Roman étrange et "ambiancieux" sur la confrontation silencieuse entre deux sociétés.
Un groupe d’ouvriers s’engage à pas mal assurés au fond d’une vallée perdue dans la brume. Un lieu coupé du monde, difficile d’accès, où une grande société a projeté de construire un barrage hydroélectrique. Au bout de leur chemin dans la montagne, les hommes découvrent un hameau hors du temps, habité par des villageois silencieux et discrets, condamné à être englouti par les eaux du barrage. Avant d’entamer la procédure d’expropriation, les ouvriers de ce chantier isolé se lancent dans la destruction lente et irréversible de la montagne et découvrent peu à peu les étranges façons des habitants du hameau, passifs et en apparence résignés face aux ouvriers qui viennent dénaturer leur environnement presque sacré. Parmi eux, le narrateur, qui a rejoint le projet après sa sortie de prison. Observateur attentif de la vie des villageois, il retrouve chez eux des sensations et des attitudes qui réveillent sa conscience troublée par le meurtre de sa propre femme.
Etrange roman. L’atmosphère lourde, embrumée et décontextualisée du décor jette sur la vie de ces deux communautés qui s’observent avec méfiance et curiosité un voile de mystère qui rappelle, très subtilement, celui de la fable. À côté de la dénonciation évidente des dégâts causés par l’industrialisation qui ne s’embarrasse de rien, l’auteur laisse émerger progressivement du groupe des ouvriers la personnalité ambiguë du narrateur qui semble être le seul capable de comprendre le fonctionnement de la communauté qu’il est censée détruire. Les rites traditionnels prennent un tour menaçant, à travers des images puissantes et inquiétantes, et semblent venir perturber, en silence, la modernité en marche.
Autre thème abordé, le poids du groupe et la place de l’individu dans une société où doit primer l’intérêt collectif. Les codes et les règles qui définissent l’organisation de la vie en société s’opposent dans l’affrontement muet qui met face à face la société traditionnelle et celle des ouvriers.
Beaucoup de mystères donc pour cette méditation subtile sur le Japon d’aujourd’hui qui balance toujours entre modernité et tradition. Les amateurs de littérature japonaise apprécieront et les autres (peut-être même ceux qui en ont peur... ils se reconnaitront) se laisseront facilement envahir par l’ambiance étrange et originale de ce très beau roman.
Les avis (positifs) de Clara, d’Yspaddaden, de Vanessa, de Cachou et de Calyste.
Référence :
Le convoi de l’eau, Akira YOSHIMURA, traduit du japonais par Yutaka Makino, Babel, 2011
J'avais beaucoup aimé aussi (je ne crois pas avoir fait de billets...). Je l'ai lu par hasard, bien longtemps après que toutes mes collègues l'encensent (en général, j'évite de lire les romans que tout le monde adore au moment où tout le monde les adore, je suis toujours déçue). Là je l'ai ouvert parce que je l'avais sous la main et j'ai été complètement transportée par cette étrange ambiance, cet étrange personnage...
RépondreSupprimerA lire, en effet !
Ce livre m'a plutôt intéressée, mais j'ai été un peu destabilisée par cette atmosphère étrange...
RépondreSupprimerTu as bien résumé l'impression que j'ai eue en le lisant. Très beau livre...
RépondreSupprimerJe poursuivrai p-e ma découverte de la littérature japonaise avec Aki Shimazaki, mais je prends note de cet auteur et de ce titre en dépit de son étrangeté ;)
RépondreSupprimerJe l'ai lu récemment et en ai fait un billet. Magnifique (le livre, pas mon billet!!!)!
RépondreSupprimer@ Emeraude: je n'en avais jamais entendu parler et c'est par mon groupe de travail qu'une lectrice nous l'a fait découvrir.
RépondreSupprimer@ Kathel: déstabilisant: assurément!
@ Cachou: Merci pour le compliment. Oui, vraiment très beau. Je l'ai lu il y a plusieurs mois et les impressions et les images sont toujours là.
@ Reka: à coups de billets, j'arriverai bien un jour à t'amener vers la littérature japonaise! ;-)
@ Calyste: billet ajouté aux autres liens!
J'avais bien aimé "la jeune fille suppliciée sur une étagère". Et puis les auteurs japonais... j'adore. Merci de ce beau billet; je note ce titre.
RépondreSupprimer@ lewerentz: je n'ai rien d'autre de cet auteur mais je vais m'y mettre prochainement.
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