22 avril 2012

L’art et l’Autre

Le Turquetto, Metin ARDITI

Un peintre – réel ou inventé – au centre d’un suspense historique et aux confluents de multiples cultures.

Au départ, il y a une nuance, un détail presque insoupçonné dans la signature de L’homme au gant, tableau attribué à Titien. Et si cette petite différence chromatique était la preuve de l’existence d’un autre peintre ?
De ce presque rien, Metin Arditi amène son lecteur à la suite d’un jeune garçon dans les rues bouillonnantes de Constantinople. 1531. Le père du petit Elie tente de survivre, endurant en silence les humiliations que doivent souffrir les juifs chassés d’Espagne. Et, alors qu’il voit la fin de ses jours arriver, il n’a de cesse de s’inquiéter pour Elie. L’enfant n’a qu’une obsession : dessiner ou, auprès d’un marchand d’encre du bazar, recopier à la plume, en formant de fascinantes arabesques, des extraits du Coran. Mais ni les musulmans ni les juifs n’acceptent que la créature de dieu ne se prenne pour un créateur : pas de portraits. Seuls les chrétiens, dans leurs incroyables mosaïques, représentent les figures humaines. Alors quand l’occasion se présente, Elie n’hésite pas et s’embarque pour l’Italie, direction Venise, où l’apprenti-peintre deviendra célèbre sous le nom du « Turquetto ».
Une fois le livre refermé, on rêve de découvrir les peintures de ce Turquetto – réel ou fictif – tant les descriptions de l’auteur font rêver. Mais les images ne sont pas que sur les toiles. Arditi redonne vie aux villes qu’il décrit, des bazars de Constantinople aux palais vénitiens. Du bruit, des odeurs et une sensualité à fleur de peau. Entre ces deux mondes, le personnage du peintre, juif en exil qui doit taire ses origines et son passé, fait la synthèse entre l’orient et l’occident. Au risque de se perdre... Car au-delà de l’art, le grand thème du roman est la mixité des cultures dans la société (et celle du seizième siècle rappelle ici souvent la nôtre). Les identités excluent, enferment et, comme dans les intrigues politiques qui rythment la vie de la Sérénissime, sont utilisées par les uns et les autres pour asseoir leur pouvoir. C’est d’ailleurs avec beaucoup d’intelligence que l’auteur s’empare des rivalités qui ravagent Venise pour, au fil des pages, faire monter le suspense.
Bref : un roman passionnant, intelligent et sensuel (et, pour les collègues, un must pour illustrer la Renaissance et les questions liées aux identités et aux cultures).
Et si après ça vous n’êtes pas encore convaincus, allez voir du côté de Françoise ou d’Emeraude.

Référence :
Le Turquetto, Metin ARDITI, Actes Sud, 2011.

20 commentaires:

  1. Pas de problème, je suis déjà convaincue, reste à espérer que la bibli...

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  2. Quel magnifique billet sur un très beau livre qui est en train de voyager et de toucher les copines. Je découvrais Arditi avec ce roman et c'est un vrai coup de coeur.

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    1. Magnifique billet, en effet! ;-) J'avais lu, de l'auteur, "La pension Marguerite". Et je n'en ai plus aucun souvenir.

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  3. Si on compare ce qui n'est (sans doute) pas comparable, de "Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants", de Mathias ENARD ou du "Turquetto", lequel me conseillerais-tu en priorité ?

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    1. "Le Turquetto". Même si j'ai bien aimé le roman d'Enard je préfère l'écriture d'Arditi.

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  4. Convaincue depuis sa sortie, pas encore pris le temps de le lire ...

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  5. Je suis convaincue aussi mais pourquoi d'autres achats ou emprunts plus urgents passent-ils avant !

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    1. Oui, pouuquoi? Il vaut vraiment la peine et mérite de gagner quelques points sur ta liste d'urgence.

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  6. Je n'étais pas convaincue mais je vais finir par l'être, surtout autour du thème des identités car celui de l'art ne m'attire guère car je suis ignorante en la matière...

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    1. Il ne faut pas de connaissances spécifiques en matière d'art. Mais la lecture peut se prolonger par la découverte de Véronèse, Titien, Giorgione, ...

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  7. Billet tellement convaincu que j'ai envie de le relire sur le champ !!!

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  8. Je l'ai acheté car j'adore les romans d'Arditi. Et sur celui-là, j'ai même une jolie dédicace de l'auteur !

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  9. On me l'a déjà bien conseillé mais ton avis va d'autant plus dans ce sens. J'essaierai de me le procurer rapidement.

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    1. Je suis étonné de ne pas avoir lu davantage de billets sur les blogs. Je pense que c'est un roman qui peut plaire, pour tout ce que j'en ai dit, à beaucoup de monde.

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  10. Très beau billet ! J'ai aussi beaucoup aimé ce roman que Anne m'a prêté. Une jolie découverte !

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    1. J'ai hâte qu'il sorte en poche car ce sera une bonne lecture à proposer aux élèves, pile poil pour un programme de sixième.

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