19 août 2010

La fin du rêve américain

American Tabloïd, James ELLROY

Un grand roman noir et cynique qui règle les comptes du mythe du rêve américain. 

Les livres de James ELLROY me font de l’œil depuis longtemps et c’est finalement l’hommage sous forme d’anagramme de RJ ELLORY (notre chouchou ici et ici) qui m’a décidé à franchir le cap vers ce côté noir de chez noir, pour ne pas dire obscur, de la littérature américaine. Et comme ce sont les vacances, j’ai opté pour la brique American Tabloïd.
Nous avions déjà évoqué ici le mythe de JFK, à travers le récit à plusieurs voix que lui a consacré Adam BRAVER. A partir du même thème, James ELLROY se lance dans une entreprise de démystification radicale, via la fiction, pour retracer le processus complexe qui a abouti à l’assassinat du président play-boy. 
Pas simple de résumer l’intrigue car tout est assez dense et il faut même s’accrocher ferme durant les cent premières pages (ou bien était-ce l’effet vacances ?). Le roman tourne autour de trois personnages centraux dont les affinités et les appartenances changeantes brassent les lieux de pouvoir et le monde du crime organisé : mafia, FBI, CIA, clan Kennedy, groupes extrémistes, … Du 22 novembre 1958, moment où Jack s’apprête à se lancer dans la course à la Maison Blanche, au 22 novembre 1963, ELLROY tisse avec une dextérité incroyable les fils emmêlés qui mèneront Kennedy à sa perte. Corruption, trafic de drogue et d’influence, écoutes, espionnage, … tous les coups sont permis et tiennent en haleine le lecteur dans cet univers à la noirceur sans fin.
Une question qui se pose rapidement est le rapport que l’auteur entretient avec la vérité historique car la plupart des personnages principaux du roman ont bel et bien existé : le clan Kennedy, Howard Hugues, Jimmy Hoffa, J. Edgar Hoover, … Et la trame de l’histoire suit avec précision les événements de l’époque, comme l’épisode de la Baie des cochons. ELLROY a donc décidé de mélanger allègrement fiction et réalité, personnages inventés et réels, afin de tirer un portrait peu glorieux de l’Amérique des années 60 où la mafia entretenait des liens privilégiés avec tous les niveaux de pouvoir. L’auteur décape sec et ne fait pas dans le sentiment. Les personnages possèdent tous une face sombre et dangereuse dans laquelle ils puisent sans relâche pour faire fi de toute morale. On est loin d’un roman basé uniquement sur la théorie du complot (même si c’est évidemment le moteur de l’histoire) ; c’est davantage une tentative de réécriture de l’histoire américaine sans sacralisation, en faisant tomber les masques d’une société démocratique et bien-pensante et en montrant les fondements peu reluisants de l’Amérique.
Tout cela a peut-être l’air un peu complexe mais le talent d’ELLROY consiste à rendre crédible le tout et à vous accrocher viscéralement au récit, sur plus de 700 pages, ce qui n’est pas donné à tout le monde. On oublie très vite les liens entre la fiction et la réalité car la matière romanesque est telle qu’on s’engouffre facilement dans cet univers cruel et violent. L’écriture est serrée, froide (les tournures de phrase sont très répétitives et créent au final une musique glacée et dé-sentimentalisée), d’un cynisme redoutable et efficace.
Et la bonne nouvelle, c’est qu’American Tabloïd est le premier tome de la trilogie Underworld USA, dont les deux autres volumes sont déjà traduits chez nous. Vous aurez donc vite l’occasion de réentendre parler de James ELLROY. 
Et aussi d’ELLORY car son roman Les Anonymes est au programme de cette rentrée littéraire.

Edit post-publication: suite de la trilogie ici.

7 commentaires:

  1. Voilà un bon gros morceau, dis donc ! 700 pages ! Et moi avec mon pauvre Nothomb de 150 pages, j'ai l'air de quoi ? ;-)
    les réécritures romanesques de l'histoire, je n'ai jamais tenté, peut-être devrais-je y aller en douceur en commençant par 'le complot contre l'amérique' de Roth, qui a l'air plus abordable ?
    En tous cas, la thématique d'American Tabloid a l'air passionnante.

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  2. Tres tres tentee par ce roman (et toute la serie), il va falloir maintenant que je trouve le bon moment pour lire ce livre de 700 pages !!

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  3. @ Sébastien L: J'ai du mal avec Roth, mais je serai incapable de dire pourquoi.

    @ L'Ogresse: Cela se lit assez vite car l'écriture est assez fluide. Je conseille vivement!!!

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  4. @Sébastien : exceptionnellement, Voyelle et Consonne ne font pas une seule voix... Contrairement à mon partenaire et ami (à qui je vais faire relire Roth, c'est un challenge pour l'année 2010-2011), j'adore Roth ! Et Le complot contre l'Amérique était sur ma PAL depuis si longtemps que je l'avais oublié ! Merci du rappel!

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  5. Ouah, j'espère que tu parviendras à le convaincre. Si jamais il est réticent,commence avec "un homme": c'est très fort, et c'est très court !
    visiblement, ces derniers livres ne sont plus du tout au niveau, mais il y en a tellement à découvrir. "la tâche" aussi, que j'aimerais bien lire !

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  6. @ Sébastien L: J'ai lu "Un homme" et c'est le seul auquel j'ai accroché jusqu'au bout. Pour le reste, Amandine va devoir argumenter!

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  7. Un auteur que je n'ai encore jamais lu... Il serait temps de m'y mettre !

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