Fable poétique et politique sur le thème de la mémoire.
Lorsque les habitants de l’île se réveillent, certains matins, quelque chose dans l’air leur indique que la journée sera marquée par une nouvelle disparition. Autrefois, il y avait eu le ferry et les autres bateaux, seuls moyens de liaison entre l’île et le reste du monde, disparus du jour au lendemain. Et après, les timbres, les instruments de musique, les bonbons, les oiseaux, …. A chaque fois, à mesure que chacun se débarrasse et détruit ce qui est amené à disparaître, le mot lui-même se vide de son sens et la mémoire a tôt fait d’oublier à jamais toutes traces du temps d’avant. On s’habitue vite aux disparitions, on cesse vite de penser à ce qui n’est plus.
La narratrice, une jeune romancière, s’accommode facilement de cette vie remplie de creux, comme tous les autres habitants. Même la disparition de sa mère, morte dans des circonstances étranges peu après son arrestation par la police secrète, ne semble pas l’affecter. Si certaines arrestations publiques sont difficiles à supporter, la population de l’île reste cependant calme et se soumet volontiers. La plupart oublient vite, sans se forcer, mais certains semblent conserver en eux la mémoire des choses disparues et ceux-là doivent se cacher pour éviter d’être enlevés par la police secrète. C’est le cas de R, l’éditeur de la narratrice. Lui n’a rien oublié. Craignant pour lui, la jeune femme décide, avec l’aide du grand-père, un vieil ami de sa famille, de mettre R à l’abri chez elle, dans une pièce secrète. Même s’il est difficile de vivre avec la peur d’être découverte et de devoir s’occuper de R, d’autant que la nourriture se fait toujours plus rare, elle semble séduite par cette cohabitation interdite. Jusqu’au matin où, à leur tour, les romans disparaissent…
Une fois encore, OGAWA parvient à étonner. Tout en gardant la finesse et l’imaginaire mystérieux de ses romans précédents textes (comme ici ou ici), elle s’empare d’un thème plus politique – le totalitarisme – et compose une sorte de 1984 poétique et palpitant. Au-delà de la dénonciation d’un système qui réduit chaque jour davantage les libertés en détruisant les souvenirs de chacun, OGAWA crée un univers hors du temps (comme dans les fables) fait de creux et de vides, d’espaces cachés et d’images puissantes, comme lorsque toutes les roses sont abandonnées à la rivière le jour de leur disparition. Les thèmes du souvenir et de la mémoire étaient déjà au cœur de La formule préférée du professeur. Dans ce nouveau roman, OGAWA va plus loin et pénètre le domaine de la création et du rôle de l’écrivain, mémoire du vivant, capable, peut-être, de résister contre l’oubli.
Voir aussi l'avis de Chiffonnette.
J'ai moi aussi beaucoup aimé !
RépondreSupprimerC'est une auteure vraiment passionnante qui sait se renouveler, j'ai énormément aimé "la formule préférée du professeur " je vais me laisser tenter par celui ci car j'ai ce thème
RépondreSupprimerÇa m'a l'air pas mal. Une suggestion intéressante pour continuer mon exploration de l'univers d'Ogawa.
RépondreSupprimerBonsoir. je découvre ton blog qui est bien sympa. J'ai bien aimé certains des ouvrages de Yoko Ogawa mais j'ai hésité à me plonger dans celui-ci. Ton billet a balayé mes réticences, je pense... C'est un auteur dont j'aime la grande finesse.
RépondreSupprimer@ Emeraude et Gwenaelle: Je l'ai lu peu de temps après d'autres Ogawa et j'ai d'abord crains d'arriver à un trop plein d'"ogawaseries", mais celui-ci est tellement différent des autres que c'est presque un nouvel auteur que j'ai découvert.
RépondreSupprimer@ICB: Je ne sais pas ce que tu avais pensé des autres Ogawa, mais pour celui-ci: fonce!