14 juillet 2014

An englishman in Firenze/Berlin

E.M. FORSTER, Avec vue sur l’Arno
Christopher ISHERWOOD, Adieu à Berlin

Rangez les Routards, les Cartovilles et les Guides verts: partez en vacances avec un écrivain anglais. À Berlin ou à Florence, l’exotisme est toujours une question de point de vue.

Deux écrivains anglais (presque contemporains l’un de l’autre) pour préparer (ou prolonger) ses vacances en Allemagne et en Italie. Si Berlin et la Toscane n’ont pas grand chose en commun, ce qui rapproche ces deux livres c’est bien le regard fasciné de leur auteur sur un monde nouveau qui, malgré sa rudesse ou ses inconvénients, lui ouvre les portes d’une autre façon de vivre.


Avec vue sur l’Arno est le troisième roman d’E.M. Forster et, après Monteriano (dont nous avions parlé ici), il constitue sa deuxième escale italienne. On y retrouve le douloureux problème du syndrome toscan : la beauté des lieux agit comme un puissant exhausteur de sensations et pousse le touriste aux mœurs victoriennes à baisser la garde.
En voyage en Italie sous la haute protection de son chaperon, Lucy fait la connaissance de l’étrange George Emerson. Et, quelque part dans la campagne sur les hauteurs de Florence, connaît un instant d’abandon qui la poursuivra jusqu’à son retour en Angleterre.

[…] le terrain céda et la jeune fille, avec un cri de surprise, se trouva dévalant hors du taillis. Lumière et beauté l’enveloppèrent. Elle était précipitée sur une terrasse à ciel ouvert, tapissée de violettes d’un bout à l’autre.
— Courage ! lui cria son compagnon qui la surplombait maintenant de six pieds. Courage et amour !


Dans cette comédie romantique, Forster peint avec beaucoup de finesse et d’humour l’étroitesse d’esprit de ses contemporains, leurs préjugés. À travers son personnage féminin, il signe un beau roman d’initiation sur la recherche de la liberté et, même s'il ne s'intéresse à la Toscane qu'aux premiers chapitres, montre également une amusante galerie d'Anglais en vacances, chacun chamboulé à leur façon par l'exotisme florentin. 

Dans un autre registre, celui de l’autobiographie, c’est également cette quête de liberté qui ressort de l’Adieu à Berlin de Christopher Isherwood. L’écrivain y séjourne dans l’entre-deux-guerres et vivote, au gré des rencontres, dans un univers bohème et festif. Centre des avant-gardes artistiques, Berlin est aussi à l’époque une ville où toutes les sexualités parviennent à s’exprimer de manière assez libre. Sans jamais aborder la sienne (si ce n’est par un silence qui en dit peut être davantage qu’il n’y paraît), Isherwood se campe en célibataire rompu aux tentatives de séduction féminines.
À Berlin, il tente d’écrire mais assure surtout sa subsistance grâce à des cours d’anglais qui lui permettent d’approcher, la journée, les membres de la haute société berlinoise tandis que le soir, il s’encanaille gentiment dans les bars et les cabarets. Il croise à plusieurs reprises le chemin de la pétillante Sally Bowles qui deviendra plus tard l’héroïne du musical Cabaret, tiré en grande partie des chroniques berlinoises d’Isherwood.
À côté de l’insouciance et de la légèreté d’une vie au jour le jour, le ton se fait plus sombre à mesure où le nazisme s’installe en Allemagne. L’air de rien, par une série de détails très finement observés, la peur fait son nid dans les rues et les foyers. Le livre devient alors le portrait nostalgique d’une époque et d’une ville vouée à disparaître.

Références:
E.M. FORSTER, Avec vue sur l’Arno, traduit de l’anglais par Charles Mauron, 10/18, 2000. (Réédité en 2014 en « Pavillons poche » chez Robert Laffont).

Christopher ISHERWOOD, Adieu à Berlin, traduit de l’anglais par Ludmila Savitzky, Grasset, « Les Cahiers rouges », 2014.

2 juillet 2014

Les cahiers au feu

"Nous les attendons depuis le 1er septembre, nous nous réjouissons depuis dix mois de leur arrivée, elles comblent enfants et adultes, nous les trouvons toujours trop courtes, ... Quoi ? Les vacances, bien sûr ! ..."

Si je commence ce billet comme une très mauvaise dissertation (avec l'éculé procédé de l'attente; et puis nous aimons aussi beaucoup notre travail et, si nous sommes très heureux d'avoir deux mois de congé en été, nous sommes aussi très heureux d'être en classe!) c'est pour célébrer le fait que nous n'aurons pas, mon collègue Consonne et moi-même, à en corriger une seule (de dissertation pour ceux qui n'ont pas suivi mon raisonnement ou ma syntaxe) pendant deux mois !

Mais cela ne nous dispense pas d'écrire un article spécial vacances, puisque, entre la baignade du matin et le mojito de l'apéro (ou le Spritz, si vous êtes d'humeur italienne), vous aurez enfin tout le temps de bouquiner !

Alors nous sommes allés piocher dans nos coups de cœur de cette année, nous avons rajouté quelques lectures encore non-mentionnées et nous avons assaisonné de quelques classiques.
Faites-vous rire :
Pour commencer les vacances, rien de tel qu'un bon fou-rire. L'humour corrosif de Shalom AUSLANDER, qui, dans L'espoir, cette tragédie, n'a pas eu peur de faire revivre Anne Frank et de la faire habiter dans le grenier du narrateur, saura venir à bout de tout sentiment de mélancolie. De la mélancolie, il y en a dans le dernier Jonathan COE, Expo 58, mais l'intrigue rocambolesque et certains personnages (dont les deux agents secrets anglais) font de ce livre une comédie des plus réjouissantes.

Faites-vous peur : 
Rien de tel que quelques frissons d'angoisse pour se rafraîchir de la chaleur estivale : les personnages du Dîner d'Herman KOCH vous glaceront le sang et vous feront adorer votre famille et l'Esprit d'hiver de Laura KASISCHKE vous glacera le sang et vous fera adorer l'été !
  
Faites-vous réfléchir : 
À l'après 11 septembre aux États-Unis, avec Un concours de circonstances d'Amy WALDMAN; à l'esclavage avec La dernière fugitive de Tracy CHEVALIER, le voyage d'une jeune quaker anglaise qui traverse l'Atlantique et découvre l'Amérique; grâce au très bel essai L'affaire de l'esclave Furcy de Mohammed AÏSSAOUI; à la responsabilité et à l'accueil des étrangers avec Tout ce que je suis d'Anna FUNDER.

Faites-vous un cours d'histoire : 
Avec le célèbre Certaines n'avaient jamais vu la mer de Julie OTSUKA, l'histoire méconnue des Japonaises émigrées aux États-Unis pendant la guerre; avec Quattrocento, un essai qui se lit comme un polar et qui nous fait (re)découvrir la Renaissance; avec Le Grand Cœur de Jean-Christophe RUFIN, roman historique autour du fascinant Jacques Cœur; avec les deux premiers tomes du Conseiller d'Hilary MANTEL, pour tout savoir de la relation entre Thomas Cromwell et les Tudor; et surtout avec L'échange des Princesses de Chantal THOMAS, contant le destin tout tracé de deux malheureuses petites filles condamnées à devenir princesses. 

Faites-vous plaisir :  
Avec le dernier Dona TARTT, Le Chardonneret; avec tous les livres de Maylis de KERANGAL, Naissance d'un pont, Corniche Kennedy ou encore le magnifique Réparer les vivants (dont nous n'avons pas encore parlé mais cela ne saurait tarder) et délectez-vous de cette écriture riche, rare, bouleversante. Maylis de Kerangal est sans doute la seule auteure capable de transformer le récit de la construction d'un pont ou d'une greffe cardiaque en roman d'aventure. À découvrir de toute urgence!

Bel été et bonnes vacances !