27 septembre 2011

Oxforderies

Mauvais genre, Naomi ALDERMAN

Un roman d’apprentissage un peu tiède sur le passage à l’âge adulte.

Le contenu des commissions déversé dans la piscine d’une villa du Sud de l’Italie. Les aliments encore emballés flottent à la surface de l’eau et laissent à penser que Mark a, une fois encore, noyé son chagrin dans les paradis artificiels qui l’emmènent chaque fois un peu plus loin. Mais James veille et, comme d’habitude, sera auprès de Mark quand celui-ci sera sorti des limbes de l’alcool et des drogues dont il abuse toujours un peu plus.
Tout a commencé à Oxford, temple du savoir où viennent se former ceux qui espèrent devenir l’élite de la société britannique. James, étudiant qui peine à se mettre au diapason des exigences de la prestigieuse institution, y fait la rencontre d’un groupe de jeunes gens qui gravitent autour de Mark, sorte de dandy décadent et richissime. James et ses nouveaux amis s’installent dans la maison de Mark et, entre les fêtes et les examens qui ponctuent leur vie d’étudiant, connaissent leurs premières histoires d’amour et leurs premiers pas dans la vie du monde des adultes. James, timide et réservé, est à la fois fasciné et révulsé par le comportement de son hôte. Hédoniste, excessif en tout, Mark a cependant ses côtés sombres et, face à sa mère qui réprouve sa façon de vivre, semble sans défense. James va malgré lui devenir le protecteur de Mark et, au fil du temps, découvrir l’ambiguïté de ses sentiments.

Le côté british, le jeu sur les apparences, le roman de mœurs, l’entrée dans le monde des adultes : tout était là pour me plaire et pourtant le résultat est mitigé. Le roman se lit facilement, le style est fluide, mais la situation de départ paraît fabriquée et le personnage de James, narrateur de l’histoire, manque souvent de profondeur et de crédibilité. Si l’auteur semble vouloir montrer la vanité du monde d’Oxford, elle le fait avec beaucoup de tiédeur et on tombe souvent dans les clichés.

Plus d’enthousiasme chez Yspaddaden.

Référence :
Mauvais genre, Naomi ALDERMAN, traduit de l’anglais par Hélène Papot, Editions de l’Olivier, 2010

22 septembre 2011

Baby one more time, dit-elle

Le Ravissement de Britney Spears, Jean ROLIN

Un faux roman d’espionnage avec un agent secret limité aux transports communs, jouant les paparazzis à L.A., ville en perpétuel mouvement.

Un titre étrange aux accents durassiens qui pourrait prêter à confusion : les fans de Britney n’apprendront pas grand chose sur cette xième petite fiancée de l’Amérique. Dans ce livre, Britney est un objet, un symbole qui la dépasse, au centre d’une hypothétique tentative d’enlèvement (le fameux « ravissement »), voire même d’assassinat, par un groupuscule islamiste. Dépêché sur place, un agent des services secrets français sans permis de conduire tente d’étudier les habitudes de la star et se retrouve à côtoyer les paparazzis et à consulter davantage les sites people que les messages cryptés. La mission échoue et il est envoyé au Tadjikistan où il raconte à son compagnon d’infortune le récit de son trip californien.

Faire de Britney Spears ou Lindsay Lohan des personnages de fiction, c’est bien sûr une manière de parler du regard, de la médiatisation outrancière des déboires des célébrités et de la fascination qu’elles exercent sur le commun des mortels. Les restos branchés, les boutiques à la mode et même les institutions juridiques sont autant de vitrines où le people s’expose et se laisse, bon gré mal gré, prendre sur le vif. Le roman va cependant beaucoup plus loin et, sur le plan littéraire, présente une cartographie sociale et routière de Los Angeles. À chaque couche de la population correspond son moyen de déplacement (avec le décalage amusant de l’agent secret obsédé par les itinéraires de bus) et ses lieux de vie. Bien loin de l’image glamour que la ville peut renvoyer via ses plus célèbres habitants, ROLIN montre ici une faune bigarrée qui, loin des buzz et des images volées, emplit la ville de son mouvement incessant, occupant l’espace et le temps. La ville elle-même semble courir, comme le pauvre héros à la suite des paparazzis, eux-mêmes occupés à courser les stars. Un jeu du chat et de la souris absurde et vain, qui tourne en rond. 

Référence :
Le Ravissement de Britney Spears, Jean ROLIN, P.O.L, 2011

18 septembre 2011

Le polar de la rentrée

L'institut de recherche, Staffan WESTERLUND

Encore un bon petit polar qui vient du Nord. Et le premier tome d'une série prometteuse avec une héroïne qu'on a envie de mieux connaître.

Nous sommes plongés dans la rentrée littéraire, occupés à dévorer les livres dont tout le monde parle. Et si nous faisions une petite pause, en nous plongeant avec délectation dans un policier suédois ?
L'époux de Lisbet travaille dans un Institut de recherche. Elle ne sait d'ailleurs pas trop bien ce qu'il y fait, leur relation n'étant plus vraiment des plus chaleureuses (mais l'a-t-elle été un jour ?). Mais Lisbet, parce qu'elle est journaliste, parce qu'elle aimerait un fois dans sa vie aller jusqu'au bout de l'un de ses projets et parce qu'elle a été particulièrement touchée en apprenant la mort de la famille entière de deux membres du personnel de l'Institut, décide d'y fourrer un peu son nez et de comprendre ce qu'il s'y passe. Elle trouvera la mort peu de temps plus tard, une mort naturelle, certes, mais entourée de circonstances particulières.
C'est sa sœur, Inga-Lisa, avocate de renom, femme carriériste, mère attentive mais peu présente (son mari endosse volontiers le rôle d'homme au foyer - ah ! la délicieuse parité suédoise que nous jalousons ! ) qui reprendra l'enquête avec la poigne qui la caractérise après avoir constaté l'inefficacité de la police suédoise.
C'est le combat de David contre Goliath mais Inga-Lisa s'avèrera particulièrement astucieuse et pleine de ressources pour déjouer les coups pour le moins tordus d'une organisation toute puissante et sans pitié.
L'enquête menée par l'avocate mettra aussi en évidence les aberrations du système suédois (malgré l'apparence lisse qu'elle peut parfois donner) et dénonce les dangers écologiques de certaines avancées technologiques.
Quelques faiblesses narratives, cependant : la course poursuite est parfois un peu tirée par les cheveux, les métaphores pas toujours subtiles (ainsi l'image de la partie d'échec entre Inga-Lisa et les méchants) et on ne sait jamais vraiment ce qui se passe dans cet institut de recherche. Mais c'est un premier roman.
Inga-Lisa apparait donc comme une sorte de super-héroïne capable d'anticiper et de détourner toutes les tentatives pour entraver sa poursuite de la vérité, et si cela entrave un petit peu la véracité du récit, on se réjouit franchement de la voir gagner sur tous les fronts. Par ailleurs, le côté ambigu du personnage qui n'hésite pas à provoquer la mort d'un homme pour faire avancer l'enquête et qui apparait tantôt comme une femme froide et calculatrice, tantôt comme une mère et une fille aimante, font qu'on a envie de la connaître mieux. Tant mieux : L'institut de recherche est le premier tome d'une série dont elle est l'héroïne.
Westerlund : un nom à rajouter sur la liste de ces auteurs venus du Nord qui nous offrent des intrigues haletantes dans des paysages à couper le souffle et des ambiances glaciales avec des personnages attachants qui ne se vouvoient jamais (ce que sait déjà tout lecteur de littérature scandinave mais qui surprend toujours). Chouette, l'automne sera encore une fois glacial !

Référence :

Staffan WESTERLUND, L'institut de recherche, traduit du suédois par Philippe Bouquet, Christian Bourgois, 1996 et Folio policier, 2006.

10 septembre 2011

Q comme…

1Q84, Livre 1 – Avril-Juin, Haruki MURAKAMI

Premier tome de la trilogie murakamienne : du concentré de japonitude au service d’un univers romanesque puissant et envoûtant.

Difficile de parler de ce roman. D’abord il ne faut pas, contrairement à tous les articles de presse que j’ai pu lire, en dire trop sur l’intrigue qui se construit comme un puzzle qui, lentement, laisserait apparaître des formes aux contours flous. Ensuite... et bien je pense que je suis incapable de résumer ces 500 pages en quelques lignes. Des portes s’ouvrent, se referment, des liens se tissent mais tout semble encore en suspension.

Deux histoires en parallèle. Celle de Tengo, jeune professeur de mathématiques et écrivain débutant qui rencontre, par le biais d’un éditeur, une étrange jeune fille, auteur présumé d’un roman fantastique qui pourrait bien se transformer en best-seller. Et l’histoire d’Aomamé, jeune femme pleine de ressources (je n’en dis pas plus) qui découvre lentement que l’univers familier qu’elle pensait connaître a subi, sans qu’elle s’en aperçoive, des modifications. Les deux histoires se croisent en se frôlant, le temps d’un souffle ou d’un regard mais semblent en même temps appartenir à deux univers différents.

« Dans la forêt romanesque, quelle que soit la clarté qui relie entre eux les événements, une réponse claire ne vous est jamais offerte » (p. 314)

Pas de réponses, beaucoup de Questions (héhé…) et surtout une ambiance envoûtante où l’on passe de l’étonnement à la peur. Beaucoup de sexualité également, parfois terriblement vénéneuse. Les références à ORWELL sont là, bien évidemment, mais pas là où on les attendrait. Bref, le monde de 1Q84 est tendu, tranquille et incertain, familier et inconnu, et nous fait passer de l’autre côté du miroir, faisant de son inventeur le plus symboliste des écrivains contemporains.

J’ai déjà le deuxième tome sous la main (il fallait s’y attendre) mais, et c’est assez rare pour être souligné, je vais tenter de résister à la terrible envie de m’y jeter de suite, parce que le troisième volume ne sortira qu’en mars 2012…

Edit du 12/12/2011: le billet sur le Livre 2, c'est ici.
Edit du 22/03/2012 : le billet sur le Livre 3, c'est ici.

Référence :
1Q84, Livre 1 – Avril-Juin, Haruki MURAKAMI, traduit du japonais par Hélène Morita, Belfond, 2011

2 septembre 2011

Si seulement nous avions le courage des oiseaux

Freedom, Jonathan FRANZEN

Poids lourd de la rentrée littéraire 2011, le nouveau FRANZEN est une réussite parfois trop évidente.

Les Berglund : famille bobo du Minnesota, en apparence sans histoire, au grand désespoir de leur voisinage. Patty est-elle vraiment la femme parfaite ? Mère à temps plein, épouse dévouée, ancienne championne de basket, toujours là pour les autres, … Du genre à préparer des cookies pour toutes les occasions. Trop de qualités aux yeux des autres habitants du quartier qui recherchent activement les craquelures à la surface de ce brillant vernis. Regardez par exemple l’adoration sans borne que Patty porte à son fils cadet, Joey. Alors que Walter, le père, tente d’inculquer à cet enfant des valeurs morales nobles et humanistes, Joey n’a de cesse de remettre en cause l’autorité parentale pour exercer son libre arbitre. Et Patty de sourire devant l’incroyable sens de la répartie de son enfant. Cependant, le conflit avec le père se durcit et Joey quitte la maison pour s’installer chez les voisins, déclenchant ainsi, en plus d’une sévère dépression chez sa mère, l’implosion de la cellule Berglund.
A côté de la micro-épopée familiale, on découvre l’histoire d’amour de Walter et Patty, sur laquelle plane depuis leur rencontre l’ombre de Richard, à la fois le meilleur ami de Walter et sa parfaire antithèse. Walter est responsable, raisonnable, attentif et idéaliste ; Richard est immature, volage, imprévisible et égocentrique. Les deux hommes voient en Patty des choses différentes et laissent s’exprimer chez elle des envies contradictoires. En choisissant Walter, c’est toute une part d’elle-même que Patty décide de laisser derrière elle. Pour combien de temps ?

Difficile de résumer ce roman touffu et pourtant limpide. Si l’intrigue familiale et amoureuse se veut intimiste, le contexte politique et social dans lequel elle s’inscrit ouvre des horizons bien plus larges. Enfants d’une génération qui pensait encore à changer le monde, Patty, Walter et Richard balancent entre l’aspiration à un idéal de réussite sociale et individuelle et un besoin de laisser une trace de leur passage sur terre. Mais que ce soit pour sauver la planète de la surpopulation, élever des enfants ou donner au monde sa musique, il faut passer par des compromis et faire bon usage de sa liberté. Tout le livre tourne autour de la question du choix et de la conséquence des actes que nous posons. Nous sommes libres, ce qui nous donne aussi le droit de nous planter dans les grandes largeurs… S’ensuivent dès lors les remords, les erreurs, les espoirs déçus et, souvent, les larmes.

Bizarrement, rien de trop plombant (en tous cas, dans mon souvenir, moins plombant que Les corrections). Le regard de FRANZEN est à la fois cynique et bienveillant. En alternant habilement les points de vue, il analyse avec une précision presque chirurgicale les aspirations banales et les névroses de la petite bourgeoisie américaine, des années 70 aux années Bush. Les pages défilent et, à part quelques métaphores un rien lourdingues, tout est impeccablement écrit, travaillé et efficace. Mais, et c’est presque paradoxal, on se retrouve parfois comme les voisins des Berglund à chercher la petite aspérité, quelque chose qui aurait échappé au contrôle de l’auteur. 
Il n’en reste pas moins que Freedom est un grand roman réaliste américain qui dresse brillamment le portrait d’une génération et d’un état du monde.

L'avis de Constance93 ici.

Référence :
Freedom, Jonathan FRANZEN, traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Wicke, Éditions de l’Olivier, 2011