25 février 2010

Petits oiseaux et gros pétards

Volvo Trucks, Erlend LOE

Farce décalée dans la campagne suédoise : le retour de Doppler.


Nous avions quitté Doppler quelque part dans les forêts norvégiennes, aux abords d’une vie qu’il voulait quitter pour rejoindre la nature et en finir avec la compagnie des humains, leur préférant celle de Bongo, un jeune élan. Le voilà qui revient, dans la campagne suédoise, chargé bien malgré de lui de régler un vieux problème de voisinage. Maj Britt, veuve d’un certain âge, condamnée pour avoir mutilé le bec de ses perruches, rumine en effet une obscure vengeance dans les brumes de substances illicites qu’elle consomme en abondance. Elle cherche à faire sortir de ses gonds son voison, von Borring, vieux jeune homme, boy-scout-toujours, ornithophile et marginal. Mais que diable Doppler est-il allé faire dans cette galère ?

Si le roman précédent d’Erlend LOE (dont nous avions dit beaucoup de bien ici) jouait dans la satire du monde moderne, cette fausse suite (qu’on peut tout à fait lire indépendamment) penche davantage du côté de la farce. On rit franchement devant les situations rocambolesques et improbables (comme la visite de la ferme de Maj Britt par un groupe de touristes belges) et devant ces personnages complètement givrés (question de climat ?). Mais surtout, on rit grâce à la distanciation constante du narrateur/auteur qui commente l’action par des remarques et des ajouts qui vont de la description ratée à la recette de cuisine.
Sous cette brillante légèreté, le talent d’un auteur qui, à partir d’une situation impossible, parvient à tenir la longueur et à surprendre le lecteur.

Notons pour terminer que l’on doit les deux couvertures des livres de LOE en 10/18 au photographe Rune Johansen, dont on peut mieux découvrir le travail sur son site tout kitschounet (cliquer sur l'image).

23 février 2010

David Copperfield en Amérique

Le bon larron, Hannah TINTI

Les aventures d'un petit manchot orphelin au 19e siècle. Vous avez dit Dickens ?

Nous sommes en Nouvelle Angleterre, à la fin du 19e siècle. Ren, douze ans à peine, vit dans l'orphelinat catholique de Saint-Anthony. Il y a été déposé tout bébé, par une nuit de tempête, et laissé sur le porche, dans la boue. Une bande de vieux moines s'occupent tant bien que mal de lui et de ses compagnons d'infortune. Les garçons savent bien qu'au mieux ils seront achetés par un paysan en mal d'enfant ou de main d'œuvre et qu'au pire, à l'âge requis, ils seront abandonnés à l'armée. Mais pour Ren, la question ne se pose pas. Il ne sera jamais adopté. En effet, qui voudrait d'un enfant manchot. Et si certains "acheteurs" s'arrêtent devant sa mignonne frimousse, ils reculent toujours devant son moignon.
Mais un jour, un étrange individu se présente à Saint Anthony. Il s'appelle Benjamin Nab et déclare être le frère aîné de Ren. Leurs parents auraient été assassinés par des Indiens et Nab, après avoir longtemps voyagé en mer, est venu rechercher son petit frère. Ren quitte donc Saint Anthony avec un mélange d'excitation et de crainte. Très vite, bien entendu, Benjamin Nab se révélera être un bandit, un menteur invétéré et un voleur professionnel qui n'a pas la moindre parenté avec Ren mais qui sait qu'un enfant infirme attire la pitié et est donc très rentable. Et voilà donc notre jeune héros embarqué pour une vie aventureuse faite de petites arnaques et de folles soirées. Entre la vente de pseudo remèdes, le pillage de tombe et le recèle de cadavres, Ren découvre les joies de la camaraderies et des soirées de beuveries, dans les bouges mal famés des ports...
Bref, vous l'avez compris, Ren, notre bon larron est le petit frère de David Copperfield ou autre Huckelberry Finn. Orphelin comme eux, vivant des aventures hors du commun qui constituent un chemin initiatique permettant de se forger ses propres valeurs, entouré par une sacré bande d'originaux (en plus de l'inquiétant Nab, il y a un ancien instituteur devenu voyou et alcoolique, un géant tueur à gage déterré vivant, un nain habitant sur le toit de la maison de sa sœur, et j'en passe...). Et comme on est fan de DICKENS et de TWAIN, on se laisse entraîner dans cette aventure rocambolesque avec le plus grand plaisir. Le livre se dévore et la fin est "dickensienne" à souhait. Et cependant... après avoir fermé le livre il reste un petit goût de trop peu. Il manque peut-être un peu de fond dans cet enchaînement d'aventures et un peu de profondeur pour qu'on ressente réellement de l'empathie avec les personnages. Et, malgré les références visiblement assumées par la romancière, on finit par se demander si on aurait pas mieux fait de relire DICKENS.

19 février 2010

Le roman des 00’

La fabrique des jeunes gens tristes, Keith GESSEN

Le mal du siècle à l’époque de la postmodernité.

Sorti en français en janvier 2009, j’étais passé complètement à côté de ce premier roman qui avait pourtant de quoi me faire courir en librairie. Un jeune écrivain new-yorkais, copain de J.S. FOER, encensé par OATES et FRANZEN, … Manquerait plus qu’il soit le petit neveu de Paul AUSTER…
Donc : séance de rattrapage pour ce livre au titre poétique et dans l’air du temps, La fabrique des jeunes gens tristes.
Ces jeunes gens sont trois trentenaires en quête de reconnaissance et de légitimité dans le petit monde des intellectuels gauchisants. Mark tente de terminer une thèse sur les mencheviks, révolutionnaires russes moins radicaux que les bolcheviks (pour ce que j’en ai compris…). Sam, après avoir envisagé d’écrire une grande épopée sioniste qui lui apporterait la gloire, se décide à partir dans les territoires occupés pour y trouver des tanks. Keith, journaliste de gauche, se remet lentement de l’élection avortée d’Al Gore.
Des jeunes gens qui s’intéressent à l’histoire, à leur pays mais aussi et surtout aux femmes. Rencontres occasionnelles, séparations, adultères, amours impossibles et frustrations sexuelles : toute la panoplie de l’éducation sentimentale.
Ces trois histoires racontées en parallèle jouent surtout sur l’ironie et le côté attachant/exaspérant de leurs protagonistes. Penseurs perdus dans la recherche d’une compréhension des grands mouvements politiques et historiques qui agitent le monde, ces anti-héros échouent également à s’inscrire dans leur communauté, que ce soit celle de l’édition, de l’université ou des soirées mondaines de Manhattan.
Un président américain élu après des jours de recomptages ubuesques des bulletins de vote, une guerre menée à la vue de tous sous de spécieux prétextes, … La politique américaine de la dernière décennie a de quoi surprendre et, même dans un monde aussi informé que le nôtre, favoriser le repli sur soi. Le problème des personnages du roman est qu’ils sont finalement trop conscients du monde dans lequel ils vivent. De grands intellectuels qui échouent à user de leur intelligence dans leur rapport à la société et aux autres et qui manquent de modèles (on notera à ce titre la présence/absence des pères dans ce roman).
La question centrale est celle de l’identité et de la difficulté pour les trentenaires de trouver une place. Parfois le côté Calimero énerve, mais le portrait est assez juste et non dénué d’humour. On peut bien sûr se sentir imperméable aux questionnements de ces jeunes gens qui évoluent dans un microcosme assez éloigné de notre quotidien (je ne suis ni écrivain en devenir, ni thésard, ni new-yorkais) mais il est clair qu'il y a quelque chose dans les errances de ces personnages qui sonne juste. Nous vivons depuis longtemps dans un monde qui a cessé de croire aux grandes utopies et qui assiste, souvent muet, à la montée en force du cynisme et de l’indifférence. Surinformés, souvent désengagés et en proie aux doutes, notre génération doit faire face à un monde qui a évolué très vite (trop ?), où les désirs sont à la fois flous et impérieux. Mais comme dans le roman, il y a une note d’espoir (et pourquoi pas l’amour ?) et peut-être, au bout de chaque parcours individuel, une possibilité d’aller vers un mieux. A voir dans les prochaines années…

16 février 2010

Through the wilderness

Sukkwan Island, David VANN

Huis clos tragique et angoissant sur le thème du retour à la nature.

D’habitude, je mets plusieurs jours avant d’écrire sur un bouquin. Le temps de laisser décanter, d’avoir un peu de recul. Mais ce coup-ci, j’avais le besoin de parler de Sukkwan Island alors que je venais à peine de refermer le livre. Nœud dans le ventre, limite nauséeux, gorge serrée.
J’ai donc lu cette longue descente aux enfers d’un père et d'un fils partis s’installer pour une année, seuls, sur une île de l’Alaska coupée du monde. Robinsons modernes (on pense à Into the wild), ils s’organisent afin de préparer l’arrivée de l’hiver. Pêche, chasse, construction, séchage des aliments. Un projet un peu fou, une utopie à laquelle Jim, le père, tient beaucoup. Une manière de fuir une vie qui ne veut pas de lui, d’oublier ses déboires conjugaux et de se rapprocher de Roy, son fils de treize ans. La vie s’organise la journée autour du travail et des préparatifs et, la nuit, les sanglots de Jim empêchent Roy de dormir. Les confessions du père jettent sur le fils l’ombre d’un soupçon et l’envie de quitter l’île. D’autant que les déconvenues s’accumulent et que l’île est loin d’être un refuge paradisiaque. Le jeune ado sent monter peu à peu les tensions et ne sait plus comment réagir face à ce père borderline.
Il ne faut pas en dire plus car l’une des forces du livre est de surprendre le lecteur par des retournements de situations qui laissent pantois. On ne voit rien venir et pourtant, tout était bien là…
Dans les relations père-fils, j’en étais resté à La route et à son message d’humanité. Ici, dans cette autre histoire de solitude et de lutte pour la survie, on bascule dans la tragédie et la folie. VANN transforme l’un des grands thèmes de la littérature américaine, l’homme face à l’immensité de la nature sauvage (comme ici), en décor de huis clos angoissant qui fait remonter à la surface la part d’ombre des personnages. Le style est parfois un peu répétitif, mais la construction est parfaite et, malgré l’horreur grandissante, on peut difficilement lâcher le livre.
Il faudrait vraiment avoir passé les trois derniers mois sur une île pour ne pas avoir entendu parler de ce roman qui a fait le tour de la blogoboule, mais pour les distraits, on peut trouver un lien vers les différents billets sur BOB. Et pour en savoir plus sur l'auteur, In Cold Blog propose un compte rendu d'une rencontre avec David VANN.

(Niveau 2)

10 février 2010

Me, myself and Paul

Invisible, Paul AUSTER

Une vraie-fausse confession où AUSTER multiplie ses ruses de conteur hors pair.

Je n’ai pas l’habitude de lire en VO. Peur de perdre le plaisir immédiat de la lecture, peur de passer à côté de quelque chose (un comble pour le prof qui passe son temps à demander à ses élèves d’apprendre à lire entre les lignes…). Mais comment résister à l’attrait du nouveau roman de Paul AUSTER sorti fin 2009, pas encore traduit chez nous ? Si j’ai parfois dû ouvrir mon vieil Harrap’s, je m’en suis sorti assez facilement, sans avoir l’impression de réaliser un devoir d’anglais !
En ce qui concerne l’auteur, je veux bien admettre que, dans une production aussi régulière et abondante, tout n’est pas toujours du même niveau, mais je suis à chaque fois touché et j’aime voir évoluer, de livre en livre, ses obsessions et ses procédés. Dans Invisible, a priori, pas de surprise. Tout l’univers de l’auteur est au rendez-vous : anti-héros à la recherche d’une figure paternelle, livre dans le livre, récits dans le récit, New York, hasard et coïncidences, digressions littéraires et cinématographiques …

Tout commence en 1967. Le jeune Adam Walker, étudiant et apprenti poète, fait la rencontre de Rudolf Born. Il est professeur en politique internationale, plus ou moins Français et enseigne pour une année à Columbia. Très vite, Born propose à Adam de l’employer afin de l’aider à se lancer dans la vie et dans une carrière éditoriale. Une proposition étonnante car ils se connaissent à peine. Serait-ce l’influence de Margot, la compagne de Born, qui semble séduite par le jeune Adam ? Ce début d’amitié prometteur sera pourtant arrêté net par un accident violent qui plonge soudain le roman dans une atmosphère proche du thriller…
Je ne vais pas en dire plus ; ce serait gâcher le vrai-faux suspense. Vrai car la personnalité étrange de Born inquiète ; faux car comme souvent chez Auster, on ne nous dira pas tout.
Au final, mais c’est un « austerien » convaincu qui parle, j’ai été captivé par le roman et ces multiples niveaux de lecture. C’est au départ Adam qui raconte mais très vite il est arrêté dans son récit par ce « je » qui, selon lui, le rend invisible à lui-même. Commence alors un jeu de récits enchâssés, de changements de narrateurs qui, mis bout-à-bout, nous fait douter de la véracité de cette confession. Multiplication de points de vue, sauts dans le temps, … AUSTER ballade le lecteur d’une histoire à une autre, de New York à Paris, de 1967 à aujourd’hui, pour mieux raconter et mieux nous faire comprendre qu’on ne peut pas tout comprendre…

Et pour contrebalancer un peu mon enthousiasme, l'avis d'Emeraude, plus mitigé.

4 février 2010

Soap tropical

Ce que je sais de Vera Candida, Véronique OVALDE

Fable mélo sur trois générations.


Des échos positifs et un cadeau d’anniversaire : j’étais donc plein de bonne volonté en ouvrant le livre, même si a priori le sujet ne m’intéressait pas plus que ça. Sans compter ma méfiance habituelle pour les romans français…
Alors : une histoire de femmes, sur trois générations. En fait non, on ne parle pas d’histoire, on va parler de « destin » : plus fort, plus vendeur. Donc : trois destins de femmes en Amérique latine. En fait, non. On va plutôt parler de « quelque part » en Amérique latine. On va inventer des noms de villes au parfum exotique (Vatapuna, Lahomeria) et ne jamais dire où cela se passe vraiment. Et hop : nous voilà non plus dans un roman, mais dans une « fable universelle » ! Même si, à côté de cet imaginaire tropical, on utilise des références qui actualisent bel et bien les personnages dans une époque, mais passons.
Et que raconte cette fable universelle sur les destins de ces trois femmes ? On commence par suivre Rose, la grand-mère, ancienne prostituée reconvertie dans la pêche de poissons volants. Le roman commence assez bien (j’insiste encore : j’étais vraiment de très bonne volonté !) et on part rapidement, à la suite de Rose, à la rencontre de Jeronimo, gentleman escroc, qui va jeter comme une malédiction sur la descendance de Rose. Et qui dit malédiction dit suite ininterrompue de malheurs. Et là, on peine à suivre l’auteur dans sa chasse aux personnages ébréchés, malheureux et, souvent, complètement passifs. Viol, misère, meurtre, torture, accident, … On aura droit à tout le catalogue. Pas évident, dans ce contexte, de s’attacher aux personnages qui tentent péniblement de s’imposer au lecteur. Le nom du personnage principal fait clairement référence au conte de VOLTAIRE, mais là où le philosophe faisait pleuvoir avec jubilation tous les malheurs du monde sur le pauvre Candide, OVALDE tombe dans le sentimentalisme et le mélodrame.
L’écriture peut parfois séduire (dans la description ou dans certains commentaires ironiques) ou irriter, notamment dans la manière d’intégrer les dialogues à la narration tant l’auteur donne l’impression de vouloir faire du style.
Bref, un livre que je n’ai pas aimé et sur lequel je ne m’attarderai pas : je préfère parler de ceux qui m’ont plu.
Je ne suis pas le seul de cet avis (comme ici ou ici) mais d'autres ont apprécié (comme ici ou ici). J'en profite pour remercier Romans et Lectures pour son outil de recherche sur la blogosphère.