19 mai 2011

Seule au monde

Le mur invisible, Marlen HAUSHOFER

Description d’une expérience humaine extrême et angoissante. Un roman puissant aux multiples degrés de lecture.

Un mur infini et invisible. Une barrière qui vous sépare à jamais du reste du monde, si le monde existe encore. C’est ce que découvre l’héroïne un matin, alors qu’elle vient de passer la nuit seule dans le chalet de sa cousine. Au-delà du mur, la vie humaine a disparu. Elle est seule, isolée dans la forêt avec pour seule compagnie un chien, une vache et une chatte. Très vite, la situation s’impose au personnage. Elle ne perd pas de temps, ne cherche pas à comprendre et organise sa survie. Rationner la nourriture, planter des pommes de terre, traire la vache, chasser, couper du bois, … Un quotidien s’installe, laborieusement, soumis aux mouvements répétés de la nature qui reprend tous ses droits. Dans ce monde sans hommes, les animaux deviennent les témoins et les seuls interlocuteurs possibles, compagnons d’infortune sur qui il faut bien veiller. La femme, dont on ne connaît pas le nom, passe subitement d’une vie bourgeoise à celle d’une paysanne qui doit, seule, accomplir toutes les besognes et, toujours, avoir une longueur d’avance sur les éléments. À la suite d’un accident qu’on ne découvrira qu’à la fin, elle se met à raconter, par écrit, son histoire.

C’est un peu comme La route de McCARTHY, mais sans la route et sans enfant. Ou comme I am Legend, sans vilains monstres. Bref, une histoire d’après la catastrophe qui met le personnage face à sa solitude et à sa qualité d’être humain. Pourquoi continuer à se battre et à survivre quand il n’y a plus rien ? A quoi se raccrocher ?
L’écriture de HAUSHOFER est précise et directe. On pourrait vite craindre que la description minutieuse d’un quotidien aussi répétitif puisse lasser, mais il n’en est rien. On reste rivé à cette femme qui se débat avec une incroyable puissance et parvient à faire taire l’angoisse existentielle symbolisée par cet étrange mur. Remis dans son contexte (le roman a été écrit en 1968), on peut bien évidemment lire ce livre comme une métaphore de la peur face à la guerre froide et à ses possibles dérives nucléaires, mais il serait dommage de s’arrêter là. La dimension philosophique de cette expérience humaine extrême tient en haleine et, inévitablement, pose la question : et moi, à sa place ?

Peu d’avis sur la blogosphère. J’ai cependant trouvé celui, positif, de la Biblio du dolmen.


Référence :
Le mur invisible, Marlen HAUSHOFER, traduit de l’allemand (Autriche) par Liselotte Bodo et Jacqueline Chambon, Babel, 1992

15 commentaires:

  1. Je note ! Ca a l'air vraiment super. Merci !

    RépondreSupprimer
  2. Tu me donnes très très envie de le lire ! J'étais depuis longtemps tentée mais désormais, il faut que je l'achète. Merci.

    RépondreSupprimer
  3. Eh bien, à lire les deux billets, le tien et celui du dolmen, j'ai plutôt envie!

    RépondreSupprimer
  4. Je ne pense pas que cela me plairait mais le côté répétitif des tâches simples du quotidien, proches de la nature me rappelle le livre de Thoreau, Walden, j'avais eu beaucoup de mal au début et finalement aimé, le contexte est différent, il n'y a pas eu de catastrophes et l'écriture est bien antérieure à notre époque, du coup les thèmes philosophiques qui pourraient s'en dégager en sont totalement différents, même si je suppose que dans la narration ils sont similaires

    RépondreSupprimer
  5. Je le note sans plus tarder !

    RépondreSupprimer
  6. Un roman qui m'avait complètement échappé, alors qu'il pourrait bien me plaire.

    RépondreSupprimer
  7. Je l'ai lu il y a quelques années. Il m'avait beaucoup marquée...

    RépondreSupprimer
  8. @ Béné: si ce sujet t'intéresse, je conseille vivement.

    @ keisha: je m'étonne de n'avoir pas trouvé plus d'avis sur les blogs car c'est quand même un grand livre, souvent réédité.

    @ Tiphanie: Walden, Thoreau, ... de grands absents de ma culture, mais je vais me rattraper...

    @ Kathel: yes!

    @ Brize: comme tu l'as vu, j'ai bcp aimé mais c'est difficile de savoir à qui il peut plaire.

    @ Gwenaelle: pendant que je lisais ce livre, j'étais complètement dans une bulle avec ce personnage, isolé comme elle, un peu perdu aussi. Marquant, assurément.

    RépondreSupprimer
  9. Nouvelle tentative pour écrire un commentaire: l'autre soir, Blogger a refusé obstinément.
    J'ai lu ce livre par hasard il y a quelques années et n'en ai pas décollé de l'après-midi jusqu'à l'avoir terminé. Encore aujourd'hui, j'en garde un souvenir précis. J'ai dû l'acheter six ou sept fois, les amis à qui je le prêtais ne me le rendant pas. C'est bon signe, ça, non ? Aujourd'hui, il est dans ma bibliothèque, et inutile de me demander: je ne le prête plus!

    RépondreSupprimer
  10. Moi aussi, je l'ai lu il y a longtemps. J'ai lu Je suis une légende il y a une semaine seulement, mais celui-ci est autrement plus fort, à mon sens...

    RépondreSupprimer
  11. @ Calyste: bon signe, en effet! Un livre perdu, mais pour la bonne cause.

    @ Anne: ma référence à "Je suis une légende" était juste une blague. "Le mur invisible" est, dans le dépouillement, beaucoup plus dur et centré.

    RépondreSupprimer
  12. J'ai vérifié, il est disponible à la bibli!

    RépondreSupprimer
  13. Quel plaisir de lire cette critique... Ce livre fut une de mes découvertes littéraires lors de sa première parution aux éditions Actes Sud en 85. Dans ma grand candeur (j'avais 15 ans) j'avais même voulu écrire à l'auteur pour l'occasion... ce qui n'est pas rien (mais j'étais jeune et impétueuse, alors ;-)... Elle était morte depuis une quinzaine d'année !
    Le rapprochement avec le roman de Mc Carthy est judicieux même si l'atmosphère y est plus pesante selon moi.

    RépondreSupprimer
  14. J'ai ce roman dans ma PAL depuis plus d'un an. Bientôt je le lirai. Si l'on peut qualifier ce livre de dystopique, alors, j'ai bon espoir de l'apprécier, moi aussi !

    RépondreSupprimer
  15. @ MissPinpon: une belle découverte pour moi aussi.

    @ Reka: pas vraiment une dystopie. C'est presque une robinsonnade, sans espoir de retour.

    RépondreSupprimer