21 décembre 2012

Alice ou De l’éducation

So much pretty, Cara HOFFMAN

Premier roman qui, sous des airs de polar, donne à lire un point de vue original et subtil sur la violence faite aux femmes.

À Headen, petite ville du nord de l’État de New York, tout le monde se connaît et partage la même existence en demi-teinte. C’est pourtant là que vient s’installer une jeune famille de la grande ville qui tente de mettre en pratique ses idéaux écolos-bobos. Mais la réalité les rattrape et le trip campagnard amène son lot d’amertume au sein du couple. Cependant, l’éducation libre et progressiste que les deux idéalistes offrent à leur fille Alice porte ses fruits : l’enfant fait preuve d’une intelligence hors du commun et d’une imagination débordante.
C’est également à Headen qu’atterrit Stacy, une journaliste de Cleveland qui se voit proposer le poste de rédactrice en chef de la gazette locale. L’actualité à Headen ? Pas de quoi gagner le Pulitzer… Lorsque le corps de Wendy, une jeune fille du coin, est retrouvé au terme d’une enquête bâclée, pas de doute pour Stacy : quelqu’un de la communauté est impliqué dans le meurtre. Mais le pire reste à venir.
Le premier roman de Cara Hoffman débute comme un polar avec la découverte de ce corps féminin abandonné, devenu inutile à celui qui s’en était emparé. Mais au lieu de plonger dans l’enquête, l’auteure prend des chemins de traverse. L’histoire de la famille d’Alice apparaît assez vite comme le centre du récit. Travail harassant, confrontation quotidienne avec la misère de la grande ville, convictions politiques et rêves de retour à la terre : les motivations qui ont poussé les parents d’Alice à quitter New York sont multiples et, finalement, dans l’air du temps (j’ai parfois pensé au Freedom de Jonathan Franzen). Peu à peu, entre leur histoire et celle de l’enfance d’Alice, des éléments de l’enquête apparaissent, notamment à travers l’histoire de Stacy, la journaliste, qui, elle aussi, n’est qu’une pièce rapportée dans la petite communauté d’Headen. La disparition de Wendy émeut d’abord les habitants et puis tout semble rentrer dans l’ordre. N’a-t-on pas déjà vu cela ? Une jeune fille qui laisse derrière elle un trou perdu pour aller voir ailleurs si l’herbe y est plus verte ?
Et puis, l’air de rien, entre les interrogatoires des proches de la jeune fille et les éléments d’enquête de la journaliste, d’autres pièces à conviction : les devoirs d’école d’Alice. À mesure que le roman avance, le puzzle se met en place et une autre intrigue apparaît, terrible, presque impensable. Il serait évidemment dommage d’en dire plus car l’une des grandes réussites de ce roman tient dans sa faculté à surprendre le lecteur.
Au final, plus qu’un polar ou que le portrait d’une communauté, ce roman propose un point de vue original sur la violence faite aux femmes, de manière assez subtile et romanesque. Étonnant de ne pas en avoir entendu parler davantage…

Référence :
Cara HOFFMAN, So Much pretty, traduit de l'anglais (États-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson, Stock, La Cosmopolite noire, 2012.

9 décembre 2012

(Re)Lire ses classiques #8

Me, Marcel and I

Du côté de chez Swann, Marcel PROUST

Une cathédrale de mots et d’idées impossible à résumer, de la littérature à la fois brute et raffinée à l’extrême, peuplée d’une foule de personnages : l’envie de relire Proust était là depuis longtemps.
J’avais lu la Recherche du temps perdu durant mes études, sur plusieurs années. La première fois, c’est avant tout la découverte d’un univers et, bien sûr, d’un style reconnaissable entre tous : les phrases interminables et sinueuses, les images et les correspondances qui tentent de rendre compte du cheminement de la pensée. C’est aussi une plongée dans l’époque, dans les rapports de classes, le fonctionnement de la société française du début du vingtième siècle. Et aussi ce mélange entre philosophie, psychologie et références aux arts au service d’une réflexion sur le temps, la mémoire et, souvent, l’amour. Devant cette somme colossale, j’avais souvent eu l’impression d’être enseveli sous une foule de choses qui demandent du recul et, il me semble, de la maturité. D’où l’envie de revenir, presque vingt ans après (glurps), vers ce premier tome de la Recherche, Du côté de chez Swann.
Composé de trois parties, ce premier volume nous fait découvrir, en plongeant dans les replis de la mémoire, l’enfance du narrateur, ses premières souffrances, la relation fusionnelle qui le lie à sa mère (Combray), ses rêveries ainsi que ses envies d’évasion et son premier amour (Nom de pays : le nom). Entre les deux, Un amour de Swann raconte, à la troisième personne, la douloureuse passion de Swann, un ami du grand-père du narrateur, pour une femme du demi-monde, Odette. Ce roman dans le roman est un condensé de la Recherche, reprenant des thèmes et des motifs qui se retrouvent dans le reste de l’histoire, notamment la question du rapport entre l’art et la vie, ainsi qu’une mise en abyme du comportement amoureux du narrateur. Car que cela soit avec sa mère, avec son premier amour ou auprès d’Albertine (personnage central qui habite les volumes suivants) l’amour chez Proust est synonyme de souffrance. L’être aimé apparaît comme un objet, une chose que l’on voudrait s’accaparer mais qui ne cesse de se défiler et d’échapper à l’emprise et à l’envie. Un amour de Swann peut être lu indépendamment des autres parties de la Recherche (il est d’ailleurs édité séparément dans certaines collections) et constitue une belle porte d’entrée dans l’univers de Proust.
Jacques-Emile Blanche (1892)
L’auteur a la réputation d’être difficile. Ce n’est pas tout à fait le cas. C’est certes une lecture qui demande pas mal de concentration et d’attention, pour en tirer la substantifique moelle, et qui peut parfois s’attarder sur des détails qui auront du mal à rivaliser avec le suspense du dernier polar à la mode… Mais peut-être faut-il se décomplexer un rien vis-à-vis de ce cher Marcel. Outre tous les sujets dont traite la Recherche (et qui, comme l’a bien montré Alain de Botton dans Comment Proust peut changer votre vie, sont intemporels et utiles au quotidien), on oublie parfois de dire qu’il y a de l’humour dans la Recherche.
Prenez la petite bande des Verdurin. Les conversations et les attitudes des différents membres de ce petit groupe de mondains qui refusent la mondanité et jouent les mécènes sont d’une incroyable drôlerie. Même chose du discours de certains personnages : l’esprit terrien de Françoise, la gouvernante de Marcel, ou les moqueries bitchy des grandes aristocrates.
Et puis, pour ceux que les longueurs descriptives effrayent, pourquoi ne pas le dire haut et fort : oui, on a le droit de passer des lignes et des pages. Le parfum des aubépines n’est pas votre came préférée ? Passez. Les points de vue contrastés sur le clocher de Combray vous endorment ? Passez. Vous trouverez certainement d’autres nourritures dans la Recherche auxquelles vous pourrez vous accrocher et, comme moi, devenir complètement addict.
Objectif 2013 : continuez cette relecture passionnante. Et pour illustrer le tout, je m’accompagne du très beau Musée imaginaire de Marcel Proust, qui repend en images toutes les œuvres d’art évoquées dans la Recherche.


Références :

Vous avez l’embarras du choix mais, en ce qui concerne ce premier volume, l’édition Folio est tout à fait recommandable.
Le musée imaginaire de Marcel Proust, Eric KARPELES, traduit de l’anglais par Pierre Saint-Jean, Thames & Hudson, 2009.

18 novembre 2012

À la fin de l’automne, Auster perd ses feuilles

Winter Journal, Paul AUSTER

Le dernier Auster en VO : paresseux et dispensable.

L’hiver du titre c’est celui qui s’ouvre devant Paul Auster. À soixante-cinq ans, malgré une condition physique tout à fait honorable, l’auteur entre dans une nouvelle phase de son existence. Ce livre compile une série de souvenirs et d’anecdotes qui racontent implicitement comment il en est arrivé là. En mode shuffle. On passe de l’histoire de certaines cicatrices à la liste des différents appartements et maisons où il a vécu, de la mort de sa mère au récit d’un accident de voiture, de tout ce que ses doigts ont pu toucher (en tout bien tout honneur) à tous le lieux qu’il a visités. Il revient également sur certains passages de sa vie familiale déjà racontés dans L’Invention de la solitude. Le point de vue adopté est souvent celui du corps, de la manière dont il réagit, parfois violemment, aux événements.
J’aimerais pouvoir aller plus loin mais il n’y a malheureusement rien à dire de plus. Et pour le grand amateur d’Auster que je suis (ici), la déception n’en est que plus grande. D’accord tous ses romans ne sont pas inoubliables, mais quand même. Face à ce livre, on se demande ce qui l’a poussé à publier cet assemblage de textes sans grand intérêt. Péché d’orgueil ? Panne d’inspiration ? Ou investissements malheureux à Wall Street ?
Même si certaines anecdotes sont touchantes, on passe souvent par des moments d’ennui (Noël dans sa belle-famille? Who cares?), voire de gêne (oui son épouse, Siri Hustvedt, est belle et intelligente mais il n’est pas nécessaire de le rappeler toutes les dix pages…). Bref : grosse paresse ! Et la narration à la deuxième personne, coquetterie littéraire qui suinte l’artificialité, n’aide en rien…
Pour finir sur une note positive, le seul passage du livre qui m’a vraiment emballé est celui où il reprend des extraits de PV des réunions du syndic d’un immeuble où il a habité plusieurs années : des petits bijoux de style et de drôlerie, rédigés par Hustvedt herself ! Et en plus, elle est bêêêêlle…

Référence :
Paul AUSTER, Winter Journal, Faber and Faber, 2012.

15 novembre 2012

Quand Harry rencontre Nola

Joël DICKER, La vérité sur l'affaire Harry Québert

Polar américain à la sauce française (ou le contraire) et buzz littéraire. Qui n'a pas encore entendu parler de l'affaire Québert ?


Joël DICKER, jeune suisse de 27 ans quasiment inconnu jusqu'à ce jour, est désormais partout. Son deuxième roman, La vérité sur l'affaire Harry Québert connait en effet un véritable succès de librairie, a obtenu le Grand Prix du roman l'Académie française et aujourd'hui même, le prix Goncourt des lycéens. Mais qu'en est-il de cette fameuse affaire Québert ?
Marcus Goldmann, jeune auteur ambitieux, fort du succès de son premier roman, s'apprête à écrire le second. Mais il ne peut se contenter d'écrire un livre : ce qu'il souhaite, c'est écrire LE livre qui va marquer sa génération, à l'instar du grand Harry Québert, son professeur d'université, mentor et ami qui, dans les années septante, a connu la gloire avec son extraordinaire roman L'origine du mal. Et lorsque Marcus se heurte au cauchemar de tout écrivain, l'angoisse de la page blanche, c'est donc vers Québert qu'il se tourne tout naturellement. Malheureusement, les quelques jours passés à Aurora, la petite ville de bord de mer dans laquelle s'est installé Harry depuis plus de trente ans, ne lui redonnent pas l'inspiration et Marcus, retourne à New-York affronter son éditeur. Mais alors que Marcus se lamente sur son triste sort, une terrible nouvelle vient faire basculer à jamais son existence : on vient de retrouver le corps de Nola Kellergan, une jeune-fille d'Aurora disparue depuis trente-trois ans, dans le jardin d'Harry et ce dernier est accusé du meurtre. Persuadé de l'innocence de son vieux professeur, Marcus se rend à Aurora et reprend l'enquête depuis le début. Ce qui lui donne l'idée de son nouveau livre...
Que dire de La vérité sur l'affaire Harry Québert ? Tout d'abord que c'est un roman policier extrêmement efficace et que force est de constater qu'il est très difficile de lâcher le roman une fois commencé. On y retrouve tous les ingrédients du polar à l'américaine : une petite ville où tout le monde se connaît, la disparition d'une très jeune-fille, le côté noir voire perverse de la jeune-fille en question, des secrets de famille, un vieux flic bourru, une serveuse de hamburgers mélancolique, un enquêteur pas commode mais tenace,... Par ailleurs, la narration joue bien évidemment sur le bon vieux procédé de mise en abîme : nous comprenons assez vite que nous sommes, en réalité, en train de lire le roman de Marcus Goldmann, et le petit clin d’œil de l'auteur (mais lequel ?) en guise de remerciement final nous le confirme. Rajoutons à cela une longue réflexion sur l'écriture, le métier d'écrivain, le monde cruel de l'édition et des médias, la gloire dangereuses et éphémères,... Chaque chapitre commence d'ailleurs par un conseil d'Harry à son élève pour devenir un parfait écrivain (Dicker a-t-il lui-même scrupuleusement respecté tous ces conseils ?) Enfin, les nombreuses rétrospections nous font redécouvrir l'Amérique des années 70 tout en parlant de l'Amérique d'aujourd'hui à la veille de la première élection d'Obama.
Je vous l'avoue, je n'ai absolument pas boudé mon plaisir et pourtant... je ne peux qu'émettre une petite réserve. D'abord parce que ce roman, aussi palpitant soit-il, a néanmoins un petit air de déjà vu (déjà lu, plutôt) : il y a, je pense, en littérature américaine, de nombreux romans policiers au moins aussi efficaces et basés à peu prêt sur le même canevas. Et puis parce que les retours en arrière introduits assez grossièrement ressemblent plus au flash backs des séries télé (l'auteur serait-il fan de la série Cold Case ?) que de subtils procédés littéraires. Et enfin et surtout, parce que l'écriture est un peu faible, certains dialogues étant d'ailleurs d'une platitude étonnante. On se surprend alors à se dire que c'est dû à la difficulté de la traduction avant de se rappeler... que le livre a été écrit en français ! Quel paradoxe alors de voir que le roman a été couronné du Grand Prix du roman de l'Académie française, grande institution censée défendre la beauté de la lannnnngue française. Or, le travail de la langue, vous l'avez compris, est sans doute ce qu'il y a de moins intéressant dans le roman.
Mais bon, avouons-le, DICKER est quand même plus palpitant que BOILEAU (et visiblement mieux fait de sa personne, mais ça, ça n'a rien à voir...). 
  Référence :
Joël DICKER, La vérité sur l'affaire Harry Québert, Ed. de Fallois, l'Age d'Homme, 2012.

9 novembre 2012

Candide à Kinshasa

Mathématiques congolaises, In Koli Jean BOFANE

Portrait sans concession du Congo d’aujourd’hui à travers un roman d’initiation original, drôle et tragique.

Pour comprendre le monde qui l’entoure, Célio Matemona a recours aux mathématiques. Dans le chaos qui règne à Kinshasa, il est bon de pouvoir se reposer sur ces vérités immuables. Sa bible : un vieux manuel scolaire, seul héritage de sa famille disparue.
La candeur et l’originalité de la pensée de Célio attirent l’attention d’un homme fort du Président, directeur d’un bureau de renseignements et d’informations dont les intentions sont assez troubles. Pour Célio, c’est l’occasion unique de quitter une vie de misère, le royaume de la débrouille, pour aller côtoyer les plus hautes sphères de la société congolaise et mettre ses talents au service de l’État.
Vie au jour le jour, ventres vides, écarts toujours croissants entre le peuple et ses élites, … Le tableau du Congo contemporain dressé par Bofane est sans appel. Alors qu’un semblant de démocratie tente péniblement de s’installer dans le pays, le pouvoir en place, on pourrait presque parler de dictature, manipule l’opinion publique et entretient l’illusion d’un pays en marche vers le changement. Les accusations d’irrégularités aux élections de l’automne 2011 donnent amplement raison à l’auteur. Afin de dénoncer cette situation, il met en scène une série de personnages qui reflète les différentes composantes de la société congolaise. La toute-puissance de l’armée, les mensonges savamment élaborés par les dirigeants, l’absence d’un véritable pouvoir d’opposition, les manquements de la diplomatie internationale, les superstitions ancestrales, … Les attaques de l’auteur sont nombreuses et sont habilement amenées à mesure que Célio s’enfonce dans les allées du pouvoir. À côté de cela, il y a également toute la vie d’un peuple qui crie famine et qui pourtant parvient à garder le sourire. C’est d’ailleurs souvent par le biais de l’humour que Bofane tire ses flèches, en mettant en évidence l’absurdité de certaines situations.
À l’école, j’ai très peu étudié l’histoire de la colonisation belge et encore moins, contrairement à aujourd’hui, celle de la décolonisation. Jusque récemment, j’habitais dans le quartier africain de Bruxelles (Matonge, du nom d’un quartier de Kinshasa) et ce roman m’a permis d’en apprendre beaucoup sur les aspirations des Congolais.
Une bonne introduction pour la lecture qui m’occupe, par intermittences, depuis plusieurs semaines : Congo. Une histoire, de David Van Reybrouck (prix Médicis de l’essai 2012).

Référence :

Mathématiques congolaises, In Koli Jean BOFANE, Babel, 2011.

30 octobre 2012

Yersinia pestis

Patrick DEVILLE, Peste et choléra

Le portrait d'Alexandre Yersin, un homme pour le moins exceptionnel... et un roman en lice pour le Goncourt.

Si vous travaillez ou fréquentez le milieu médical, il se peut que le mot "Yersinia pestis" ne vous soit pas inconnu... De là à savoir d'où il provient ! Car qui se souvient encore de l'incroyable Alexandre Yersin, qui n'a fait rien de moins que de découvrir le bacille de la peste lors de l'épidémie de Hong-Kong de 1894 mais est aussi le véritable découvreur (sans le savoir) du coca-cola, un bactériologiste génial, un chercheur invétéré, un grand voyageur et aussi (et surtout) un grand homme ? En effet, si cet ancien disciple de Pasteur est un découvreur insatiable, il préfère la recherche permanente et la solitude des grands espaces que la gloire, la reconnaissance ou même l'argent.
Le roman de DEVILLE retrace le destin de ce solitaire extraordinaire qui traversa l'Extrême Orient, le Japon ou encore l'Afrique, ponctuant ses voyages de quelques séjours parisiens au Lutétia et s'installant pour terminer son existence, à l'âge de 80 ans, à Nah Trang au Vietnam (alors sous occupation japonaise).
DEVILLE croque le portrait d'un homme dont la vocation scientifique a quelque chose de véritablement poétique. D'ailleurs il le comparera à de nombreuses reprises au grand Rimbaud lui-même et expliquera que Yersin, à la fin de son existence, tourna son incroyable curiosité vers la littérature.
DEVILLE est extrêmement détaillé, semble s'être intéressé au moindre détail. Il nous livre son récit par l'intermédiaire d'une narration peu linéaire, passant sans transition des dernières années de la vie de Yercin à son statut d'assistant de Louis Pasteur. Il fait ainsi quelque fois intervenir le fantôme de Yercin ou l'ombre d'un autre grand homme (scientifique ou poète...). Et travaille son style : phrases courtes, formules percutantes, tournures truculantes...
Et pourtant (ou malgré cela), j'ai eu le plus grand mal du monde à terminer ce livre. Le sujet était alléchant, la personnalité de Yercin avait tout pour me plaire. Mais jamais je n'ai réussi à rentrer dans ce récit ni à ressentir une quelconque empathie pour le personnage. Est-ce le style, très travaillé, très léché qui m'a, dès les premières pages, tenue à distance des péripéties de ce Yersin haut en couleur ? Est-ce la narration volontairement confuse (mais qui évoque sans doute le parcours bien peu linéaire du héros) qui m'a perdue en chemin ? Est-ce cet addition de faits et d'événements, de dates et de références, qui m'a quelque peu refroidie ? Toujours est-il que je n'ai pas réussi à prendre du plaisir à la lecture du dernier (et pourtant très loué) roman de DEVILLE.
Mais je serais évidemment très curieuse d'avoir votre avis ! Avez-vous été séduits ? Parce que pour ma part, quitte à entendre parler de peste, je préfère de loin relire CAMUS.

Référence :
Patrick DEVILLE, Peste et choléra, Seuil, 2012

23 octobre 2012

Romans, histoire et héros

HHhH, Laurent BINET
Les soldats de Salamine, Javier CERCAS
Sauver Mozart, Raphaël JERUSALMY

Publiés sous l’appellation « roman », ces trois livres explorent, de manière différente, les rapports que peuvent entretenir la fiction littéraire avec l’Histoire.

Dans HHhH, l’auteur tente de rendre hommage à deux parachutistes tchèques qui en 1942 ont perpétré l’attentat qui coûta la vie à Reinhard Heydrich, l’une des têtes de l’appareil nazi et architecte de la Solution finale. Accumulant les sources et les témoignages, le romancier doit trouver les moyens de rendre vie à tous les protagonistes de l’histoire sans pour autant les ramener au rang de personnages de fiction. Heydrich est beaucoup plus que le simple méchant du conte et les deux parachutistes méritent davantage que le statut de héros de roman. L’auteur essaye alors de coller le plus possible à la réalité des faits avérés mais s’autorise ça et là, souvent à contrecœur, de passer par la fiction mais sans romancer, pour donner vie à son récit. Quelle était l’atmosphère de Prague au moment où la ville passe sous le joug allemand ? À quoi pensait Heydrich lorsqu’il gravit les échelons du pouvoir ? Que ressent-on à la veille de commettre un attentat contre l’un des responsables de la mort de millions d’hommes et de femmes ? L’auteur fait part de toutes ses hésitations et parvient, à mesure qu’il se rapproche du centre de son histoire, à trouver le ton et la manière. Un mélange de distance et de proximité qui permet au lecteur d’être emporté dans l’incroyable histoire de cet attentat et dans celle de ses deux héros.

Mais qu’est-ce qu’un héros (ok, j'ai déjà eu des transitions plus inspirées...) ?
C’est au final la question qui ressort du roman de Javier Cercas, Les soldats de Salamine.
Un journaliste aux ambitions littéraires déçues se passionne pour un épisode secondaire de la guerre civile espagnole. Rafael Sànchez Mazas, un des fondateurs de la Phalange, échappe à la mort grâce à l’indulgence d’un soldat républicain. L’événement devient l’obsession du journaliste qui se met peu à peu à en tirer un récit de fiction: Les Soldats de Salamine. Mais la clé du livre se trouve ailleurs, non pas dans la recherche des faits ayant un lien avec les grandes figures de l’Histoire, mais dans celle des anonymes qui jalonnent les conflits, ici entre citoyens d’un même pays. Avec distance (et même humour quand il met en scène le personnage de l’écrivain), Cercas joue sur une narration à plusieurs niveaux, mélangeant sans arrêt la fiction et le réel pour créer un objet littéraire assez original qui annonce pas bien des aspects son très beau deuxième roman : À la vitesse de la lumière.

Il est également question d’héroïsme dans Sauver Mozart.
Dans un sanatorium de Salzbourg, rongé par la tuberculose, Otto J. Steiner, un vieux critique musical, voit sa dernière heure arriver au moment où l’Allemagne nazie prend possession de l’Autriche. Forcé de cacher une judéité qu’il n’a jamais vraiment considérée comme faisant part de son identité, le vieil homme est surtout mortifié par l’utilisation que le régime d’Hitler fait de la musique : des fanfares assourdissantes, des marches militaires, des épopées wagnériennes, … Otto se lance alors un ultime défi : sauver Mozart.
Ici aussi les faits et personnages historiques sont mélangés à la fiction. À travers le journal intime et la correspondance du personnage principal, nous découvrons le quotidien morbide du malade et, ensuite, le plan audacieux qu’il met en place pour ébranler les fondements du régime nazi. Un acte de bravoure extrême, d’une finesse malicieuse et inattendue.

Ces trois romans posent la question du sens de l’Histoire et interrogent sur la manière de la raconter, jouant habilement entre le particulier et le collectif. Trois manières également de s’interroger sur le rôle de la littérature et sur le pouvoir de la fiction face au passé.

Références :
HHhH, Laurent BINET, Le Livre de Poche, 2011
Les soldats de Salamine, Javier CERCAS, traduit de l’espagnol par Elisabeth Beyer et Aleksandar Grujičić, Babel, 2004
Sauver Mozart, Raphaël JERUSALMY, Actes Sud, 2012

18 octobre 2012

Freedom

Nancy HORAN, Loving Frank

Le récit de l'histoire d'amour passionnel entre l'architecte Frank Lloyd Wright et Mamah Cheney. Et une ode à la liberté.

Mamah Cheney avait pourtant tout pour être heureuse : un mari aimant (à défaut d'avoir jamais vraiment été aimé), pas le moindre problème financier et deux beaux enfants. Mais voilà, Mamah, femme éduquée et brillante, parlant trois langues dès son plus jeune âge et passionnée de Goethe, aurait aimé laisser une trace. Le hasard fait qu'elle vit à Oak Park, la même ville que le grand et novateur architecte Frank Lloyd Wright. Mamah et son mari le rencontrent et lui demande de leur construire une maison. Et c'est le coup de foudre. Mamah découvre un homme passionné et passionnant, avec qui elle peut enfin parler de tout, y compris de son amour pour la littérature, un homme qui la fait vibrer.
Et Mamah abandonne tout : son foyer, son époux, sa soeur bien aimée qui a financé ses études et avec qui elle vit depuis toujours et surtout ses propres enfants pour suivre Frank en Europe. Frank qui, lui aussi, n'hésite pas, d'ailleurs, à abandonner sa femme et leurs six enfants. 
Mamah aime Frank et est aimée en retour, elle découvre auprès de lui la liberté, l'Europe, les premiers mouvements féministes. Elle va au Japon, devient la traductrice américaine de la féministe Ellen Key, fréquente les milieux artistiques berlinois du début du siècle, écrit un livre témoignage sur quelques femmes libres... Mais elle est aussi rattrapée par le chagrin et la culpabilité d'avoir abandonné ses enfants de manière brutale et surtout, devient la cible des journaux à scandale et de l'opinion publique bien pensante. Parce que lorsqu'on est une femme, au début du 20e siècle, on ne quitte pas tout par amour impunément.
Par ailleurs, elle découvrira également que derrière l'architecte visionnaire et l'homme charmant qu'est Frank Lloyd Wright, se cache aussi une personnalité complexe, parfois totalement égocentrique, quelque fois arrogante, faisant passer son travail avant tout et n'hésitant surtout jamais à s'endetter par "amour des belles choses". Il n'abandonnera néanmoins jamais Mamah qui aura pour lui un amour inconditionnel, même dans les moments les plus difficiles de son existence.
Si la majeure partie du roman raconte l'histoire d'amour houleuse des deux personnages, et tire quelque fois un peu en longueur et si le personnage de Mamah apparait dans toute sa bonté, de manière parfois un peu caricaturale, le premier roman de Nancy HORAN se lit d'une traite et on se surprend à se passionner autant pour le travail architectural de Lloyd qui imagina des maisons se fondant dans la végétation, pour cette histoire d'amour hors norme, que pour le destin d'une femme qui choisit la liberté envers et contre tous et assume jusqu'au bout les très lourdes conséquences de ses choix. Car ce que semble nous dire Nancy HORAN, c'est que ce n'est pas par amour mais par honnêteté que Mamah pris la décision de tout sacrifier, un principe qu'elle tentera de préserver tout au long de son existence qui connaîtra une fin tragique.
La violente mort de Mamah aurait suffi à elle toute seule à faire de ce destin un roman ! Heureusement Nancy HORAN n'a pas choisi la facilité et cet événement qui a défrayé la chronique en 1914 arrive comme un point d'orgue surprenant à un livre passionnant. 

14 octobre 2012

Retour à soi

Home, Toni MORRISON

Itinéraires croisés d’un frère et d’une sœur dans l’Amériques de l'après-guerre. Un roman tout en retenue.

Un garçon et sa petite sœur se cachent dans les champs. Il la tient serré contre lui, la contraint au silence pour les protéger. Derrière les herbes hautes, des hommes sont en train d’enterrer un homme. Un pied noir dépasse de la fosse.
De cette scène traumatique, Frank et Cee ont tissé un lien puissant qui les relie l’un à l’autre. Des années plus tard, alors que Frank est rentré de la guerre de Corée, abîmé par tout ce qu’il a vu là-bas, fantôme qui tente vainement de se raccrocher au quotidien, il suffit d’un message pour le réveiller de sa torpeur et partir à la recherche de sa petite sœur mourante.
Le rythme et l’écriture de ce roman sont d’une concision intense. À la fois crûe et poétique, la langue explore toutes les failles dans lesquelles sont plongés les personnages. Il y a d’un côté le parcours de Frank, l’histoire de son retour de la guerre. Les vétérans de Corée n’ont pas eu droit au même traitement que ceux qui, avant eux, se sont battus sur le front européen. Comme si leur parole avait été confisquée. De l’autre côté, l’histoire de Cee qui tente d’échapper à son milieu. Une rencontre, un mariage rapide avec un beau gosse qui se fait vite la malle. Livrée à elle-même, elle tente de se construire un avenir, sans voir les pièges qui s’ouvrent sous ses pas. Entre ces deux itinéraires, on découvre la vie de leur famille qui, dans l’Amérique d’avant les droits civiques, tente d’apporter à leurs enfants une vie meilleure.
Le « home » du titre n’est pas celui de la vie domestique mais bien celui où se nichent la part d’humanité, les secrets enfouis, la honte et les espoirs de chacun des personnages. Au-delà du contexte historique, le roman résonne comme une fable sur le retour à soi, universelle et sans cesse recommencée.
Les avis de Véronique et de Jérôme.

Référence :
Home, Toni MORRISON, traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Laferrière, Christian Bourgois Éditeur, 2012.

7 octobre 2012

3615 POSTMODERNE

La théorie de l’information, Aurélien BELLANGER

Un premier roman qui, entre vrai-fausse encyclopédie scientifique et avant-garde littéraire, se penche sur les aspirations technologiques du monde contemporain. Original mais lassant.

Dans sa chambre d’ado de la banlieue parisienne, Pascal Ertranger bidouille de petits programmes en langage informatique sur son premier ordinateur. Les années 80 : c’est l’arrivée du Minitel, prouesse technologique sans précédent. Très vite, le jeune homme solitaire, peu bavard, ancêtre du geek, abandonne ses études pour se lancer, d’abord comme employé puis en tant que jeune chef d’entreprise, dans l’aventure du 3615. Ses idées audacieuses font de lui un entrepreneur chanceux, vite admiré. Avec l’arrivée d’Internet, il installe définitivement sa fortune et son réseau en devenant l’un de premiers fournisseurs d’accès de France. Derrière l’homme d’affaires, Pascal Etranger reste cependant un ado renfermé qui se rêve en démiurge, faiseur de mondes 2.0 et créateur de flux d’informations infinis et indépendants de l’homme.
Ce premier roman, qui a fait le buzz lors de la rentrée littéraire, nous raconte le parcours, pour ne pas dire le destin, d’un personnage inspiré en partie de l’histoire de Xavier Niel, fondateur de Free. À côté du roman d’initiation (qui prend au fil des pages des allures de SF mystique) autour de ce Rastignac du virtuel, le livre est aussi celui de l’histoire de l’économie française (et mondiale) où les biens échangés et facturés deviennent de plus en plus immatériels, où l’usine fait place aux grandes zones post-industrielles dans lesquelles des machines surpuissantes enregistrent, raccordent et mettent en lien l’humanité entière. C’est aussi l’époque des grandes fusions, des patrons d’entreprise en voie de peopolisation. Bellanger montre assez adroitement que chaque nouvelle avancée technologique dans le monde de la communication a, avant tout, profité à l’industrie de la pornographie, du Minitel rose aux webcams payantes. Son personnage entretient d’ailleurs d’étroites liaisons avec l’entre-monde des sex-shops et de la pornographie. Histoire de l’économie donc mais également bilan sur les transformations qui ont amené à l’avènement d’une société où tout n’est que flux d’information.
L’écriture de Bellanger est volontairement froide, technique et descriptive, observant de très loin l’évolution du personnage avec lequel le narrateur n’a aucune empathie. Difficile de ne pas penser au Meursault de Camus, tant le nom du personnage rappelle celui de L’Étranger. L’enjeu stylistique est certainement ici l’un des aspects particuliers du roman qui rend compte du récit comme s’il s’agissait d’une notice trouvée sur Wikipédia. Loin de lasser, l’effet est assez original.
D’ailleurs, entre les différents chapitres, on retrouve des notices encyclopédiques sur le thème de la théorie de l’information (une doctrine scientifique crée par Claude Shannon) qui racontent, d’un point de vue scientifique, les grandes avancées qui, du xviiie siècle à aujourd’hui, ont influencé l’informatique contemporaine. On trouve même un long article scientifique sur "la singularité technologique française". Difficile pour les non-initiés de tout saisir ou encore de départager le réel de la fiction. Houellebecq (à qui Bellanger a consacré une étude) avait déjà, dans La carte et le territoire, utilisé un copier-coller de Wikipédia. Dans ce cas-ci, la question est de savoir si l’on peut se fier au message délivré par l’auteur (thème également exploité par la théorie de l’information de Shannon). Un sujet souvent débattu autour de l’encyclopédie en ligne apparaît ici de manière étonnante dans le cadre d’un roman. D’autant que le livre met aussi en scène des personnages réels, comme Jean-Marie Messier, Thierry Ehrmann (l’étrange patron de Artprice) ou Nicolas Sarkozy (ce qui donne lieu à un excellent pastiche de la "sarko-langue").
Aux frontières entre les sciences, la sociologie, l’économie et la philosophie, ce livre est en résonance avec le champ artistique contemporain qui interroge souvent la limite entre expérience scientifique, encyclopédie du savoir et œuvre d’art. Seul ennui : plus on avance, plus le propos devient obscur et redondant. À croire que les critiques qui ont encensé le roman n’ont pas dépassé les 150 premières pages…

Référence :
La théorie de l’information, Aurélien BELLANGER, Gallimard, 2012.

3 octobre 2012

Où l'on se livre #2

Tagués par In Cold Blog: les réponses d'Amandine au questionnaire de lecture.

Le livre que j’ai particulièrement aimé
Il y en a tant et pour des raisons tellement diverses ! Il y a ceux qui m'ont fait rire ou pleurer, ceux qui m'ont fait avancer, qui m'ont aidée, ceux qui marquent une période de ma vie, ceux qui m'ont fait découvrir des mondes inaccessibles, ceux que j'ai reçu en cadeau... Et puis il y a les classiques, les contemporains, les pièces de théâtre... Comment n'en citer qu'un ? J'ai découvert Laura Kasischke l'année dernière et c'était une belle découverte. Je suis ravie de retrouver Paul Auster (quasiment) chaque année. Pour n'en citer que deux...

Le livre qui ne m’a pas plu
Je ne vais pas reprendre les mêmes titres que mon éminent collègue même si je partage son énervement. Alors je dirais La délicatesse, de Foenkinos, mais ça, vous le saviez déjà...

Le livre qui est dans ma PAL
Entre autres (la pile menace à tout moment de s'écrouler) les trois tomes de 1Q84 de Murakami. J'ai envie de lire les trois d'un coup. Et par manque de temps, ils sont toujours tous les trois dans ma PAL.

Le livre qui est dans ma wish-list
L'art du jeu de Chad Harbach parce que Xavier m'en a dit tellement de bien et Peste & choléra de Patrick Deville dont je ne cesse d'entendre parler. Et puis laissez-moi une demi heure dans une librairie et ma wish-list deviendra aussi longue que ma PAL !

Le livre auquel je tiens
Je viens de déménager dans une maison avec une grande bibliothèque faite sur mesure (mon rêve)! Moi qui adore garder tous mes livres (en bon état, au désespoir de ceux qui partent en vacances avec moi, à qui je prête des livres et que je poursuis toutes les vacances avec un signet ou une remarque perfide sur le fait que mon livre est ouvert dans l'herbe humide...) et parcourir des yeux ma bibliothèque, relire des passages,... je suis aux anges. Même si, vu comme elle se remplit vite, j'ai déjà imaginé un stratagème pour mettre deux piles sur une même planche...

Le livre que je voudrais vendre ou troquer
Ceux que j'ai en double (parce que mon cher et tendre les avait aussi avant que nous emménagions ensemble et que nous ne nous en sommes toujours pas débarrassés...).

Le livre que je n’ai pas réussi à terminer
Comme Xavier, et au grand désespoir de mon homme qui doit subir mes grands soupirs exaspérés, je finis toujours mes livres même s'ils ne me plaisent pas du tout... C'est presque un TOC. J'ai pourtant mystérieusement arrêté l'avant dernier John Irving, Je te retrouverai. Je n'ai pas accroché. Pourtant, Irving est un peu mon romancier fétiche, celui que j'ai découvert à 16 ans et dont j'ai tout lu sans exception. Je ne me rappelle plus pourquoi j'ai arrêté ce livre, c'était peut-être un mauvais timing. Allez, c'est dit, je le reprends cette année !

Le livre dont je n’ai pas encore parlé sur mon blog
Tous les livres que j'ai lus dernièrement parce que ces dernières semaines ont été plus que chamboulées... Donc, cruel manque de temps. Et puis les livres chroniqués par Xavier, et puis ceux dont on a déjà beaucoup parlé de l'auteur...

Le livre que je vais lire en lecture commune
Je ne participe pas, moi non plus, aux challenges mais, avec Xavier, nous participons au groupe de lecture d'Au bonheur de lire qui sélectionne des livres incitateurs pour les élèves du secondaire et dans ce cadre, nous avons beaucoup de lectures communes. Je dévore du coup Le Turquetto de Metin Arditi dont tous mes collègues m'ont dit le plus grand bien !

29 septembre 2012

Où l’on se livre #1

Tagués par In Cold Blog, les réponses de Xavier au questionnaire de lecture.

Le livre que j’ai particulièrement aimé
La question impossible. Il y en a beaucoup mais, avec le temps, ils sont de plus en plus rares : beaucoup de bons livres mais peu de titres qui me laissent cette impression particulière de continuer à porter le livre, à vivre avec, après la dernière page. Ou de modifier ma vision du monde ou de l’art.
Cette année, le livre que j’ai particulièrement aimé est, jusqu’à présent, le très beau récit de Patti Smith, Just kids. Une écriture poétique et simple à la fois, une vision de l’amour et de l’art qui m’a ému et, surtout, une manière d’envisager la vie avec une insoutenable légèreté qui, bien souvent, me fait défaut.
Je profite de l’occasion pour citer également un livre qui a beaucoup compté, toujours en mémoire, et dont l’auteur est décédé la semaine dernière : Œdipe sur la route d’Henri Bauchau.

Le livre qui ne m’a pas plu
Dernièrement : Karen et moi de Nathalie Skowronek. Je fulminais en lisant tant j’avais l’impression d’une supercherie. Je n’avais plus ressenti cela depuis Le rapport de Bordeck de Philippe Claudel. Et, comme à chaque fois que je n’aime pas du tout quelque chose, l’incompréhension face aux critiques élogieuses. Mais bon, lire c’est aussi la découverte de la relativité des points de vue…

Le livre qui est dans ma PAL
Il n’y a en a pas qu’un seul, c’est le moins qu’on puisse dire. Sans être un acheteur compulsif, souvent une envie en chasse une autre; et la pile de gonfler. Du coup, sur le haut de la PAL, la dernière envie. En ce moment: Congo. Une histoire de David Van Reybrouck.

Le livre qui est dans ma wish-list
Le dernier Paul Auster sorti en septembre aux États-Unis. (Et comme mon cher et tendre est parti en voyage de l’autre côté de l’Atlantique, I hope my wish-list will come true !)

Le livre auquel je tiens
Dernièrement, j’ai commencé à me débarrasser de pas mal de bouquins. Sans rire, je pense que c’est une étape particulière de ma petite vie. J’avais vraiment tendance à l’accumulation, je tenais physiquement à tous mes livres. Les choses sont en train de changer et c’est tant mieux. Il y a bien sûr les cadeaux qui sont liés à une personne et qui font de l’objet autre chose qu’un simple livre. Mais celui qui a le plus de valeur à mes yeux est un petit cahier ayant appartenu à mon grand-père. Il était pâtissier et, dans ce cahier, il a écrit à la main, avec une application d’une autre époque, toutes ses recettes. La première partie du cahier date de 1939, avant qu’il ne parte à la guerre. Il apprenait alors le métier qu’il allait exercer jusqu’à ma naissance. Lorsqu’il a arrêté de travailler, il s’est beaucoup occupé de moi et, parmi les plus doux souvenirs de mon enfance, il y a les après-midis passés dans sa cuisine à préparer des tartes, des génoises, des crèmes au beurre, …

Le livre que je voudrais vendre ou troquer
Je déménage dans quelques semaines et, comme je le disais dans la question précédente, j’ai fait le tri. Quatre grosses caisses attendent d’être emportées par un bouquiniste.

Le livre que je n’ai pas réussi à terminer
Il est très rare que je ne termine pas un livre. C’est mon côté scolaire. Au pire, je passe des pages. Et puis parfois je m’obstine. J’avais essayé à plusieurs reprises de lire un roman de Virginia Woolf, en vain. Et cet été, finalement, j’ai lu avec un immense plaisir Mrs Dalloway.

Le livre dont je n’ai pas encore parlé sur mon blog
Il y en a beaucoup. D’abord ceux chroniqués par Amandine, car nous lisons souvent les mêmes livres. Puis ceux dont je n’ai pas grand chose à dire. Et finalement, les livres qui sont en attente. En ce mois de septembre, le temps vient à manquer. Mais j’aimerais parler prochainement de La Théorie de l’information d’Aurélien Bellanger.

Le livre que je vais lire en lecture commune
Pour moi, la lecture n’est pas une question de règle à suivre. J’ai assez de contraintes au quotidien pour ne pas, en plus, en ajouter dans mes lectures. D’autant que, pour le boulot, j’ai pas mal de lectures imposées. Donc, je ne participe jamais aux challenges. Seule exception : tout récemment, j’ai parlé d’un auteur québécois que je venais de découvrir dans le cadre du septembre québécois organisé par Karine.

27 septembre 2012

Déambulation avec fantômes

Valérie MRÉJEN, Forêt noire

La romancière et vidéaste mélange l’intime et le banal au fil d’un roman qui, à travers le deuil vécu par sa narratrice, rappelle à tous qu’il n’y a qu’une fin possible à nos histoires. De l’apparente froideur du texte se dégage peu à peu le sentiment d’une étrange familiarité.

Dans Six Feet Under, chaque épisode débutait par la mort d’un personnage, futur client de l’entreprise familiale de pompes funèbres dont la série nous racontait le quotidien.
 Accidents, maladies, morts subites... : toutes les possibilités du grand saut y étaient envisagées, entre surprise, humour noir et tristesse. C’est en partie ce procédé qu’a voulu reproduire Valérie Mréjen avec ce roman qui accumule les descriptions des derniers instants d’anonymes : le terme d’une longue maladie, un accident de la route, un suicide, une catastrophe naturelle...

Il est jeune, italien, intéressé par la photographie et a rencontré pendant des vacances un Français partageant la même passion : ils se sont liés d’amitié et correspondent depuis régulièrement, ont des conversations au téléphone, s’interrogent sur leurs choix et leur désir commun de s’engager dans la voie artistique. Ils essayent de se voir au moins une fois par an quand l’un ou l’autre trouve le temps de voyager, mais c’est surtout l’ami français qui part volontiers passer quelques jours à Rome, de préférence l’été. Un jour il apprend que son camarade a été foudroyé par une attaque en sortant de chez lui et s’est effondré sur le pas de la porte alors qu’il allait acheter du pain ou quelque autre aliment.

L’écriture neutre, presque clinique, laisse pourtant la place à l’empathie. Le style est précis, soucieux du détail. L’aspect documentaire et l’importance du point de vue sont d’ailleurs revendiqués, à travers la citation d’une scène de Faits divers de Raymond Depardon. Dans son travail de vidéaste (que l’on peut découvrir sur le site de l’artiste), Mréjen avait déjà exploré ce principe qui consiste à raconter de manière froide des épisodes difficiles (une humiliation, une déception...).
Au-delà de la disparition d’un être humain, l’auteure s’intéresse aux récits, aux paroles qui véhiculent ces histoires dont on connaît la fin et qui remplissent le quotidien des vivants. De l’accumulation de ces vignettes naît un sentiment de familiarité, moins ironique que dans ses précédents romans (l’Agrume, Eau sauvage), qui finit par unir toutes ces histoires. Le caractère inéluctable des choses, la tragique banalité de la mort apparaît au fil du roman comme un momento mori au quotidien. Comment ignorer la mort alors qu’elle est partout autour de nous ? La vie prend des allures de forêt noire, peuplée de fantômes. Mais le titre renvoie également au dessert bien connu, un gâteau riche composé de plusieurs couches, une douceur au nom ambigu.
De tous les fantômes qui peuplent le livre, une figure se détache : la mère de deux enfants qui, un soir de réveillon, a « pris des cachets ». La narratrice, sa fille, la retrouve vingt-cinq ans plus tard pour une promenade dans le présent, faisant de l’absente qui hante ses souvenirs une présence à qui il faut expliquer en quoi le monde et la ville ont changé.

Les tickets de métro et de bus sont passés du jaune au vert-bleu, puis au violet, puis au blanc avec monogramme, la monnaie a changé, les tables de certains cafés servent accessoirement de supports publicitaires [...]. Il y a un opéra Bastille, une pyramide du Louvre, un quartier neuf près de la Seine, une grande bibliothèque, des vélos à louer sur des bornes automatisées.

Dans cette tentative de renouer passé et présent, la narratrice semble peu à peu se réconcilier avec la disparue, sans en passer par un grand déballage psychologique. En mettant en parallèle le deuil d’un proche et celui de tous les anonymes, la mort de la mère semble se noyer dans le flot des autres disparus du roman. Au lieu d’explorer la dimension singulière et intime de l’événement, l’auteure la confronte à la trivialité du quotidien et semble en épuiser la signification. La déambulation avec le fantôme de la mère n’est qu’un rêve impossible, une flânerie imaginaire dans une ville en mouvement.

Je lui tiendrais le bras telle une fiancée timide pour avancer parmi la multitude, je guetterais dans les yeux des passants la surprise de nous voir comme si le monde entier devait la connaître, je me demanderais secrètement s’ils pensent que nous sommes sœurs.

C’est là tout le talent de Valérie Mréjen : passer par les descriptions détaillées d’un moment, d’un instant de la vie banale, avec obstination, pour en dégager un sentiment d’étrange familiarité.

Article paru dans le numéro 394 de la revue Indications.

Référence :
Valérie MRÉJEN, Forêt noire, P.O.L, 2012

22 septembre 2012

Bon appétit!

My Life in France et Mastering the Art of French Cooking, Julia CHILD

L’aventure culinaire et éditoriale d’une star des fourneaux américaine et de sa passion pour « la belle France ».

Comme beaucoup, je ne connaissais pas Julia Child avant de voir le film Julie & Julia. Loin d’être un chef d’œuvre (le film est bourré de clichés servis à la grosse louche), il avait toutefois le mérite de faire découvrir une star américaine des cuisines et du petit écran.
Pour la petite histoire, j’ai vu ce film en avion. L’un des rares avantages, selon moi, à ne pas se sentir très à l’aise en avion (je n’irai pas jusqu’à dire que j’ai peur mais j’avoue que je dois quand même souvent mettre de côté l’angoisse qui monte durant les longs vols) c’est que tout ce qui peut me distraire est le bienvenu et se revêt de qualités qu’il n’aurait jamais sur la terre ferme. Du coup, n’importe quel film, pourvu qu’il m’empêche de penser, pendant deux heures, au fait que je suis coincé dans une carcasse de métal à des milliers (euh…) de mètres au-dessus d’un océan, est digne d’intérêt. Bref, une fois sorti de l’avion, j’avais très envie d’en savoir davantage sur Julia Child. Le message est si bien passé que ma belle-sœur m’a rapidement offert Mastering the Art of French Cooking, LE livre de cuisine de Child, best-seller sans précédent dans l’histoire de l’édition culinaire outre-Atlantique (et qui a depuis trouvé une place de choix dans ma bibliothèque de livres de recettes). J’ai un peu cherché du côté du net pour voir Julia en action dans ses émissions de cuisine (comme ici). Et, plus récemment, un très gentil collègue m’a passé My Life in France, un livre de souvenirs où Julia Child raconte son parcours et, surtout, sa découverte de la cuisine française.
Quittant la Californie pour la France en 1948, elle y accompagne Paul, son mari, qui rejoint Paris pour s’occuper d’un bureau d’information créé par les États-Unis au lendemain de la guerre pour, en gros, vanter les mérites du plan Marshall. Julia n’a alors aucune culture culinaire mais son premier repas en France, une sole meunière, va lui ouvrir les yeux et les papilles. Dès leur arrivée à Paris, elle commence à s’intéresser au contenu de son assiette, interroge les vendeurs sur le marché et essuie ses premiers échecs aux fourneaux. Bien décidée à venir à bout de la cuisine française, elle s’inscrit à un cours pour apprentis cuisiniers. Au fil des années et des rencontres, elle va tenter de partager sa passion avec le public américain, à travers des cours, des livres et puis, finalement, à la télévision.
Ce livre de souvenirs nous raconte ce parcours auquel il faut associer Paul, son mari. Il la soutient et se met souvent en retrait pour lui permettre de mener à bien tous ses projets. Un couple assez moderne pour l’époque (qui s’amusait notamment à envoyer des cartes de vœux originales ; voir ci-contre), un peu bohème, en rupture par rapport à son milieu (le père de Julia est un farouche républicain qui ne comprend pas le mode de vie de sa fille). Paul sera d’ailleurs inquiété pour ses opinions politiques au moment du maccarthysme.
À côté de l’histoire d’amour entre une femme, un pays et sa cuisine My Life in France est aussi l’histoire d’une aventure éditoriale hors du commun. Mastering the Art of French Cooking est un projet qui aura mis plus de dix ans à voir le jour. Avec ses co-auteures, Child entendait rendre la cuisine française accessible à la ménagère américaine qui, à l’époque, n’en avait que faire du fameux « beurre blanc ». Que ce soit dans la mise en page, dans les explications ou dans la manière de proposer des déclinaisons autour d’une même base, le livre est une petite révolution dans le milieu de l’édition culinaire et imposera une forme et des conventions qui feront date. Du point de vue didactique, l’écriture de Child est un sommet du genre. Tout est limpide, précis et accessible. Et pour le lecteur d’aujourd’hui, même de ce côté de l’Atlantique, c’est un livre que tout amateur se devrait d’avoir dans sa bibliothèque. C’est d’abord la photographie de la cuisine traditionnelle française avant l’arrivée de la nouvelle cuisine mais c’est aussi une mine d’informations et de recettes, entre vraie/fausse simplicité (l’omelette), morceaux de bravoure (le pâté de canard en croute) et plats traditionnels (sa recette du bœuf bourguignon est un must que chacun se devrait d’essayer au moins une fois).
Le caractère enjoué et passionné de Julia Child se retrouve à chaque page de ces deux livres qui n’ont malheureusement jamais été traduits en français.

Références :
My Life in France, Julia CHILD, Alex PRUD’HOMME, Alfred A. Knopf., 2006.
Mastering the Art of French Cooking, Julia CHILD (avec Louisette BERTHOLLE et Simone BECK), Alfred A. Knopf., 1961.

16 septembre 2012

Rêver les yeux ouverts

La nuit sans fin et Choses vues, Thierry HORGUELIN

Des nouvelles à la frontière du fantastique et un recueil de courtes proses qui font l’inventaire de l’étrangeté du quotidien. Un auteur québécois installé en Belgique : à découvrir.

Dans ses rêves, Carter passe inlassablement d’un univers littéraire à l’autre, d’un roman noir à de la SF, d’un drame historique à un roman d’espionnage ; à chaque étape, il est assommé brutalement et se réveille dans un autre monde de papier.
Ailleurs, à travers le dédale des souterrains qui courent entre les théâtres parisiens, un souffleur tente en vain de trouver la sortie.
Plus loin, un spectateur insomniaque traque un étrange figurant en anorak jaune qui apparaît dans tous les épisodes d’une série policière.
Dans les nouvelles de recueil La nuit sans fin (réédité ici en format de poche), on trouve à chaque coup un concept, une idée, qui, l’air de rien, fait basculer peu à peu le récit de l’ordinaire à l’insoupçonné, du réel à l’imaginaire. Quelques mots suffisent pour camper un personnage ou créer une atmosphère dans laquelle, soudain, nous ne sommes plus certains de savoir départager le vrai du faux. On pourrait bien sûr parler de littérature fantastique, mais ici l’enjeu n’est pas l’étonnement de l’irruption d’un élément étrange dans le quotidien. C’est davantage une promenade sur le fil qui sépare le réel de la fiction. La première nouvelle donne d’ailleurs le ton : une femme rate son train et cette péripétie anodine entraine un chamboulement dans l’ordre des choses. Un jeu de domino se met en place : la femme n’est pas dans le train qu’elle prend habituellement et ne croise dès lors pas l’homme qu’elle aurait du y rencontrer. L’homme fait donc la connaissance d’une autre femme qui, émue de cette rencontre, provoque par distraction un accident. L’accident cause un embouteillage qui retarde un autre personnage, etc. La nouvelle ouvre ainsi la fiction à tous les possibles et s’amuse avec l’idée du contretemps et de ses conséquences. Borges n’est pas loin…
Dans Choses vues, il est davantage question du réel mais envisagé dans ce qu’il peut comporter d’étrange. L’auteur a compilé des situations et des rencontres inscrites dans le quotidien mais qui sont autant d’incursions dans l’inattendu. Une femme qui tente de détruire la voiture de son mari. Une passante qui prend le narrateur pour Jerry Lewis. Une parcelle de conversation captée au vol. Tous ces petits textes étonnent, amusent et interrogent finalement le lecteur sur cette frontière spongieuse qui sépare le vrai du faux et qui fait parfois des instants de tous les jours de petites incursions dans ce qui pourrait s’apparenter à de la fiction.
J’ai eu le grand plaisir d’animer une petite rencontre littéraire consacrée à l’auteur à la librairie Joli Mai (Bruxelles) fin août. Et je profite du septembre québécois organisé par Karine pour vous faire partager l’œuvre singulière d’un écrivain qui a un pied ici et un autre là-bas (et qui tient également un blog à suivre ici).

Références :
La nuit sans fin, Thierry HORGUELIN, L’Oie de Cravan, coll. « Petites pattes à ponts », 2012.
Choses vues, Thierry HORGUELIN, L’Oie de Cravan, 2012.

2 septembre 2012

Sur écoute

La malédiction d’Edgar, Marc DUGAIN

La vie et la carrière du mystérieux patron du FBI. Pas convaincant.

De 1924 à 1972, John Edgar Hoover a dirigé le FBI, indétrônable, alors que les présidents se succédaient dans le bureau ovale. Cette longévité à la tête de l’État, Hoover la doit bien sûr à son intelligence et son professionnalisme mais surtout à son incroyable sens de la politique et de la manipulation. Les écoutes organisées par le FBI, qu’elles soient avalisées ou non par le ministre de la justice en charge, lui ont donné de quoi faire pression sur tous les présidents, démocrates ou républicains. Et, en bon stratège, il ne s’en prive pas.
Pour raconter ce parcours, Dugain imagine les mémoires de Clyde Tolson, directeur adjoint du FBI et compagnon de tous les instants. Les deux hommes partageaient tout : le travail, les repas, les vacances, … Ce qui a bien évidemment laissé la place à une série de rumeurs sur l’ambiguïté de cette relation : Tolson et Hoover étaient-ils amants (la question était également soulevée dans le récent film de Clint Eastwood que je n’ai pas vu) ? Ici, Dugain laisse plus ou moins planer l’ambiguïté. Il montre les deux hommes dans leur quotidien de « couple » mais insiste lourdement sur le déni d’homosexualité chez Hoover (dans une scène de séance de psychanalyse assez amusante). Au final, la seule chose qui habite véritablement le personnage est la raison d’État et sa toute grande peur du communisme qu’il a toujours considéré comme la plus importante des menaces sur la sécurité du pays.
Pour le reste, on passe en revue la cohabitation avec les différents présidents, l’obsession de JEH pour les indiscrétions et, bien sûr, les assassinats des deux frères Kennedy. Et vu l’importance que prend cet épisode dans le livre, on se dit que l’auteur s’est laissé fasciné par ce sujet et qu’il en a oublié son personnage principal. On a souvent l’impression que Hoover passe au second plan tant Dugain semble écrasé par le mythe de JFK qu’il essaie pourtant de mettre à plat, en vain. Et même là, rien de très original sinon la xième histoire du « complot » concocté de pair par la CIA et la Mafia, le tout avec l’assentiment silencieux du FBI qui a fermé les yeux. Et voilà. Sur le même sujet, je ne peux pas m’empêcher de comparer avec James Ellroy qui lui offrait une vraie alternative littéraire au livre d’histoire (nous en avions parlé ici et ici).
On n’apprend donc pas grand chose et on s’ennuie même un peu (le long discours d’un universitaire sur la philosophie de Camus ressemble à s’y méprendre à une fiche de prépa au bac). Le sujet du livre qui semblait être le pourquoi de l’obsession de Hoover pour le pouvoir et une certaine vision de l’Amérique échappe à l’auteur.

D'autres avis chez In Cold Blog, Kathel et Emeraude.

Référence :

La malédiction d’Edgar, Marc DUGAIN, Gallimard, Folio, 2006.

27 août 2012

Et le rideau sur l’écran est tombé

La dernière séance, Larry McMURTRY

Chronique amère et texane de la fin de l’adolescence : l’impossible rêve américain.

1951. Dernière année de lycée pour Duane et Sonny dans la petite ville de Thalia, perdue au fin fond du Texas. Entre l’école, le sport et les petits boulots, la jeunesse de Thalia traine son ennui entre la salle de billard et les séances de cinéma du samedi soir. L’occasion pour Duane et Sonny de tenter d’aller voir ce qui se cache sous les vêtements du sexe opposé. Duane a emporté le gros lot en la personne de Jacy, la plus jolie fille du coin qui peut, quand ça l’arrange, se laisser faire ; tandis que Sonny doit se contenter de Charlene avec qui il est hors de question de s’aventurer au-delà du chaste baiser sous peine de brûler en enfer. Les hormones travaillent dur mais, dans l’Amérique pudibonde et étriquée de l’époque, sexe, dégoût et culpabilité forment un mélange amer. Qu’importe, l’important est de se bâtir un futur et de tenter le coup du rêve américain. Même si à Thalia, les chances d’y parvenir sont minces.
En chroniquant la vie de ces jeunes gens à l’entrée de leur vie adulte, McMurtry invite le lecteur dans une balade tendre et mélancolique dans un coin perdu du Texas. Les grands ados du roman hésitent entre légèreté et gravité. Profiter des derniers rayons de l’insouciance tout en pensant à construire un avenir qui, à Thalia, se résume vite à trouver du boulot sur une plateforme pétrolière ou s’engager sous la bannière étoilée et partir en Corée. Le reflet du monde que leur tendent les adultes est un quotidien sans saveur, où les espoirs déçus sont étouffés dans l’alcool et la dépression. Ruth, la femme de l’entraineur du lycée, atteinte d’un cancer, découvre soudainement que la vie est aussi ailleurs et que faire l’amour ne se limite pas au devoir conjugal du premier samedi du mois, toutes lumières éteintes. Car l’étroitesse d’esprit de tout ce petit monde cache tant bien que mal un cruel désir des sens. Tout le monde y pense, personne n’en parle. 
Le seul personnage véritablement insouciant du roman est sans conteste Billy, le simplet, l’idiot du village, parfois tyrannisé et moqué par les autres, et qui inlassablement nettoie la ville avec son balai. S’il ne trouve personne sur son chemin pour le ramener chez lui, Billy est capable de balayer jusqu’à l’infini, inlassablement. À l’image de ce geste absurde et poétique, les autres héros du roman tentent du mieux qu’ils peuvent de rêver d’ailleurs même si la réalité à laquelle ils se confrontent chaque jour est loin de ressembler à un film hollywoodien.

D’autres avis chez In Cold Blog.

 Référence :
La dernière séance, Larry McMURTRY, traduit de l’anglais (
États-Unis) par Simone Hilling, Gallmeister, collection « Totem », 2011.

22 août 2012

Toi, mon amie...

Kéthévane DAVRICHEWY, Les séparées

Une analyse tout en finesse sur la rupture d'une amitié. Un troisième roman subtil et touchant.

Alice et Cécile sont amies depuis presque toujours. Elles se sont rencontrées sur les banc de la maternelle, retrouvées sur ceux de l'école primaire pour ne plus se quitter pendant très longtemps. Pourtant tout les oppose : Alice a une famille unie, des parents qui s'aiment, deux sœurs dont elle est proche et vit dans un HLM. Cécile a un père riche et autoritaire, qui a eu trois épouses et un fils qu'il méprise. Alice est vive et spontanée. Cécile est plus sensible et fragile. Mais leur amitié est très forte.
Le roman s'ouvre sur la victoire de Mitterand, le 10 mai 1981. Cécile est chez Alice, la famille saute de joie et décide de fêter ça. Cécile s'amuse à imaginer la rage de son père.
Dans le chapitre suivant, trente ans plus tard, Alice est en train de quitter son mari, ses enfants sont grands et on apprend qu'elle ne voit plus Cécile. 
Qu'est-ce qui a donc brisé cette longue et profonde amitié ? Nous l’apprenons peu à peu, en lisant tour à tour les flash-back sur la jeunesse des deux amies, la vie d'Alice et le monologue de Cécile qui, plongée dans un coma dont personne ne sait si elle ressortira, s'adresse à Alice pour tenter de comprendre ce qui les a séparées.
On retrouve dans ce roman tous les ingrédients d'une histoire d'amitié d'adolescentes quelque peu clichée : les premiers amours, la découverte de la sexualité, la drogue, le sida, les relations familiales difficiles, l'inceste... Et pourtant, la finesse de l'écriture de Kéthévane DAVRICHEWY, l'alternance de discours, le bilan que font les deux amies à un âge où elles savent que le plus gros est derrière elles en font un récit absolument savoureux. Et surtout, Cécile et Alice adolescentes sont tout à fait crédibles et bien loin des descriptions superficielles et fausses de la plupart des romans qui parlent de la jeunesse.
Le très beau roman de Kéthévane DAVRICHEWY est un récit qui nous rappelle également qu'une histoire d'amitié, à l'instar d'une histoire amoureuse, peut être à la fois intense, déterminante, bénéfique et douloureuse.

Référence :
Kéthévane DAVRICHEWY, Les séparées, Sabine Wespieser éditeur, 2012.

15 août 2012

Le syndrome toscan

Monteriano, E.M. FORSTER

Réédition du premier roman de Forster qui porte en lui les germes de son œuvre à venir. Vous reprendrez bien un peu de Toscane ?

Lilia, veuve depuis peu, s’en va pour un voyage d’une année en Italie, laissant aux soins de sa belle-famille l’éducation de sa petite fille. La jeune anglaise fera plus que s’éprendre de la beauté des paysages puisqu’elle va commettre la pire des horreurs : épouser un bel Italien, fils du dentiste de Monteriano, un village toscan ! Philippe, le frère du mari défunt, tentera de s’opposer à cette union qui vient ternir la réputation de sa respectable famille. Trop tard. Le mariage est conclu et les ennuis ne font que commencer.
Dans son premier roman, enfin réédité, Forster mettait déjà en scène les thèmes qui se retrouveront dans ses œuvres postérieures : les rapports de classe (Howards End), l’envie de se libérer de la société corsetée de l’époque (Maurice) et, bien sûr, la fascination que l’étranger exerce sur les Britanniques. La Toscane de l’auteur d’Avec vue sur l’Arno possède une beauté sauvage qui chamboule les esprits et les cœurs. Monteriano n’existe que dans la fiction. C’est un lieu inspiré d’autres villages (dont San Giminiano) et qui en rassemble toutes les caractéristiques ; un concentré de toscanitude, fatal pour les âmes trop sensibles. Loin des habitudes et de la rigueur de leur quotidien britannique, les personnages de Monteriano se perdent, doutent ou bien se révèlent. C’est la version bucolique et philosophique du "syndrome toscan" (appelé aussi "syndrome de Stendhal"). Les dialogues sur les mœurs et les sentiments sont pleins d’esprit et d’ironie mais cependant l’intrigue hésite trop entre comédie et drame et, au final, tombe dans le coup de théâtre tragique qui alourdit inutilement la démonstration.
Si vous n’avez jamais lu Forster, il vaudra donc mieux commencer par un des romans cités plus haut ou découvrir son univers à travers les magnifiques adaptations au cinéma du James Ivory.

Référence :

Monteriano, E.M. FORSTER, traduit de l’anglais par Charles Mauron, Le Bruit du temps, 2012.

7 août 2012

Parce que la vie est un sport ?

Hunger Games, Suzanne COLLINS

Un roman d’anticipation, best-seller auprès des 15-18. Harry Potter ira-t-il ranger son balai au placard ?

Il y a plusieurs mois, en classe, nous parlions des romans d’initiation et l’un de mes élèves a fait référence à Hunger Games. Je ne connaissais pas et j’ai eu le malheur de le dire. Silence total. C’est un peu comme si j’avais demandé qui était Harry Potter… Ou sorti une cassette audio de mon sac. Bref : j’avais officiellement l’âge de leurs grands-parents !
Un peu plus tard, j’ai raconté l’anecdote à Juliette, la fille d’un couple d’amis avec qui je fais un peu de grammaire de temps en temps. Entre une subordonnée relative et un complément du groupe adverbial (no comment), elle m’a expliqué que ce livre était l’un de ses préférés. Et, voyant peut-être qu’il en allait de ma réputation auprès de mes élèves, elle m’en a gentiment fait cadeau. J’ai donc lu Hunger Games, sans a priori et même plutôt curieux.
En Amérique du Nord, dans un futur plus ou moins proche, les douze districts de Panem doivent chaque année s’affranchir d’une étrange taxe. Deux enfants de chaque district sont tirés au sort pour participer à un jeu télévisé où vingt-quatre candidats doivent s’entretuer dans un environnement hostile jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul participant. Katniss, 16 ans, va se porter volontaire afin d’épargner sa petite sœur et découvre l’enfer des Hunger Games…
L’intrigue tient assez bien la route (même si on imagine mal l’héroïne se faire dégommer au début de l’épreuve…) et ce roman d’anticipation a parfaitement intégré, à travers l’idée du jeu télévisé, l’omniprésence du regard de l’autre sur nos actions et nos émotions. Dans ce Koh-Lanta mortel, les participants sont constamment filmés et écoutés par des caméras invisibles et c’est par d’énormes écrans qui apparaissent dans le ciel qu’ils apprennent chaque jour le nom des éliminés. Consciente de son rôle dans cette société de l’image et du spectacle, Katniss doit, en plus de sa lutte contre le froid, la faim et les autres concurrents, anticiper les attentes des spectateurs avides de sensations fortes afin de sauver sa peau.
Du point de vue de l’écriture, c’est un peu indigeste. Abondance de dialogues bourrés de stéréotypes, absence de style, flash-backs appuyés… Le plus ennuyeux est la volonté de l’auteure de tout expliquer des pensées du personnage, qui n’est pourtant pas bien difficile à comprendre. Il est quand même étonnant de voir que la demoiselle, un peu greluche sur les bords, à la veille du début des jeux, s’inquiète beaucoup de sa tenue et de ses cheveux… Le plus dérangeant reste le fait que les personnages ne semblent jamais véritablement se rebeller face au système fasciste qui les pousse à s’entretuer. La révolte est peut-être abordée dans les tomes 2 et 3 mais je crains que pour moi l’aventure s’arrête ici.

Avis partagé par Argali; plus d’enthousiasme chez Liliba.

Référence :

Hunger Games, Suzanne COLLINS, traduit de l’anglais (États-Unis) par Guillaume Fournier, Pocket Jeunesse, 2009.

3 juillet 2012

Qu’est-ce que tu lis pour les vacances 2012 ?

Avant de prendre nos quartiers d’été et de mettre le blog en pause pour quelques semaines, retour sur des lectures qui trouveront facilement une petite place dans vos valises. Pour se remettre à jour, pour toutes les destinations, pour la plage, la terrasse, la piscine, le jardin ou le bureau (mais alors discrètement) : voici notre sélection été 2012. Bel été à toutes et à tous.
Commencez vos vacances avec Le premier été d’Anne PERCIN, et rappelez-vous des mois d’été de votre adolescence, des rencontres, des boums, des premiers émois…

Pour des vacances dans le grand Nord : Zona Frigida d’Anne B. RAGDE ou la trilogie des Neshov (La terre des mensonges, La ferme des Neshov et L’héritage impossible) de la même auteure : une histoire de secrets de famille qui surgissent au moment de la mort de la vieille (et quelque peu machiavélique) mère, dans une ferme, au fin fond de la Norvège. Palpitant, étonnant et dépaysant (on y reviendra).

Pour des vacances au soleil : les étonnantes nouvelles d’Amos OZ, Scènes de vie villageoises, qui nous réchauffent du soleil israélien, la triste mais très jolie histoire de Mitsuba d’Aki SHIMAZAKI, pleine de poésie et de bon sens, ou l’épouvantable récit du Tigre blanc d’Aravind ADIGA qui prouve que la misère n’est pas forcément moins pénible au soleil.

Si vous partez dans un pays de l’Est : La maison de l’âme de Chantal DELTENRE (Françoise en parle ici), parce que vous regarderez les villes autrement, parce que vous ne repartirez pas sans avoir offert quelque chose à quelqu’un et parce que c’est un roman belge. (Pendant les vacances, n’oublions pas de devenir un peu chauvins!)

Si vous êtes plus ville que plage, redécouvrez le New York des années 70 avec Just kids, le très beau récit de Patti SMITH ou perdez-vous à Tokyo dans la troublante trilogie 1Q84 d’Haruki MURAKAMI.

Si vos enfants sont en colonie de vacances : Rêves de garçons, de Laura KASISCHKE. Le souci, c’est que vous risquez d’aller les rechercher en courant… Cela dit, profitez de vos vacances, quelles qu’elles soient pour découvrir Kasischke si ce n’est déjà fait ! Un de nos grands coups de cœur de cette année…

S’il pleut tout l’été : les deux premiers romans policiers de Craig JONHSON, Little Bird et Le camp des morts, dont l’ambiance « grands espaces » ne vous fera pas regretter d’être coincés à l’intérieur toute la journée. Ou encore Mr. Peanut d’Adam T. ROSS, un étonnant faux polar pas moins palpitant.

Si vous partez en avion et que vous n’avez droit qu’à un livre (pauvre de vous) : sans hésitation, prenez Freedom de Jonathan FRANZEN, LE livre qu’il faut avoir lu cette année. Ou bien le chouchou du moment dans toutes les rédactions : L’Art du jeu de Chad HARBACH.

Et vous ? Un conseil de lecture de vacances ?

PS: et pour les listes des années précédentes, c'est ici.