21 juillet 2013

Congé royal

Mes très chers concitoyens,

La Reine et moi, ...

Désolé, je me suis trompé de texte! Difficile d'échapper à l'effervescence monarchique qui s'est emparée de notre petit pays ces dernières semaines.
Comme Albert, le blog va se mettre au repos mais il reviendra (le blog, pas Albert) d'ici la fin août pour des nouveaux billets.
D'ici là, on vous laisse avec une petite sélection subjective de titres dont nous avons parlé lors de leur sortie et qui sont maintenant disponibles en poche (il suffit de cliquer sur le livre pour avoir accès au billet d'origine). De quoi garnir vos valises ou emporter pour une séance de lecture en terrasse.

Bel été à toutes et tous!

11 juillet 2013

Le généalogiste VS le linguiste

Code 1879 — Les Enquêtes du généalogiste, Dan WADELL
Le Linguiste était presque parfait, David CARKEET

Deux enquêtes policières avec, pour héros, deux non-policiers. Entre le généalogiste et le linguiste, mon cœur ne risquait pas de balancer…

L’inspecteur de police a depuis quelque temps déserté son poste. Dans les séries télé, on ne compte plus les exemples d’auxiliaires qui volent la vedette au flic : expert scientifique, mentaliste, archéologue, psy, … Le renouvellement du genre passe par un changement de casting. Et en littérature ? Adamsberg, Wallander, Erlendur, Fors (pour ne citer que les plus récents) devraient-ils craindre la concurrence ? Petit comparatif à partir de deux romans qui jouent (ou pas) la carte de l’originalité.

L’inspecteur londonien Grant Foster se retrouve avec un drôle de cadavre sur les bras : un homme poignardé, amputé des deux mains et sur le corps duquel apparaissent, gravées au couteau, d’étranges inscriptions. Afin d’éclaircir cette énigme, Forster fait appel aux services d’un généalogiste, plus habitué aux rayonnages des bibliothèques qu’aux scènes de crime. Rapidement, l’enquête fait remonter à la surface une autre affaire criminelle : une série de meurtres datant de 1879 qui entretient d’étranges points communs avec le présent.
Des meurtres, des indices qui s’accumulent, quelques fausses pistes et un brin de romance : rien de très original dans ce polar qui tente de recréer l’ambiance mystérieuse du Londres de la fin du 19ème siècle. Cimetières, ruelles obscures, bas-fonds, … : tous les clichés sont au rendez-vous. L’élément original étant ici la présence du généalogiste qui, en fouillant dans les registres et les journaux de l’époque, éclaire le présent en replongeant dans le passé. La formule est d’ailleurs déclinée et répétée toutes les vingt pages, pour ceux qui n’auraient pas bien saisi le concept… Pour le reste, le style est plat et on devine assez vite l’issue de l’enquête (alors que je suis d'habitude le dernier à comprendre!). Je ferai donc l’impasse sur la suite des aventures du généalogiste (parue également chez Babel noir).

Autrement plus stimulant, Le Linguiste était presque parfait de David Carkeet parvient à conjuguer humour et suspense, tout en dressant une satire du monde de la recherche en sciences humaines. 
Jeremy Cook étudie l’acquisition du langage chez les jeunes enfants au sein de l’équipe de chercheurs en linguistique de l’institut Warbach, dans le sud de l’Indiana. Célibataire, passablement peu sûr de lui, plus proche de l’ours que de l’humain, il se demande ce qui lui a valu d’être traité de « trou du cul » par une jeune assistante du centre :

La formule initiale avait peut-être été « un vrai trou-du-cul », et le souvenir de Paula avait altéré la formulation originale en un « parfait trou-du-cul ». À moins que la sentence de départ ait été « une espèce de trou-du-cul » ou « un peu trou-du-cul sur les bords » ou « pas trop trou-du-cul » voire peut-être « pas un trou du cul contrairement aux autres ». […] Au yeux de quelqu’un à l’institut, il était un parfait — ou un vrai, un pauvre, un putain de, etc. — trou-du-cul, et cette personne en parlait à d’autres qui, à leur tour, le considéraient également comme (ou un vrai, un pauvre, etc.) trou-du-cul qui foirait tout.

Le meurtre étrange de l’un de ses collègues va cependant l’obliger à se concentrer sur un sujet hautement plus inquiétant : lequel des linguistes de l’institut est un assassin ?
Entre Agatha Christie et David Lodge, David Carkeet s’amuse avec le microcosme qu’il passe sous sa loupe pour mette en lumière les petits jeux de pouvoir, de solidarité et d’inimitié qui se nouent au sein de ce « tout petit monde ». Chaque personnage est un concentré de névroses, voire de folie : le directeur procédurier, les chercheurs inadaptés à la vie en société, le flic intello aux méthodes peu orthodoxes, … L’auteur parvient assez adroitement à mettre son personnage de linguiste à contribution et à utiliser, avec beaucoup de second degré, ses connaissances afin de résoudre l’enquête. Ce qui, pour quelqu’un qui passe son temps à modéliser les « areuhareuh » des nourrissons n’était pas gagné d’avance… 
Deuxième découverte d’un roman sorti de chez Monsieur Toussaint (après Karoo) et deuxième excellente surprise, avec à nouveau un vrai plaisir lié aussi à l’objet-livre soigné et élégant.

Référence :
Dan WADELL, Code 1879 — Les Enquêtes du généalogiste, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Jean-René Dastugue, Babel noir, 2012. (Niveau 1)
David CARKEET, Le Linguiste était presque parfait, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, Monsieur Toussaint Louverture, 2013. (Niveau 3)

8 juillet 2013

Des héros très discrets

Tout ce que je suis, Anna FUNDER

À partir de faits réels, un roman haletant et passionnant qui met en lumière l’héroïsme des premiers résistants allemands face au nazisme.

Avant d’arriver au pouvoir en 1933, Hitler et son entourage tentent de museler l’opposition politique et notamment les membres du parti social-démocrate. Ce mouvement profondément pacifiste avait été l’un des acteurs de la révolution de Munich en 1918-1919, violemment écrasée par le pouvoir en place. Dans les années 1930, ils tentent vainement d’éveiller la population allemande aux dangers que représente le parti national-socialiste. L’incendie du Reichstag sera le prétexte invoqué par les nazis pour se débarrasser définitivement de leurs ennemis politiques, forçant de nombreux militants pacifistes à l’exil. Ce roman, basé sur des faits réels, raconte le parcours de quatre d’entre eux et leurs efforts pour, de leur refuge londonien, alerter le monde entier sur la terrible menace qui pèse sur l’Allemagne et sur le reste du monde.
Le livre est construit autour de deux narrateurs et de deux époques différentes. En Australie, Ruth, une très vieille dame qui vit ses derniers jours, voit le passé lui revenir par bribes et la ramener à ces années d’exil, à Londres, auprès de son mari, Hans et sa cousine, Dora. Ils partagent alors la vie des réfugiés allemands à qui, sous peine de se voir renvoyer dans leur pays, on interdit toute action politique. Pourtant, alors qu’ils sont à la fois surveillés par les Anglais et des agents des services secrets allemands, ces hommes et ces femmes mettent tout en œuvre pour, clandestinement, récolter et diffuser les preuves des intentions totalitaristes et guerrières du Reich. L’autre narrateur est Ernst Toller, écrivain à succès et militant social-démocrate, qui après avoir purgé une peine de prison pour sa participation à la révolution de Munich, rejoint les Allemands exilés à Londres et, surtout, Dora, avec qui il entretient une relation amoureuse. En 1939, alors qu’il s’est réfugié aux États-Unis, il tente à son tour de raconter dans ses mémoires cette femme héroïque et prête à tout pour faire entendre sa voix.
Les époques et les récits se croisent et se répondent pour raconter le destin de ces personnages bien réels. L’auteure a pris le parti de la fiction, en se basant sur ses recherches et des sources directes (elle a bien connu Ruth), pour rendre hommage à ces hommes et à ces femmes qui ont mis « tout ce qu’ils sont » au service de la résistance. On découvre ainsi leur idéalisme, leurs doutes, leur abnégation face à un monde qui fait souvent semblant de ne pas les entendre. Ils sont pourchassés, toujours à l’affut et, à mesure que le roman progresse, conscients que leur vie ne tient qu’à un fil. Le style de l’auteur donne vie à ces héros de l’ombre et joue avec les codes du roman d’espionnage pour garder palpable, tout au long du livre, la tension permanente à laquelle ils sont soumis.
C’est donc très captivant et, même si on connaît la fin tragique de l’histoire, cela n’enlève rien au plaisir et à l’émotion de voir comment on peut, au péril de sa vie, lutter contre la violence, le cynisme et la cruauté du monde.

Un roman découvert chez Brize, qui avait quelques réserves.

Référence :
Anna FUNDER, Tout ce que je suis, traduit de l’anglais (Australie) par Julie Marcot et Caroline Mathieu, Éditions Héloïse d’Ormesson, 2013.

4 juillet 2013

Cinquante nuances de Dorian Gray

Teleny, Oscar WILDE

De la littérature érotique et queer avant l’heure, mais aussi un plaidoyer d’une grande modernité sur le droit à l’indifférence.

Lorsque Camille Des Grieux croise pour la première fois le regard de René Teleny, alors que celui-ci s’apprête à interpréter une rhapsodie hongroise lors d’un grand concert à Londres, son sang entre en ébullition. À mesure que le jeune pianiste exécute avec fougue son morceau, des visions extatiques s’emparent de Des Grieux. Un coup de foudre artistique mais surtout sensuel qui sonne le début d’un combat intérieur pour Camille : comment accepter cette part de lui-même qui se consume d’amour pour un autre homme? L’attrait qu’il éprouve pour René est cependant plus fort que ses scrupules et son abandon sera total. Mais on se doute bien qu’avec des prénoms aux connotations littéraires aussi marquées, les choses tourneront mal…
C’est après avoir lu certains billets un peu olé olé chez Jérôme que je me suis plongé dans ce bouquin qui trainait depuis longtemps sur ma pile. Et puis comme c’est l’été (enfin, en théorie), on peut s’accorder un peu de légèreté.
Car il s’agit bien ici d’un roman érotique, voire même pornographique. Il est attribué à Wilde mais il est probable qu’il soit au départ le fruit d’un travail plus collectif sur lequel le flamboyant romancier a fortement imprimé son style. À côté de certaines maladresses, on reconnaît souvent le style de l’auteur du Portrait de Dorian Gray, dans les descriptions ou dans ces petites formules qui font mouche. Vu le sujet du livre, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi son auteur a voulu garder l’anonymat. Le texte date du début du XXème siècle et sa traduction en français de 1934. Et bien évidemment, il ne circulait alors que sous le manteau. Le plus étonnant, c’est qu’il a fallu attendre la fin des années 1990 pour que les biographes de Wilde reconnaissent qu’il s’agissait bien d’un texte de l’auteur.
Je ne suis vraiment pas un connaisseur du genre ; j’ai lu un peu du marquis de Sade mais en envisageant davantage ses écrits comme des textes d’idées. Difficile donc de donner un avis sur les qualités propres au genre. D’autant que ce roman est bien plus qu’un livre érotique. Mais puisqu’il faudra bien y passer, intéressons-nous d’abord au côté sulfureux.
Teleny propose un éventail complet de toutes les pratiques sexuelles : seul, à deux ou à plusieurs, hétéro, homo ou même avec une bouteille (aïe) ! Dans tous les sens, dans toutes les positions. La manière de dire la chose oscille entre une extrême crudité (une scène assez effarante dans un bordel malfamé), une distance froide (les mots « sphincter », « bulbe de l’urètre » ou « fluide spermatique » ne sont pas vraiment ceux qui me font grimper aux rideaux) ou encore, mais ce doit être propre au genre, une série d’images désuètes qui prêtent plutôt à sourire (« petit dieu d’amour », « formidable champignon », « énorme instrument », « dieu sans aile », …). Dans tout cet étalage de chairs en ébullition, les scènes entre Camille et René représentent bien évidemment les moments forts du roman. Les ébats entre les deux hommes, passionnels et intenses, sont aussi les seuls du livre où l’âme et le corps ne semblent plus faire qu’un. Leur faculté de récupération laisse rêveur (ou filera des complexes, c’est selon) : une petite respiration et on remet ça ! Plus sérieusement, ce que le livre tente peut-être de montrer, c’est que le rapport sexuel entre deux hommes fonctionne sur les mêmes bases (le désir, le plaisir, la jouissance, …) que celui entre un homme et une femme.
En dehors des scènes érotiques, le roman est aussi un plaidoyer, assez audacieux pour l’époque, en faveur de l’amour entre hommes. Le narrateur pose souvent la question de la nature : si je suis fait comme ça, en suis-je responsable et donc condamnable ou non ? La nature est-elle morale ? Les nombreuses références bibliques qui truffent le texte montrent également le poids de la religion sur ces questions. La conclusion est évidente : l’amour entre Camille et René n’est en rien condamnable.

Au théâtre, j’occupais toujours la même loge que lui […]. Aucun de nous n’acceptait, on le sut bientôt, aucune invitation à une partie quelconque où l’autre n’était pas invité. Dans les promenades publiques on nous voyait côte à côte […]. Par le fait, si notre union avait été bénie par l’Église, elle n’eût pas été plus intime.
Que le moraliste, après cela, m’explique le mal que nous faisions, ou que le légiste nous applique aux pires criminels, pour le prétendu tort que nous causions à la société !

Dans ce bel éloge du droit à l’indifférence, Wilde met en lumière l’hypocrisie de son époque qui ne craint rien d’autre que le scandale. Et, plus tragiquement, il semble déjà répondre aux accusations qui s’abattront sur lui quelques années plus tard.

Référence :
Oscar WILDE, Teleny – Étude physiologique, La Musardine, « Lectures amoureuses », 2009.