23 avril 2011

Don’t rain on my parade

Easter parade, Richard YATES

La part mélancolique du rêve américain à travers les trajectoires opposées de deux sœurs. Un beau roman qui évite astucieusement le sentimentalisme et les clichés. Du Mad Men avant l’heure…

« Aucune des deux sœurs Grimes ne serait heureuse dans la vie… »
La première phrase du roman laisse peu de place au doute : pas de bonheur en vue pour Sarah et Emily Grimes. Depuis le divorce de leurs parents, elles grandissent tant bien que mal au rythme des déménagements. Pookie, leur mère, écume les banlieues new-yorkaises et, à défaut d’avoir réussi sa vie, espère le meilleur pour celle de ses filles. Un beau mariage, une belle maison. Quelle autre possibilité pour une femme  dans l’Amérique de l’après-guerre ? Sarah, l’aînée des sœurs Grimes, n’ira pas chercher plus loin et se cantonnera au rôle d’épouse et de mère, fermant à demi les yeux sur les défauts de son prince charmant. Emily, plus indépendante, fera des études, travaillera et enchaînera les relations. Chacune des deux sœurs pense réaliser son rêve, vivre selon ses désirs, feignant d’ignorer la tristesse et les silences qui envahissent leur quotidien.

Ecrit en 1976, le roman de Richard YATES revient sur les années 50 et 60, époque où la classe moyenne américaine voyait prospérer son idéal fait de domesticité et de consommation. Un repli sur soi-même, sur la cellule familiale, alors que, entre la guerre froide, la mort de Kennedy et la guerre du Vietnam, le monde se transformait. Métaphore politique et sociale, la destinée des sœurs Grimes montre une Amérique en proie aux doutes face à ses rêves de prospérité et de bonheur. Les deux routes choisies par Sarah et Emily aboutissent au final à un cul-de-sac. La félicité familiale de Sarah n’est qu’un leurre, tout comme la liberté d’Emily ; elles ont tout pour être heureuses mais n’y parviennent pas. Le style de YATES rend avec beaucoup de finesse cette ambiance mélancolique sans pour autant présenter les personnages comme des victimes. Le style est tranchant et souvent ironique, évitant astucieusement les pièges du roman sur le thème : « un beau destin de femme ».

Mélancolie, années 50-60, whisky et personnages fantomatiques : difficile de ne pas penser à Mad Men (le personnage d’Emily travaille comme rédactrice dans une agence de pub à Manhattan). Matthew Weiner, créateur de la série, explique pourtant (notamment ici) qu’il n’a découvert YATES qu’après avoir commencé l’écriture des premiers épisodes. En plus de l’atmosphère, on retrouve également le thème de la place de la femme dans la société, femme au foyer aux névroses rentrées ou fille de la ville qui ne peut compter que sur elle-même.

Sur la blogosphère, les avis sont partagés. Assez positifs chez Sabio et Amanda Meyre, pas très enthousiastes chez Cynthia.

Du même auteur, on peut également lire La Fenêtre panoramique, adapté au cinéma par Sam Mendes en 2008 (Revolutionary Road).


Référence :
Easter parade, Richard YATES, traduit de l’anglais (États-Unis) par Aline Azoulay-Pacvon, Éditions Robert Laffont, 2010

12 commentaires:

  1. J'ai lu "La fenêtre panoramique" et j'ai ressenti aussi la mélancolie dont tu parles mais à un point tel que le livre a fini par m'ennuyer...

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  2. C'est un titre de saison, dis donc ! Je reste tentée, même si ce roman semble assez tristounet... euh, pardon, mélancolique ! ;-)

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  3. Yates... Encore un auteur qui a toutes les chances de me plaire et qu'il me reste encore à découvrir... C'en devient presque démoralisant.

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  4. @ Ys: celui-ci ne m'a pas ennuyé. Je pense qu'il est aussi plus court que "La fenêtre... ". Cela peut aussi aider...

    @ Kathel: Ah! Je me demandais si quelqu'un aller repérer le titre de saison.
    Mélancolique, certes.

    @ ICB: Mais non, ce n'est pas démoralisant! Il faut se dire qu'avoir le choix, c'est un luxe.

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  5. J'aimerais beaucoup lire ce livre, après La fenêtre panoramique que j'ai vraiment aimé. On y lit aussi l'idéal domestique dans lequel April Wheeler se sent coincée (ça fait un peu penser aussi aux Heures de Michael Cunningham). Le film de Sam Mendes est très bien aussi !

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  6. @ Anne: je trouve que Yates est beaucoup plus mordant que Cunningham. J'ai beaucoup aimé aussi le film de Mendes.

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  7. Merci de citer mon billet! :)À l'époque de ma lecture je ne connaissais pas "Mad men" mais maintenant que j'ai vu cette série en effet les rapprochements vont de soi.

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  8. Après "La fenêtre panoramique", que j'ai beaucoup apprécié, j'hésite un peu avec celui-ci, craignant (les redites et/ou) d'être déçue. Peut-être...

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  9. @ Brize: je n'ai pas lu "La fenêtre...", je n'ai vu que le film, mais il y a des similitudes, c'est certain.

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