27 octobre 2013

Koude oorlog*

Tombé du ciel, Tom LANOYE

En partant d’un fait divers aux accents diplomatiques, le prodige des lettres flamandes contemporaines contemple du ciel la vaine agitation de nos petites existences.

En juillet 1989, un événement inouï a bien failli rallumer les feux de la guerre froide qui, à l’époque, commençaient à s’éteindre : un avion militaire russe sans pilote a pénétré l’espace aérien du bloc de l’Ouest pour venir s’écraser dans un petit village de la campagne flamande.
Au siège du SHAPE, le commandement militaire de l’OTAN basé en Belgique, à mesure que l’avion avance inexorablement sur les écrans radar, les esprits s’échauffent et les décisions tardent à tomber.
Au même moment, à Kooigem, une famille vole en éclats. Vera apprend que Walter la quitte pour une petite jeune. Banal et tragique.
Et quelque part au dessus de la Pologne, un aviateur suspendu à un parachute se demande comment il a pu en arriver là.
Si l’itinéraire emprunté par l’avion livré à lui-même trace dans le ciel une belle ligne droite, il n’en va pas de même pour le récit de Tom Lanoye. Comme à son habitude, l’auteur flamand prend des chemins de traverse et, alors que l’avion avance à vive allure vers une destination que l’on sait d’avance tragique, il promène le lecteur tout le long de cette journée.
À côté du drame diplomatique qui va forcer les hommes à faire preuve de courage et de sang-froid, le drame domestique de Vera occupe la majeure partie du roman. Là aussi, il faut du courage et de la retenue pour ne pas sombrer dans la panique et l’hystérie. Parce que même si la nouvelle la surprend, Vera est bien décidée à rester digne et à ne pas perdre le contrôle. Et si les uns défendent leur espace aérien, elle compte bien faire respecter ses droits ! C’est avec un plaisir immense que l’on retrouve l’humour et la tendresse de Lanoye lorsqu’il est question d’ausculter le quotidien et, surtout, les petites faiblesses de la classe moyenne de province.
Depuis le début, elle avait eu le sentiment que s’installer là était une désertion. Walter et elle avait joué les parvenus exilés, grossissant sciemment les désavantages et les problèmes de la capitale en la fuyant, pour mieux dédaigner de loin, dans leur petit nid sûr et snob, cette métropole babylonienne vertigineuse et puante qui n’était qu’à une petite centaine de kilomètres. Avec ces embouteillages et ses mendiants, ses magasins de nuit crasseux, ses Arabes et ses drogués. (…) — et en échange de quoi ? De deux heures perdues chaque jour dans les bouchons. Tout ça pour une horloge à coucou en briques avec des ornements venus de Grenade et un jardin qui demandait tellement d’entretien qu’on ne pouvait jamais en jouir tranquillement. Tout ça pour les prétendus charmes de la cambrousse, c’est-à-dire un ennui à rendre fou, (…).
Avec une efficacité redoutable, le récit avance obstinément vers sa résolution funeste, pointant du doigt, sans aucune trace de cynisme, notre petite existence fragile qui, à tout moment, peu voler en éclats. Comme toujours chez l’auteur, le style ondule, les mots s’enroulent dans la phrase pour former cette langue baroque et grotesque qu’on reconnaît maintenant d’un livre à l’autre.
Phénomène éditorial en Flandre et aux Pays-Bas, Lanoye reste encore pour la France un auteur à découvrir de toute urgence (et pour ces deux précédents romans, c’est par ici).

Référence:
Tombé du ciel, Tom LANOYE, traduit du néerlandais (Belgique) par Alain van Crugten, Éditions de La Différence, 2013.

* Guerre froide

20 octobre 2013

Une chanson pas si douce

Sombre dimanche, Alice ZENITER

Saga d'une famille sans panache dans la Hongrie d'hier et d'aujourd'hui.

Le roman aurait pu s'appeler "La petite maison derrière la gare". Car c'est dans cette petite maison de bois, située derrière la gare de Nyugati, à Budapest, que se déroule le récit sur plus de trente années.
Trente ans d'une famille, les Mandy, dont il ne reste plus que les hommes : Imre, qui malgré sa jeunesse et son désir de vivre ne parvient pas à s'extraire de cette maison; Pal, son père, le mélancolique, seul homme de la famille à ne pas porter le prénom de Imre; et Imre le grand-père, vieillard acide qui crache son venin et qui, chaque année à la même date, se soûle et chante cette triste chanson, Sombre dimanche, dont le jeune Imre ne comprend pas le sens. Des femmes, il ne reste que des fantômes : celui de la grand-mère morte mystérieusement dans le fond du jardin, près des rails de train, celui de la mère, écrasée par un train sur ces même rails et, enfin, celui de la sœur, toujours vivante mais qu'un chagrin d'amour a vidé de toute envie de vivre.
La maison se remplira pourtant quelque temps. Imre rencontrera, grâce à la chute du mur de Berlin, une jeune-fille allemande dont il tombera amoureux et qui lui fera un enfant, mais qui fuira bientôt cette maison de mort et de chagrin et ce pays dont l'histoire pèse comme un couvercle.
Car c'est l'histoire d'une famille, donc, mais aussi l'histoire d'un pays. La Hongrie, ravagée par la guerre, puis par de longues années de communisme, semble, après la chute du Mur de Berlin, abandonnée et oubliée de tous, comme cette famille à qui il ne reste que la petite maison de bois dans le jardin duquel passe le train.
Le récit d'Alice Zeniter est d'une richesse étonnante. Difficile de résumer ce livre qui révèle et distille secrets de familles, événements historiques et analyses psychologiques de personnages tout en complexité. Il pourrait sans doute se résumer par une phrase de l'auteure elle-même :  «Mon Dieu ce qu'une vie humaine peut être riche et insignifiante tout à la fois.»
Étonnant de penser qu'Alice Zeniter n'a que 26 ans, tant son roman, pourtant fort ambitieux, sonne juste et frappe fort. Le style de l'auteur qui raconte les drames d'une famille et la tragédie d'un pays tout entier reste sobre, sans effet stylistique mais plein de poésie. L'auteure, sans pathos ni grandes envolées lyriques, fait apparaître des images qui resteront gravées en nous, telles que le père et sa fille fumant silencieusement toute les nuits sur la terrasse, les petits pas de la sœur qui semble ne plus savoir marcher depuis qu'elle a subi un avortement de peur de perdre ce qui lui reste dans le ventre, ou encore le tas d'objets jetés par les voyageurs à travers les fenêtres du train et ramassés par Imre enfant dans le fond de son jardin.
Et les personnages nous hantent encore longtemps après que l'on ait refermé le livre et qu'on les ait laissés seuls, Imre, son père et sa sœur, trois petites silhouettes courbées sous le poids du malheur, mais toujours debout, ensemble.

Référence :
Alice ZENITER, Sombre dimanche, Albin Michel, 2013

13 octobre 2013

Bons baisers de Bruxelles

Expo 58, Jonathan Coe

Un faux roman d’espionnage, entre humour vintage et mélancolie, sous le regard silencieux des boules de l’Atomium.

Thomas Foley, employé du Central Office of Information britannique, se voit confier par ses supérieurs une mission étonnante et qui correspond peu à ses aptitudes de gratte-papier appliqué : superviser le pub ouvert par la Grande Bretagne à côté de son pavillon, dans le cadre de «l’Exposition Universelle et Internationale de Bruxelles 1958».
L’opportunité de passer six mois loin de sa jeune épouse et de leur nouveau-né n’est certes pas pour rien dans l’envie de Thomas de prendre part à ce grand raout de l’après-guerre : son mariage accuse déjà des signes de fatigue. D'ailleurs, très vite, il oublie d'écrire ou de téléphoner pour donner des nouvelles, pris dans le tourbillon de l'Expo. Comment résister au plaisir de se retrouver en plein cœur d’un si grand événement, où, alors que la guerre froide bat son plein, l’Est et l’Ouest vont se retrouver côte à côte pour célébrer la modernité et l’union entre les peuples ! Sans parler du charme des jeunes hôtesses de l’Expo 58 qui font beaucoup parler d’elles.
Et puis, en Belgique, tout peut arriver :

"(…) The worst you can say about the Belgians is that they tend to be on the eccentric side.„
"Eccentric ?"
"Surrealism is the norm here, old man. They pretty much invented it. And the next six months are going to be wackier than most."

Le rôle de Thomas doit, en principe, se limiter à veiller à ce que tout roule au Britannia, ce pub symbole de l’alliance entre tradition et modernité que tente de mettre en avant son pays. Mais très vite il comprend qu’on en attend davantage de sa personne. Avec ce déferlement dans la capitale belge de nationalités des quatre coins du monde, l’Expo 58 est l’occasion rêvée pour les espions de tous bords. S’il n’a rien d’un agent secret, Thomas est cependant prêt à ouvrir l’œil. Encore faudrait-il savoir ce qu’il doit chercher…
Jonathan Coe, l’un de nos auteurs préférés (dont on a déjà parlé ici), campe son nouveau roman dans notre capitale, à l’occasion d’un événement qui a marqué pour toujours la mémoire des Belges : difficile de résister et d’attendre la traduction en français !
Avec beaucoup d’humour et de finesse, Coe s’empare des codes du roman d’espionnage (en faisant d’ailleurs plusieurs fois référence à Ian Fleming) pour un récit vintage, plein de vrai-faux suspense. La reconstitution historique de la fin des années 1960, période pas si éloignée de nous, joue la carte de la distance ironique, entre le discours sur les bienfaits de la cigarette pour le femme enceinte et la fascination pour un village congolais construit en plein cœur de l’Expo (avec de vrais « sauvages » !).
À côté de cela, on retrouve aussi les thèmes chers à l’auteur : la place de la femme dans la société, l’anti-héroïsme et, à mesure qu’on avance dans le roman, la mélancolie des personnages.

Avis aux amateurs : Mr Coe fera une présentation de son roman ce mercredi 16 octobre, à Bruxelles, à l’Atomium ! Infos ici.

Référence :
Jonathan Coe, Expo 58, Viking (Penguin), 2013.

6 octobre 2013

Nos listes de lectures

Pour vous montrer ce qu'on fait en classe, 
pour donner des idées aux collègues qui passent par ici, 
pour donner des idées aux parents d'ados, 
pour répéter que la littérature est un art vivant et qu'il n'y a pas que les classiques qui ont leur place à l'école, ...

Nos listes de lectures pour cette année scolaire:


Et pour rappel, les équivalences en France:
Quatrième = deuxième lycée
Cinquième = première lycée
Sixième = terminale