29 novembre 2009

Retour sur l'amour

Lettre à D. Histoire d'un amour, André GORZ

Récit de la vie du couple du philosophe et de son épouse. Une vie à deux.

Un coup de foudre entre lui, le jeune philosophe apprenti écrivain, et elle, Dorine, libre et belle. Lui, an Austrian Jew, elle, Anglaise. Une rencontre en 1947, comme une évidence. Oui, l'amour c'est cela, corps et âmes, le reste n'était qu'une illusion, des tentatives infructueuses.
Cinquante-huit plus tard, il l'aime plus que jamais et revient sur leur histoire. Dans ses autres livres, il avait déjà parlé d'elle mais s'en voulait de l'image qu'il donnait d'elle à travers lui. Alors il raconte: la rencontre, les hésitations face au mariage, les années de vache maigre et les succès. Les voyages, les découvertes et, peu à peu, la maladie qui les poussera finalement à quitter ensemble la vie.
André GORZ est l'un des fondateurs de l'écologie politique, écrivain, philosophe et journaliste, proche, notamment, de Sartre. Un homme discret qui dans ce court texte tente de mettre en mots le lien amoureux et de rendre hommage à celle qui l'a suivi, devancé, aidé.
Les mots de GORZ sont d'une justesse rare et bien éloignés des témoignages pseudo-romanesques et nombrilistes de certains écrivains français. L'histoire d'une vie est ici amenée à travers celle du couple et de la manière d'avancer à deux. L'histoire d'une homme aussi, de son impossibilité d'envisager sa vie seul. A deux ou rien.

Niveau 4

22 novembre 2009

Les enfants terribles

Lignes de faille, Nancy HUSTON

La ligne de faille de Nancy HUSTON remonte le temps de 2004 à 1944, livrant le regard de quatre enfants de six ans sur les conflits de leur temps et sur leur histoire familiale.

C’est en corrigeant les travaux de nos élèves que j’ai eu l’idée de ce billet. Ces pauvres enfants devaient en effet, dernièrement, écrire une critique argumentée et basée sur une analyse rigoureuse d’un livre qu’ils pouvaient choisir (nous ne sommes pas des monstres !) dans une liste de cinq romans. La plupart d’entre eux ont choisi, et ce, malgré l’épaisseur du livre, Lignes de faille de Nancy HUSTON (et on dit que les élèves ne veulent plus lire !). J’ai donc eu l’occasion de repenser à ce magnifique roman, probablement une de mes plus belles lectures de ces dernières années et me suis dit qu’il était très dommage qu’il n’y ait rien sur lui dans ce blog. C’est donc chose faite et non contente d’en parler, je le place même dans la catégorie des « Chouchous », tant ce livre m’a émue, touchée, sensibilisée, fait rire et même pleurer (et même si je pleure de plus en plus facilement face à une fiction, surtout quand il est question d’enfants… un livre qui vous fait verser de chaudes larmes ne s’oublie pas si facilement).
Lignes de faille, c’est l’histoire de quatre enfants de six ans, l’histoire de cinq générations et l’histoire d’une famille, de ses secrets et de ses failles. La particularité de ce roman est qu’il n’est pas écrit chronologiquement mais qu’il rebrousse chemin, remonte le temps comme pour mieux expliquer les conséquences de la fracture originelle. Nancy HUSTON ne se réinvente pas psychanalyste pour autant et ne cherche pas à faire passer un message sur la nécessité de transmission au sein d’une famille (comme c’est la mode en ce moment depuis la parution du Secret de GRIMBERT). Mais elle montre le poids du passé, des non dits et des blessures sur les membres d’une famille.
Il est d’abord question de Sol, petit garçon surdoué et surprotégé, de ceux qu’on appelle aujourd’hui « enfant roi ». Sol a un ego surdimensionné, un caractère impossible, et un regard étrange et malsain sur le monde. Ainsi, perpétuellement à la recherche d’images violentes sur Internet, il apprécie tout particulièrement les images soldats irakiens morts ou torturés qui lui procurent même une certaine excitation sexuelle. Malgré son jeune âge, Sol est un petit garçon antipathique et dérangeant.
Le chapitre suivant raconte les six ans de Randal, le père de Sol, qui deviendra, adulte, un citoyen américain pro-Bush et foncièrement anti-arabe. Enfant, il vivra quelques années en Israël, pendant les événements du massacre de Sabra et Chatila. Sa mère, préoccupée par ses recherches historiques sur la deuxième guerre mondiale et la persécution des juifs, s’occupe peu du petit garçon.
Et c’est de cette mère, Sadie, que traite le troisième chapitre. Cette mère mal aimante était avant tout une petite fille mal aimée. Plus ou moins abandonnée par une très jeune mère, Sadie vit chez des grands parents peu compréhensifs et s’inflige à elle-même une discipline éprouvante.
Le dernier chapitre, le plus émouvant, raconte l’enfance troublée de la mère de Sadie, petite fille au lourd problème identitaire, responsable malgré elle de cette faille qui s’élargira au fil du temps et rattrapera tous ses descendants.
Roman sur les liens familiaux, sur l’enfance qu’on ne protège pas assez ou qu’on protège mal, mais aussi roman sur les grands conflits qui ont marqué le 20e et le 21e siècle (avec une vision bouleversante et méconnue de la seconde guerre mondiale !), Lignes de faille éblouit par son style épuré, par sa construction subtile et par une histoire forte, passionnante et terriblement émouvante. Un roman qu’on dévore mais qui vous hante longtemps.



Dracula toujours vivant

Le vampire a la cote: Twilight, La Communauté du Sud (et son excellente version télé True Blood), ...
Ce spectacle-ci revient plutôt aux sources en proposant une adaptation du roman culte de Bram Stoker, classique absolu et qu'on ne peut que conseiller de lire ou relire.

Dracula toujours vivant, de Paul EMOND, d'après Bram Stoker, mise en scène de Daniel Scahaise.

Le mercredi 25 novembre à 20h15, au Théâtre des Martyrs. Pour plus d'infos, un petit clic ici.

14 novembre 2009

Sic transit gloria mundi*

Gloire, Daniel KEHLMANN

Neuf histoires fantaisistes sur l'air du temps et notre besoin d'ailleurs: une réussite.

Le téléphone portable : manière d’être ici et ailleurs, toujours présent, connecté au monde, de s’assurer de la présence des autres, de leur raconter des mensonges et, dans les cas extrêmes, d’appeler au secours. Un objet ordinaire aux possibilités infinies, qui est aussi l’un des nombreux fils conducteurs de ce roman en neuf histoires.

Nous avons déjà parlé de Daniel KEHLMANN ici et Gloire, dernier opus du jeune surdoué des lettres allemandes, amuse et étonne tant il se distingue de son roman précédent (où il était aussi question de gloire, mais là chez deux grands scientifiques du 18ème siècle). Derrière le titre, assez ironique pour celui qui en très peu de temps est devenu une célébrité du milieu littéraire international, des histoires où se croisent une star de cinéma, des auteurs à succès ou des employés de bureau qui, par hasard ou par envie, brisent leur quotidien. Comme ce cadre qui, grâce à son portable justement, peut entretenir une double vie ou cet homme ordinaire qui découvre que son nouveau numéro de téléphone est aussi celui d’un autre.
Le réel et le virtuel sont souvent proches et les personnages d’écrivains qui jalonnent le livre en sont la preuve. Qui mieux qu’eux peut sans cesse mélanger fiction et réalité, réécrire l’histoire et intervenir dans la vie de leurs personnages, au point de pouvoir les sauver d’une mort annoncée.
L’écrivain semble tanguer sur un fil entre la vie et l’œuvre. Prenons par exemple Miguel Auristos Blancos, auteur brésilien de best-sellers de prêt-à-penser spirituel comme Le Chemin du moi vers son moi, Interroge l’univers il parlera, … (Paulo Coehlo aura du mal à ne pas s’y reconnaître…). Parvenu au sommet de son art et de ses ventes, il se rend brutalement compte de l’état du monde et de l’absurdité de la condition humaine. Parviendra-t-il à continuer à se mentir ou prendra-t-il les décisions qui s’imposent à lui ?
Et cette auteur de polar embarquée dans un voyage organisé hilarant dans une ancienne république soviétique d’Asie centrale : saura-t-elle faire face à la vie sans la langue et sans les mots ?

Le livre est difficile à résumer mais on peut dire qu’en mélangeant tous ces thèmes, KHELMANN parvient brillamment à dresser, dans un style enlevé et direct, un portrait plein d’ironie (et jamais cynique) de notre société tout en s’interrogeant sur l’univers de la création et celui de l’écrivain. Chaque texte est une nouvelle qui pourrait se lire indépendamment des autres mais elles sont toutes reliées par des détails, des clins d’oeil qu’il serait dommage de louper.
Un grand plaisir de lecture et un auteur à suivre…

Niveau 3

* Ainsi passe la gloire du monde

Mise à jour du 14/06/2010:
A voir aussi, la premier roman de KHELMANN: La Nuit de l'illusionniste.

11 novembre 2009

Saga iraniennne

La maison de la mosquée, Kader ABDOLAH

Chronique romanesque et poétique sur les transformations de l’Iran au vingtième siècle.

Aga Djan, riche marchand de tapis au bazar de Sénédjan, est le chef de la mosquée où vivent également les familles de l’imam et du muezzin. Une micro-société qui regarde se succéder les saisons, grandir les enfants et, de loin, s’amonceler les problèmes politiques de l’Iran, alors dirigé par le shah. Dans cette mosquée, on pratique un islam modéré, à la fois respectueux des traditions ancestrales et ouvert sur le monde; on peut s’émerveiller devant les premiers pas de l’homme sur la lune, s’adonner au plaisir des sens et laisser aux femmes le soin de disposer de leur destin. Harmonie fragile face aux mouvements de l’Histoire.
Car quand Galgal, le beau-fils de l’imam, reprend la charge de celui-ci et se met à propager l’anti-américanisme et un islam intolérant, la ville commence à gronder. Galgal est un ambitieux qui voit bien au-delà de la mosquée. Il pense rejoindre Khomeyni et, avec lui, renverser le régime et installer une république islamique.
La vie des habitants de la mosquée va subir les outrages de la révolution et voir peu à peu s’éteindre sa quiétude.
La force de ce roman est de montrer, à travers une foule de personnages, tous les aspects de la société iranienne. Des grands-mères qui rêvent du prophète qui pourra les envoyer à La Mecque, de jeunes militants gauchistes, des fumeurs d’opium, et même un Khomeyni amateur de documentaires animaliers, … La fresque imaginée par ABDOLAH, et c’est une caractéristique qui souvent nous plait dans les romans, parvient à aborder l’histoire d’un pays à travers des destinées individuelles. Des personnages qui vont et viennent, acteurs ou victimes des transformations de la société. L’originalité de ce roman est aussi d’amener tout cela avec douceur et sensualité et parfois même avec humour et poésie.
Kader ABDOLAH est né en Iran mais vit aux Pays-Bas, où il a obtenu l’asile politique, depuis 1988. Il écrit notamment dans le quotidien De Volkskrant. La vision de l’Islam qui ressort de son roman est modérée et très loin de certaines dérives fanatiques d'hier et d'aujourd'hui.

8 novembre 2009

Elémentaire mon cher Platon

La caverne des idées, José Carlos SOMOZA

Un polar antique sur fond de philosophie servi par un procédé narratif implacable.

Première couche : Athènes, Vème siècle avant JC. La découverte du cadavre sauvagement mutilé d’un éphèbe met la population en émoi. Le jeune homme était élève à l’Académie de Platon. Son ancien mentor décide de faire appel à Héraclès Pontor, déchiffreur d’énigmes au sens de l’observation aiguisé et à l’esprit rationnel. C’est le début d’une enquête et d’une recherche de la vérité (celle du coupable et celle avec un grand V) dans la haute société athénienne et dans l’entourage de Platon. Enquête criminelle, détective rationnel, H.P., … vous voyez certainement à quelle littérature SOMOZA rend ici hommage. « Elémentaire », me direz-vous… Mais cela ne s’arrête pas là, car…
… Deuxième couche : Nous lisons donc l’enquête d’Héraclès et, en bas de pages, nous découvrons les notes, les remarques et les impressions de lecture du traducteur du roman La caverne des idées. Rapidement, le traducteur découvre qu’entre les lignes du récit criminel se cachent des images cachées, des "eidesis", qui renvoient toutes au mythe d’Hercule. Etrange, tout comme la disparition soudaine et inexpliquée du précédent traducteur de ce récit… Mais le mystère s’épaissit encore lorsqu’apparaissent de troublantes coïncidences entre le roman et la vie de son traducteur … Mais cela ne s’arrête pas là non plus, car…
… Troisième couche : A vous de le découvrir : je ne voudrais pas gâcher votre plaisir.

Donc : un polar captivant, un procédé narratif original, une mise en contexte des idées platoniciennes, que demander de plus ? Comme dans ses autres romans, SOMOZA interroge finalement la notion d’art et de création et nous montre ici le pouvoir immense de la littérature.
Ni une nouveauté, ni une lecture récente, mais un livre que nous aimons beaucoup (au point de le faire lire à nos élèves !).

Niveau 3