Un roman d’anticipation féministe et étonnant.
Pour la petite histoire, nous cherchions un roman d’anticipation à analyser en classe, dans la veine de 1984 de George ORWELL (que nous avons souvent fait lire à nos élèves). Amandine, qui a toujours le flair, nous a trouvé ce roman d’un écrivain dont nous pensions déjà beaucoup de bien (beaucoup de bien ici et ici). Et ça se confirme.
Donc nous sommes dans le futur, à la fin du vingtième siècle (le livre a été écrit en 1985) et nous écoutons le récit de Defred, une jeune femme habillée de rouge et coiffée d’un voile qui la cache aux regards des hommes. Elle est au service d’un Commandant et de son Epouse : elle est chez eux pour être fécondée. Depuis quelque temps, les naissances sont de plus en plus rares et les couples des classes dirigeantes peuvent avoir recours à ces mères porteuses à domicile, servantes silencieuses et désincarnées. Defred passe son temps à attendre et, par bribes, à penser à avant, au monde d’avant la République de Gilead. Elle était mariée à Luke, avait une petite fille. Mais où sont-ils maintenant ?
Est-il possible pour Defred de devenir cet objet de reproduction qui n’aurait pas de passé et pas d’avenir ? Est-il possible de faire à jamais disparaître le désir et ne limiter l’acte sexuel qu’à la reproduction ? Et comment la démocratie américaine a-t-elle pu en arriver là ?
C’est par petites touches qu’ATWOOD nous décrit la société de Defred, ses codes, son histoire et ses pratiques barbares. Elle imagine ici que la droite ultra-religieuse américaine s’empare du pouvoir, aidée en partie par certains mouvements féministes anti-pornographie. Le tout aboutit à la construction de cette femme-objet, mi-nonne mi-prostituée, soumise et contrôlée. On n’est pas loin de la société de 1984 à ceci prêt que chez ATWOOD ce ne serait pas les progrès technologiques qui permettraient l’instauration d’un régime totalitaire mais plutôt le fanatisme religieux.
Quand on sait combien le débat autour du retour du religieux et de l’effacement de certains principes de la laïcité est d’actualité (notamment la séparation de l’Eglise et de l’Etat), on se dit que La servante écarlate est une mise en garde puissante et pertinente. Le livre est parfois dur, certaines situations peuvent paraître malsaines, mais elles ne sont pas gratuites et servent à dénoncer une dérive et à questionner la place de la femme dans la société.
La force du livre réside également dans la finesse de sa construction et dans la justesse du ton : une distanciation entre le personnage et ce qui lui arrive. On est pris, captivé et tenu en haleine par ce roman qui pourtant se construit lentement. Et les dernières pages, d’une incroyable efficacité, nous amènent vers un autre niveau de lecture (mais nous n’en dirons pas plus…).
Pour terminer, une anecdote qui nous fait sourire, alors que nous nous apprêtons à faire lire ce roman à nos élèves : La servante écarlate a récemment donné lieu à une polémique au Canada. Un parent, dont l’enfant avait dû lire le roman à l’école, a estimé que cette lecture, qu’il considère comme trop brutale, anti-chrétienne et anti-islamique, n’était pas destinée à des adolescents.
Nous sommes déjà curieux de voir ce que nos élèves en penseront… Comme quoi — comprenne qui pourra — nous ne sommes pas du genre à éviter les sujets qui fâchent…
Niveau 2
J'ai acheté les deux livres (1984 et celui ci) pour ma fille et je vais les lire!
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