle n'hésitera jamais à briser le cœur. Car la vilaine fille est ambitieuse. Elle veut du pouvoir et surtout, elle veut de l'argent. C'est sa volonté d'être à l'abri du besoin qui l'entraînera de Paris à Madrid, en passant par Cuba, Londres et Tokyo, fréquentant des hommes riches et parfois violents. Á chaque échec, elle vient se réfugier dans les bras de son bon garçon, avant de l'abandonner une nouvelle fois, le laissant brisé et au bord du suicide. Il faut dire que la seule ambition de Ricardo est de vivre à Paris. Ce n'est pas assez pour celle qu'il aimera toute sa vie.
Mais qui est cette vilaine fille ? Qui se cache derrière la petite Lily qui prit, il y a longtemps, un faux accent chilien pour s'insérer auprès des privilégiés de Miraflorès ? Elle apparaîtra tour à tour en passionaria révolutionnaire, en épouse bourgeoise, ou encore en trafiquante pour le compte d'un mafieux... Tantôt froide, glaciale et sans cœur, elle semble parfois passionnelle et passionnée. Manipulatrice, prête à tout pour gagner son indépendance et sa liberté, elle succombe, cependant, à la domination de certains hommes et même à leur perversité. Ricardo, qui l'a aimée toute sa vie, n'apprendra que très tard sa véritable origine et son nom de naissance. La vilaine fille est énervante, détestable, cruelle mais aussi troublante et terriblement attachante. Et le lecteur de comprendre pourquoi Ricardo, qui jure à chaque fois qu'on ne l'y prendra plus, cède à tous ses caprices.
Á travers cette histoire d'amour, Vargas Llosa décortique avec beaucoup de subtilité les sentiments et les comportements humains : les mensonges, l'abnégation de soi, la violence,... Á l'image de cette femme, le roman sera tantôt léger et drôle mais aussi souvent cru, dramatique, voire tragique. 
Au-delà de l'histoire d'amour, ces Tours et détours de la vilaine fille sont aussi la chronique de la socété des années cinquante jusqu'à nos jours et nous raconte, entre autre, l'évolution économique et politique du Pérou, pays natal des protagonistes dans lequel la vilaine fille refuse de retourner, de peur d'être confrontée à ses origines sociales qu'elle a passé sa vie à fuir.
C'est le récit d'une vie dédiée à une femme... une femme qui lui donnera tout son sens.

Référence :
Mario VARGAS LLOSA, Tours et détours de la vilaine fille, traduit du péruvien par Albert Bensoussan, Gallimard, 2006 et en Folio, 2008.

16 avril 2013

Le Songe d'une nuit d'été

Durant les deux semaines qui arrivent, ce sera Amandine seule à la barre du blog. De mon côté je serai tout entier plongé, comme c'est le cas depuis plusieurs années, dans les dernières répétitions et les représentations du spectacle annuel de la troupe de mon école dont je suis l'heureux metteur en scène. 
Et comme chaque année, au moment où je vous écris, j'ai l'impression que rien n'est prêt, que rien n'avance, qu'il nous faudrait encore des mois de travail... Mais je sais d'expérience que mes petits comédiens/étudiants vont à nouveau donner le meilleur d'eux-mêmes et que nous serons à la hauteur du défi shakespearien! 
Et si vous passez par Waterloo les 25 et 26 avril: n'hésitez pas! 

11 avril 2013

Illégal

Dans la mer il y a des crocodiles, Fabio GEDA

La rencontre entre Fabio GEDA, éducateur et écrivain et Enaiatollah Akbari, jeune réfugié politique ou l'histoire vraie du périple d'un enfant afghan jusqu'en Italie.

Enaia dit qu'il a de la chance. Et pourtant, on ne peut pas dire que les fées se soient penchées sur son berceau. Né Hazara, une ethnie persécutée à la fois par les Pachtounes et les Talibans, dans un petit village d'Afghanistan, Enaia est destiné à mourir pour compenser la dette qu'a contractée son père en ayant eu la mauvaise idée de mourir alors qu'il transportait de la drogue pour le compte des Talibans. 
La mère d'Enaia le conduit alors près de la frontière pakistanaise et l'abandonne, considérant que la fuite, aussi dangereuse soit-elle, vaut mieux que la condamnation à mort qui l'attend dans son village.
Enaia a dix ans, ou peut-être onze. Il ne sait pas. Et il va devoir apprendre à survivre dans un pays en guerre où les enfants de sa condition sont nombreux et traités comme des animaux.
Il traversera l'Iran, la Turquie, la Grèce avant d'atteindre l'Italie, terre de salut. Il voyagera dans le double fond d'un camion, dans le ventre d'un cargo, sur un canot de sauvetage, dans les montagnes pakistanaises, ... Il verra certains de ses compagnons de fortune mourir sous ses yeux. Il sera dépendant des trafiquants d'êtres humains qui le feront voyager et travailler illégalement sur des chantiers, de la police qui bien souvent spolie les illégaux de leurs maigres biens. 
La force de ce récit est sans doute la totale absence de pathos. Enaia raconte les faits. Il évite de parsemer son histoire de sentiments. Il raconte son histoire et l'on comprend qu'il a dû laisser les émotions de côté pour pouvoir survivre dans un monde qui ne voulait pas de lui. Car l'histoire d'Enaia est avant tout l'histoire de la rage de vivre d'un enfant. Malgré la guerre, la peur, la faim et la souffrance, l'enfant se battra jours après jours pour trouver un lieu dans lequel il puisse vivre. Il trouvera finalement un lieu où il peut même être heureux. Il n'en attendait pas tant.
Le récit d'Enaia est de temps en temps interrompu par le compte rendu de ses entrevues avec Fabio. Fabio qui tente de lui faire parler de sa mère, de la vieille dame qui l'a nourri et habillé avant de le remettre sur la route avec cinquante euros en poche, de ses amis d'errance. Mais Enaia refuse : « Ce qui est important, c'est l'histoire. Pas les gens, ni les lieux. Mon histoire n'est pas personnelle, elle est celle de milliers de gosses et de femmes. »
Un récit plein de pudeur, donc. Et une histoire poignante qui rappelle ce que traversent de nombreux immigrés clandestins, les hommes, les femmes, les familles et les enfants, prêts à toutes les humiliations et les souffrances physiques pour tenter de pénétrer sur une terre un peu moins hostile, mais dont ils sont malheureusement souvent chassés à coups de pieds. Et une belle leçon pour tous ceux qui pensent encore qu'on ne "peut pas accueillir toute la misère du monde".
Le récit de Fabio GEDA s'est vendu à plus de deux-cent milles exemplaires. Inouï quand on sait qu'il a été écrit dans une Italie berlusconienne bien peu accueillante pour les immigrés clandestins.

Référence :
Fabio GEDA, Dans la mer il y a des crocodiles, traduit de l'italien par Samuel Sfez, édition Liana Levi, 2011. 

1 avril 2013

L’étranger au procès du château de la peste feat. Che G.


La vie rêvée d’Ernesto G., Jean-Michel GUENASSIA

Un titre pompeux pour un livre trop ambitieux.

Joseph Kaplan, médecin pragois d’origine juive, quitte sa ville pour Paris, où il étudiera à l’Institut Pasteur, avant de rejoindre Alger, puis la France, puis de nouveau la Tchécoslovaquie. Au fil de ses voyages, de 1910 à 2010 : des histoires d’amour et d’amitié, quelques pas de tango, une guerre, la pratique de la médecine auprès des plus démunis, la peste et la vie sous un régime policier. Le livre pourrait s’arrêter là et former une sorte de chronique du vingtième siècle, sans grande originalité, mais qui se laisse gentiment lire.
Seulement, après plus de la moitié du livre, l’auteur se met en tête d’utiliser un guest de premier ordre : Ernesto Guevara himself ! Et là ça ne passe plus. Je n’ai aucun problème avec les libertés romanesques prises avec l’Histoire mais encore faut-il en faire quelque chose… Ici, Guenassia ne garde du Che que l’image de carte postale de la figure romantique du révolutionnaire et s’emmêle les pieds dans une histoire d’amour digne des plus mauvais mélos. Certains dialogues semblent tirés des Feux de l’amour et les échanges entre les personnages sur le thème de l’engagement m’ont parfois rappelé les premières dissertations de mes élèves les moins inspirés… Alors, face à autant de maladresses, on commence à devenir un peu mauvais et tout ce qui sonne faux vous saute aux yeux.
L’auteur semble vouloir placer son roman sous l’égide de grands auteurs (qui n’avaient rien demandé), notamment Camus (Alger, la peste, …) et Kafka : Joseph K(aplan), Prague, les condamnations arbitraires, … Mais tout reste au niveau du clin d’œil et semble complètement fabriqué.
Quant au titre (qui, rappelons-le, ne fait référence qu’à une petite portion du roman), pourquoi ne pas appeler Guevara par son nom complet ? Allusion à Kafka, certainement, mais surtout petite coquetterie littéraire qui sonne creux.
Je n’avais pas beaucoup accroché au Club des incorrigibles optimistes (qu’Amandine avait pourtant bien aimé ici). Je pense donc qu’entre Xavier D. et Jean-Michel G., c’est bel et bien fini !

L’avis de Manu.

Référence :
Jean-Michel GUENASSIA, La vie rêvée d’Ernesto G., Albin Michel, 2012.