1 mai 2011

black and white

Joyce Carol OATES, Fille noire, fille blanche

La grande Joyce Carol OATES, par son écriture fine et cruelle, nous livre non pas une belle histoire d'amitié entre deux filles que tout oppose dans l'Amérique des années 70 mais un subtil roman sur la confrontation entre deux mondes qui ne se rejoindront sans doute jamais.

"Certaines vérités dont des mensonges", aime dire Maximilian Meade, le grand Mad Max, avocat de gauche radical et père de la narratrice. "Aucune vérité ne peut être mensonge", préfère penser la narratrice elle-même. Et c'est dans cette quête de la vérité qu'elle entreprend la rédaction "d'un texte sans titre au service de la justice" pour tenter d'expliquer (et de comprendre) les raisons de la mort de sa camarade de chambre, quinze ans plus tôt, au Schuyler College.
Genna Meade, dont l'illustre famille est entre autre fondatrice du fameux collège, portant le lourd fardeau d'une famille hors norme, idéaliste mais peu présente pour leur propres enfants, partage sa chambre avec Minette Swift. La première est douce, maigre, timide, blanche et cherche sans cesse à se faire aimer. La seconde, fille d'un pasteur de Washington, est solitaire, indomptable, indifférente au regard d'autrui et noire. Genna tentera de toute ses forces de devenir l'amie de Minette, n'hésitant pas à la défende lorsque tout le monde rejette cette fille en apparence grossière et agressive mais n'arrivera jamais vraiment à fendre sa carapace.
Et puis il y a les agressions racistes... Des mots glissés sous la porte ou écrits dessus en grosses lettres noires, des affaires de Minette qui disparaissent et qu'elle retrouve, des semaines plus tard, abandonnées dans la boue du campus, des bouts de verre dans la douche... La résidence Haven Hall du Schuyler College est pourtant réputée pour être "la plus intégrée" et pour réunir "des jeunes femmes de races, de religions, d'horizons ethniques et culturels différents"; alors pourquoi Minette est-elle la cible de ces attaques permanentes ? Genna revient donc sur cette année 1975, l'année de la mort de Minette Swift, la veille de son dix-neuvième anniversaire.
Plus qu'un livre sur les tensions raciales, Fille noire, fille blanche est un roman sur les relations familiales et l'héritage filial parfois terriblement lourd à porter, sur l'Amérique des années 70, les mouvements hippies, la guerre du Vietnam, le scandale du Watergate... Et puis surtout un roman sur la culpabilité : celle de Max Meade par rapport à certains attentats terroristes qui ont coûté la vie d'un ou deux innocents, celle de son épouse, hippie et bohème, incapable de s'occuper de ses deux enfants et de leur donner le foyer rassurant qu'ils attendent, celle de Minette qui semble faire tout pour qu'on la rejette et enfin, celle de Genna persuadée qu'elle est responsable de la mort de sa camarde. Avec l'écriture singulière et féroce qu'on lui connaît, Joyce Carol OATES dresse un portrait psychologique sans complaisance de la complexe Minette et de sa non moins complexe camarde de chambre. En évitant bien entendu toute explication manichéenne, Joyce Carol OATES nous livre une intrigue dont le dénouement est ambigu et terriblement inconfortable. Mais on le sait, on ne compte pas sur OATES ni pour nous expliquer, ni pour nous rassurer. Et c'est sans doute pour ça qu'on aime tant ses livres... (la preuve ici).

Référence :
Joyce Carol OATES, Fille noire, fille blanche, traduit de l'américain par Claude Seban, Editions Philippe Rey, 2009 sorti en poche chez Point.

11 commentaires:

  1. Voilà le premier billet que je lis qui me donne envie de m'essayer à la lecture de Joyce Carol Oates!

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  2. Eh bien, on peut dire que c'est un prêté pour un rendu, puisque c'est toi qui cette fois me rappelle un titre qui stagne dans ma PAL depuis quelque temps !

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  3. Je n'accroche pas tellement à l'écriture d'Oates mais là le sujet m'intéresse donc je le lirai probablement.

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  4. @Marie : ravie de t'avoir donner envie de le lire !
    @Ingannmic : c'est l'occasion de le mettre au-dessus de la pile !
    @Tiphanie : espérons que ça te fasse changer d'avis sur Oates (bien qu'au niveau de l'écriture, on retrouve bien sa patte...)

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  5. Mon roman préféré de Oates avec Les chutes, mais bien sûr, je suis très très loin d'avoir tout lu !

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  6. Je crois que je l'ai déjà dit la dernière fois que vous avez chroniqué JC Oates (si c'était bien ici !;-)) mais je n'ai jamais lu cette auteure... Bien sûr, c'est un tort que je compte réparer un jour... les billets que je lis à droite et à gauche sont tous plus positifs les uns que les autres !

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  7. @Kathel : j'ai aussi beaucoup aimé Les Chutes ! Et je découvrirais bien les autres
    @Emeraude : en tout cas, c'est un auteur avec un univers particulier et une écriture étonnante.

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  8. Celui-ci je l'avais repéré lors de sa sortie en France, il m'a fait connaître Oates et figure sur ma LAL.
    J'aime ton billet.

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  9. C'était le premier que je lisais de l'auteur. Avec le recul je m'aperçois que, au-delà des réserves que j'avais alors formulées (en partie dues au fait que je m'attendais à une histoire davantage centrée sur les tensions raciales), ce livre m'a laissé une impression durable et c'est suffisamment rare pour être souligné.

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  10. @Sabbio : Merci pour le compliment. J'espère que tu aimeras autant le livre.
    @Brize : c'est vrai que les personnages nous hantent, comme c'est souvent le cas avec Oates...

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  11. Je suis un inconditionnel de cet auteur depuis de nombreuses années. J'ai lu quasiment tous ses romans et nouvelles. (J'en ai trouvé certains sur Amazon lorsqu'ils sont épuisés). Son Amérique a un goût de fin du monde qui préfigurait déjà dans ses premiers textes ce qu'il adviendrait bientôt de l'Europe.
    J'ai un seul regret. N'étant pas assez à l'aise avec l'anglais je suis souvent très déçu par les traductions souvent bâclées de ses livres. Sans parler des coquilles et fautes d'orthographe mais malheureusement c'est devenu fréquent dans l'édition depuis quelques années. On dirait que les textes ne sont pas relus.

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