29 janvier 2011

La photo ou la vie

En attendant Rober Capa, Susana FORTES

L'histoire bouleversante de la courte vie de la compagne de Robert Capa, la photographe Gerta Taro.

Un jeune homme, chemise blanche, cartouchière à la ceinture et fusil au poing, dévalant un colline et projeté en arrière, dans un ultime mouvement, arrêté en pleine course par l'impact d'une balle. Tout le monde a à l'esprit cette photo de Robert Capa, non seulement parce qu'elle représente l'instant ultime de la mort d'un homme et toute l'horreur de la guerre, mais également parce qu'elle a suscité la controverse : certains affirment qu'elle est n'est qu'une mise en scène. Capa prendra par la suite des milliers de photos et sera de tous les conflits, utilisant son appareil photo comme arme contre l'oppresseur. Puis il fondera, avec d'autres, l'agence Magnum. Mais cette photo sera celle qui l'accompagnera partout et qui le hantera à jamais.
Il fallait beaucoup de courage pour se rendre en Espagne, pendant que la guerre civile faisait rage. Or, c'est précisément pendant cet affrontement entre soldats républicains et milices franquistes que ce cliché fut pris. Il fallait plus de courage encore quand on était une femme. Car plus que la vie de Capa, c'est celle de Gerta Pohorylle que nous raconte Susanna FORTES. Gerta, jeune émigrée juive polonaise, gravite dans les milieux intellectuels parisiens. Elle y rencontre un autre réfugié juif, André Friedman, et tombe sous le charme du jeune photographe impétueux et écorché. Il lui apprendra la photographie, elle lui apprendra à gérer son image. Ensemble, ils créeront le personnage de Robert Capa, soit disant photographe américain réputé, identité qui deviendra finalement définitivement celle d'André Friedman. Gerta elle-même prit le nom de Gerta Taro. Et ensemble, ils partiront en Espagne, voir de tout près cette guerre qui fit tant de victimes. "Quand je pense à tous les gens extraordinaires qui sont morts au cours de cette guerre, écrira Greta dans son journal le matin même de sa mort, j'ai l'impression, d'une façon ou d'une autre, qu'il n'est pas juste que je sois encore en vie".
Gerta et Robert sont amoureux fous et pourtant, mûs tous les deux par un terrible besoin d'indépendance, ils se quitteront souvent pour mieux se retrouver. Sauf une fois, la dernière,...
"Le personnage de Robert Capa avait déjà retenu mon attention, raconte, dans sa postface, la romancière espagnole(...) Plus d'une fois j'avais envisagé d'écrire quelque chose sur sa vie. Il me semblait que ce pays, l'Espagne, lui devait à tout le moins un roman. Qu'il leur devait à tous les deux. C'était pour moi une conviction, comme s'il avait une dette envers eux". Car derrière la belle histoire d'amour, il est question, évoqués par une écriture sobre et touchante, de la deuxième guerre mondiale qui se profile, de l'antisémitisme qui sévit déjà dans toutes l'Europe. Il est question aussi bien sûr de la guerre d'Espagne, dont on a si peu parlé et qui a si peu suscité la réaction des pays avoisinants à l'époque. Et surtout, il est question d'hommes et de femmes qui se sont battus contre le fascisme, qui toute leur vie ont défendu leurs idéaux et qui pensaient qu'une bonne photo, témoignage le plus parlant des horreur du monde, valait bien leur vie.

Merci à Blog-o-book et aux éditions Héloïse d'Ormesson pour ce partenariat.

Référence :
Susanna FORTES, En attendant Robert Capa, roman traduit de l'espagnol par Julie Marcot, Editions Héloïse d'Ormesson, 2011.

25 janvier 2011

Éleveur d’artistes

Torturez l’artiste !, Joey GOEBEL

Brûlez vos maisons, faites-vous larguer, tombez malades : devenez créatifs !

Parmi ce qui unit les plus grands artistes, la souffrance, qu’elle soit physique ou psychologique, est une récurrence. On crée souvent pour combler un manque, pour exprimer un mal-être, pour gagner contre le temps, contre la mort. Alors pourquoi ne pas donner un petit coup de pouce au destin en mettant tout en place pour s’assurer qu’un artiste se retrouve bien face à des situations pénibles, difficiles à vivre et, par là, lui permettre de réaliser de grandes choses ? C’est le pari – discutable ! –  que tente de gagner la Nouvelle Renaissance. Jouet d’un puissant industriel de la société du spectacle, cette organisation secrète se propose de relever le niveau de la culture de masse en mettant sur le marché des artistes capables de créer des œuvres puissantes et populaires. Pour cela, Nouvelle Renaissance a ouvert une Académie destinée à former des enfants prodiges. Et c’est ainsi qu’Harlan fait la connaissance du jeune Vincent. Officiellement, Harlan est son manager mais en réalité il est surtout là pour lui éviter de devenir heureux. En l’éloignant des siens, en tuant son chien, en mettant le feu à sa maison, … Semer la souffrance pour récolter des chefs d’œuvre…

Le roman raconte le parcours de Vincent dans cette carrière que d’autres ont décidée pour lui. Et cela fonctionne : plus il triste, déçu par la vie et par les autres, plus il est créatif. Chansons, scénarios de films, de séries télévisées : tout ce qu’il entreprend finit par toucher un large public et rehausse le niveau de la culture américaine, gangrenée par les films d’action à gros budget et les vedettes latinos aux formes généreuses (JLo, si tu nous regardes…). Comme vous vous en doutez, le ton est ici assez décalé et l’auteur s’amuse beaucoup au jeu de la satire de l’industrie du spectacle, vaine et immorale. Un livre assez léger mais qui peut parfois, par des effets un peu faciles et, au final, par trop de sentimentalisme, ressembler à ce qu’il prétendait critiquer.

Référence :
Joey GOEBEL, Torturez l’artiste !, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claro, 10/18, 2009.

19 janvier 2011

Qui a tué Mini Miss ?

Petite soeur, mon amour, Joyce Carol OATES

Après Blonde, où elle s'attaquait au mythe de Marilyn Monroe, Joyce Carol OATES nous offre un roman-fleuve magistral qui s'inspire du meurtre d'une petite miss, aux Etats-Unis, dans les années 90.

Vous vous rappelez, sans doute, comme moi, de ce fait divers qui a fait le tour du monde : la nuit de Noël 1996, Jonbenet Rampsey, petite fille de 6 ans, spécialiste des concours de mini miss, était assassinée et retrouvée quelques heures après dans la cave de sa maison. On se souvient des images diffusées par des médias déchaînés montrant une enfant peroxydée et brushinguée, sanglée dans des robes décolletées, maquillée avec soin et exécutant quelques pas de danse sexy ou chantant d'une voix suave un "God bless America" destiné à charmer le jury. Il fallait l'audace et le talent de Joyce Carol OATES pour oser s'attaquer à un tel sujet et surtout pour parvenir à en faire non pas un polar scabreux mais un roman grandiose et intense qui coupe le souffle du début à la fin.
Le point de vue choisi est celui de Skyler Rampike, frère de la petite victime, le petite garçon qui grimaçait sur les bords des photos censées montrer le bonheur de la famille Rampike, comme s'il allait en tomber. Le petit garçon a aujourd'hui 19 ans et s'apprête à fêter le triste anniversaire des dix ans de la mort de sa petite sœur. Perdu, esseulé, drogué, il tente de raconter dans un récit foisonnant et déstructuré la grandeur et le déclin de la famille Rampike. Son livre est-il une enquête, une catharsis, un aveu ? Nous ne le saurons qu'à la fin.
Plus que la petite fille, c'est sans doute sa mère, Betsey, le personnage principal du livre. Une femme complexée, nerveuse et déprimée qui souffre de ne pas parvenir à s'insérer dans la petite ville américaine dans laquelle la famille Rampike a déménagé. Elle rêve de se faire des amies taille 38 (alors qu'elle ne rentre douloureusement que dans une taille 44), entrer dans les clubs en vue de la région et se faire inviter aux fêtes de Noël de ses voisins les plus riches. Mais personne ne s'intéresse à la pauvre Betsey Rampike jusqu'à ce que sa fille, la petite Edna Louise, bébé pleurnichard venu trop tôt dont Betsey s'est toujours fortement désintéressée, montre un certain talent pour... le patinage. Car Joyce Carol OATES a fait de son personnage une petite patineuse. Maman Rampsey rebaptise son enfant Bliss  ("comme une pop star bandante" dira son frère) et ne recule devant rien pour faire avancer sa carrière : entraînement quotidien, décoloration des cheveux, tenues coutures, engagement d'un chorégraphe, cours de mannequinat et surtout panoplies de médecins, thérapeutes en tout genre et médicaments. Le père, Bix Rampike, jeune cadre très dynamique, charmeur, autoritaire et infidèle suit de loin la carrière de sa fille. Un macho écœurant, qui, parfois, envahi d'un soudain sentiment de culpabilité, multiplie les preuves d'amour ostentatoires pour sa famille, avant de disparaître à nouveau (séparation ? voyage d'affaire? Skyler ne sait jamais très bien). Et Skyler, le "petit homme de sa maman" est relégué au rang de témoin des performances étonnantes de sa sœur et de la souffrance de la petite fille. Parce que Bliss, lorsqu'elle n'est pas sous les projecteurs est une petite fille angoissée, qui fait pipi au lit et est incapable d'apprendre à lire.
Les sujets de ce livre sont l'enfance volée d'une petite fille tyrannisée par une mère narcissique et de son grand frère sacrifié (à plusieurs titres...) mais aussi l'histoire d'une Amérique terriblement puritaine et parfaitement hypocrite guidée par les convenances et les apparences, une société qui convoque Jésus à tout bout de champ mais assomme ses enfants de médicaments censés tout régler à leur place.
Et puis il y a le dénouement... car Joyce Carol OATES imagine une terrible explication à cette affaire non résolue. Une histoire sur la cruauté ordinaire par une auteure extraordinaire.

Référence :
Joyce Carol OATES, Petite sœur, mon amour, traduit de l'anglais par Claude Seban, Philippe Rey, 2010, 667p.

16 janvier 2011

Clown triste

L’Homme-Alphabet, Richard GROSSMAN

Un roman noir à l'écriture fiévreuse qui finit pas lasser.

Clyde Wayne Franklin a tout pour passionner une société américaine avide de spectaculaire : il est à la fois assassin et poète. Condamné pour le meurtre de son père (et peut-être également celui de sa mère), il a passé vingt ans derrière les barreaux, le temps de devenir un immense poète controversé et de transformer son corps en objet même de poésie : toutes les lettres de l’alphabet (sauf deux) y sont tatouées. Alors qu’il est redevenu un homme libre, il reçoit l’appel à l’aide de Barbie, sa petite amie, une ex-prostituée embarquée dans une histoire de chantage touchant de près un sénateur qui a le vent en poupe. Mais le fil de l’histoire est comme court-circuité par une autre voix, celle d’un étrange clown, sorte de double délirant de Clyde qui apparaît quand celui-ci est victime de l’un de ses nombreux black-out. Le clown ramène à la conscience des bribes de l’enfance de Clyde, la violence de son père, la passivité inquiétante de sa mère ainsi que les jeux sexuels auxquels ils se livraient devant leur fils. Le texte semble alors voler en éclats, les lettres prenant (dans un exercice de typographie assez remarquable) le pouvoir de manière étrange.

Tous les ingrédients étaient là pour faire de ce livre un grand roman noir mais malheureusement je suis passé à côté. A force de vouloir perdre le lecteur dans l’esprit bouillonnant et débridé du personnage, GROSSMAN finit par lasser. Alors oui, c’est original, l’écriture est d’une incroyable densité mais, et ce n’est ici que mon avis, on s’ennuie un peu et ce qui au départ semblait incroyablement puissant devient, une fois passé la moitié du bouquin, fastidieux. Il n’en reste pas moins qu’on est parfois pris de vertige (ce qui en soi est plutôt une réussite) face à ces torrents de mots qui se déversent sur les pages. Et si je reconnais les qualités indéniables du travail de l’écriture, je ne peux malheureusement pas en dire autant du reste du livre. Dommage car, une fois encore, c’était plutôt bien parti.

Le livre a néanmoins ses défenseurs, comme Keisha  ou Marianne.

Tandis que pour Biblio, Doriane et Mic, les avis sont très mitigés.

On n’en remercie pour autant pas moins Blog-O-Book et les éditions Le cherche midi.

Référence :
Richard GROSSMAN, L’Homme-Alphabet, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Héloïse Esquié, Le cherche midi, 2010.

12 janvier 2011

La petite famille dans la prairie

Montana 1948, Larry WATSON

Court roman d’initiation et d’apprentissage du métier de fils dans les grandes plaines du Montana.

Les romans qui ont pour cadre les grands espaces américains ont souvent un goût d’âpreté, de rugosité un peu sauvage qui donne aux drames qui s’y jouent un sel particulier (comme ici). Et la petite ville du Montana où habite David Hayden ne faillit pas à la règle. Des terres à perte de vue, la réserve d’Indiens, les grandes propriétés, un monde d’hommes et de traditions : tout y est. David, douze ans, est le fils du shérif, un homme débonnaire qui exerce sa profession à regret et avec douceur. A-t-on jamais vu un shérif se balader sans son insigne et sans son arme ? Le père de David aurait pu être avocat, partir pour la grande ville, mais dans la famille on est shérif de père en fils, tradition que le patriarche entend bien faire respecter. L’oncle de David a lui fait des études de médecine. C’est le fils prodigue, héros de guerre, docteur très respecté, préféré du patriarche. Mais quand la jeune indienne qui travaille dans la maison de David en vient à porter de graves accusations à l’encontre de cet oncle aimé de tous, les fêlures de la famille apparaissent au grand jour et les liens du sang partent à l’assaut de la justice. Que choisir : être fidèle à sa famille ou à ses convictions ? Le père de David devra prendre de lourdes décisions, sous l’œil de son fils qui, cet été-là, quittera définitivement le monde de l’enfance.

Dans ce roman d’initiation écrit en 1993, l’auteur parvient à rendre assez justement le regard d’un enfant de douze ans sur les valeurs et les enjeux de pouvoir au sein de sa famille. Le thème de la filiation, de la fidélité au père, des rivalités entre frères sont ici amenés avec beaucoup de sincérité et de simplicité. Même si le style n’est pas la qualité première du roman, WATSON parvient cependant à créer une atmosphère particulière, lourde de tension et toujours au bord de l’explosion, comme si les hommes de ces terres immenses avaient gardé en eux toute la fureur dont la nature peut être capable.

Un livre découvert chez In Cold Blog qui dans son billet fait également part d’autres commentaires blogoboulesques.

Référence :
Larry WATSON, Montana 1948, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bertrand Péguillan, Gallmeister, 2010.

7 janvier 2011

A stranger in paradise

L’étrangère, Sándor MÁRAI

Errance existentielle sous un soleil de plomb. Ami des Zweig, Mann et autres : sois ici le bienvenu.

Viktor Henrik Askenazi a quitté Paris pour une petite station balnéaire de la mer Adriatique. Un « tout petit endroit », un refuge ; une punition ? Pressé par son entourage, Askenazi s’en est allé en vacances pour prendre de la distance par rapport à une situation qui mettait à mal les conventions de la bonne société de l’entre-deux guerres. Comment un homme installé, érudit, a-t-il pu quitter sur un coup de tête femme et enfant pour s’installer dans un hôtel avec une danseuse ? Une semi-mondaine, une cocote, une étrangère. Peut-on parler de passion amoureuse ? Pas certain. Askenazi, après avoir exploré à ses côtés les possibilités offertes par le corps, a quitté la danseuse, doutant d’avoir trouvé dans cette odyssée sensuelle les réponses aux questions qui l’assaillent. S’ensuit une période de doutes et d’angoisse existentielle.

Les premières pages de ce roman écrit en 1934 sont éblouissantes de maîtrise. L’écriture de MÁRAI, auteur hongrois, y dresse le portrait d’une petite société bourgeoise usée en lutte avec une chaleur plombante. Un monde d’apparences et de bon sens étriqué –  on est loin des années folles – dans lequel Askenazi dénote profondément. La suite du roman propose l’introspection du personnage qui tente de comprendre et de calmer ses angoisses. Il revient sur la rencontre avec la danseuse, sur les réactions de son entourage et sur ce qu’on appellerait aujourd’hui sa dépression. Les choses et les êtres ne font plus sens, la foule semble une masse prête à mettre au pilori celui qui tente de s’en extraire, la chaleur pèse et la folie rôde.
En lisant ce roman, on pense bien évidemment à d’autres auteurs de la Mitteleuropa qui ont consacré leurs œuvres à la description du fonctionnement de l’homme moderne : ZWEIG, KAFKA et MANN (et plus particulièrement à son Mort à Venise dont on retrouve ici la chaleur et la déraison). Le personnage qui peu à peu prend conscience de l’absurdité de son existence fera aussi penser à Meursault et il est amusant de constater que le parcours de celui-ci ressemble assez fort au héros de L’étrangère. (Notons que le titre orginal, "A Sziget" ("L’Île") est, selon moi, certes moins camusien mais beaucoup plus fidèle au roman).
Le style de MÁRAI impose rapidement une intimité totale avec le personnage tout en parvenant à garder une certaine distance qui permet, heureusement, de sortir parfois de la pesanteur du cheminement philosophique. C’est au final un portrait humain d’une grande richesse, sans concession mais d’une terrible justesse.

Un roman conseillé par Yohan.

Référence :
Sándor MÁRAI, L’étrangère, traduit du hongrois par Catherine, Albin Michel, 2010.

4 janvier 2011

Joyeux noël !

Rien de tel pour se remettre des fêtes de fin d'année que de lire le quinzième roman de Jennifer JOHNSTON : Noël en famille. Ou comment voir noël autrement...

La famille en question se retrouve en cette veille de noël au chevet d'Henry. On apprend très vite que celui-ci est victime d'un terrible accident de voiture et qu'il va s'en remettre. Mais qui est donc Henry? Peu à peu, le lecteur et le personnage lui-même - celui-ci ayant perdu en partie la mémoire - vont apprendre à connaître ce mari affectueux puis volage, ce père aimé mais pas toujours à la hauteur, ce fils à la fois adulé et maudit. Apparaissent ses proches, tour à tour, à son chevet : sa première épouse, Stéphanie, femme dynamique qui ne sait pas trop que penser de l'état de celui qui lui a brisé le cœur quelques années plus tôt  et du rôle qu'elle est censée jouer ; sa fille, Ciara, magnifique rousse qui exprime avec ferveur la joie de retrouver un père qu'elle n'a pas vu depuis longtemps ; son fils Donough, qui vient de faire courageusement son coming out ; son frère, George, avec qui Henry s'est brouillé pour une raison mystérieuse il y a de ça de nombreuses années ; sa mère, Tash, femme peintre, indépendante et flamboyante, qui a toujours préféré sa peinture à ses fils et qui commence à sentir venir les premiers signes de la vieillesse ; et enfin,  le beau Jérémy, frère de sa seconde épouse, décédée dans l'accident et dont il n'arrive bizarrement pas à se rappeler.
Tous les ingrédients d'un noël catastrophique, donc, d'où devraient émerger en plus des secrets de famille, de vieilles rancœurs et les coups les plus bas. Et pourtant, la subtilité de Jennifer JOHNSTON fait en sorte que tous les clichés sont évités. Pas de querelles familiales, pas de dinde qui vole par dessus la table, pas le moindre verre de vin jeté à la figure de l'autre. Les personnages de Noël en famille vont au contraire profiter de cet étrange moment qu'est noël pour se rapprocher, se découvrir, se retrouver et se remettre à vivre.
Pas de mélo non plus, cependant : le neige ne se met pas à tomber à minuit, ni les carillons à sonner. Il n'y a même pas, à proprement parler, de happy end. Au pathos, Jennifer JOHNSTON préfère la comédie, même si celle-ci est quelque fois grinçante.
Rajoutons à cela de nombreuses références à SHAKESPEARE (le titre original étant d'ailleurs Absurdes mortels, phrase du célèbre Songe d'une nuit d'été), une narration haletante faite de chapitres courts faisant alterner les différents points de vue et les rétrospections au fur et à mesure qu'Henry recouvre la mémoire, un constat sur la société irlandaise d'aujourd'hui et des questions existentielles sur l'identité (sexuelle éventuellement) des personnages (références à Shakespeare toujours ?).
Bref, un livre qui nous fait dire que l'année prochaine, promis, on ira au réveillon sans a priori !

Référence :
Un Noël en famille, Jennifer JOHNSTON, traduit de l'anglais par Anne Damour, Belfond, octobre 2009.  Edition de poche : 10/18, Domaine étranger, Décembre 2010.